Garder le cap

Editorial de Soutien à l’Ukraine résistante. (Brochure téléchargeable sur le site).

Le 7 octobre,  après une pluie de missiles, des membres du Hamas et du Jihad islamique sortent du territoire clos de Gaza et attaquent des bases militaires israéliennes, se livrent à des massacres innommables dans les kibboutz voisins et assassinent le plus possible de jeunes juifs et juives réuni·es pour une rave party. Des centaines d’enlèvements à l’aveugle de civil·es permettent aux assaillants de se replier avec plus de deux cents otages.

Le gouvernement israélien plonge Gaza sous un déluge de bombes pendant de nombreux jours et de nombreuses nuits noires avant d’entreprendre une opération militaire combinée d’entrée dans Gaza,  opération toujours en cours à ce jour. Des milliers de civil·es meurent sous les frappes systématiques de l’artillerie de l’armée israélienne (dénommé Tsahal, comme s’il s’agissait d’une personne avec une volonté propre). D’autres victimes indirectes des combats tomberont.

Ce sont des faits, rien que des faits. 

Réduits à l’essentiel objectivable.

Chacun·e a sa propre analyse de ce tournant  majeur de la situation mondiale. Mais cet enchainement d’événements agit directement sur le déroulement de la guerre que mène la Russie en Ukraine.

Cependant, si les membres de notre Réseau de Solidarité à la Résistance Ukrainienne (RESU) se sont donnés pour tâche d’analyser les modifications politiques et stratégiques concernant la guerre en Ukraine, il n’est pas dans leur champ d’activité de s’inscrire dans des positionnements ou des actions concernant des luttes, certes souvent légitimes, non directement liés à notre plate-forme d’orientation. Et cela d’autant plus que nous venons de nous constituer officiellement en association RESU France avec un objectif clair et précis.

Il est vrai que, dans un contexte néolibéral mondial, la tentation du « tout est dans tout » est compréhensible. Mais seule une approche précise peut faire comprendre la légitimité et la nécessité de notre lutte en soutien au peuple ukrainien victime de l’impérialisme russe. Le caractère colonial de la guerre menée par le Kremlin est indéniable. D’autres politiques sont aussi les résultantes d’un colonialisme assumé mais la pensée, l’analyse, ne peuvent progresser par syllogismes.

Laurent Vogel, au nom du RESU Belgique, a tenu à clarifier son positionnement :

« Nous sommes une organisation unitaire créée sur la base d’une plate-forme précise. Tout écart par rapport à cette plate-forme doit être évité. La solidarité avec Gaza doit passer par d’autres canaux que la RESU. Nous ne sommes pas une “mini-internationale”. Si l’on dessine une carte des positions sur l’Ukraine et des positions sur Gaza, il est clair que les deux cartes ne se superposent pas… »

Et de conclure :  

« Sur le plan pratique, nous constatons que la lutte en Ukraine a perdu énormément de visibilité. Ceci est compréhensible étant donné la gravité de ce qui se passe à Gaza. Le RESU doit concentrer tous ses efforts pour que la lutte en Ukraine reste présente dans les débats politiques et les initiatives concrètes de solidarité. »

Nous ne pouvons que comprendre et partager la conclusion de Laurent Vogel.

La guerre en Ukraine a quitté les manchettes des journaux. Des émissions de télévision qui traitaient tous les soirs depuis février 2022 de la situation en Ukraine ont clairement changer de sujet à partir du 7 octobre. Il ne s’agit ni de le regretter ni de le critiquer ; la presse joue son rôle quand elle éclaire l’actualité. 

Mais cela nous oblige à redoubler d’efforts pour aider la lutte du peuple ukrainien et à prendre le maximum d’initiatives pour que cette lutte reste présente à la conscience du plus grand nombre.

Après le 7 octobre, le président Zelenski a immédiatement apporté son soutien au gouvernement d’Israël lui reconnaissant « le droit indiscutable à se défendre ». Il voulait se rendre à Jérusalem mais Netanyahou l’en a dissuadé. 

L’ alignement immédiat du président ukrainien sur la politique américaine de soutien à Israël se comprend tout d’abord par l’orientation politique néolibérale toujours renouvelée de son gouvernement et par sa volonté de rejoindre l’Europe. Mais aussi, tout autant, par la nécessité de continuer à recevoir l’aide militaire des pays occidentaux et de l’Otan. Il est évident que cette position n’est pas partagée par l’ensemble du peuple résistant d’Ukraine. D’ailleurs, plusieurs voix liées à la gauche ukrainienne ne se sont pas gênées pour la critiquer et pour apporter leur soutien à la population de Gaza [voir par exemple : Lettre ukrainienne de solidarité avec le peuple palestinien, https://commons.com.ua/en/ukrayinskij-list-solidarnosti-z-palestinskim-narodom/ . Mais il ne faut pas attendre des forces politiques, syndicales, féministes, LGBT ukrainiennes engagées à la fois dans une guerre intense et dans une lutte de tous les instants contre la politique opportuniste d’un gouvernement qui revient sur le droit du travail, le droit aux études etc. qu’elles donnent le la d’une position internationale et globale.

Le risque redouté par les Ukrainien·nes d’une diminution de l’aide américaine à l’Ukraine est bien réel. Déjà, un navire chargé de munitions initialement prévues pour l’Ukraine a été détourné vers Israël. 

Le gouvernement américain, en proie à des résistances internes et à des manœuvres pré-électorales, considère qu’il doit intervenir maintenant sur un deuxième front avec des moyens considérables mobilisant plusieurs flottes en Méditerranée et en Mer Rouge alors même que la politique américaine depuis de longues années était davantage tournée vers la mer de Chine et Taïwan que vers l’Europe ou la Méditerranée. Pour les États-Unis et une fraction importante de l’Europe, aider l’Ukraine était un signe politique fort en direction de la Russie mais aussi envers les nations, souvent réunies dans les BRICS, qui pouvaient développer une politique autocratique et concurrentielle à l’instar de la Chine. 

Aujourd’hui, la guerre en Ukraine a évidemment reculé dans la liste des priorités des principaux soutiens occidentaux au gouvernement Zelenski.

Il est donc de notre responsabilité de réclamer la livraison de tous les équipements militaires nécessaires pour repousser l’assaillant russe et de le faire savoir fortement à notre propre gouvernement.

La pression internationale a permis la livraison d’artillerie moderne, de chars adaptés au terrain et peut-être bientôt de F16. Mais c’est un combat constant d’autant que nous avons pu constater que la lenteur des livraisons n’était pas seulement due à la gestion et à la production du stock.

Dans cette situation internationale très instable [nous ne pouvons négliger les effets de la crise climatique], les prises de positions des États, le revirement de certains, font craindre pour l’Ukraine et pour d’autres parties du monde une situation éminemment dangereuse.

La Russie a immédiatement soutenu le Hamas et un des acteurs  majeurs de la région, l’Iran, alors que Poutine entretenait des liens personnels et politiques avec Netanyahou. 

L’Iran qui fournissait déjà du matériel (drones, composants électroniques…) à la Russie est maintenant de fait inscrit dans la guerre menée par Poutine. Les liens se renforcent et se diversifient.

La Turquie, membre de l’Otan, a renoué avec la politique ottomane de soutien aux communautés de croyant·es. Plus prosaïquement, le revirement politique d’Erdogan, sans doute lié aussi à des problèmes intérieurs, le prive de la position qu’il se donnait de possible intermédiaire dans d’hypothétiques négociations. Mais surtout, l’acheminement des exportations de céréales à travers la Mer Noire n’est plus garanti et le spectre d’une famine en Afrique réapparait.

La guerre navale en Mer Noire va forcément encore monter d’un cran.

Évidemment, cette crise mondiale ouverte est en pleine évolution et le moindre élément nouveau peut chambouler l’équilibre précaire qui circonscrit les guerres dans  certains territoires. Les populations civiles souffrent et continent de souffrir, de mourir en masse.

La guerre en Ukraine se poursuit, s’intensifie dans ce contexte délétère.

Chaque jour les bilans s’alourdissent. Et avant que la boue d’automne et le gel de l’hiver ne viennent changer la donne, les affrontements sur le front continuent à forte intensité.

Dans une interview donnée dans The Economist,le général Zaluzhny, commandant en chef des armées ukrainiennes, a fait un constat pessimiste de la situation. Pour lui, la guerre entre dans une impasse. La contre-offensive ukrainienne n’a pas eu les résultats escomptés, elle n’a permis que de récupérer l’équivalent de 17 km de profondeur le long de la ligne de front. Le dispositif de défense mis en place par la Russie  a été sous-évalué par ses services et par les conseillers occidentaux. A l’amorce de l’hiver, le conflit s’oriente vers une guerre de position sur un front de plus de mille kilomètres. Cette situation est clairement à l’avantage de la Russie qui a pour elle le temps, un réservoir humain important et ,dans le cadre d’une économie de guerre, une production d’armements en constante augmentation. Pour lui, si un changement radical dans l’importance et la qualité des livraisons occidentales n’intervient pas rapidement, la guerre sera perdue.

Ce sont des paroles fortes et claires. Pour que l’Ukraine puisse faire face à l’armée russe il faut qu’elle dispose impérativement d’un avantage technologique. Cela dépend donc encore davantage de la nature et de la quantité des armes livrées à l’Ukraine. Du rythme des livraisons aussi. Les soutiens à la résistance ukrainiennes doivent donc amplifier la pression exercée sur les gouvernements pour qu’ils livrent dans l’urgence les armes adaptées à la nouvelle situation.

Le président Zelensky, responsable de la cohésion nationale au moment où la question des élections se trouve posée et des relations internationales avec les discussions sur l’entrée dans l’Europe, a du pour le moins tempérer les déclarations de son chef des armées.

Mais la réalité du terrain est difficilement discutable.

 A l’instant présent, l’armée russe est à l’offensive en Ukraine mais sans gain territorial notable. L’armée ukrainienne est repassée à la défensive et contient pour l’instant les forces russes. Des batailles acharnées se poursuivent dans la région de Koupiansk. Dans les territoires  aux alentours de Adviivka, les combats deviennent plus intenses. Alors que l’armée russe poursuit ses frappes dans la profondeur du territoire ukrainien, les forces ukrainiennes ciblent de nombreuses installations militaires principalement en Crimée. Les lignes sont, comme le souligne le général Zaluzhny , en voie de stabilisation.

Néanmoins, les pertes de l’armée russe sont vertigineuses, principalement du fait de la stratégie traditionnelle russe qui ne fait que peu de cas de la vie humaine. La question du renouvellement des troupes est un problème récurrent. Après la mobilisation en masse des jeunes des républiques périphériques, du nord Caucase, l’enrôlement de criminels dans des milices, le problème n’est pas résolu. Dans certaines républiques, la révolte des mères, des familles s’est faite entendre.  C’est un danger politique pour Poutine.

C’est dans cette situation inextricable que resurgit la menace des pogroms, le retour de l’antisémitisme, en partie dû, sans doute, aux agissements des héritiers de l’Okrana. Si, au Daguestan, plusieurs pogroms ont été évités de justesse malgré la relative passivité de la police, l’antisémitisme reprend de l’ampleur et sera, comme toujours, manipulé par les politiques sans scrupules. Déjà, Zelenski et son entourage ont été pris maintes fois à partie par Poutine en raison de leurs origines. On peut craindre qu’il ne revienne en force en Russie et en Ukraine pour obscurcir encore davantage la situation. 

C’est dans cette situation complexe que l’on doit intervenir en apportant clarté et fermeté. Notre aide matérielle se poursuivra et augmentera. Nos interventions d’informations, de clarifications continueront. Il s’agira pour nous de faire toujours plus connaître le combat du peuple ukrainien qui s’organisek pour chasser l’envahisseur russe.

Nous devons plus que jamais lutter contre les tentatives de notre gouvernement mais aussi des « pacifistes » de droite comme de gauche qui présentent, comme un pas vers la paix, un cessez-le-feu en Ukraine gelant les conquêtes russes. Comme les ukrainien·nes nous redisons que seul le retrait de l’armée russe de tout le territoire ukrainien est la condition d’une paix juste et durable.

Sur ce point, la situation politique n’a pas changé. 

Michel LANSON membre du Réseau Bastille et du RESU.

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