Plus de 2200 chercheurs ont signé une pétition pour réclamer la démission du ministre de l’enseignement supérieur Philippe Baptiste. Ce dernier avait approuvé dimanche l’annulation d’un colloque consacré à la Palestine au Collège de France. La diffusion en direct du colloque, délocalisé au sein du Centre arabe de recherches et d’études politiques, a commencé ce matin.
Par l’Agence Média Palestine, le 13 novembre 2025.

La polémique a commencé le weekend dernier. Prévu jeudi 13 et vendredi 14 novembre, un colloque intitulé “La Palestine et l’Europe” qui devait se dérouler au Collège de France est d’abord annulé pour “la sérénité des débats” et le “respect de l’intégrité scientifique”. L’annonce est faite par le professeur Thomas Römer, administrateur de cette prestigieuse institution de recherche, en plein week-end prolongé.
Les premiers remous sont apparus le vendredi 7 novembre avec la publication d’un article du journal conservateur Le Point, largement relayé dans les milieux sionistes et d’extrême-droite. Dimanche 9 novembre, Philippe Baptiste, ministre de l’Enseignement supérieur, avait salué une décision “responsable”. Une déclaration qui lui a valu les foudres de nombreux chercheurs qui réclament désormais sa démission.
“Censure et mise au silence”
Le Tribunal Administratif de Paris a validé cette annulation mercredi 12 novembre. Les avocats Raphaël Kempf et Romain Ruiz, en charge du dossier, ont dénoncé cette décision du Tribunal Administratif de Paris et comptent saisir le Conseil d’Etat, qualifiant la situation dans un communiqué “d’un basculement auquel nous assistons : des tags anonymes, suivis d’une campagne de presse diffamatoire menée par des ennemis de la liberté d’expression, relayée par un ministre en quête de reconnaissance, permettent de justifier, aux yeux d’un juge, la censure et donc la mise au silence d’universitaires spécialistes de la Palestine, de l’Europe et de l’histoire de leurs relations.”
D’après le média Blast, l’annulation du colloque serait notamment dûe à la pression de l’avocate Déborah Journo. Un mail envoyé par cette dernière à un collectif de chercheurs réunis sous le sigle RRA, pour Réseau de recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme semble corroborer cette thèse : “Nous avons adressé un courrier à l’administrateur du Collège de France, plus copie au ministre de l’Enseignement, hier par e-mail. J’imagine que notre courrier et toutes les autres initiatives ont permis cette annulation. Bravo à tous. Déborah Journo”.
Une des membres du RRA, dans un écrit cité par Blast en date du 9 novembre, confirme une tentative directe d’implication de hauts responsables politiques : “Les ministres Aurore Bergé et Philippe Baptiste, prévenus depuis jeudi dernier (les alertes que vous faites remonter ici sont donc précieuses), ont demandé à l’administrateur du Collège de France d’annuler ce colloque, eu égard au risque élevé de trouble à l’ordre public et afin de garantir la sécurité des personnes.”
Le colloque a finalement été maintenu, délocalisé dans les murs du Centre arabe de recherches et d’études politiques (CAREP), co-organisateur de l’événement avec Henry Laurens, titulaire de la Chaire d’Histoire contemporaine de du monde arabe au Collège de France. Il est retransmis en direct sur la chaîne youtube du CAREP ainsi que sur les médias Blast et Paroles d’Honneur.
Un soutien universitaire massif
La décision en a scandalisé plus d’un. En leur nom propre ou par le biais de diverses associations, beaucoup de personnalités ont dénoncé une atteinte d’ampleur aux libertés académiques.
Une tribune est parue dans Le Monde mardi 11 novembre, signée par plus de 300 universitaires dont Judith Butler ou encore Bertrand Badie. Ces derniers y ont affirmé que “la recherche n’a pas vocation à plaire ni à se conformer à un équilibre politique dicté par le pouvoir”, alertant sur “une atteinte sans précédent à la liberté académique en France”.
Le même jour, un autre texte publié sur le site du Nouvel Obs, à l’initiative d’Eric Fassin et Caroline Ibos, dénonçait la décision de Philippe Baptiste et la confusion volontairement entretenue entre liberté académique et liberté d’expression : “Un colloque scientifique, ce n’est pas un débat médiatique. Il n’a pas pour vocation de refléter la diversité des opinions, mais d’établir rigoureusement des faits empiriques et de confronter des élaborations théoriques. Imposer un « pluralisme idéologique » à la recherche reviendrait à confondre un laboratoire avec un plateau télé.”
La contestation face à cette décision d’annulation du colloque a fait son chemin jusque dans les rangs mêmes du Collège de France, avec la publication d’une tribune dans Le Monde par un collectif de chercheurs membres de l’institution : “En un temps où la libre recherche et l’enseignement qui en découle font l’objet d’attaques dans de nombreux pays, le message envoyé par les derniers événements est assurément inquiétant. Nous ne cesserons de combattre toute entrave injustifiée à la discussion rigoureusement informée et librement exposée, et au désaccord, qui sont les conditions de tout débat scientifique.”
Une décision internationalement contestée
Le colloque qui se déroule actuellement au CAREP est un colloque international. Et le soutien à son déroulement l’est tout autant, à l’image de cette lettre commune adressée à Emmanuel Macron, Philippe Baptiste et Thomas Römer, rédigée conjointement par les représentants des associations d’études sur le Moyen-Orient les plus prestigieuses à travers le monde. On compte parmi les signataires du documents des représentants universitaires du Royaume-Uni, d’Italie, d’Allemagne ou encore d’Amérique du Nord.
En plus de dénoncer les raisons qui ont poussé l’administration à valider l’annulation de ce colloque tout comme les autres soutiens ont pu le faire dans différentes tribunes, les signataires de cette lettre en appellent directement au respect par la France de ses obligations légales en terme de liberté académique, au niveau européen et national : “Au niveau de l’Union européenne, l’article 13 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE reconnaît explicitement la liberté des arts et des sciences, y compris l’enseignement, la recherche et la diffusion, imposant aux États membres de l’UE l’obligation de sauvegarder les libertés académiques […] L’article L952-2 du Code de l’éducation français garantit l’indépendance et la liberté d’expression du personnel enseignant et chercheur, un droit renforcé par le Conseil d’État dans sa décision n° 329056 du 9 juin 2010, qui a reconnu le principe d’indépendance des enseignants de l’enseignement supérieur comme un principe fondamental du droit français.”
L’association américaine Jewish Voice For Peace s’est elle aussi fendue d’un communiqué à l’attention de l’administrateur du Collège de France, par la voix de 120 universitaires représentant le conseil académique de l’organisation : “Lorsqu’une institution aussi prestigieuse se laisse contraindre à censurer des activités universitaires, elle risque de perdre son indépendance et son intégrité académiques, mais elle crée également un précédent inquiétant.”
Notons enfin la réaction de Salam Kawakibi, président du CAREP co-organisateur de l’événement, qui a déploré à l’AFP l’annulation “d’une conférence scientifique de haut niveau, avec des spécialistes des quatre coins du monde”. Il conclut : “Je n’aurais jamais cru arriver à un jour pareil […] Nous somme dans une ère de maccarthysme à la française”.
Annulation d’un colloque sur la Palestine à Paris : lettre du conseil académique de « Jewish Voice for Peace »
lundi 10 novembre 2025, par Jewish Voice for Peace – Conseil académique
Plus de 120 universitaires représentant le Conseil académique de l’organisation américaine Jewish Voice for Peace expriment leur inquiétude et leur indignation face à l’annulation par le Collège de France du colloque « Palestine et Europe ». « Lorsqu’une institution aussi prestigieuse se laisse contraindre à censurer des activités universitaires, elle risque de perdre son indépendance et son intégrité académiques, mais elle crée également un précédent inquiétant. »
À Thomas Römer, administrateur du Collège de France
et Philippe Baptiste, Ministre de l’Enseignement supérieur
Le 10 novembre 2025
Le Conseil académique de Jewish Voice for Peace* écrit pour exprimer son inquiétude et son indignation face à l’annulation par le Collège de France du colloque « Palestine et Europe », sur la base d’attaques médiatiques infondées et de pressions exercées par le ministère français de l’Éducation.
Nous comprenons que l’annulation du symposium, prévu depuis plusieurs mois, n’est intervenue qu’après la publication d’un article dans l’hebdomadaire conservateur français Le Point, le 7 novembre, qualifiant à tort le symposium de promoteur de l’antisémitisme, ce qui a incité le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, à l’annuler, ce qu’il a fait. De plus, la justification fournie pour cette décision recherchait le recours à l’excuse fallacieuse de « garantir la rigueur scientifique », bien qu’aucune preuve n’ait été fournie à l’appui de cette affirmation. En effet, comme cela s’est déjà produit auparavant, cette justification s’avère être un bouclier pour commettre une injustice, en censurant de manière injuste la recherche scientifique légitime et les conférences consacrées à sa diffusion.
En tant que plus de 120 universitaires issus de diverses disciplines représentant le Conseil académique de Jewish Voice for Peace*, nous représentons un large éventail de domaines académiques liés aux études juives et l’histoire de l’antisémitisme, y compris les études sur le génocide. Nous nous opposons à toute forme d’antisémitisme, comme nous nous opposons à toutes les formes de racisme. Nous rejetons également tous les efforts visant à utiliser l’ accusation d’antisémitisme à des fins de censure ou pour supprimer des points de vue sur Israël et la Palestine qui devraient être entendus et discutés. L’accusation d’antisémitisme doit être réservée à toutes les occasions où elle est véritablement méritée. Mais l’utilisation fallacieuse et spécieuse de cette accusation pour mettre fin à des travaux universitaires légitimes et à un débat ouvert non seulement sape sa force morale, mais sert les objectifs de la censure. Au contraire, nous vous exhortons à défendre les principes largement partagés de la liberté universitaire : la publication et la diffusion des travaux universitaires, la libre recherche dans les universités et le débat public dans les sociétés démocratiques.
Nous connaissons bien les travaux universitaires des participants cités dans le projet de symposium et attestons de la grande qualité de leurs recherches universitaires et de leurs présentations publiques : leurs publications répondent aux normes les plus élevées en matière de rigueur académique, d’ impartialité et d’érudition. Il n’y a aucune preuve d’antisémitisme dans le programme qui a été publié, et toute allégation contraire repose sur une fausse représentation de ces universitaires et de leurs travaux. Les participants sont issus de certaines des plus prestigieuses universités d’Europe, où leurs travaux universitaires ont été entièrement examinés et approuvés. Le programme du symposium reflète à juste titre l’état actuel des discussions universitaires et des débats publics sur Gaza et Israël/Palestine de manière plus générale. Nous vous exhortons à ne pas supprimer les discussions universitaires sur des questions d’intérêt public, même lorsque les passions s’exacerbent. Seul un engagement en faveur d’une vie intellectuelle ouverte et fondée sur des preuves peut permettre de replacer ces questions dans leur juste perspective et servir à la fois les objectifs universitaires et un débat public éclairé.
Nous attirons votre attention sur les calomnies proférées par la LICRA, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. Non seulement cette organisation mène une campagne diffamatoire contre le symposium , mais elle est depuis longtemps considérée comme un groupe dont la crédibilité scientifique est très limitée, concentrant ses efforts sur des campagnes visant à attiser les peurs et à enflammer la haine anti-arabe/musulmane/palestinienne. Le ministère de l’Enseignement supérieur et le Collège de France ne devraient pas se laisser influencer par un groupe dont les références scientifiques sont manifestement faibles et dont les objectifs sont polémiques, diffamatoires et incendiaires, sapant ainsi les critères mêmes des normes intellectuelles appliquées dans les universités françaises les plus prestigieuses. De plus, les établissements d’enseignement ont l’obligation, en période de tensions politiques exacerbées, d’acquérir et de diffuser des connaissances, de prendre en considération un large éventail de points de vue et de créer les conditions propices à un débat et à un jugement publics éclairés. Le colloque que vous avez annulé proposait précisément cela.
Lorsqu’une institution aussi prestigieuse que le Collège de France se laisse contraindre à censurer des activités universitaires, elle risque non seulement de perdre son indépendance et son intégrité académiques, mais elle crée également un précédent inquiétant pour les universités qui luttent pour maintenir leurs normes internes et leurs procédures d’autogestion en ces temps de plus en plus autoritaires.
Soyons clairs : la décision d’annuler cet événement important est un acte de censure, qui permet aux propos arbitraires et incendiaires circulant dans les médias de servir de base à une décision qui aurait dû être, et qui devrait être aujourd’hui, selon toute norme raisonnable, de soutenir le symposium et ses objectifs. Lorsque des sujets « sensibles » sont ouvertement abordés et débattus par le public, les points de vue scientifiques peuvent être affinés et diverses perspectives peuvent être ouvertement discutées et débattues. La communauté universitaire internationale s’est traditionnellement appuyée sur le Collège de France pour maintenir ces normes, malgré les demandes croissantes des groupes politiques et des responsables gouvernementaux. C’est ni plus ni moins que son autonomie très admirée qui est en jeu, une autonomie qui a inspiré les collèges et les universités du monde entier. Nous appelons donc le Collège de France à maintenir ses principes les plus élevés et à revenir sur sa décision, afin de permettre au symposium de se dérouler avec son programme publié et important.
Nous demandons également au ministère français de l’Enseignement supérieur de revoir le processus qui a conduit à une décision aussi malavisée, privilégiant une opinion publique incendiaire et mensongère au détriment de critères scientifiques. Cette décision aurait dû refléter l’autonomie de l’université. Le refus de modifier le jugement scientifique ou professionnel en réponse à une intervention extérieure aurait défendu cette autonomie et reflété à la fois les normes scientifiques du Collège et son attachement à la liberté académique et à la liberté de recherche.
Jewish Voice for Peace – Conseil académique
Conseil académique de Jewish Voice for Peace, organisation juive américaine de défense des droits humains et en soutien à la Palestine
*Le Conseil académique de Jewish Voice for Peace est un réseau de chercheurs qui se consacrent à la promotion de la vision et des valeurs de JVP https://www.jewishvoiceforpeace.org. Forts de notre engagement commun en faveur des valeurs juives progressistes et de la libération de la Palestine, nous organisons des actions de solidarité avec la lutte pour la liberté du peuple palestinien dans les milieux éducatifs et universitaires. Nous mettons à profit nos compétences en tant que chercheurs, éducateurs et écrivains pour développer une analyse critique de la censure contemporaine sur la Palestine. Nous nous opposons à l’utilisation de l’accusation d’antisémitisme pour censurer ou criminaliser les discours critiques à l’égard du traitement réservé aux Palestiniens par l’État d’Israël. Nous défendons les droits du travail, la liberté académique et les droits d’association dans l’enseignement supérieur et confirmons les valeurs fondamentales de Jewish Voice for Peace.
• Blog de JVP (Mediapart). 11 novembre 2025 :
https://blogs.mediapart.fr/jewish-voice-peace-conseil-academique/blog/111125/annulation-dun-colloque-sur-la-palestine-lettre-du-conseil-academique-de
