La famine organisée en Ukraine en 1932-33, les États, la politique

Bernard Randé, le 13 avril 2023

Les informations concernant l’Holodomor reprises dans ce texte sont extraites en très large partie du Rapport soumis au Congrès des États-Unis le 22 avril 1988, dont vous trouverez le texte intégral de 554 pages à l’adresse suivante :

https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=umn.31951d00831044s&view=1up&seq=1

Ce texte s’appuie aussi sur une courte note signée par Jean-Jacques Marie, historien, dans Contretemps (voir en fin d’article) , ainsi que sur la déclaration de Jean-Paul Lecocq, député PCF, citée par France-info :

https://www.francetvinfo.fr/politique/video-vote-sur-l-holodomor-nous-ne-voulons-pas-trancher-ce-debat-fait-par-les-historiens-declare-fabien-roussel-pour-justifier-l-opposition-des-deputes-communistes_5747867.html

Ce texte a pour intention (!) d’introduire à la réflexion sur le pouvoir d’État, l’Histoire et le politique, dans le cadre de l’Holodomor

  1. Le déroulement de l’Holodomor

Sans qu’il soit question de citer ici ne serait-ce qu’une parcelle des éléments attestés, il paraît utile de jeter un regard sur le rapport entre nos connaissances factuelles et l’attitude de la bureaucratie soviétique, au premier chef celle de ses dirigeants, sur un point particulier : les victimes de la famine en 1932.

Le nombre de morts dus à la famine en 1932 en Ukraine est situé dans une fourchette de trois à huit millions. Cette fourchette très large vient de la falsification des données démographiques lors du recensement de 1939. En 1937, un premier recensement avait donné pour l’URSS une population beaucoup trop faible par rapport à ce qui était attendu par le pouvoir. Dans un souci de rigueur scientifique, les responsables du recensement avaient été déportés ou plus souvent fusillés, et un second recensement eut lieu en 1939. Comme les bureaucrates chargés de ce recensement ne furent pas fusillés, on peut supposer que les chiffres correspondaient mieux aux attentes. Malgré cela, entre le dernier recensement fiable (1926) et celui de 1939, la population ukrainienne a perdu plus de trois millions de personnes. Cette analyse fondée sur le recensement est corroborée qualitativement par de très nombreux témoignages de témoins sur place, faisant état de villages peuplés de morts durant la période de l’Holodomor.

La cause de cette famine, officiellement, est double : la sécheresse et les koulaks. En ce qui concerne la sécheresse, la question est vite réglée : 1932 a été une année de pluies tout à fait abondantes en Ukraine, d’après les données météorologiques, et c’est un nommé Joseph Staline qui en janvier 1933 imputa la famine à la sécheresse. En ce qui concerne le sabotage par les koulaks (un koulak est un paysan qui a au moins trois poules pondeuses en état de marche), il apparaît qu’il ne s’est manifesté qu’alors que la famine était bien engagée et que de nombreux ukrainiens tentaient de ne pas mourir de faim par tous les moyens, avant de recourir à celui offert par leurs enfants. De toutes façons, il n’existait plus aucun koulak (au sens des poules pondeuses) en Ukraine en 1933.

Mais la question de la sécheresse est intéressante. Elle s’est produite en 1932 dans d’autres régions de l’URSS, et le gouvernement soviétique a eu dans toutes ces régions, au contraire de l’Ukraine, région où l’on prélevait les céréales, une politique d’aide en grains. Toutes ? Non! Dans le Caucase du Nord, une région, le Kuban, était peuplée d’Ukrainiens : elle fut la seule à ne pas recevoir les quotas réservés aux autres districts du Caucase du Nord.

Cette question de l’extermination par la faim est donc évidemment liée à la question de l’Ukraine, qui était la principale république d’URSS en dehors de la Russie, dans laquelle la question nationale se posait avec acuité, en raison de son poids économique, démographique et culturel. Il faut noter qu’elle se posait aussi dans un grand nombre d’autres contrées soviétiques, mais sans représenter pour le pouvoir un danger aussi grand que l’Ukraine. La question nationale ukrainienne était en particulier visible dans l’autonomie (très relative) de certaines couches bureaucratiques ukrainiennes qui furent, elles aussi, exterminées, par les moyens habituels.

Ce bref aperçu n’est là que pour signaler que la famine en Ukraine est éminemment de nature politique. Même si certains faits historiques restent douteux et soumis à la recherche des historiens, les 554 pages du rapport cité sont une bonne introduction à cette question. La question de savoir dans quelle mesure l’Ukraine était particulièrement visée par l’organisation de la famine doit aussi s’appuyer sur une étude comparative avec d’autres territoires.

  1. Oui, la condamnation de l’Holodomor est de nature politique!

Dire cela, ce n’est pas substituer la politique à l’Histoire : c’est appuyer la politique sur la réalité. Lorsque J.-P. Lecocq déclare, pour ne pas voter la résolution proposée à l’Assemblée nationale : «Nous refusons de contribuer à la politisation des enjeux de mémoire et d’histoire», il nous paraît bien mal informé : depuis quand l’Assemblée nationale ne serait-elle pas une assemblée politique ? Que va-t-il y faire, alors ? Du théâtre ? Lorsque les députés débattent, votent des lois ou s’y opposent, ils font de la politique, bonne ou mauvaise, mais de la politique. On peut bien entendu faire un procès en hypocrisie à une assemblée qui débat avec ardeur de crimes commis par d’autres que l’état français, ou qui attend vingt, cinquante, cent-cinquante ans ou les calendes grecques pour évoquer ceux qui ont été commis par lui. Après tout, la Seine coule toujours sous les ponts de Paris depuis le 17 octobre 1961. C’est la règle dans tous les États : attaquer l’infamie dès lors qu’elle n’est pas de notre ressort, du ressort de nos alliés ou du ressort des vainqueurs.

Cependant, en ce qui concerne le vote du 28 mars 2023, il ne s’agit pas exactement de l’État. Ç’aurait été le cas si la loi Gayssot (ou plus précisément son article 9) avait été mise en œuvre pour condamner pénalement ceux qui remettaient en cause l’Holodomor. Dans de telles circonstances, J.-P. Lecocq aurait eu raison en indiquant qu’il était défavorable à laisser au pouvoir d’état la possibilité de décréter l’obligation des opinions et de l’expression des idées. Ce n’était pas le cas.

Ce vote était d’autant plus politique qu’il faisait suite à l’invasion de l’Ukraine et à l’apparition visible par tous de la résistance nationale ukrainienne. C’est en cela que l’Assemblée nationale a pris une position juste. Si elle avait émis une motion de même nature sur l’élimination des Indiens Caraïbes, le massacre des Vaudois ou la répression de la révolte de Spartacus, l’effet aurait été, chez nous et aujourd’hui, moins immédiat.

Il y a probablement un point sur lequel Fabien Roussel a intelligemment insisté : la notion d’intentionnalité du crime. Cette notion est de nature juridique et, comme telle, contient une bonne dose de superstition. Elle est utilisée par des magistrats qui peuvent ainsi remplacer une analyse factuelle et rationnelle par leur propre subjectivité (et Dieu sait si souvent elle est riche en intentionnalité criminelle!) De sorte que bien des gens ont été condamnés non pour avoir commis un crime, mais parce qu’ils y auraient eu intérêt. Mais ici, il ne s’agit pas d’une affaire pénale où l’on cherche à savoir si un crime n’a pas été maquillé en accident. Concernant l’Holodomor, il me chaut peu de savoir si Staline avait l’intention d’exterminer ou non le peuple ukrainien : le point important est qu’il a tout fait pour, lui et la bureaucratie stalinienne. Il y a tout de même un point objectif qui peut relever de l’intentionnalité, bien que le terme ne soit pas approprié : le mensonge. Lorsque Staline invente une sécheresse pour expliquer la famine, il falsifie la réalité. Et c’est un fait objectif.

Mais du point de vue des Ukrainiens, qui sont les premières victimes de l’impérialisme grand-russe, ce débat n’aura sans doute guère d’importance. La reconnaissance, fût-ce par les appareils étatiques, des crimes passés et de ceux de Poutine, est pour eux un appui psychologique que nous n’aurions garde de sous-estimer.

  1. Seuls les historiens…

Il me semble que Jean-Jacques Marie, pour des raisons que je ne comprends d’ailleurs pas, confond explicitement deux choses : une loi et une résolution. Le 28 mars 2023, l’Assemblée nationale n’a voté aucune loi, c’est-à-dire qu’elle n’a pas remis entre les mains de l’État la possibilité de s’opposer au droit constitutionnel à la liberté d’expression. Elle a exprimé sa position sur l’Holodomor, comme assemblée politique. Je ne comprends même pas qu’il puisse parler de «loi mémorielle». Les termes de génocide, de crime contre l’humanité, peuvent sembler hors de propos par leur nature juridique, mais il s’agit bien de crimes de masses, non ? Lorsqu’un citoyen parle de «crime», il ne fait pas nécessairement référence au code pénal ? Tout se passe dans le court texte de Jean-Jacques Marie comme s’il avait voulu attaquer une position politique parce qu’elle avait un côté vicié (c’est une loi) et que, malgré l’absence de ce vice particulier, il avait par inertie conservé sa critique.

Il va de soi que les historiens, professionnels ou non, ont un rôle majeur dans la mise à jour de la réalité passée. Comme tous les êtres sociaux, ils sont soumis à la tentation de falsifier la vérité. On peut espérer qu’ils cèdent beaucoup moins que d’autres à cette tentation, il n’en reste pas moins qu’annoncer que «eux seuls [les historiens] ont les compétences et les connaissances nécessaires pour l’écrire [l’Histoire]» suscite chez moi au moins trois remarques : d’abord, Jean-Jacques Marie n’affirme pas que ces compétences nécessaires sont suffisantes, et il a raison ; en deuxième lieu, il ne parle que de ceux qui écrivent l’Histoire et pas de ceux qui la font, et faire l’Histoire, même lorsqu’elle n’aura jamais été écrite, n’est-il pas aussi important que l’écrire ? Mais surtout, il me semble (et c’est le sens que je donne à la liberté d’expression et à la raison critique en matière politique) que les citoyens, dans leur ensemble et pour chacun d’entre eux, doivent se saisir de l’Histoire pour la faire. C’est pourquoi le «seuls les historiens» me gêne un peu.

Une partie du texte de Jean-Jacques Marie.

[…] Ainsi les députés de diverses assemblées prétendent dicter une vision officielle définitive de l’Histoire ayant force de loi. A quelle fin ? De quel droit ? Au nom de quelle compétence ?
En quoi cette prétention exorbitante se distingue-t-elle de la pratique des régimes totalitaires, qui écrivent l’Histoire dont ils ont besoin pour camoufler leur réalité ? Certes, bien entendu, à la différence de ces derniers, ni le Parlement européen, ni l’Assemblée nationale ne recourront à la terreur pour imposer cette vision officielle d’une Histoire transformée en dogme. Mais leur ingérence politique dans l’écriture même de l’Histoire n’en est pas moins totalement inacceptable.
L’historien Pierre Nora, président de l’association Liberté pour l’histoire, dénonçait dans le Monde du 28 décembre 2011 la volonté des « responsables élus de la communauté nationale » de donner « à chacun des groupes qui pourraient avoir de bonnes raisons de la revendiquer la satisfaction d’une loi. » Il ajoutait : « c’est l’histoire qu’il faut protéger .» et citait l’appel d’un millier d’historiens européens en 2008, qui affirmait :  « Dans un État libre il n’appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique. » On ne saurait mieux dire.
L’Histoire n’appartient même pas aux historiens, mais eux ne prétendent pas la dicter et eux seuls ont les connaissances et les compétences nécessaires pour l’écrire, voire la réécrire.

À propos de la «menace nucléaire» et de la guerre en Ukraine, Bernard Dreano, fin mars 2023

Prenant prétexte de l’annonce de la livraison d’obus-flèches à l’uranium appauvri par le Royaume Uni à l’armée ukrainienne, Vladimir Poutine a annoncé le stationnement « d’armes nucléaires tactiques » russes en territoire Belarus. Tous les mois depuis le lancement de « l’opération militaire spéciale » contre l’Ukraine, Vlad ou un de ses acolytes nous menacent d’une « escalade nucléaire » possible si la Russie ne parvient pas à ses fins de conquête… Pourtant la guerre nucléaire n’est pas sérieusement à l’ordre du jour… du moins pour le moment.

De quoi parle-ton ?

Tactiques ou stratégiques

Il y a déjà bien longtemps l’immortel Boris Vian avait défini le caractère éventuellement « stratégique » de la bombe que son oncle, « génial bricoleur », tentait de mettre au point : « Voilà des mois et des années que j’essaie d’augmenter la portée de ma bombe / Mais je ne me suis pas rendu compte que la seule chose qui compte c’est l’endroit ou elle tombe » (La Java des bombes atomiques 1955). Le caractère supposé « tactique » d’une bombe nucléaire ne dépend pas de sa puissance explosive (moins, plus, beaucoup plus, d’Hiroshima et Nagasaki), mais de l’usage qu’on en fait.

Au cours des années 1950-60 URSS et Etats unis ont accumulé des quantités astronomiques de bombes nucléaires – de quoi détruire plusieurs fois la planète – et des quantités phénoménales de vecteurs les plus divers pour les véhiculer (du canon au missile intercontinental). Lors de leur seul usage opérationnel contre le Japon l’état-major américain ne se posait pas la question de savoir si les bombes étaient « stratégiques » ou « tactiques … elles allaient s’avérer stratégiques puisqu’entrainant la capitulation sans condition de l’armée japonaise. Par la suite le même état-major a empilé des bombes, principalement destinées « au champ de bataille » de puissances explosives variables, son homologue soviétique faisant de même, et chacun entrainant tout ou partie de ses troupes dans l’hypothèse d’une « guerre nucléaire » (l’auteur de ces lignes a subi pareil entrainement au sein de l’armée française dans les années 1970). Même les « petits » nucléophiles militaires comme les français ont développé, dans les années 1970-80 leurs arsenaux spécifiques de « terrain » (systèmes Pluton puis Hadès) tandis qu’on inventait une bombe aux effets « limités » (bombe à neutrons). C’était selon la théorie des armes « tactiques ».

Dans le même temps la technologie des missiles progressait considérablement, surtout en portée, aussi en précision de tir. Dès lors il devenait possible pour un Etat-major d’envisager la destruction totale d’une infrastructure majeure, voire d’une ville, voir du pays entier, chez un adversaire, à condition d’avoir des charges assez puissantes et des vecteurs assez nombreux. Mais en pratique, dans les guerres chaudes, opposant directement ou indirectement les deux blocs, personne n’a envisagé d’utiliser des armes nucléaires sur les champs de batailles de Corée, du Vietnam, du Proche Orient – sauf le général Mc Arthur, renvoyé de Corée par Truman pour cela.

Donc les armes « tactiques » n’ont jamais été utilisées sur les champs de bataille. Quant aux armes « stratégiques » ? Elles ont servi à alimenter ce que la britannique Mary Kaldor a très justement appelé « la guerre imaginaire », une folle course aux armements bien réelle dans le cadre de MAD (ce que l’on désignait comme « destruction mutuelle assurée ») où le décompte du nombre de « tête nucléaires », et celui des principaux « vecteurs » tenait lieu d’attribut de puissance et de démonstration de la capacité de chacun de théoriquement détruire l’autre. Ce nombre pouvait, dans un deuxième temps faire l’objet de négociation. Les « petits » nucléophiles, les britanniques, puis les français, puis les chinois, mais aussi les israéliens, les indiens, les pakistanais, les coréens du nord… se dotant d’arsenaux à leurs yeux « suffisants ». C’est cette énumération de têtes qu’on appelle « stratégique ».

Désarmement nucléaire, non-prolifération, interdiction

Après la crise des missiles de Cuba en 1962, commence un processus, non de désarmement mais de contrôle de la course aux armements. Rappelons qu’après l’implantation de missiles russes à Cuba les Américains ont organisé le blocus de l’ile, entrainant le renoncement russe, suivi (discrètement quelques mois plus tard) du retrait des fusées américaines Jupiter de Turquie et Thor d’Ecosse.

Le négociation « d’Arms Control » est bilatérale. Le premier accord SALT1 datant de 1972. A la fin de la guerre froide les Etats Unis de Reagan et l’URSS de Gorbatchev ont négocié le traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire FNI de 1988. Gorbatchev à l’époque y voyait un premier pas vers la réduction drastique, et à terme l’élimination des armes nucléaires.

En cette fin de XXe siècle, divers traités multilatéraux (ONU) ont eu pour objet le contrôle des armements. Le principal est le Traité de non-prolifération TNP, entré en vigueur en 1970. Ce traité reconnait la possession d’armes nucléaire aux « Etats dotés » (Etats Unis, URSS – puis Russie, Royaume Uni, France, Chine), L’inde, le Pakistan, Israël ne l’ont jamais signé, la Corée du Nord s’en est retirée. Le traité prévoyait que tous les signataires dotés ou non s’engageaient dans la coopération, et de « bonne foi » dans un processus pour le désarmement complet et sous contrôle.

Dès le début du XXIe siècle, avec Bush-junior aux Etats Unis, puis du côté de Poutine à partir de 2008 et enfin avec l’administration Trump, Russie et Etats-Unis, ont contribué à casser la dynamique du contrôle des armements, et a fortiori du désarmement lui-même.

A l’échelle mondiale cependant a été conclu au niveau de l’ONU, en application de l’article 6 du TNP, le Traité d’interdiction complète des armes nucléaires TIAN, entré en vigueur en 2021 ratifié en 2022 par 68 Etats, mais boycotté par toutes les puissances nucléaires

Entre temps, et surtout depuis 2015, la course aux armements a repris partout, cinq pays représentant 78% des ventes d’armes conventionnelles du monde (Etats Unis, Russie, France, Chine, Allemagne).

Les armes nucléaires aujourd’hui en Europe

Quelles armes nucléaires sont potentiellement utilisables en Europe en 2023 et risquent-elles d’être utilisées ?

Précisons d’abord que tous les vecteurs susceptibles de porter des « têtes » nucléaires, n’en portent jamais en opération réelles. Par exemple les missiles de croisières américains, étaient présentés lors de la « crise des euromissiles » des années 1980 comme « équilibrant » les missiles semi-continentaux dit SS20 (des RSD10 Pionner) déployés à l’époque sur le territoire soviétique ; ils n’étaient pas, en eux même, des armes nucléaires mais des vecteurs multi usages et ceux-là, et d’autres de diverses nationalités, ont été depuis utilisés par milliers sous toutes les latitudes et le sont aujourd’hui en Ukraine. Enfin les « têtes « nucléaires elle-même peuvent être déplacée très facilement de manière discrète. Tenons-nous-en donc aux informations publiques.

En principe seuls les américains et russes déploient des armes « tactiques » en Europe. Les missiles aéroportés français ASMP-A de ne sont pas présentés comme « tactiques ». En principe aussi les Russes comme les Américains déclarent que l’usage de ces armes n’est envisageable que si des intérêts vitaux sont menacés (sans préciser ce que cela signifie).

Les armes « tactiques » russes sont bien sûr sous contrôle russe et en territoire russe. La présence de vecteurs potentiels, comme des missiles Iskander par exemple, ne signifie pas l’imminence d’une attaque nucléaire, mais sa possibilité. Les russes ont notamment plusieurs fois clairement souligné qu’ils avaient des têtes nucléaires dans le territoire de Kaliningrad (enclavé entre Pologne et Lituanie). Si l’Ukraine avait cédé tout l’armement nucléaire sur son sol à Russie (protocole de Budapest 1994), le traité ukraino-russe de 1997 de partage de la flotte soviétique de la Mer Noire et d’autorisation de la base navale russe de Sébastopol (prolongé en 2010 jusqu’en 2040) ne précisait rien qu’en à l’inspection des armes déployés sur ladite flotte… et depuis l’annexion de la Crime par Poutine en 2014, il est tout à fait possible que des armes tactiques russes y soient stockées.

L’annonce que le Belarus acceptait la présence d’armes tactiques sur son sol n’est pas militairement une nouveauté (les autorités du Belarus n’ont aucun moyen de contrôler l’armée russe installée sur son sol). C’est une déclaration politique.

Côté américain, pendant la guerre froide les armées américaines n’ont jamais laissé leurs alliés contrôler les armes stockées dans leurs bases aéroterrestres et navales permanentes en Europe (pourtant supposée sous commandement international OTAN) ou au Maroc. C’est une des raisons majeures de l’expulsion de ces bases du territoire français en 1965. Après la fin de la guerre froide un système dit « partage nucléaire » (nuclear sharing) » jusque-là secret, a été rendu public en 2015. Les américains « mettent à dispositions » des bombes B61 pour l’aviation de leurs alliées locaux dans les bases de Kleine Brogel (Belgique), Büchel (Allemagne), Volkel (Pays Bas), Aviano et Ghedi (Italie), Incirlik (Turquie). Les codes de sécurité et d’armement de ces bombes restent toutefois sous contrôle américain. Les Etats Unis ont par ailleurs précisé unilatéralement qu’à leurs yeux, « en cas de guerre le traité de non-prolifération nucléaire n’était plus en vigueur ». Tout ceci n’a fait l’objet d’aucun débat important ni dans les pays concernés, ni dans l’ensemble de l’OTAN et provoqué très peu de réactions…

Les Etats-Unis peuvent aussi avoir éventuellement des armes tactiques propres dans d’autres bases aéroterrestres, comme Ramstein en Allemagne, ou navales (Naples ou Rota en Espagne). Il ne faut pas confondre ces lourdes bases américaines permanentes, et la présence non permanente d’effectifs limités de soldats américains ou d’autres pays de l’OTAN, dont la France, telle qu’elle s’est matérialisée après 2014 et surtout 2022 dans les pays baltes, en Pologne ou en Roumanie. Et la petite base américaine au Kosovo, ou le projet de terrain de manœuvre OTAN au Monténégro sont beaucoup moins importants que ces bases permanentes.

La fonction actuelle des menaces nucléaires russes

Une ou plusieurs frappes « tactiques » russes sont-elles envisageables dans cette guerre telle qu’elle est ? Elle viserait le territoire ukrainien, car atteindre tout autre territoire aurait des conséquences incalculables. Quelle que soit la forme d’une telle frappe elle causerait des dommages considérables au territoire que les russes prétendent « libérer » et avec des effets collatéraux incontrôlés (en particulier les retombées radioactives), des effets militaires incertains, des représailles probables (les américains ont déjà dit qu’il réagiraient avec des armes conventionnelles et pourrait réduire en miettes la flotte russe de la mer Noire – ils en ont les moyens), et surtout des conséquences politiques considérables. La Chine a explicitement souligné qu’il n’était en aucun cas question d’avoir recours au nucléaire, et la Russie dépend, et dépendra de plus en plus, de la Chine. Même l’hypothèse d’un coup de semonce (un tir nucléaire en altitude – mais qui entraine une dispersion aléatoire de la radioactivité), est très peu probable.

Alors à quoi cela sert de brandir la menace ? Le narratif poutinien consiste à lier cette potentielle menace à la fourniture d’armes occidentales pour que l’Ukraine puisse résister à l’agression. Rappelons que l’échelonnage de la livraison d’arme à l’Ukraine a été fixé par les Américains (d’abord des armes légères antichars et antiaériennes « défensives », ensuite des armes de plus longue portée, puis des chars, demain des avions, etc.). A chaque fois qu’un nouveau barreau de l’échelle est annoncé, la machine à menace nucléaire est actionnée.

En réalité cette réthorique sur la menace nucléaire vise principalement les opinions publiques de l’Europe occidentale, de l’Amérique du Nord ou du Japon. Et a pour but non de renforcer le mouvement mondial pour le désarmement nucléaire, mais d’intensifier les mobilisations contre la fourniture d’armes à l’Ukraine dans les pays qui fournissent ces armes, puisque, dans le narratif poutinien, armer l’Ukraine c’est entretenir l’escalade qui va, dès demain, conduire à la guerre nucléaire (les manifestants « anti-guerre » semblant ignorer que cette menace n’est faite que par Poutine). Cette opération fonctionne très bien dans de nombreux pays, à commencer par l’Allemagne et l’Italie, et la moindre manifestation, théoriquement pour la paix, pratiquement contre les livraisons d’armes est mise en avant par les médias du pouvoir russe comme preuve que le mouvement de la paix mondial est avec Poutine.

Et le fameux uranium appauvri ?

Les armes « à uranium appauvri » ne sont absolument pas des armes nucléaires. Une arme nucléaire produit une explosion nucléaire, petite ou grande.

L’uranium appauvri est un métal relativement abondant, puisque c’est un résidu de l’industrie nucléaire civile : ce qui reste une fois que l’on a enrichi une plus ou moins petite partie de l’uranium, l’enrichissement ayant pour but d’augmenter la radioactivité en concentrant la proportion de certains isotopes – certaines variété d’atomes, pour pouvoir ensuite l’utiliser comme combustible de centrale d’électricité ou, pour le super-enrichi, d’explosif de bombe. L’uranium appauvri restant, soit la grande majorité de la masse initiale, peut être plus ou moins radioactif selon son origine, mais très généralement moins que l’uranium naturel et sans aucune capacité de réaction en chaine nucléaire. Et ce n’est pas du tout pour sa radioactivité qu’il va être utilisé dans des alliages métalliques, mais pour deux raisons : principalement parce que c’est le métal naturel le plus lourd du monde et il va « durcir » ces alliages permettant de créer des obus-flèches qui percent les revêtements des chars modernes, et secondairement parce qu’en pénétrant cet obus-flèche explose et la vaporisation de l’uranium est incendiaire. Tous les pays qui disposent d’une industrie nucléaire peuvent fabriquer des armes à uranium appauvri et la plupart le font.

Une certaine radioactivité résiduelle peut subsister dans des zones bombardées avec de telles munitions, mais le problème principal c’est la toxicité des poussières d’uranium qui peuvent se déposer autour du point d’impact (celle de tous les métaux lourds).

Une munition à uranium appauvri n’est pas, comme bien d’autres, « propre », mais laisser entendre que c’est une arme nucléaire est une escroquerie.

Alors, que faire ?

On peut (on doit) bien entendu s’interroger sur les types d’armements qui sont nécessaires pour se défendre, sur leur utilisation, leur commercialisation, etc. Chez nous en France la prochaine discussion de la Loi de programmation militaire française LPM devrait en être l’occasion, mais cela risque de se réduire à des échanges de slogans creux et des décisions imposées plus ou moins opaques. On remarquera au passage que la « dissuasion nucléaire » française qui va être à nouveau sanctuarisée dans cette loi, absorbe plus ou moins un cinquième de l’effort budgétaire de la défense, sans que l’on n’ait jamais discuté clairement de ce à quoi elle a servi, de ce à quoi elle sert et servira. On notera tout de même que, quand Poutine a attaqué l’Ukraine, nous avons fait faire des ronds dans l’eau à nos trois sous-marins lanceurs d’engins opérationnels, pour montrer notre mâle détermination… cela n’a guère eu d’effet du côté du Dniepr…

On peut (on doit) s’interroger sur l’OTAN, sur son fonctionnement, sur l’absence totale de débat concernant cet organe d’une Alliance Atlantique dont notre pays est une des toutes premières composantes. Comment ce fait-il par exemple que le lamentable résultat d’une intervention de presque deux décennies en Afghanistan n’est fait l’objet… d’aucun débat (sauf les instances de l’Alliance qui ont parlé de « succès »). Et nous devons réfléchir, une fois cette guerre d’Ukraine terminée à ce qui pourrait fonder une vraie sécurité collective en Europe, et au-delà, non fondée sur de tels pactes…

On peut (on doit) s’interroger sur l’évolution générale du monde, sur les fractures qui s’y développent, l’immense crise environnementale qui est en cours, sur ces gouvernements (les nôtres) qui se réclament « de valeurs démocratiques » contre l’agression poutinienne, mais oublient ces mêmes « valeurs », voire soutiennent activement ceux qui les combattent dans d’autres régions du monde.

On doit, et on peut plus que l’on ne croit, se battre contre ma militarisation du monde, le « sécuritisation » autoritaire qui affecte même les démocraties, soutenir et amplifier le refus du nucléaire militaire avec les peuples et des dizaines d’Etats. Nous savons le risque que font peser les stocks d’armes nucléaires, et que la lutte pour le désarmement nucléaire n’est pas du tout pas passé de mode !

Il est légitime de s’interroger sur les moyens les plus efficaces de s’opposer à la guerre déclenchée par Poutine (évidemment ce texte ne s’adresse pas à ceux qui croient que Poutine a été attaqué), d’écouter les ukrainiens, et d’abord les progressistes d’Ukraine, d’écouter les anti-guerres russes. Moi et beaucoup de mes camarades nous pensons qu’il faut soutenir la résistance armée et non armée du peuple ukrainien et que c’est aux ukrainiens de définir de quoi ils ont besoin pour faire face à l’agression. Ce qui ne signifie pas être aveugle ou défendre n’importe quoi, et notamment qu’il faut surveiller ce que font nos propres autorités. D’autres peuvent penser qu’il y a d’autres priorités pour lutter contre la militarisation, d’autres actions pour être solidaires des peuples qui souffrent.

Ce qui est illégitime c’est d’adhérer au discours qui consiste à dire qu’il ne faut pas que l’Ukraine se défende d’un pas de plus, qu’il ne faut pas qu’elle soit en mesure de contrer une nouvelle offensive russe, qu’il faut qu’elle accepte (provisoirement ?) l’invasion, bref qu’il ne faut surtout pas continuer à l’armer car sinon, il y aura la guerre nucléaire ! Et cela sans AUCUNE pression directe ou même symbolique contre celui-là même qui brandit cette menace, c’est-à-dire le chef de la Fédération de Russie, ce qui lui permet au passage d’expliquer benoitement à son peuple que « le mouvement pour la paix est avec nous » !

La paix, juste et durable, c’est un chemin difficile. S’il n’y a pas à l’heure ou ce texte est écrit, de chemin de négociation visible, ce ne sera peut-être pas le cas dans quelques temps…

Hitler en Ariège?

Depuis l’élection de la députée Martine Froger, la 1ère circonscription de l’Ariège (57000 inscrits) est devenue le sujet de moult commentaires à l’échelle nationale car elle incarnerait la crise de la NUPES.

Parmi ces commentaires, celui de Christophe Bex, député LFI de Haute-Garonne, décroche haut la main le pompon. En effet, il compare les électeurs de Martine Froger à des bourgeois “préférant Hitler au Front populaire.”! Pour quiconque connaissant les femmes et hommes des vallées ariégeoises, un mot brille par son incongruité “bourgeois”.

D’ailleurs de la parole aux actes le pas a été vite franchi. Lors de la manifestation de l’Intersyndicale pour le retrait de la réforme des retraites, à Foix, le 6 avril, un commando a agressé Martine Froger, vociférant “vendue…collabo…cassez-vous” et l’aspergeant d’eau. Or Martine Froger a toujours condamné la réforme de Macron et a participé à toutes les manifestations contre celle-ci.

Mais quelles étaient les données de cette élection ? Martine Froger était la candidate de la fédération PS de l’Ariège, soutenue par Christine Tequi, présidente du Conseil départemental et par Carole Delga,présidente du conseil régional. Cazeneuve l’a aussi appuyée. Bénédicte Taurine était la députée sortante, militante du PCF, elle avait été élue en 2017, avec l’étiquette LFI, et réélue en 2022 sous les couleurs de la NUPES.En 2023, elle était toujours la candidate de toutes les composantes de la NUPES dont le PS national. Au premier tour, en outre se présentaient un candidat RN, une candidate Ensemble (majorité présidentielle) , un Reconquête, un extrême gauche, un sans étiquette. Aucun candidat Les Républicains n’avait risqué l’aventure.

Résultats :

1er tour.

Abstentions 60%

Bénédicte Taurine 31%

Martine Froger 26%

RN 24%

Ensemble 10%

Trois autres candidats 7%

Blancs et nuls 4%. 

Le soir du 1er tour, la candidate macroniste appelle à voter pour Martine Froger.

2ième tour.

Abstentions 62% 

Martine Froger 60%

Bénédicte Taurine 40%

Blancs et nuls 10%

Première remarque. L’énorme taux d’abstention même s’il est moindre que pour d’autres partielles.

Seconde remarque. Le bilan politique essentiel réside dans L’EFFONDREMENT de la candidate de MACRON : 10 % !

Aucun commentateur n’a souligné ce fait majeur. Alors que la vie politique française est structurée par la question des retraites la seule candidate

défendant le gouvernement ne représente même pas 4% des inscrits. Pour bien mesurer l’ampleur de cette déconfiture regardons l’évolution des scores électoraux des candidats macronistes.

2017 : 31%

2022 : 20%

2023 : 10%

En Ariège, Macron a perdu les deux tiers de son électorat. C’est ce qui est primordial, le reste est secondaire.

“Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt.”

Faire référence à Hitler quand les forces populaires rejettent si ouvertement Macron, c’est introduire la division et le chaos.

D’autant qu’un phénomène étonnant émerge des résultats dans de nombreux villages de montagne : Bénédicte Taurine perd des voix entre le premier et le second tour. Quelques exemples :

– Ustou, un des villages confrontés à l’introduction de l’ours slovène. Elle passe de 52 à 37 voix.

_ Luzenac,où se trouve la plus grande carrière de talc du monde (10% de la production mondiale).Elle passe de 54 à 25 voix.

_Mérens-les-vals, Haute vallée de l’Ariège dans la montée vers Andorre, le cas le plus déroutant. Elle passe de 69 à 18 voix ! Martine Froger passe de 17 à 82 voix…Le RN avait fait 10 voix, la macroniste 5 voix et le taux de participation est passé de 62,5 à 63,86%. 

À l’évidence, Martine Froger a retrouvé une partie des électeurs qui avaient voté NUPES au premier tour.

L’Ariège est un département historiquement ancré à gauche. Elle a élu des députés socialistes depuis 1928. En 2017,les électeurs font payer le prix du quinquennat réactionnaire de Hollande en choisissant deux députés LFI sur les 17 de l’Assemblée Nationale. Mais LFI,mouvement gazeux sans démocratie interne, avec un Mélanchon bonapartiste ne parvient pas à s’implanter dans des territoires aux particularismes dont les habitants sont fiers, eux qui exècrent qu’on décide de leur sort à Paris. Mais c’est aussi le cas de nombreux territoires ruraux où la colère sociale s’est exprimée par le vote RN en 2022 et où LFI a reculé, phénomène occulté par ses succès  dans les zones urbaines notamment le 93.

Cette récente élection fait éclater le rejet massif de Macron, la présenter comme une victoire de l’extrême droite en dénature la signification.

C’est indigne !

Hitler, certainement pas !       Macron dehors, que oui !

La destruction de l’organisation révolutionnaire de la jeunesse par Pierre Lambert,

une contribution de Pierre Salvaing

Je crois qu’il n’a pas été encore accordé à la destruction du travail jeune de l’OCI toute l’importance qu’elle mérite. Elle est énorme. Un vrai travail d’historien sur ce que fut ce “travail jeune” est nécessaire. Ce n’est pas l’objectif de ce texte imparfait, incomplet, qui se fixe seulement de donner quelques indications, quelques pistes de réflexion et de discussion, que j’estime essentielles sur les causes de cette disparition.

Pour moi, le plus grand crime politique certainement qu’ait commis sciemment, en pleine connaissance de cause même, Pierre Lambert est la destruction de l’organisation de jeunesse construite (en construction) depuis le milieu des années 60 jusqu’au début des années 70.

Transposé en termes de droit, on pourrait parler d’assassinat politique.

***

Rappel historique

Un bref rappel : Le “travail jeune” de l’OCI, né dans le milieu des années 60, a rapidement connu un développement très important à la fois à l’université, par le CLER (Comité de Liaison des Etudiants Révolutionnaires), et par les groupes Révoltes. Il dépassait numériquement de loin, les effectifs de l’OCI. Rien qu’à la Sorbonne, la FER (Fédération des Etudiants Révolutionnaires, qui succéda au CLER au printemps de 1968) rassemblait en Mai 1968 quelques centaines de militants. Dans le seul cercle Lettres de la Sorbonne, que je dirigeais avec Michel Sérac, nous étions jusqu’à 70 militants en plein mai 68. La FER était également sérieusement implantée dans plusieurs villes de province, comme Clermont-Ferrand.

Le CLER et les groupes Révoltes, bien que dirigés par des militants de l’OCI, n’étaient pas des organisations constituées principalement de militants de l’OCI.

L’OCI, qui constituait la seule organisation “adulte” à laquelle ces groupes se référaient, y recrutait un grand nombre de militants. Nous diffusions aussi bien Révoltes, la Lettre du CLER, qu’Informations Ouvrières, et même, pour certains, La Vérité. Mais l’indépendance, relative mais réelle, par rapport à l’OCI, fut presque toujours la tendance, sinon la constante.

C’est dans ces conditions que “travail jeune” représenta durant des années le principal vivier de militants de l’OCI.

La FER, comme dix autres organisations, dont l’OCI, fut dissoute par le gouvernement en mai 1968. Elle se reconstitua quelques mois plus tard avec les groupes Révoltes en Alliance des Jeunes pour le Socialisme (AJS). Jusqu’en 1973 environ, l’AJS connut un développement important également.

Le 1er Février 1970, plusieurs milliers de jeunes (environ 6000) de toute la France étaient rassemblés au Bourget.

En Juin 1972, l’AJS était l’une de principales organisatrices -sinon la principale- d’un rassemblement de jeunesse révolutionnaire à Essen, en Allemagne, pour la proclamation d’une Internationale Révolutionnaire de la Jeunesse. Plusieurs milliers de jeunes de différents pays européens y participaient.

C’est par manque de connaissances suffisantes que je ne parle pas ici de l’activité -pourtant réelle- et de l’implantation des groupes Révoltes qui recrutaient dans les localités, chez les jeunes travailleurs, les normaliens etc. .Un ancien militant m’a fait parvenir récemment, par exemple, le bilan de l’activité de son groupe d’alors, qui révèle une véritable, patiente et efficace intervention de Front unique, parvenant même à faire céder la résistance stalinienne à l’intérieur du cercle de la Jeunesse Communiste de son secteur d’intervention. Ce n’est certainement pas un exemple isolé. (1)

***

L’importance fondamentale de l’organisation révolutionnaire de jeunesse

Sans le travail jeune de la fin des années 60 et du début des années 70, l’OCI n’aurait jamais pu connaître le développement qu’elle a connu dans les années 70. La formule qui ornait en sous-titre le journal “Jeune Révolutionnaire”, l’organe de l’AJS -“La jeunesse est la flamme de la révolution“- soulignait que, sans organisation de jeunesse, sans travail spécifique d’implantation dans la jeunesse, on ne peut construire d’organisation révolutionnaire.

Pourquoi ce travail jeune a-t-il décliné puis s’est-il effondré, avant de disparaître à peu près totalement en 1986? Pourquoi le “travail jeune” a-t-il progressivement été abandonné, comme méprisé, traité comme la cinquième roue du carrosse par la direction de l’OCI?

La question n’a à mon avis jamais été sérieusement abordée à fond. J’en ai déjà traité partiellement dans mon travail publié en 2016, (Ce que je sais de ce que fut l’OCI). Elle est pourtant au coeur de la disparition de l’OCI-PCI comme organisation révolutionnaire.

Il faut constater que, par la suite, depuis l’effondrement du “travail jeune” en 1986 (que la direction de l’OCI-PCI alors tenta de traiter presque comme un non-événement), rien n’a jamais été reconstruit par ceux qui se prétendaient les continuateurs de l’OCI, en dépit de quelques piètres tentatives. Daniel Gluckstein, un des dirigeants actuels des deux moignons d’organisation qui survivent à l’OCI, a même osé écrire, après la grève générale étudiante de 1986, un ouvrage titré “Qui dirige? Personne: on s’en occupe nous-mêmes“. Une sorte de sommet du déni de l’importance capitale de l’organisation révolutionnaire consciente de la jeunesse.

Je considère qu’il faut faire remonter à la grève générale de 1968 le début, d’abord souterrain, du déclin et de la mort de l’organisation de jeunesse de l’OCI. C’est à dire, contradictoirement, au moment même de sa plus forte influence dans le milieu étudiant.

Mai 1968 comme point de départ de la décision de destruction

Selon moi, le 10 mai 1968 a pu vraisemblablement agir sur le dirigeant incontesté de l’OCI, Pierre Lambert, comme une sorte de révélateur de ce qui distinguait et opposait même sa propre conception politique à celle des dirigeants jeunes, dont les deux plus révolutionnaires et doués pour l’être étaient Claude Chisserey et Charles Berg, avec Christian Neny juste après.

Je demeure convaincu que l’orientation des dirigeants du travail jeune était de volonté décidément révolutionnaire. Et Mai 68 permettait l’affrontement contre l’Etat dans des conditions supérieures même à ce qu’elles avaient été juste après-guerre.

Grâce à la faute du 10 mai, la ligne de tir a pu être faussée.

Je me souviens aussi du retrait ordonné en catastrophe d’une “Lettre de la FER” (je crois que ça s’appelait comme ça) déjà sortie de presse dans le courant du mois de mai 68, prête à la diffusion, et qui portait en titre quelque chose dans le genre: “A quand la prise de l’Assemblée nationale?“, si ce n’est même l’Elysée. J’ai participé à sa mise au pilon.

Evidemment, n’ayant jamais été dans le secret des dieux, je ne peux que citer ce que je connais.

Il est très probable, certain même, que les discussions et décisions de direction au sujet du travail jeune comme de l’orientation générale avaient dû donner lieu à des échanges faisant apparaître nettement à Lambert, à ses grande intelligence et expérience politiques en premier, la préfiguration d’un grand danger: le danger de voir compromise, battue en brèche, puis combattue, son orientation assez secrète, cryptée, dont l’excroissance la plus visible, mais ineffaçable, était la présence d’un Alexandre Hébert au Bureau politique.

Le fait que la direction de l’OCI dans son ensemble ait accepté cette présence incongrue dans la plus haute instance de direction de l’OCI n’a rien d’anecdotique. C’était une soumission, une démission même, de sa responsabilité de direction devant l’ensemble des militants qui l’avaient régulièrement élue en congrès. Le ver dans le fruit, la tache de moisissure révélant une maladie sérieuse. Une habitude prise. Chisserey et Berg, tous deux informés, ont accepté cette forfaiture.

Il m’est impossible de connaître toutes les raisons de cette soumission. Mais il paraît certain que l’énorme confiance politique dont bénéficiait Lambert, y compris auprès des jeunes dirigeants, a joué un très grand rôle.

Aurait-il pu en être autrement?

Il me paraît pourtant probable qu’avec des dirigeants comme Claude Chisserey et Charles Berg, sans compter Christian Neny, et forts des succès de construction de l’organisation de jeunesse, au national comme à l’international, la situation de Lambert à la direction aurait été nettement compromise à terme, et ce malgré l’aura considérable dont il jouissait même auprès de ces trois dirigeants.

Si ces jeunes dirigeants, débarrassés du carcan de la confiance aveugle en Lambert, avaient engagé sur leurs positions politiques, dans la brève fenêtre de tir où leur influence auprès des militants jeunes était à son sommet, ils auraient pu l’emporter dans l’organisation adulte.

Stéphane Just lui-même aurait peut-être pu alors, malgré toute sa rigidité théoricienne et sectaire, basculer: il n’était pas corrompu, lui, matériellement ni engagé physiquement dans des relations quotidiennes et des manoeuvres avec des directions d’appareils. Il n’aurait vraisemblablement pas non plus hésité puis renoncé, comme il l’a fait en 1977 ( avec Berg comme lanceur d’alerte) à chasser Lambert de la direction de l’OCI pour corruption financière avérée.

***

Que s’est-il passé Le 10 mai 68? Cette “nuit des barricades” où des milliers d’étudiants affrontèrent seuls la force de l’Etat bourgeois a fait apparaître un clash très net, parce qu’il s’agissait pour la première fois pour l’organisation d’une décision d’action pratique, de haut niveau, face à l’Etat.

Jusqu’au 10 mai, il faut se rappeler que la FER avait joué dans la grève étudiante, dans son déclenchement et dans son mouvement en général, un rôle dirigeant, qu’elle pouvait disputer aux formations petites-bourgeoises -direction PSU de l’UNEF, JCR…

Mais le 10 mai, le Bureau politique de l’OCI, à sa majorité, décidait de se retourner face aux étudiants et de transformer la FER en donneuse de leçons en abandonnant le terrain du combat commun où elle s’était illustrée jusque là, dans un moment crucial de l’affrontement contre l’Etat. Seuls les dirigeants “jeunes” votaient contre, mais devaient s’incliner. (1)

Après ce retournement, le rôle et l’influence de la FER ont été durablement minorés, quelle qu’ait pu demeurer sa force de conviction et d’organisation, sur sa lancée et sur ses fondements profondément sains; cela, dans un milieu de jeunesse étudiante particulièrement réceptif à l’époque aux idées révolutionnaires, en particulier pour sa capacité à affronter l’appareil stalinien et sa politique contre-révolutionnaire, particulièrement visible aux yeux de la masse des étudiants dans le déclenchement de la grève générale.

L’absence physique de Lambert dans ce moment vraiment crucial, sans être forcément calculée (mais symbolisant déjà ses priorités d’alors), ne lui en a pas moins été utile: elle faisait reporter sur Stéphane Just le poids de l’autorité et de la décision. Il faut savoir aller pisser au moment des votes embarrassants. Et puis Lambert savait qu’il pouvait compter sur Just pour freiner les ardeurs, et puis aussi rien n’empêche de penser qu’ils aient pu communiquer pendant ces heures.

Il m’est donc aisé et pratique de faire remonter à cette date la décision de Lambert de détruire l’organisation de jeunesse.

La preuve -en creux- de l’importance de cette soirée et de cette nuit est le silence qui a été imposé par la direction, c’est à dire au premier chef par Lambert: pas de discussion dans l’organisation sur le 10 mai. Omerta.

***

Une destruction méthodique

Mais ces choses-là ne se font pas en un jour. Lambert a agi ensuite avec méthode. Il a peu à peu retiré du travail jeune les éléments les plus utiles et nécessaires à sa construction. Mais il l’a fait morceau par morceau, dirigeant par dirigeant: le faire en bloc aurait été trop visible, et aurait risqué de souder contre lui.

Chisserey d’abord, le plus influent, le plus implanté, le plus aimé aussi. Berg, quelques années plus tard, pour parachever le travail. Entretemps, les cadres les plus valables embobinés, définitivement entravés comme permanents à sa solde.

En même temps, Chisserey et Berg ont été -et se sont- salis et compromis de diverses façons, dont l'”affaire Varga” principalement contre qui, malgré leurs réticences, ils ont fini par prendre position.

Jacques Kirsner, l’ex-Charles Berg, a déjà parlé de son entrevue avec Mitterrand. Je pense que Lambert l’avait alors jeté intentionnellement seul dans la gueule de ce loup. Cela ne se fait jamais ou ne devrait jamais se faire. Toute ma petite expérience de responsable syndical de bas niveau m’a toujours appris ce B-A-BA: jamais seul devant le patron, le recteur, etc. Toujours, au moins, des témoins.)

J’ai relu, par un ancien “vargiste” devenu mon ami, la totalité de ce qui a été rendu public alors. Parmi ces textes, le compte-rendu de la dernière réunion commune Lambert-Varga et quelques autres, parmi lesquels Chisserey, fin 1972. Dans cette longue réunion extrêmement tendue et pleine de menaces, proférées ou voilées, Chisserey n’a strictement rien dit, n’est jamais intervenu (d’après le C.R.). Ce n’était pas précisément son genre de se taire ainsi.

La salissure et la compromission se sont exercées d’autres façons, en particulier envers Berg. Lambert a su précisément lesquels de ses défauts il fallait flatter et encourager, par lesquels il pouvait corrompre; ceux-ci étaient assez visibles.

C’est aussi par là que, l’heure venue, il l’a fait exclure, tandis que lui s’en sortait les mains propres. Alors que deux années plus tôt, Lambert aurait pu être condamné par son organisation pour prévarication, qu’il pratiquait largement avec l’aide du trésorier Sorel.

Quant à Neny, il était moins dangereux, ce provincial loin du centre et de plus amoureux politique presque transi de son étoile Lambert.

Il restait de vraiment solide Michel Sérac. Celui-ci a été dévoré par la responsabilité de l’UNEF. Par la suite, il s’est outré et aveuglé de suffisance orgueilleuse, tout en sachant échapper au piège du travail de “permanent”.

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La prise de l’UNEF, arme à double tranchant

Parlons alors de le prise de l’UNEF; la prise de l’UNEF a été une arme à double tranchant, une victoire à la Pyrrhus, une “conquête” trop grosse pour notre petit organisme.

Cette victoire véritable, emportée de haute lutte sur l’appareil stalinien a en réalité fini d’étouffer le véritable travail jeune, tout en présentant pour l’orientation de Lambert, pour ses combines d’appareil, des avantages sans nombre.

Nos dirigeants étudiants sont progressivement devenus des manoeuvriers d’appareil, des combinards de congrès, des abonnés de ministère, perdant tout lien avec le combat révolutionnaire dans la jeunesse. Le recrutement dans l’organisation des étudiants gagnés par ce type d’intervention s’en est nécessairement ressenti.

Cependant, dans les premiers mois, et sans doute en particulier grâce à la guerre du Viet-Nam, la commission internationale de l’UNEF avait joué un rôle indéniable, qui n’était pas sans évoquer une sorte d’accompagnement ou de prolongement du combat pour la construction de l’IRJ. Mais il s’est vite arrêté (il serait utile de retrouver dans quelles conditions).

L’UNEF a dévoré les énergies révolutionnaires des militants étudiants. Dans le même temps, ses dirigeants étaient associés aux manoeuvres de Lambert avec les appareils de la FEN et de Force Ouvière, avant de l’être également avec la majorité mitterandienne du PS. Ces manoeuvres comprenaient des compromissions véreuses avec la direction de la MNEF, et préparaient l’entrée solennelle des militants du PS dans l’UNEF, à qui seraient réservés des positions avantageuses.

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1981 – L’achèvement du basculement

Lambert savait très bien en 1981 qu’en faisant alliance avec le PS pour intégrer les étudiants socialistes dans l’UNEF, c’était une alliance totalement déséquilibrée qu’il organisait : l’énorme PS d’alors écraserait sans coup férir la petite OCI. Opération rendue d’autant plus aisée que la direction étudiante de l’OCI, plongée dans l’UNEF jusqu’au cou, était déjà politiquement acquise au PS.

Lambert l’avait littéralement jetée dans ses bras, tout comme il avait jeté la centaine de militants engagés “secrètement” dans le PS dans la gueule du loup: seulement mandatés pour soutenir Mitterrand et sa tendance, sans ligne politique de construction d’un regroupement préparant la rupture d’avec le PS, ces militants ne pouvaient que sombrer, Jospin en tête.

C’était, logiquement, lié à la décision de la direction de l’OCI d’engager totalement l’organisation, dès la fin 1980, dans le soutien inconditionnel à Mitterrand en 1981.

Quelques mois plus tard, dès septembre, c’était, avec le soutien à la politique du gouvernement dans les universités, la décision logique de s’engager dans la participation aux conseils d’université: la direction de l’UNEF rénonçait à ce qui précisément lui avait valu sa victoire contre les staliniens en 1971.

Aucune voix contre ne s’est élevée dans le Parti, définitivement aplati après le congrès de 1979 qui avait conduit à l’exclusion de Charles Berg.

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La “réussite” de Pierre Lambert: la destruction de l’OCI

Pendant les années 70, il avait “suffi” à Lambert, pour combler le vide laissé par la décapitation des dirigeants jeunes, de confier à des camarades dont il savait parfaitement les limites, la direction d’un travail pour lequel ils étaient incapables. Il s’y succéda donc des dirigeants, simple gestionnaires, grandes gueules rouleurs de mécaniques sans précision, comme un “Sartana”, ou aussi inexpérimentés et déjà cyniques comme un Wander, ou éloignés et peu au fait des questions françaises et jeunes, comme un Cristobal (venu du Chili). Quant à Benjamin Stora, qui dirigeait alors l’Alliance des Etudiants Révolutionnaires, ou plutôt son fantôme, il ne pouvait faire pas le poids face à un Cambadélis, qui jouissait des faveurs très affectives, aussi démonstratives qu’utilitaires, de Lambert.

La destruction du travail jeune est donc un travail de longue haleine, et remarquablement mené, sans l’ombre d’une véritable discussion ni d’une vraie opposition dans l’organisation.

Claude Chiserey, puis Charles Berg, puis Christian Neny, ont été détruits, je dirai: méthodiquement.

Leurs “itinéraires”, pour reprendre une formule chère à Lambert, ont été divers, évidemment, mais comme les morceaux d’une explosion.

Claude Chisserey s’est suicidé en 1980, après des années de dérive confinant à la folie dépressive.

Christian Neny est devenu à peu près fou peu après. Il est mort récemment, avec de petites responsabilités syndicales dans FO, lui qui, dans ses années de dirigeant trotksyte, ne s’intéressait que de très loin aux manoeuvres syndicales (j’en ai assez payé le prix). Hélas, j’y ai plus qu’assisté, j’ai dû le combattre.

Des trois, Charles Berg s’en est le moins mal sorti, pas mal meurtri. Contradictoirement, il me semble que c’est son exclusion qui l’a individuellement sauvé.

Et je ne parle pas des autres, la liste des cadres de grande valeur détruits de différentes manières, avant même d’avoir pu se déployer, est relativement longue.

Un vrai massacre.

A la fin des années 70, surtout débarrassé de Berg qui aurait pu faire alliance avec Stéphane Just, Lambert a pu pressurer librement l’organisation, à partir de son prétendu “Comité Central” qui n’était guère qu’une chambre d’enregistrement de ses décisions.

Il osait encore alors affirmer et écrire, avec un parfait cynisme, que, sans l’apport décisif d’une organisation de jeunesse et d’un recrutement dans la jeunesse, la construction du “Parti des 10000” était impossible.

Cela ne l’a pas empêché de proclamer que l’OCI pouvait se transformer en Parti, le PCI, en décembre 1981, alors qu’aucun des objectifs décidés pour le faire, et notamment dans la jeunesse, n’avait été atteint, et de loin. Et ce, malgré l’adoption (à l’unanimité du CC) de la même “méthode” de recrutement qui avait fait condamner Charles Berg au congrès de 1979: comptabiliser comme militants trotskystes des gens qui avaient accepté d’engager une formation (GER) avant d’ envisager y entrer.

Mais ce n’était que façade: trois ans plus tard, en 1984, Lambert vidait littéralement de son contenu le prétendu PCI en quelques mois en proclamant, sous la dictée de son ami et mentor Hébert, le MPPT. Pour ce faire, il excluait de l’organisation les derniers ferments de résistance, en tête desquels son plus proche “associé” durant toutes les années 70, Stéphane Just.

Le MPPT, dans la direction duquel deux anciens -mais récents- dirigeants confédéraux de Force Ouvrière, Sandri et Jenet sans compter Alexandre Hébert, dirigeant FO de Loire-Atlantique, n’en affirmait pas moins sans rire “l’indépendance réciproque des partis et des syndicats”.

***

Deux ans plus tard, ce qui restait du “travail jeune” passait massivement au PS, dont depuis des années il avait épousé la politique, sous l’impulsion et la direction même de Pierre Lambert.

De la même façon que la faute du 10 mai 1968 était passée aux oubliettes, cette désertion massive et soudaine était présentée aux militants comme un non-événement, un épisode sans gravité ni conséquence. Michel Sérac lui-même, auréolé par son titre d’ancien président de l’UNEF, en présentait le rapport en réunion générale.

Il ne s’est évidemment jamais rien reconstruit dans ce secteur, vital pour une organisation révolutionnaire, depuis.

  1. – La grève générale des Ecoles Normales d’instituteurs en 1969, dirigée par des militantes et militants de Révoltes, en est également une preuve éclatante.
  2. – C’est la nuit du 10 mai qui entraîna l’énorme manifestation du 13, et permit ainsi le déclenchement de la grève générale.

____________________________Pierre Salvaing, 17 mars 2023

L’OCDE s’adresse à Macron

French President Emmanuel Macron should press ahead with his plan to raise the retirement age in the face of public opposition, OECD Secretary-General Mathias Cormann said on Friday.

“The pensions arrangements that were put in place and the financing of pensioning arrangements that was put in place at a time of lower life expectancy was based on certain cost assumptions that are no longer valid,” he told a news conference in Paris.

“Having gone this far, I’m sure the government in France will and I would suggest they should stay the course and see this through,” he added. (puisqu’il a commencé le travail, j’ai confiance dans la volonté du gouvernement et je suggère qu’il devrait maintenir le cap et mener à terme le projet)

https://finance.yahoo.com/news/oecd-head-urges-macron-stay-115555675.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmZyLw&guce_referrer_sig=AQAAACeP_BCPWghF0oMthEQFZ2aUHQ4E2CMKjAmuSF8xHtudB3YqLJD8t9PpOwmBOxDjbs5lxgZtJgBGQuFY_Zuepv0js4udp4RVupwYv91EK21_I05ol5iaKZ3MJ6Yx6uEp372ZFFMqPyRJ-Yu62X7KD4yI_OhQUQB4zTlLRco7zCkT

Internationalisme, luttes sociales et impasses capitalistes, par Bernard Randé

L’internationalisme s’impose à nous comme s’impose à nous la lutte sociale. Nous ne pouvons faire l’économie ni de l’un, ni de l’autre.

La période durant laquelle le peuple ukrainien s’est élevé, seul, contre l’impérialisme russe, la période durant laquelle de rares groupes politiques dans le monde lui ont apporté leur soutien, a été une période de silence politique quasi-complet de la part des organisations pro-impérialistes pro-Poutine, de gauche comme de droite, l’indifférence étant l’arme paresseuse par excellence. Dès que le conflit a été perçu par d’autres puissances comme un enjeu de haute valeur, les Ukrainiens ont reçu une aide graduée. Dès ce moment, la lutte s’est engagée sur les terrains nationaux.

Lénine parlait, on le sait, du «maillon le plus faible». Bien des groupes politiques ont compris qu’aujourd’hui, sur la scène mondiale, l’impérialisme de Poutine était ce maillon. Ils ont, avec un certain ensemble, volé à son secours. Tout le monde comprend, je pense, qu’un Poutine renvoyé dans ses frontières est un Poutine perdu, et son régime si affaibli que les peuples de la fédération de Russie pourraient bien prendre les choses en main.

Poutine le comprend mieux que quiconque. Ne pensons pas que la menace nucléaire est destinée aux peuples étrangers. Elle est destinée à son propre peuple : «si vous ne soutenez pas ma guerre, je serai obligé d’appuyer sur un bouton qui, certes, volatilisera bien une partie du monde, mais qui surtout vous volatilisera vous.» Poutine ne parle pas à «l’Occident global», qui d’ailleurs ne l’écoute pas (mis à part des journalistes qui remplacent, au gré des circonstances, Palmade par Poutine) et qui n’existe sans doute pas. Poutine déroule un discours intérieur. C’est d’ailleurs naturel, il n’y a rien de surprenant à cela : la position de Poutine en Russie est faible. Il ne parvient pas même à organiser des meetings de masse à connotation fasciste. Il est placé entre le FSB, qui constitue sa base sociale initiale, l’armée, héritière de l’État, des groupes para-militaires de peu de poids, et il tente de s’appuyer sur une majorité de la population miséreuse. Je laisse de côté les milliardaires mafieux, qui sont inféodés au FSB. Vis-à-vis de la population très pauvre, il a mis en œuvre une politique d’aide sociale assez énergique : augmentation des prestations sociales, des pensions et des salaires. Cette augmentation va au-delà de l’inflation (12% en 2022), mais lui pose un problème : il est difficile, face à une récession sérieuse (-4% de PIB en 2022 peut-être) de continuer à alimenter l’industrie de guerre tout en s’assurant du soutien d’une population qui est une menace majeure pour son régime.

La faiblesse de l’impérialisme russe et la nécessité de le secourir font comprendre des positions qui, autrement, seraient surréalistes. On peut tenter une interprétation psychologisante. Un camarade m’a dit qu’il avait discuté avec un membre de Lutte Ouvrière et que celui-ci lui avait dit que les milliardaires mafieux avaient hérité la conscience des acquis de la Révolution d’Octobre, via ses parents, bureaucrates souvent, via ses grands-parents, eux-mêmes bureaucrates, via ses arrière-grands-parents, révolutionnaires. Outre qu’exterminer ses parents révolutionnaires n’est pas le biais le plus sûr pour perpétuer leur tradition, l’idée que la conscience révolutionnaire se transmet par voies urinaires est au moins hétérodoxe. Des militants du même acabit m’ont indiqué lors d’un tractage qu’ils ne désiraient rien moins que l’extermination totale des Ukrainiens, ces nazis. Ils ont argumenté en dénonçant leur duplicité lors des accords de Minsk, mais ils ignoraient que la Crimée avait été envahie avant, et non après, les accords de Minsk.

Cette démoralisation et, en réalité, cette destruction mentale, de certains militants, va bien entendu au-delà de la position politique d’organisations qui comprennent fort bien, elles, et avec rationalité, que le soutien à l’impérialisme russe est impératif : il en va de leur position nationale. Ils ne diffèrent guère, de ce point de vue, des classes dirigeantes, qui subordonnent leur aide à l’Ukraine ou leur soutien à la Russie aux intérêts de leurs capitalismes nationaux. Cette mise en scène d’un «Occident global» en opposition à un «Sud global» ne résiste pas à l’examen. Certains grands pays capitalistes soutiennent la Russie (l’Afrique du Sud, le Brésil), des impérialismes comme celui de l’Inde et de la Chine tentent de tirer leur épingle d’un double-jeu compliqué, un pays de l’OTAN, la Turquie, a une position analogue, des pays tels que le Maroc et l’Azerbaïjan font des affaires militaires avec l’Ukraine et d’autres, comme l’Iran, avec la Russie. En Europe même, des divergences liées principalement aux intérêts capitalistiques, mais aussi à une Histoire récente, créent des situations curieuses, où des États peu férus de droits de l’Homme et de démocratie soutiennent bien plus résolument la résistance ukrainienne que d’autres, dont la tradition de démocratie bourgeoise est plus ancienne.

Il est à noter que ceux qui cherchent à laisser l’Ukraine désarmée devant l’agression poutinienne ne diffèrent pas fondamentalement des impérialismes qui, dans cette situation, font face à une double difficulté. D’une part, leur intérêt à affaiblir l’impérialisme russe repose sur leur propre volonté d’accroître leurs marchés et d’asseoir leur agressivité commerciale. De l’autre, l’affaiblir exagérément peut entraîner des bouleversements sociaux et politiques au sein de l’État russe, qui remettraient lourdement en cause leurs avancées économiques. La notion d’aide «graduée» et le souci d’éviter une «escalade» n’est pas purement d’ordre militaire. Ils reposent sur la volonté de changer quantitativement les rapports de force sans en changer la nature.

Tout cela mérite une analyse plus détaillée, bien entendu. Mais il ne s’agit ici que d’impressions générales. De ce point de vue, si l’URSS de Staline n’avait pas apporté son aide à la montée d’Hitler au pouvoir, si elle ne s’était pas alliée à lui pour dépecer la Pologne, si elle n’avait pas tenté d’envahir la Finlande, si elle n’avait pas asservi la moitié de l’Europe, si son armée n’avait pas réprimé les révolutions à Berlin, à Budapest, à Prague, durant la période d’après-guerre, si la Russie post-soviétique n’avait pas attaqué et détruit la Tchéchénie, si elle n’était pas intervenue en Géorgie (Ossetie, Abkhasie), si elle n’avait pas envahi et annexé la Crimée, si elle n’avait pas apporté son aide aux milices du Donbass, si elle n’avait pas massacré un peu la population syrienne, si ses milices privées n’avait pas pris des populations africaines en otage, on aurait pu examiner avec une bienveillance toute chrétienne l’invasion de l’Ukraine, au bénéfice des bonnes actions passées de la Russie. Las! son examen rationnel, du point de vue du droit des gens, du droit international et des traités auxquels la Russie avait elle-même librement adhéré (on ne se pose pas ici la question de savoir s’ils étaient justes ou non), du point de vue humanitaire, du point de vue démocratique et, en outre, du point de vue du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à prendre leur sort en main, n’est pas favorable à Poutine, quand bien même on oublierait les peccadilles passées.

Mais en France, alors même que la population rejette très majoritairement l’élévation de l’âge de départ à la retraite, certaines organisations n’hésitent pas à apporter leur soutien à M. Macron en le félicitant pour sa politique mesurée vis-à-vis du conflit, ce qui est de mauvais augure dans la bataille des retraites. Certaines (ou plus exactement certaines de leurs tendances) déclarent, comme je l’ai lu dans une manifestation : «Ils donnent des armes à l’Ukraine et ils nous volent nos retraites». Sans doute ces militants souhaiteraient-ils qu’au lieu de donner ces armes à l’Ukraine, on les vende comme par le passé à l’Arabie Séoudite, à l’Égypte ou d’ailleurs à tous les pays intéressés, du Nord comme du Sud ? Cela financerait nos retraites! D’autres souhaitent la paix. Acceptons, comme eux, que la Russie asservisse une partie de l’Ukraine et que l’on efface les crimes passés pour donner satisfaction au Kremlin, l’incitant ainsi à interrompre la guerre. Pensent-ils sérieusement que cette prime au crime ne sera pas comprise pour ce qu’elle est par M. Poutine ? Il ne suffit pas de dire que l’on souhaite la paix, encore faut-il ne pas tout faire pour en effacer jusqu’à la perspective. N’oublions pas de répéter aux pacifistes que l’Ukraine s’est défaite de son armement nucléaire au bénéfice de la Russie, sur la base du mémorandum de Budapest de 1994 (confirmé par la Russie et les États-Unis en 2009), dans lequel la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni s’engageaient à défendre la souveraineté de l’Ukraine. Comment ces mêmes pacifistes, qui refusent à l’Ukraine la possibilité de se défendre, pourraient-ils à l’avenir engager quelque État que ce soit à se désarmer unilatéralement ? Quel jeu jouent-ils ?

D’ailleurs, ceux qui attaquent les États-Unis comme exerçant une menace contre la Russie devraient s’interroger sur l’abstention presque complète de réactions américaines à l’invasion de la Crimée et son attitude, plus attentiste qu’atlantiste, au début de la tentative d’invasion par Poutine du reste de l’Ukraine.

Mais qu’est-ce qui a changé la donne ? Un peuple en armes. Et c’est l’exemple de ce peuple qui peut faire que, sans que la Russie ne soit envahie par des armées étrangères, le peuple russe lui-même puisse se lever contre l’envahisseur de l’intérieur.

Pour terminer, ceux qui s’interrogent publiquement sur la «stratégie» de Poutine devraient faire preuve d’un peu de modestie : au début du conflit, cette stratégie devait faire tomber l’Ukraine en dix jours. Puis, contemplant les avancées de l’armée ukrainienne six mois plus tard, la stratégie russe consistait, paraît-il, à figer le front et à négocier sur ces bases. Six mois plus tard encore, elle envisage à nouveau d’envahir l’Ukraine, la Moldavie et plus si inimitiés, au terme d’une guerre longue. Cette stratégie n’est même plus une tactique : c’est une partie de ping-pong.

L’État russe était dans une impasse impérialiste. Cela, et cela seul explique l’action de Poutine et ses incohérences. Mais, dans une situation mondiale où toujours davantage d’États cherchent à occuper une place accrue dans un contexte de raréfaction des ressources, il n’est pas le seul.

La France n’est sans doute pas dans la même situation. Mais les profondes modifications économiques et environnementales, les tensions mondiales nouvelles s’ajoutant à des tensions nationales non résolues placent l’État français et son président dans une situation pas si dissemblable. Il serait très difficile de comprendre la réforme des retraites et ses incohérences sans avoir égard à la nécessité pour le capitalisme français de trouver une place dans les relations mondiales. Il demande pour cela une stratégie à son président, qui manifestement joue au ping-pong davantage qu’au go. Le premier dessin (sans parler même de dessein) de la réforme avait une forme de cohérence : celle d’appuyer un système libéral de retraite par capitalisation en modulant les droits à la retraite. Mais il n’en est plus du tout de même aujourd’hui. Le recul de l’âge de départ à la retraite a une seule conséquence pour le pouvoir : trouver quelques milliards annuels supplémentaires (les conséquences ne sont pas les mêmes pour les travailleurs, évidemment). Ces milliards sont présentés dans un premier temps comme utiles à toutes sortes de choses, le financement de la dépendance vieillesse par exemple. Puis ils deviennent indispensables pour la survie du système, sans qu’aucune donnée nouvelle ne justifie ce changement d’argument. Enfin, pour obtenir le soutien de la droite, le projet, tantôt accroît ses exigences (régimes spéciaux), tantôt les affaiblit face à une injustice criante (femmes), et finalement réduit les économies envisagées à peu de choses. Tout cela, et c’est peut-être le plus étonnant, en réussissant à mettre la CFDT (et Laurent Berger en conséquence) vent debout face à la réforme. Le mouvement actuel, le 7 mars, sont à Macron et à la droite ce que la résistance du peuple ukrainien est à Poutine et à de nombreux pro-impérialistes : un paramètre qu’ils n’avaient pas voulu envisager. Bien entendu, on peut avoir une autre interprétation : Macron a voulu engager une épreuve de force en espérant que, s’il la gagnait, il rétablirait sa légitimité comme mandataire de la classe capitaliste, interprétation qui peut faire comprendre la difficulté pour Les Républicains à soutenir une réforme dont la victoire signerait sans doute sa propre mise de côté.

Nous autres tendons toujours à chercher une cohérence dans les projets de nos adversaires. Nous aurions tort de leur attribuer une plus grande lucidité qu’à nous-mêmes. Examinons la situation actuelle ou celle des Gilets Jaunes, pour ne parler que d’Histoire contemporaine. Savons-nous vraiment l’analyser ? savons-nous vraiment aider à sa maturation ? Mais, contrairement à eux, et c’est la différence principale, nous nous appuyons sur les intérêts des travailleurs, actifs, retraités ou en formation, des femmes exploitées, des étudiants, des lycéens, et de tous ceux que le système laisse de côté, nous nous appuyons sur ces intérêts pour définir nos positions. Nous avons cette chance, comme internationalistes, que ces intérêts soient semblables dans le monde entier (ce qui n’exclut tout de même pas certaines contradictions, entre les couches pauvres du prolétariat et les couches ouvrières mieux loties) ; tandis que Macron doit concilier les intérêts du capitalisme national avec la position impérialiste de la France dans une conjugaison d’impérialismes sauvagement concurrents, la vente d’armes à ses ennemis avec l’abstention à l’égard de ceux qu’il prétend soutenir et, pour terminer, l’exercice de son pouvoir avec la mauvaise volonté et, peut-être prochainement, la volonté tout court, d’une majorité de la population. Estimons-nous heureux!

Et partout en France…

Cette synthèse est due à Mariana Sanchez

Des associations appellent à manifester en soutien à l’Ukraine dans plusieurs villes de France samedi 25 février 2023.

Plusieurs organisations associatives ont prévu ce week-end dans une quinzaine de villes de France des manifestation au lendemain du premier anniversaire de l’invasion en Ukraine.

Le triste premier anniversaire du début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie approche. À cette occasion, plusieurs manifestations se tiendront dans de grandes villes de France, samedi, en soutien aux Ukrainiens. À Paris, le rendez-vous est donné à 14 heures place de la République pour une marche en direction de la place de la Bastille. Cette manifestation est organisée par plusieurs associations : Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !, le Réseau français de solidarité avec l’Ukraine et l’Union des Ukrainiens de France. «Nous attendons plusieurs milliers d’Ukrainiens et, nous l’espérons, plusieurs milliers de Français», annonce le président de l’Union des Ukrainiens de France, Jean-Pierre Pasternak. Selon cette association, quelque 110 000 Ukrainiens sont arrivés en France depuis février 2022, dont 90 % de femmes et d’enfants.

La Ligue des droits de l’Homme appelle également à manifester. Son président, Patrick Baudouin, souligne que «la Ligue est impliquée depuis le début de la guerre pour demander le retrait immédiat des troupes russes sur le territoire ukrainien» et pour dénoncer «les enlèvements et les déportations d’enfants ukrainiens qui sont transférés de force sur le territoire russe». Il se félicite que plusieurs représentants de différents partis politiques aient annoncé leur présence (Parti socialiste, EE-LV, NPA, Renaissance…) «Aux alentours de 16 heures, quand nous serons arrivés à Bastille, une vingtaine de personnes prendront la parole. Une série de personnalités politiques et associatives françaises et ukrainiennes», assure-t-il. L’ambassadeur d’Ukraine en France, Vadym Omelchenko, et des représentants de différentes communautés, notamment géorgienne, baltes ou polonaise sont également attendus à Paris ce samedi.
Une quinzaine de villes en France

Paris n’est pas la seule ville à manifester. Des rassemblements sont aussi prévus notamment à Lille, Tours, Dijon, Marseille, Lyon ou Clermont-Ferrand.

A Lille, la mairie à également décider d’organiser une marche en préparant son propre programme. A 11 heures, un rassemblement aura lieu sur le pont de Kharkiv, au nom de la ville jumelée à Lille. Un peu plus tard dans l’après-midi, à 14 heures, une exposition de photographies intitulée Ukraine – Regards d’artistes ukrainiens sur leur pays en guerre sera ouverte au public jusqu’à 22 heures à la Maison Folie de Wazemmes. Le but étant de montrer la réalité de la guerre à travers des photographes professionnels ou non qui parcourent le pays pour recueillir des témoignages. Puis, à la fin de la journée à 18 h 30sera projeté le film Marioupol. L’espoir n’est pas perdu, documentaire réalisé par Max Litvinov, au même endroit.

À Lyon, c’est la toute cette semaine qui est dédiée à l’Ukraine. Plusieurs activités sont organisées : ce mardi, à 18 heures, une table ronde à l’hôtel de ville intitulée Un an de conflit en Ukraine : quel bilan et réponse humanitaire ? ; mercredi, à 18 h 30 au même endroit, les Lyonnais pourront rencontrer Alexandre Tcherkassov, le directeur du centre des droits humains de Mémorial ; vendredi plusieurs flash mobs se tiendront place Bellecour à 8 h 30, 12 h 30 et 17 h 30, initiative de l’association Lyon-Ukraine. Samedi, enfin, un rassemblement est organisé place Bellecour de 14 h 30 à 16 h 30, accompagné de chants et témoignages.

À Marseille, une marche doit s’élancer samedi du consulat de Russie, avenue Ambroise-Paré, à 14 heures. «Nous demandons l’arrêt de la guerre d’invasion, des bombardements et des crimes et aboutir à une paix juste, par le retrait de l’armée russe de toute l’Ukraine et le retour des populations ukrainiennes déportées, notamment des enfants», explique l’Union des Ukrainiens de France sur la page Facebook de l’événement.

https://www.liberation.fr/international/europe/des-associations-appellent-a-manifester-en-soutien-a-lukraine-dans-plusieurs-villes-de-france-samedi-20230221_N464GUYGCBG55HCFEPC4RCUWY4/

On nous écrit du Cher, par Michel Panthou

Saint-Amand-Montrond : dans cette ville de 9000 habitants, petite sous-préfecture du Cher, le mouvement des Gilets Jaunes avait été important. Leur présence sur le rond-point d‘accès à l’autoroute avait été tenace.

Aujourd’hui sur la place le rassemblement se fait avec lenteur autour des syndicats :

Un manifestant : « ton secrétaire syndical est efficace »

Son voisin : « oui mais je le trouvais un peu trop « Gilets Jaunes »

Ils sont tous les deux dans la manifestation.

Une manifestante : « c’est ma première manifestation vous pensez que nous allons faire combien de kilomètres ? » …. C’est une personne âgée.

Sur la place 200 personnes : ce sont les syndicats, des retraités, des ouvriers, des enseignants, quelques jeunes mais quand le cortège se forme il se gonfle et grossit brusquement pour atteindre 600 à 700 selon la presse locale et 550 selon la police.  

Les manifestations sont rares dans cette petite ville mais depuis le 31 janvier il y a eu ici 3 manifestations : 450 le 31 250 et 400, début février, et maintenant plus de 600 à l’image du mouvement national.

Un militant de la CGT de la grande distribution : « Ça adhère à plein tube dans les syndicats » 

Signe probant que pour les manifestants qu’il ne s’agit pas d’un baroud d’honneur mais le début de quelque chose. Ce mouvement d’adhésions semble national et toucher tous les syndicats.

Comparaison n’est pas raison mais comme l’agression de Poutine contre l’Ukraine contribue à constituer l’unité du peuple ukrainien, l’offensive de Macron reconstitue la force des syndicats et la confiance des salariés dans leur propre force.

Que le mouvement repasse par les anciennes organisations c’est une chose que nous avions apprise dans notre passé militant mais que nous n’avions jamais eu l’occasion de vérifier dans les dernières décennies ? et si c’était le cas aujourd’hui ?

 Nous étions plutôt habitués à nous poser la question : où, quand, et comment va se manifester la trahison ?

Et de prime abord, on est surpris de l’appel unitaire à bloquer le pays à compter du 7 mars. On n’avait pas l’habitude de cette unité prolongée. Elle ne peut que conforter cette mobilisation paisible qui prend peu à peu confiance en sa force.

Mais elle n’a pas toutes les cartes en main… les manifestants le ressentent.

Ils savent que ce qui se joue n’est pas un jeu, contrairement au spectacle pitoyable qu’offrent les débats à l’Assemblée Nationale et le rôle de LFI de plus en plus éloigné et « extérieur » au mouvement qui se développe dans le pays 

Ils savent que contrairement aux affirmations de Mélenchon, Macron n’a pas encore perdu : Il dispose de toutes les ressources de la V° république. Vont-elles se diviser ?

De quel côté la situation va-t-elle évoluer ?

Après le 31 janvier, témoignages

Impressions de manifestation du 31 dans une ville moyenne : Moulins

Beaucoup de monde, plus que le 19. Proche des plus importantes manifestations des années 90 et 2000. Mais la grande différence: une masse composée d’individus qui vont à la manifestation comme ils iraient voter. Peu de groupes identifiés par des banderoles de leur appartenance ou de leur entreprise. Je marche à côté d’un manifestant qui porte un drapeau vert du SNETAP « vous êtes du lycée agricole ? » « pas du tout je suis de la CGT c’est ma copine qui m’a donné à porter son drapeau ». Les organisations syndicales se font discrètes (volontairement?) pas de prise de parole au départ, peu de mots d’ordre , pas de mégaphone, pas de concurrence entre elles. La manifestation s’étire, les gens se retrouvent, discutent, prennent des photos, beaucoup de retraités… 

« C’est moins gai que celles de 95, c’est moins combatif, on était plus agressif… » voilà quelques-unes des réflexions entendues. C’est un constat exact mais c’est seulement un constat. Le poids des organisations affaibli , leurs liens avec les manifestants distendus, c’est une évidence mais elles demeurent maîtresses du parcours, du passage devant la préfecture sans arrêt, et de la suite…  

Michel Panthou

Vichy

J’ai eu la même impression à Vichy, 4500 manifestants, plus que le 19 janvier, c’est vrai qu’il y a peu de mots d’ordre pas de cortèges des OS qui ont toutes intérêt à ne pas se mettre en concurrence. Mais j’ai le sentiment que le peuple se met en mouvement, je vois de plus en plus de gilets jaunes dans la manif. Il y a une très grande détermination et je ne suis pas certain que les OS maitrisent vraiment la suite. Entre retraites et pouvoir d’achat, la colère monte. Je ne sais pas qu’elle en sera la traduction.

……..

P.

Nevers

Selon la presse régionale :
-Orleans 15000
-Bourges 7000 (police 4000,CGT 10000 ) quand la manif nationale des Gilets jaunes avait regroupé 6300 personnes.
-Vierzon 2900.
-Nevers (35000 habitants), à laquelle j’ai participé, 5000 et pour la première fois les organisateurs avaient appelé à se rassembler sur le pont de Loire  qu’empruntait la nationale 7 (353 m, en comparaison celui de la Concorde mesure 153 m),  ce qui représente un risque car du haut de la ville on peut appréhender la mobilisation, or il était noir de monde et débordait même.
Alors que les cortèges syndicaux étaient séparés , la porosité était totale car les gens se guettaient sur les trottoirs pour se retrouver en famille, entre collègues ou copains, du coup tous se mélangeaient.

Claude Deleville

Clermont-Ferrand

La manifestation était massive, avec en tête de cortège une forte présence de la CGT ou au moins de ses drapeaux. Des jeunes, certes, mais plutôt des quinquagénaires ou sexagénaires. On relevait quelques pancartes liant la réforme des retraites à la loi de programmation militaire française. On trouvait aussi une pancarte un peu plus rassérénante.

Bernard Randél

Retraites : voici pourquoi les petites villes se mobilisent (texte transmis par Jean Puyade)

Retraites : voici pourquoi les petites villes se mobilisent

Les habitants des petites et moyennes villes seront de nouveau dans la rue le 31 janvier pour s’opposer à la réforme des retraites. Les raisons de leur colère, en cinq points.

Certains l’appellent la France des sous-préfectures. Des petites et moyennes villes. Elle s’est fortement mobilisée le 19 janvier contre la réforme des retraites. Dans les rues, le nombre de manifestants a été « historique » à Rodez (Aveyron), il a « fait date » de Calais (Pas-de-Calais) à Maubeuge (Nord) et a été « sans précédent » à Flers (Orne). Ils seront de nouveau dans la rue le 31 janvier pour la deuxième journée de grève contre la réforme des retraites.

Même s’il faut se rappeler que ces villes drainent des bassins de population plus larges à leur alentour, les chiffres impressionnent. Par exemple, on a compté environ 2 000 manifestants à Mende en Lozère (pour 11 000 habitants), 7 000 à Alès (pour 40 000 habitants), 3 000 à Saint-Gaudens (Haute-Garonne, 11 000 habitants). Autant de noms que l’on n’a pas l’habitude de voir citer dans les médias nationaux. « Ces mobilisations dans les villes petites et moyennes sont le vrai baromètre de la haine de cette réforme », avance Willy Pelletier, sociologue à l’université de Picardie.

Alors, pourquoi la France des bourgs, des petites agglos et des zones rurales qui les entourent a-t-elle manifesté Reporterre esquisse cinq explications.

1. Les retraites, la goutte qui fait déborder le vase

« La mobilisation va au-delà de l’opposition à la réforme des retraites, estime Willy Pelletier. C’est l’occasion d’exprimer toutes les amertumes, les colères. » Inflation, hausse du prix des carburants, de l’énergie… « Des gens doivent par exemple choisir entre se chauffer et nourrir leurs animaux domestiques, car le prix des croquettes a beaucoup augmenté », note le sociologue.

« Le gouvernement ne cesse de demander des efforts », confirme Thibault Lhonneur. Conseiller municipal à Vierzon (Cher), il milite à La France insoumise et analyse le vote des villes moyennes. « Il y a eu le Covid, le confinement, puis le couvre-feu, puis on nous a dit qu’il y avait des risques de coupure d’électricité et qu’il fallait encore faire un effort. Les injonctions restrictives données depuis trente-six mois sont respectées, et là on vous dit qu’il va falloir aussi travailler deux ans de plus. Ça ne passe pas ! »

La mobilisation est importante, elle « dépasse le cadre habituel des sympathisants de gauche », poursuit-il. Le vase déborde pour beaucoup de monde. « À Vierzon, j’ai croisé des personnes étiquetées à droite. » La même constatation a été faite par Achille Warnant, doctorant en géographie à l’Ehess (École des hautes études en sciences sociales) et spécialiste des villes moyennes. « Cette réforme des retraites a aussi une opposition à droite et à l’extrême droite. Je pense que les manifestations brassent très large, ce qui explique leur succès. »

2. Un ancrage local des syndicats

Ces manifestations font partie des plus importantes « de ces vingt-cinq dernières années, observe Achille Warnant. Il ne faut pas oublier que ces villes se sont toujours mobilisées, elles ont une tradition de manifestation, même si elles ont été invisibilisées ».

Montluçon et Alès, par exemple, restent marquées par leur passé industriel et une forte tradition syndicale. « On dit beaucoup que les syndicats et les partis politiques n’ont plus d’ancrage territorial, remarque le géographe. Là, on voit qu’ils sont toujours présents et en capacité de mobiliser, même s’ils sont fragilisés. »

Autre trait sociologique : ce sont des villes où les emplois publics sont proportionnellement plus nombreux. « Dans la fonction publique, les gens sont plus syndiqués que dans le reste de la population », précise Achille Warnant. À cela s’ajoute que cette fois-ci, la CFDT appelle à se mobiliser. « Un syndicat très présent dans le public ».

3. Plus d’habitants touchés par la réforme des retraites

La population des petites villes et villes moyennes qui s’est mobilisée est sans doute, aussi, plus touchée par la réforme. Un rapide tour sur le site de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) permet de constater la très faible proportion de cadres dans une grande partie des villes citées dans cet article, en comparaison avec de grandes villes [1]. À l’inverse, la proportion d’ouvriers et d’employés est plus importante.« On avait peut-être une dizaine d’années avant que vienne la maladie. Ce moment de répit est ôté. » Ici, lors de la manifestation à Nîmes, le 19 janvier 2023. © Estelle Pereira / Reporterre

« Ici, les gens ont un rapport physique au travail plus douloureux, témoigne Thibault Lhonneur depuis Vierzon. On a des aides-soignantes, des auxiliaires de vie scolaire, des accompagnants d’enfants en situation de handicap, des caissières, des ouvriers d’usine : ce sont des boulots éprouvants. » Comme l’a déjà documenté Reporterre, les horaires peuvent être éparpillés ou en décalé, avec du temps partiel, des charges à porter, du travail répétitif, l’exposition aux polluants…

« La retraite était l’anticipation d’un petit peu de bon temps volé pour soi, complète Willy Pelletier. On avait peut-être une dizaine d’années avant que vienne la maladie. Ce moment de répit est ôté. »

4. Un sentiment de mépris plus fort

Cela vient renforcer — s’il en était encore besoin — le sentiment d’abandon et de mépris ressenti par les habitants de ces « territoires ruraux pauvres », estime M. Pelletier, qui étudie le vote du Rassemblement national (RN) dans les territoires ruraux. « Il n’y a plus de médecin, plus d’emploi stable, plus de bus, plus de train », liste-t-il. Les espaces de sociabilité « qui donnent de l’estime de soi sont aussi en voie de liquidation : les sociétés de chasse, les associations de parents d’élèves ».

Au travail aussi, tout s’effondre, poursuit le sociologue : « Le Covid a eu en effet dramatique. Vous vous croyiez indispensable dans votre entreprise, et à cause du Covid vous avez été licencié ou rétrogradé. » Thibault Lhonneur estime également que cette question du rapport au travail est centrale. Notamment parce que pendant le Covid, nous avons été réduits à l’état de « travailleurs ». Or, le travail s’est dégradé.

Dans ce contexte, la façon dont est menée la réforme est violente, selon Willy Pelletier : « On dit aux gens qu’ils vont souffrir plus longtemps, et que face aux chiffres, ils ne comptent pas. Cela redouble le sentiment de mépris, d’autant plus que le gouvernement veut passer en force, et aller très vite. »

5. Une réforme qui touche à la famille

Enfin, Willy Pelletier estime qu’il y a une dimension intime dans cette mobilisation contre les retraites. Quand il n’y a presque plus de services publics, de lieux de sociabilité et de travail, il reste la famille. « Ce sont les seuls liens qui permettent de tenir quand tout fout le camp, un espace de solidarité et d’estime de soi. La réforme des retraites vient percuter cette bulle d’amour. »

Elle le fait en touchant les enfants. « Les parents reportent leurs espoirs de vie non réalisés sur leurs enfants, explique le sociologue. Or la réforme des retraites dit qu’ils auront encore moins de droits, plus de galères au travail. »

À l’inverse, les enfants voient que leurs parents prendront leur retraite plus tard. « Très concrètement, cela veut dire des souffrances supplémentaires pour leurs parents, des gens qu’on aime ».

La mobilisation contre les retraites pourrait donc être l’occasion de « retrouver de la fierté », estime Willy Pelletier. Mais pas certain que les manifestations suffisent. « Pour compter, on sait maintenant qu’il faut déranger. J’entends beaucoup de gens dire “On ne sera pas gentils”. Certains sont à deux doigts de s’en prendre aux élus. »

Thibault Lhonneur, lui, veut voir dans la mobilisation de ces territoires un signe positif. Alors que l’on y vote plutôt à droite, voire à l’extrême droite« la gauche arrive à s’y faire entendre sur une thématique sociale », souligne-t-il.

orter cette aspiration la légitimer,  en faire un Manifeste des Comités et Collectifs locaux,  régionaux, des AG inter pro…etc…

     Chacun sait que Macron est là pour nous ramener à la “raison” et nous aligner sur la situation dans les autres pays voisins…il en a le mandat et la responsabilité nationale (et mondiale) du capital…dans ce sens c’ est lui ou nous…

      Et là s’ ouvre un autre débat comment et jusqu’ où aller…( à suivre)

Questions nationales et processus d’autodétermination

Peuples, nations et minorités : essai d’approche. Aperçu historique de la question nationale, par Patrick Silberstein

Un exposé fait au moment de la « crise » catalane, c’est-à-dire avant l’invasion de l’Ukraine par l’impérialisme russe. Non retouché. Les questions posées me semblent être aujourd’hui encore plus aiguës avec la guerre de libération nationale ukrainienne où est apparue au grand jour la réalité sociale et linguistique de l’Ukraine – l’Ukraine polyethnique. On y trouvera peut-être quelque utilité.

Cet exposé – qui est volontairement questionnant – sera quelque peu désordonné parce que le traitement de la question nous contraint à des allers-retours à la fois dans le temps et l’espace et à consulter les vieux grimoires et les vieux oracles.

Je commencerai par mentionner quelques « événements » qui nous interpellent. Très différents les uns des autres, ils ont pourtant quelques points communs à des degrés divers :

1- les prémisses de la « révolution catalane », pour parler comme on le faisait autrefois ;

2- la poussée indépendantiste en Écosse (et le Brexit) ;

3- la victoire des autonomistes aux élections régionales en Corse ;

4- le prochain référendum en Nouvelle-Calédonie ;

5- la question de l’apprentissage de l’arabe à l’école ;

6- l’annexion de la Crimée par la Russie ;

7- la montée des nationalismes d’exclusion ou fascistes.

La liste pourrait être bien plus longue : Flandres, Euzkadi et évidemment la Yougoslavie.

Il faudrait évidemment discuter de la Yougoslavie – laquelle devrait d’ailleurs être un élément central de nos discussions, à la fois sur la question des nationalités mais aussi celle de l’autogestion et de la démocratie socialiste. Nous n’en aurons évidemment pas le temps aujourd’hui.

Je signalerai juste ce que Catherine Samary me rappelait il y a quelques jours : la notion de citoyenneté (appartenance à un État) y était distincte de celle de « nationalité » (subjective et libre, voire évolutive, disait-elle).

Il nous faudrait évidemment revisiter les débats – en tout cas les survoler – les textes et les situations des 19e, 20e et 21e siècles comme la formation des États-nation, la Russie, l’URSS puis à nouveau la Russie et l’Ukraine, la Pologne, l’Irlande, l’Empire austro-hongrois, le démantèlement de l’empire ottoman, le Kurdistan, la Catalogne, la Corse, les Roms – peuple sans territoire –, le bundisme, etc., sans parler des pays coloniaux et postcoloniaux, et bien entendu des migrations, ce qui est absolument impossible dans le temps qui nous est imparti, et sans doute au-dessus de nos capacités en tant que groupe.

Dans ses travaux sur L’Internationale et l’autre, Claudie Weill soulignait que les interrogations historiques ne sont pas uniquement intrinsèques au sujet, mais toujours partiellement tributaires des sollicitations de l’actualité. C’est bien la raison qui nous amène à discuter à notre époque de la nation, des nations, de l’ethnicité, du communautarisme, des minorités nationales, etc.

En effet, nous ne discutons pas ici – encore que cela est absolument passionnant et riche d’enseignements – de ces questions pour arbitrer, plus d’un siècle après, qui des deux Vladimir, Lénine et Medem, avait raison au congrès du POSDR de 1903, mais bel et bien parce que cette question nous percute ici et maintenant.

Lequel congrès a lieu, soit dit en passant, quelques semaines après le pogrom de Kichinev sans que celui-ci n’ait la moindre influence sur le positionnement des dirigeants du POSDR.

Ce que nous devons donc examiner, ce sont les raisons qui poussent des internationalistes conséquents, voire intransigeants, à devoir s’emparer politiquement de la réalité multiforme des questions nationales afin d’élaborer des politiques révolutionnaires concrètes pour des situations concrètes.

(1)

La « définition » la plus partagée de la nation est celle d’une catégorie socio-politique liée à l’existence ou à la revendication d’un État. Un peuple sans État ne saurait donc être une nation. D’ailleurs, ce qu’on appelle le « droit international » ne reconnait que les États et non les nations. La personnalité juridique c’est l’État, voire l’Union européenne, et non la nation.

Il n’y a donc pas dans le langage courant – y compris le nôtre – de nation palestinienne pas plus que de nation kanak ou de nation kurde.

Lesquels Kurdes s’étaient pourtant vus reconnaître un État après 1918 qui ne verra pas jour et qui sont une quarantaine de millions.

Par contre, la Constitution canadienne reconnaît les Amérindiens comme « premières nations ».

(2)

L’entrée « Nation » du Dictionnaire critique du marxisme nous confirme que Marx, Engels et Lénine employaient indifféremment les termes « nation », « peuple » et « nationalité », je cite le Dictionnaire du marxisme : « avec les flottements de sens habituel ». L’entrée « Peuple » renvoie ainsi à « Nation ».

(3)

Pour nous simplifier la vie et éviter autant que faire se peut les discussions sémantiques quelque peu stériles, nous ferons nôtre l’assertion quelque peu provocatrice de Richard Marienstras : « Je ne chercherai pas à savoir si ce groupe est un peuple, une nation, une ethnie, une classe, une caste, une secte, un fossile ou un vestige [le terme est d’Engels], car il y a trop d’arrogance dans une telle curiosité.»

Non indiqué dans l’intitulé de cette session, il nous faut cependant aussi examiner ce que sont les minorités nationales et les groupes dits ethniques. Ce n’est pas tout à fait l’objet de cette discussion mais il y a pourtant un rapport étroit et nous y reviendrons au passage. Livrons ici à la réflexion la définition que l’ONU fait des minorités : «Une minorité est un groupe : 1) numériquement minoritaire dans un État (ou sur un territoire) ; 2) en position non dominante ; 3) dont les membres possèdent des caractéristiques, culturelles, “ethniques”, religieuses, linguistique, “raciales” qui le différencient du reste de la population ; 4) qui manifestent, même de façon implicite, un sentiment d’appartenance, une solidarité dans le but de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue ; 5) dont les membres subissent diverses formes de domination et d’oppression et ont de ce fait une expérience sociale partagée.»

Une auteur du Groupement pour les droits des minorités écrivaient : « La minorité est une entité sociale parce qu’elle est un être collectif, un groupe, qui se manifeste en subjectivité collective. […] En tant que groupe, la minorité […] existe donc moins par ses caractères spécifiques que par l’unité qui en résulte. »

« Le rapport avec extérieur est toujours une composante de la production d’identité » d’un groupe humain soumis à la domination.,

Il faut évidemment ajouter que « minorité » ne doit pas être pris au sens mathématique et qu’un peuple historique dépossédé de ses droits peut devenir numériquement minoritaire sur sa terre, soit « naturellement » soit pas une politique volontaire de substitution de population. D’ailleurs, pour revenir brièvement à la Yougoslavie, sa Constitution introduisait le terme de « groupe national » de préférence à « minorité » pour signifier que tous les individus avaient les mêmes droits, « indépendamment de leur appartenance à un peuple majoritaire ou à un peuple minoritaire ».

(4)

Eric Hobsbawm écrit qu’on ne peut parler de nation réelle qu’a posteriori. C’est-à-dire que l’État précède la nation et que celui-ci est la forme, la force, qui permet la structuration de la nation ? C’est sans doute la raison pour laquelle on ne parle pas de nation kurde… Si l’armée de Pascuale Paoli n’avait pas été battue à Ponte Novu en 1769, la discussion sur l’existence d’une nation corse ne se poserait évidemment pas dans les mêmes termes.

Empruntons à Immanuel Wallerstein, l’exemple des Sarahouis. Pour le Polisario, la nation sahraouie existe depuis un millénaire ; pour le Maroc elle n’existe pas. « Comment résoudre la question intellectuellement ? », demande Wallerstein : « Il n’y a pas de solution, répond-il, tout dépend qui gagnera la guerre. L’historien du futur conclura soit que la question est réglée soit qu’elle ne se pose pas. »

(5)

À titre de provocation, on commencera par un saut dans le temps et l’espace dans l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, où la loi établissait l’existence de quatre « peuples » : les Européens, les Bantous, les Indiens, les Métis. Ces quatre catégories raciales, racistes, voire absurdes, établissaient des rapports sociaux qui ont des conséquences concrètes sur la vie des individus : toute personne qui résidait en Afrique du Sud était obligatoirement et irrévocablement classée dans un de ces groupes, chaque groupe ayant des droits spécifiques, différenciés et inégaux, voire pas de droits du tout.

Des hommes et des femmes hostiles à l’apartheid et « appartenant » de jure et de facto à chacun de ces quatre groupes ont formé – non sans débats – au milieu des années 1950 des organisations spécifiques et séparées qui en 1955 ont adopté une charte commune.

Question : Pourquoi utiliser une catégorie forgée par l’ennemi pour se désigner soi-même et s’organiser pour la lutte contre les promoteurs de ces catégories ? Au milieu des années 1980, dans une discussion au sein de l’ANC, il est proposé les affirmations suivantes : 1) la nation sud-africaine n’existe pas encore ; 2) c’est dans la lutte de libération nationale et la révolution que s’amorce le processus de construction de la nation sud-africaine ; 3) la majorité africaine (80 % de la population) est une nation opprimée ; 4) les Indiens sont une minorité nationale opprimée ; 5) les Métis sont également une minorités nationale opprimée ; 6) ces deux minorités ne sont pas homogènes et comprennent chacune des groupes nationaux ou ethniques divers ; 7) les Européens (Blancs) sont une nation minoritaire oppressive.

De ces sept affirmations, arrêtons-nous à la sixième : qui est assez intrigante : « Qu’est-ce donc que le peuple métis » qui est pris en compte – non sans débats – par ceux-là mêmes qui combattent les lois de l’apartheid ? S’il existe un « peuple métis », il doit donc être possible d’en établir les paramètres qui le décrivent et le définissent, à la manière dont le fait, en 1913, un Staline dans un ouvrage célèbre. Quels sont ces paramètres ?

– paramètre 1 : une communauté humaine stable et non pas un conglomérat accidentel ni éphémère,

– paramètre 2 : une communauté humaine historiquement constitué,

– paramètre 3 : née sur la base d’une communauté de langue, de territoire, de vie économique et – le ET est essentiel – de formation psychique qui se traduit par une communauté de culture ;

– paramètre 4 : une communauté ayant une « longue vie en commun ».

Manifestement, le « peuple métis » ne rentre pas dans cette définition. D’autant que la suite du texte du futur satrape du Kremlin précise encore la définition : « Il est nécessaire de souligner qu’aucun des indices mentionnés, pris isolément, ne suffit à définir la nation. Bien plus : l’absence même d’un seul de ces indices suffit pour que la nation cesse d’être, nation ».

Le peuple métis n’existe donc pas… en dehors de la volonté du législateur et de celles des intéressés décidés à l’utiliser dans leur combat. Il va par ailleurs de soi que si le peuple métis existe – ou a existé – en Afrique du Sud, il n’a sans doute pas son équivalent ailleurs.

(6)

La question qui découle de cela est la suivante : qu’est-ce qu’un peuple ? Qu’est-ce qu’une nation ?

Encore une fois non pas pour « définir », « classifier » ou « naturaliser » mais pour en saisir la caractéristique cardinale, si tant est qu’il existe une caractéristique cardinale.

Ainsi, alors que le pape du marxisme Karl Kautsky établissait au début du 20e siècle que c’est une langue commune qui faisait la nation, nous suivrons Immanuel Wallerstein pour qui le peuple est un « processus social curieux dont les traits principaux sont la réalité de l’instabilité et le déni de cette instabilité ».

Le « peuple » est donc une catégorie instable, floue, dont les caractéristiques et les limites varient selon le lieu, le temps, les assignations et les revendications.

(7)

Ce sont les marxistes de l’empire austro-hongrois qui, à partir des problèmes des nationalités de l’espace dans lequel ils agissaient – à la fois empire multinational et imbrication extraterritoriale de « nationalités » – se sont attaqués à la question au congrès de Brno (Brünn) en 1899.

L’empire des Habsbourg est donc un « pays » (entre guillemets) où, par exemple, Vienne, la capitale de l’empire, compte à la veille de la guerre de 14 un quart de Tchèques et où Lviv, ville d’Ukraine alors autrichienne, compte 50 % de Polonais et un tiers de Juifs et d’Ukrainiens. Il en est d’ailleurs de même en Russie où, par exemple, Odessa compte 53 % de Moldaves, 20 % de Russes et Ukrainiens, 18 % de Juifs et 7 % de Polonais, d’Arméniens, de Tatars, etc.

Otto Bauer propose donc en 1907 la définition suivante : « Ensemble des individus liés en une communauté de caractère par une communauté de destin. »

Il s’agit – au-delà de la forme parti et du fédéralisme de l’État en débat à l’époque – d’organiser les nationalités en « personnalités politiques » auxquelles les individus – et non l’État – décident ou non d’appartenir. Pour lui, 1) la nation est une réalité historique en perpétuelle mutation ; 2) les nations sont des communautés de culture et de destin ; 3) le produit jamais achevé d’un processus constamment en cours ; un morceau d’histoire figé ; 4) il faut comprendre l’apparition des diverses formes des groupes sociaux à travers les mutations des forces productives et des rapports de production ; 5) chaque individu est inclus dans un ou plusieurs de ces innombrables groupes sociaux ; 6) il faut constituer les groupes humains en « personnalités juridiques » territorialisées ou non ; 7) c’est par auto-désignation que l’on se déclare appartenir à tel ou tel groupe ; 8) ce n’est évidemment personne, ni l’État ni les groupes qui désignent qui appartient à quoi.

Entre parenthèses, aux USA, le recensement se fait par « groupe ethnique », d’une manière assez proche de ce qui se pratiquait en Yougoslavie. Chacun peut, ou non, déclarer appartenir à tel ou tel groupe : noir, latino, etc., voir appartenir à aucun et même à plusieurs. De même d’ailleurs, par dérogation au dogme républicain français, en Nouvelle-Calédonie.

Bauer s’oppose donc à l’idée, commune à son époque, d’un substantialisme de la nation, puisque celle-ci ne s’identifie ni à la langue ni à la communauté économique, ni au territoire, ni, a fortiori, à l’État. Il développe une conception d’auto-administration de ce qu’il appelle des « corporations nationales » en envisageant les cas où celles-ci occupent de manière homogène une ville ou un territoire et les cas où il en va différemment : « Les nations sont à constituer non en tant que corporations territoriales, mais en tant qu’associations de personnes. La répartition intérieure des nationalités devrait naturellement se faire d’après la densité de peuplement, les co-nationaux […] d’une circonscription formeraient une communauté nationale, c’est-à-dire une corporation de droit public et privé […]. Ce n’est pas à l’État de décider qui doit être allemand ou tchèque [mais c’est] à partir d’une libre déclaration de nationalité des citoyens. »

Une telle proposition s’articule évidemment avec l’ensemble des processus citoyens « généraux » (locaux, régionaux, nationaux…), avec l’existence d’assemblées élues au suffrage universel articulée à des assemblées d’intérêts particuliers. La Hongrie révolutionnaire de 1919 s’était ainsi dotée de structures ad hoc pour les Allemands et pour les Ukrainiens dans le cadre de la république fédérée des conseils dans une sorte d’autonomie très peu liée au territoire.

Question subsidiaire qui n’a évidemment aucun rapport : combien y a-t-il d’arabophones dans les villes de Seine-Saint-Denis ? Cela ne mériterait-il pas une politique spécifique ?

Si on regarde nos villes, il y a en effet une diversité de populations, des segmentations sociales ethnicisées, des communautés non strictement territorialisées, même si elles sont souvent territorialement ségréguées, qui expriment des aspirations et des revendications à la fois démocratiques, « nationalitaires » et sociales.

La France compte 5,5 millions d’étrangers (hors UE) dont 4 millions d’Arabes (ou assimilés, je rappelle que les statistiques ethniques sont interdites) et 11,8 millions si on compte leurs descendants immédiats ; la moitié des 114 communes de plus de 50 000 habitants compte plus de 10 % d’étrangers ; 29 % des étrangers habitent des villes de plus de 10 000 habitants.

Sans oublier les « domiens », comme on dit paraît-il, et qui sont des citoyens français et qui semble bien constituer des groupes nationaux (au sens yougoslave).

La France urbaine et sa classe travailleuse ont toujours été « plurinationale » avec au moins une particularité qu’il faudrait évaluer : la distribution ethnicisée des emplois et des revenus.

C’est le produit des différentes vagues d’émigration que ce pays a connu. La différence avec les vagues précédentes, des Polonais, des Italiens, des Espagnols, des Juifs, etc., c’est que pour l’immigration maghrébine et africaine, c’est-à-dire postcoloniale, le « stigmate de l’étranger » ne se résorbe pas aussi facilement que précédemment. La transplantation d’un groupe, même si elle est volontaire, n’entraîne d’ailleurs pas automatiquement sa « dénationalisation », son acculturation puis son assimilation.

Ces transformations culturelles sont des faits sociaux, qu’il n’y a pas à imposer ; et sans doute, même, le maintien de cultures différentes est-il un enrichissement collectif.

Les phénomènes migratoires sont à la fois des moments d’intense prolétarisation (au sens de disponibilité pour l’entrée dans le salariat) et d’urbanisation des migrants et des processus de constitution de groupes ethno-culturels, de «  minorités », de « communautés nationales » au coeur des métropoles capitalistes.

Le droit à la mobilité ne peut qu’accompagner les mouvements réels de groupes humains dont l’augmentation traduit avant tout la transformation du monde, un phénomène qu’il nous faut observer et accompagner.

(8)

Le Bund qui organisait une classe ouvrière juive à la fois très concentrée et extraterritoriale revendiquait « l’autonomie nationale culturelle ». [Il ne faut évidemment pas réduire le terme culturel aux questions culturelles telles qu’on peut les comprendre aujourd’hui]

Cela mérite d’être relevé en ce 100e anniversaire de la révolution russe, le pouvoir révolutionnaire applique parfois la politique que les bolcheviks avaient critiquée et combattu, à savoir l’autonomie culturelle interne. Il faudrait du temps pour examiner en détail la politique bolchevique avant la russification stalinienne.

(9)

Analysant l’approche de Marx et Engels sur la question irlandaise, Michael Löwy souligne que ce n’est pas la question économique qui les amène à formuler leur position, mais la volonté du peuple irlandais de devenir une nation indépendante comme réponse à la politique de dénationalisation menée par l’impérialisme britannique : spoliation des terres, destruction de la culture et de la langue, répression, etc.

Ici, insiste Lowy, la nation n’est pas définie par des critères objectifs mais sur une volonté subjective de se débarrasser de la domination étrangère.

(10)

En 1933, interrogé sur la question noire aux USA, Trotsky, insistait sur quatre points : 1) ce sont « des conditions précises » qui donnent naissance à des « nations » ; 2) aucun critère abstrait ne peut « trancher » la question ; 3) ce sont les « conditions générales » qui créent la « conscience historique d’un groupe » ; 4) Poussés par l’oppression, les Noirs avanceront vers l’unité politique et nationale et revendiqueront l’« autonomie ».

Compte tenu de la prolétarisation, de la re-territorialisation massive des Afro-Américains et de la ségrégation territoriale qui a résulté de cet exode intérieur vers les villes du Nord-Est et de l’Ouest, certains courants du Black Power des années 60 l’entendait – au-delà des mots – comme une autonomie interne – proche de celle du Bund –, l’autodétermination interne, l’autogouvernement. CLR James souligne que plus les Noirs des États-Unis se prolétarisaient et plus ils acquéraient des savoirs, plus ils étaient à la fois Noirs et Américains.

Ce qui devrait nous amener, nous, à réfléchir à ce que nous entendons par « autonomie » à la fois pour des territoires délimités et pour des groupes constitués dans un projet de 6e République autogérée et à formuler des propositions.

(11)

À propos de la question irlandaise, Marx établit un élément fondamental sur le plan de la stratégie révolutionnaire : la distinction entre nations dominantes et nations dominées.

Ce que semblent oublier ceux qui renvoient dos à dos par exemple le nationalisme espagnol et le nationalisme catalan.

Mais même cette distinction est susceptible d’inversion : les russophones des Pays baltes sont passés du statut de nation dominante à l’époque de la russification stalinienne à celle de minorité plus ou moins persécutée après le recouvrement des indépendances. On peut même penser qu’il en avait été de même de la nation française pendant l’occupation allemande, bien que ce fut un phénomène de courte durée.

Marx pense ainsi que l’oppression de l’Irlande empêche le prolétariat anglais de se libérer de l’emprise du capital. Son point de vue a par ailleurs évolué au cours du temps, puisqu’il passe de l’idée que c’est la classe ouvrière anglaise qui libérera l’Irlande en l’intégrant dans une Union anglaise pour aboutir plus tard à l’idée que c’est la libération de l’Irlande qui est la condition de la libération du prolétariat anglais : « un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre »

Il note :

« Chaque centre industriel d’Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais ; l’ouvrier anglais moyen déteste l’ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie ; par rapport à l’ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les capitalistes de son pays utilisent contre l’Irlande ; ce faisant, il renforce donc leur domination sur lui-même ; il a des préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les Irlandais ; l’Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce et voit dans l’ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument de la domination anglaise en Irlande. »

Il ajoute :

« [L’Internationale] doit s’attacher […] à éveiller dans la classe ouvrière anglaise la conscience que l’émancipation nationale de l’Irlande n’est pas pour elle une question abstraite de justice ou de sentiments humanitaires, mais la condition première de leur propre émancipation sociale. Lorsque les membres de l’Internationale appartenant à une nation conquérante demandent à ceux appartenant à une nation opprimée […] d’oublier leur situation et leur nationalité spécifiques, d’“effacer toutes les oppositions nationales”, etc., ils ne font pas preuve d’internationalisme. Ils défendent tout simplement l’assujettissement des opprimés en tentant de justifier et de perpétuer la domination du conquérant sous le voile de l’internationalisme. »

Comparaison n’est pas raison, évidemment, mais cette situation est assez évocatrice de ce que fut la situation de l’Ukraine au moment de la dislocation de l’URSS et, plus proche de nous, de ce à quoi nous assistont en Espagne et en Catalogne.

Une remarque d’ordre politique et stratégique : si nous reprenons la théorie du « maillon faible », il n’est pas inintéressant de noter avec Michael Löwy que « l’émancipation du peuple opprimé affaiblit les bases économiques, politiques, militaires et idéologiques des classes dominantes de la nation hégémonique et contribue ainsi à la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière de cette nation ».

À nouveau, ce qui doit nous intéresser ici, c’est la méthode : 1) quand le prolétariat est divisé en deux, il faut avancer des propositions unifiantes : politiques (démocratie, égalité des droits, autodétermination…) et sociales (droits sociaux, appropriation…) ; 2) L’internationalisme ne peut être une abstraction ni réduit à des bons sentiments ou à de la solidarité.

(12)

Au contraire du Engels de la Nouvelle Gazette rhénane à l’époque de la révolution de 1848, nous devons considérer les manifestations de la question nationale, non pas comme des « vestiges » – c’est évidemment ça aussi – mais comme une partie prenante de la marche tortueuse de l’émancipation du travail et plus généralement de l’émancipation humaine.

(13)

Ce sont les conditions historiques et matérielles, aussi bien que le travail d’invention et de réinvention effectué par différentes institutions et groupes sociaux, qui créent ces sentiments d’appartenance « nationale », « ethnique », « communautaire », « identitaire »… parmi des populations soumises aux mêmes conditions d’existence : ségrégation, relégation, stigmatisation, discrimination, paupérisation, oppression et partageant des traits culturels, linguistique ou raciaux.

Les conditions de vie – individuelles et collectives, matérielles et symboliques – de ces communautés sont autant de freins à leur dissolution comme « phénomènes identitaires transitoires » ou à leur maîtrise de ces mêmes phénomènes. L’assignation identitaire, le racisme, la ségrégation et le nationalisme des dominants sont en effet de puissantes barrières à la dissolution ou aux reformulations émancipatrices de ces « phénomènes identitaires transitoires ».

Ce qu’ont eu beaucoup de difficultés à percevoir nombre de marxistes éminents, y compris – et peut-être surtout – quand ils étaient eux-mêmes issus de « minorités ».

Ces communautés cristallisées ne sont évidemment pas des « états » (bien qu’ils puissent être ressentis comme tels) mais des processus. Ceux-ci sont donc plus ou moins durables, plus ou moins éphémères – encore qu’à l’échelle de nos vies, cela peut être un éphémère durablement installé – et bien que socialement enracinés, ils ne sont pas strictement réductibles aux problèmes de classe et fonctionnent en autonomie relative vis-à-vis de ceux-ci. La notion d’imbrication semble donc de ce point de vue très pertinente.

(14)

En 1943, en pleine guerre mondiale, alors que l’Europe est sous la botte nazie, Jean van Heijenoort, écrivait quelques remarques qui, au-delà du temps passé et des périodes absolument différentes, doivent nous interroger :

« La question nationale, disait-il, naît inévitablement de la phase la plus moderne du capitalisme, le capitalisme financier ». « Le développement du capitalisme à l’échelle mondiale, se demandait-il, va-t-il diluer la question nationale ou au contraire la renforcer ? »

En effet, nombre de marxistes – et non des moindres – ont longtemps pensé que le mouvement du capital allait diluer les nationalités. Pierre Vidal-Naquet parle ainsi d’un « récit assimilateur » projeté sur les ensembles multinationaux et multiculturelles par les Lumières et la Révolution française.

En 1975, dans une préface au livre du poumiste catalan Andréu Nín, Les mouvements d’émancipation nationale, Yvan Craipeau relevait déjà ce que la nouvelle mondialisation et la construction européenne capitalistes allaient révéler et accélérer, à savoir « non pas l’émergence de super-États, mais des ruptures au sein même des États avec le renforcement de pôles de développement, où le capital est le plus rentable, accentuant ainsi les distorsions régionales et la désarticulation des “nations historiques”, naguère unifiées par le capitalisme ».

Nous sommes entrés dans cette époque depuis la chute du Mur et le développement de la nouvelle mondialisation.

Alors oui, nous assistons au meilleur et au pire dans ce réveil des nations et des revendications similaires de groupes humains dans des régions du monde dont les structurations institutionnelles sont différentes du « centre ». Mais le pire ne doit pas nous conduire à nous réfugier dans les abstractions prétendument universalistes et en réalité négateurs des particularismes sociaux.

Notre politique doit tout au contraire chercher à formuler des propositions qui permettent de dépasser dialectiquement le particularisme – mais non l’individuation – dans le pluriversel, pour reprendre une formule de Balibar.

(15)

De ce point de vue, le « droit à l’autodétermination » est un formidable outil puisqu’il devrait de notre point de vue contenir plusieurs aspects articulés et planifiés (démocratiquement !) :

– le droit de séparation;

– le droit de décider de son sort, de ses propres affaires – culturelles et linguistiques notamment ;

– le droit de se fédérer en un ensemble, régional, par exemple pour constituer un ensemble économique (une fédération des Caraïbes où les îles francophones et anglophones se regrouperaient ?) ;

– l’autogouvernement, l’autogestion des groupes sociaux intéressés sur leurs affaires propres.

(16)

Daniel Bensaïd utilisait la métaphore de la mosaïque pour évoquer ce que produisait la mondialisation, les migrations et les diasporas : des enchevêtrements de communautés, des communautés nationales transnationales.

Il nous faut construire le cadre de cette mosaïque et composer le ciment qui la lie. À moins de vouloir, comme certains sont tentés de le faire, à savoir recouvrir la mosaïque d’une couche d’un ciment baptisé « universalisme » qui n’est dans ce cas que le masque du chauvinisme de la majorité. (Trotsky réclamait ainsi que les fonctionnaires soviétiques affectés en Ukraine apprennent l’ukrainien… Nous devrions proclamer haut et fort notre attachement au bilinguisme, en Corse notamment.)

(17)

Pour conclure, il faut bien évidemment rappeler qu’une telle politique est sous-entendue par le principe d’égalité et d’universalisme, mais une égalité qui se construise par des mesures politiques, sociales, économiques et culturelles qui s’attaquent aux racines des discriminations, des oppressions et de l’exploitation, un universalisme concret et non pas le pseudo-universalisme des dominants.

Pour « traiter » de ces situations complexes à la fois anciennes et renouvelées, ce n’est pas à la tradition républicaine qu’il faut faire appel, mais aux diverses traditions marxistes, qui ne soient ni polluées par le stalinisme ni par le républicanisme à la française hérité de la 3e République bourgeoise, coloniale et oppressive.

Le débat reste évidemment très ouvert sur toutes ces questions – en tout cas il faut l’ouvrir – mais une chose est certaine, une formation révolutionnaire comme la nôtre devrait pouvoir agir concrètement et programmatiquement dans le sens général de l’autodétermination en s’inspirant de quelques-unes de ces politiques rapidement évoquées ici.

Nous sommes ici à l’extrême opposé du conservatisme national, des mythes de la nation éternelle et du racisme dont les dominants et la gauche bourgeoise veulent affubler les mouvements d’autodétermination qui se déploient sous nos yeux.

Une 6e république autogérée devrait sans aucun doute intégrer dans son édifice institutionnel les différentes chambres d’intérêts particuliers de manière notamment à ce que les « minorités » ne soient pas confinées en toute chose à rester démocratiquement minoritaires.

« Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’“universel”. Ma conception de l’universel est celle d’un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers », écrivait Aimé Césaire.

(Enfin, question non posée, l’éclairage de ces questions au prisme du genre en modifierait probablement les configurations).

« Mettre les contradictions au service des besoins pratiques », disait Otto Bauer.

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

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ANNEXES

1- 14 janvier 1790, l’Assemblée constituante se prononce pour une politique de traductions et décide de faire traduire ses délibérations dans les différents idiomes des provinces, ce qui se fera dans le cas du breton au moins jusqu’en l’an IV.

1794, après Thermidor, Barrère déclare : devant la Convention : « Nous avons révolutionné le gouvernement […], révolutionnons aussi la langue : le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton, l’émigration et la haine de la République parlent allemand, la contre-révolution parle l’italien et le fanatisme parle le basque. » Le GFEN (voir biblio) écrit : « C’est le début de la répression linguistique ».

En 1902, pour lutter contre le catholicisme, le gouvernement de la République française interdit l’«abus de l’usage du Breton »…

2- « Prenons le cas d’un pays composé de plusieurs nationalités, par exemple : Polonais, Lituaniens et Juifs. Chacune de ces nationalités devrait créer un mouvement séparé. Tous les citoyens appartenant à une nationalité donnée devraient rejoindre une organisation spéciale qui organiserait des assemblées culturelles dans chaque région et une assemblée culturelle générale pour l’ensemble du pays. Les assemblées spéciales devraient être dotées de pouvoirs financiers particuliers, chaque nationalité ayant le droit de lever des taxes sur ses membres ou bien l’État distribuerait, de son fonds général, une part proportionnelle de son budget à chacune de ses nationalités. Chaque citoyen du pays appartiendrait à l’un de ces groupes nationaux, mais la question de savoir à quel mouvement national il serait affilié dépendrait de son choix personnel, et nul ne pourrait avoir quelque contrôle que ce soit sur sa décision. Ces mouvements autonomes évolueraient dans le cadre des lois générales établies par le Parlement du pays ; mais, dans leurs propres sphères, ils seraient autonomes, et aucun d’eux n’aurait le droit de se mêler des affaires des autres » (Vladimir Medem).

3- En 1945 la Yougoslavie crée des républiques constituées chacune d’un seul peuple, à l’exception de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie. En Croatie, les Serbes sont considérés à l’égal des Croates comme peuples constitutifs. En Bosnie-Herzégovine les peuples constitutifs sont les Serbes, les Croates et à partir de 1971, les Musulmans (avec un M majuscule/et sans connotation religieuse particulière) qui sont désormais considérés comme un peuple yougoslave. On voit en examinant les textes que les conceptions et les institutions évoluent entre 1948 jusqu’à l’éclatement. En Yougoslavie on pouvait aussi être Yougoslave sans autres appartenances.

4- Crimée

1922 : République socialiste autonome

1942-1944 : extermination des Juifs (+/- 100 000) par les nazis)

1944-1945 : Déportation des Tatars de Crimée (200 000) par Staline ; rattachement à la RSS de Russie

1954 : Un décret rattache la Crimée à la RS d’Ukraine

1991 : république autonome au sein de l’Ukraine indépendante avec son propre Parlement

Recensement (+/- 2 millions d’habitant(e)s) :


198920012014
Russes67,0 %60,4 %65,3 %
Ukrainiens25,8 %24,0 %15,1 %
Tatars2,0 %10,8 %12,1 %

5- L’article 27 du pacte international relatif aux droits civiques stipule 7 que « dans les États où il existe des minorités ethniques ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir en commun avec les autres membres de leur groupe leur propre vie culturelle et d’employer leur propre langue ». En 1980, le gouvernement français émet une réserve considérant que cet article est contradictoire avec l’article 2 de la Constitution qui stipule que celle-ci « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion »…