jeudi 14 août 2025, par LE BLANC Paul
Cet article n’est pas un compte-rendu exhaustif de la convention annuelle des Socialistes démocratiques d’Amérique mais une réflexion avec la subjectivité d’un militant qui observe les évolutions des différents caucus à l’intérieur des DSA. Il constate la marge importante de progression possible dans la période mais aussi certaines faiblesses voire incompréhension concernant le « campisme ». Les perpectives de luttes contre le fascisme trumpien en s’appuyant sur une classe « diversifiée » et sur les syndicats sont au centre des discussions, Des perspectives qui questionnent aussi le lien avec Bernie Sanders ou AOC.
Nos lecteurs attentifs ont constaté que Tanya VYTHOVKY dans son entretien très consulté publié ici il y a deux jours précisait qu’elle était membre de DSA. Ces deux documents rentrent donc en résonance en particulier sur le « campisme » et l’Ukraine. Tous ces éléments doivent nos permettre d’avancer, avec d’autres militants, sur notre propre réflexion politique. ML
Les Socialistes démocratiques d’Amérique (DSA, Democratic Socialists of America) comptent aujourd’hui plus de 80 000 membres, dont beaucoup ont adhéré après la deuxième élection de Trump et la victoire de Zohran Mamdani aux primaires du Parti démocrate pour la mairie de New York. Selon un participant-observateur (Stephan Kimmerle, délégué de Seattle), « une vague de radicalisation bouillonne actuellement partout aux États-Unis, c’est un phénomène qui reflète la montée de la résistance contre Trump, le génocide en Palestine et un nouveau cycle de campagnes électorales socialistes. La gauche de ces mouvements trouve une expression organisée au sein de la DSA. Tout indique que les DSA sont en passe de connaître un nouvel élan et de dépasser probablement les 100 000 membres dans les mois à venir. » (https://tinyurl.com/dsa-convention-2025)
Il est important de bien comprendre que 100 000 membres , c’est le nombre d’adhérent.e.s sur le papier, pas le nombre de membres actifs. Ma ville natale, Pittsburgh, illustre bien cette réalité. À Pittsburgh, le nombre de membres sur le papier a fluctué autour de 700. Parmi eux, entre 400 et 500 sont des membres « en règle » (qui ont payé leur cotisation). Parmi ceux-ci, environ 10 % peuvent être considérés comme actifs, dans le sens où ils assistent aux réunions mensuelles réservées aux membres (qui sont hybrides, en présentiel et en ligne) et/ou participent à un groupe de travail. Je me suis mis à assister aux réunions mensuelles en présentiel et j’ai généralement vu entre 50 et 80 participant.e.s à chaque réunion.
Au niveau national, cela se traduirait par un total de membres actifs des DSA compris entre 8 000 et 10 000, ce qui reste une force considérable et fait certainement des DSA le plus important groupe de gauche aux États-Unis aujourd’hui.
Une source inestimable pour ceux qui cherchent à comprendre la politique de DSA est un nouveau recueil édité par Stephan Kimmerle, Philip Locker et Brandon Madsen, A User’s Guide to DSA : 5 Debates That Define the Democratic Socialists. Dans cet ouvrage de plus de 450 pages on trouve principalement 38 articles qui présentent un grand nombre des opinions que l’on trouve au sein de DSA. Le livre est disponible en version papier au prix de 15 dollars et en version électronique au prix de 9,50 dollars.
Qui était présent à la Convention
L’organe décisionnel suprême des DSA est la Convention nationale des délégué.e.s, qui se tient tous les deux ans, après plusieurs mois de discussions écrites et orales préalables. Les conventions élisent une direction nationale, prennent des décisions sur la structuration, la politique, les campagnes, etc. Elles sont très réglementées, lourdes (certain.e.s diront trop lourdes) en termes de procédure, mais relativement démocratiques.
Lors de la Convention nationale de 2025 à Chicago (du 8 au 10 août), environ 1 500 personnes étaient présentes, presque toutes membres des DSA et en grande majorité des délégué.e.s élus. Si l’on examine le nombre de personnes qui ont voté sur les différentes résolutions et motions présentées à l’assemblée, ce chiffre a généralement fluctué entre 1 100 et 1 200, le maximum que j’ai relevé étant de 1 229, ce qui porterait le nombre d’observateurs officiels (comme moi) et d’invités à environ 271.
La répartition par âge était très majoritairement favorable aux jeunes : quelques adolescent.e.s, mais surtout des personnes dans la vingtaine, la trentaine et la quarantaine. Les personnes dans la cinquantaine et la soixantaine étaient relativement moins nombreuses, avec seulement quelques personnes dans la tranche d’âge 70-80 ans.
Si la majorité des présent.e.s pouvaient être identifiés comme « blancs », il y avait un nombre important de personnes d’origine hispanique, africaine, sud-asiatique, est-asiatique et moyen-orientale. L’équilibre entre les sexes m’a semblé assez équilibré, même si le pourcentage de personnes s’identifiant comme trans et « non binaires » semblait beaucoup plus élevé que d’habitude. Ce qui m’a particulièrement frappé, c’est que la grande majorité des personnes présentes semblaient se considérer comme faisant partie d’une classe ouvrière diversifiée sur le plan professionnel. Cette identification de classe semblait être au cœur des discussions lors du congrès.
Cela s’est traduit par le fait que les thèmes qui reviennent souvent dans les conférences de gauche (analyse des identités, abolitionnisme moderne, racisme et antiracisme, féminisme, droits des homosexuels, interprétation des théories, crise environnementale, etc.) n’étaient pas au centre des discussions. Certaines de ces questions étaient en fait déjà intégrées dans les perspectives des participant.e.s, mais le vocabulaire et l’orientation de leurs discussions portaient sur l’application politique concrète d’un marxisme orienté vers la classe ouvrière et visant à remplacer le capitalisme par le socialisme ou le communisme.
Orientations politiques au congrès et au sein des DSA
Apparemment, la plupart des participant.e.s étaient des militant.e.s sérieux, la grande majorité est restée présente pendant les sessions au cours desquelles les différentes résolutions ont été présentées, discutées, débattues et votées. Il y a eu une quantité accablante d’amendements proposés (certains adoptés, d’autres non), de motions de procédure, de rappels au règlement, de contestations des décisions du président, etc., etc., ce qui a transformé une grande partie de la convention en une épreuve assez pénible. Mais la plupart des camarades ont semblé tenir bon et ont été en mesure de voter en connaissance de cause lorsque le moment en fut venu.
Bien que je sois enclin à me méfier des divers regroupements internes – que je percevais initialement comme essentiellement parasitaires et artificiels, sans utilité –, ma participation au congrès m’a amené à les considérer désormais comme une composante relativement naturelle de l’organisation, qui contribue à promouvoir une culture démocratique interne et est bénéfique pour son développement. Bien qu’il y ait eu au départ une tendance à regrouper les différents caucus en un bloc de gauche et un bloc de droite, la complexité de la situation réelle suggère l’existence de trois blocs, tout en reconnaissant que la situation reste évolutive et fluide, et que les complexités sur le terrain empêchent de réduire l’organisation à des schémas simplistes. Mais tout d’abord, identifions ces trois blocs. (Ce schéma à trois blocs est tiré d’un rapport de congrès rédigé par Stephan Kimmerle, qui appartient au courant minoritaire au sein de Reform and Revolution. J’ai toutefois ressenti le besoin de modifier la manière dont il caractérise les trois blocs, afin de la rapprocher davantage de ma propre perception.)
1. Une aile modérée qui met l’accent sur le travail de masse, vise à ce que les DSA trouve un écho auprès d’un public plus large de la classe ouvrière, adopte une approche opportuniste vis-à-vis des élu.e.s des DSA et s’oriente vers les « progressistes » et les libéraux parmi les politiciens du parti démocrate et les dirigeants du mouvement ouvrier. Cette aile reflète une certaine continuité avec les fondateurs de la DSA, comme feu Michael Harrington. Jusqu’à récemment, leur orientation tendait à être prédominante au sein des DSA, mais cela a changé de manière spectaculaire. Les caucus des DSA représentant cette orientation comprennent Groundwork et le Caucus de la Majorité socialiste, encore assez important. À la frange droite de cette aile se trouve North Star, assez petit mais plus explicite dans son adhésion à la tradition de Harrington.
2. Une aile d’extrême gauche qui tend à rompre définitivement avec les perspectives libérales-réformistes privilégiées par l’aile modérée. Elle est globalement représentative des sentiments des militants de gauche au sein du mouvement palestinien et comprend également des partisans d’une variante « campiste » de l’« anti-impérialisme », qui consiste essentiellement à s’aligner sur toutes les forces opposées à l’empire américain et à ne leur porter que peu de critiques. (Au sein de ce « camp » se trouvent des dictatures autoritaires, certaines se prétendant socialistes, d’autres conservatrices et ouvertement antisocialistes, voire ultra-religieuses dans certains cas.) Cette aile des DSA comprend Red Star et Springs of Revolution.
3. Un centre-gauche marxiste qui cherche à combiner une orientation vers les masses ouvrières avec une stratégie visant à construire un parti socialiste indépendant, tout en promouvant la lutte des classes et les idées socialistes au sein des mouvements sociaux et syndicaux. Cela inclut Bread and Roses (Du Pain et des Roses) , Reform and Revolution (Réforme et Révolution) et Marxist Unity Group (Groupe Unité Marxiste). Cependant, au sein de chacune de ces organisations, il existe un éventail de perspectives, avec une division explicite entre la minorité (l’ancienne direction) et la majorité au sein de Reform and Revolution. Certains éléments de Bread and Roses souhaitent éviter une rupture définitive avec l’aile modérée. Certains éléments de Reform and Revolution et du Marxist Unity Group ne veulent pas se démarquer des perspectives de l’aile extrême gauche.
Compte tenu de la complexité évoquée ci-dessus, on observe une tendance positive au sein des différents groupes à écouter et à prendre au sérieux les opinions des camarades appartenant à d’autres groupes. Il y a même des militant.e.s réfléchi.e.s qui finissent par changer de groupe s’ils sont convaincus du bien-fondé des perspectives défendues par ce dernier. Nous avons constaté que l’organisation dans son ensemble est passée d’une orientation modérée à une orientation plus à gauche. Lors du congrès de 2023, puis à nouveau en 2025, le mouvement vers la gauche s’est accentué, reflétant la radicalisation qui se poursuit au sein des DSA et dans le monde en général.
Récemment, de nouveaux groupes ont vu le jour. Le Carnation Caucus (Caucus Œillet) a présenté un programme quadriennal visant à placer l’organisation dans une orbite mêlant marxisme de centre-gauche et perspectives d’extrême gauche, insistant sur le fait que les DSA eux-mêmes devrait être considéré comme un parti politique. Un autre caucus nouvellement formé se décrit comme « Libération – Un caucus marxiste-léniniste-maoïste », et avance des positions qui n’ont pas encore de sens pour de nombreux membres des DSA.
Il existe également des caucus qui ne s’inscrivent pas directement dans l’un des trois blocs – certains tendant à chevaucher deux blocs, d’autres évoluant d’une manière qui ne leur permet pas d’être classés dans l’un ou l’autre. Dans la première catégorie, on trouve deux caucus qui sont décrits succinctement dans le Guide d’utilisation des DSA. Le Communist Caucus (avec lequel je me sens une certaine affinité) est décrit ainsi : « Un caucus communiste multi-tendances. Il se concentre principalement sur le travail de terrain et le développement de l’implantation à la base, y incluant l’organisation des locataires. » Emerge est décrit de manière similaire : « Un caucus communiste multi-tendances au sein des NYC-DSA [DSA de New York City]. Il est actif dans les domaines de l’anti-impérialisme et de l’organisation des locataires. » Il existe également le Libertarian Socialist Caucus, influencé par l’anarchisme, une formation sérieuse avec des projets populaires mais qui, comme le commentent les éditeurs du Guide de l’utilisateur du DSA, « en fait une exception à la gauche du DSA – la plupart des autres membres de la gauche organisée des DSA proviennent de caucus qui revendiquent le marxisme comme socle idéologique ».
J’ai l’impression que la plupart des membres de DSA au niveau national sont comme ceux de Pittsburgh : la plupart ne font partie d’aucun groupe. Mais ils apprécient les idées, les contributions et l’engagement des membres des différents groupes et sont tout à fait prêts à voter pour une grande partie d’entre eux pour représenter Pittsburgh à la convention nationale. Ils ne sont cependant pas alignés et ont tendance à penser par eux-mêmes, sous l’influence des grands événements et de leur propre expérience.
Débats, décisions, discussions
Les trois jours du congrès des DSA ont été trop chargés pour permettre un compte rendu détaillé, qui pourrait peut-être être présenté de manière adéquate dans un livre, mais pas dans un compte-rendu relativement bref comme celui-ci. Cela est particulièrement vrai pour les plus de treize heures de délibérations, riches en rapports, résolutions, amendements, motions de procédure, rappels au règlement, votes et autres, parmi les 1 100 à 1 200 délégué.e.s.
Ces moments d’horreur inévitables ont été répartis sur les trois jours, entre le matin et l’après-midi, entrecoupés d’un discours introductif ici, d’un ou deux blocs de discussion programmatique là, des discours d’acceptation de certains camarades élu.e.s à des postes internes des DSA, et même, à quelques moments, de très belles chansons interprétées par la chorale « Sing in Solidarity ». Il y a tout simplement trop à raconter pour ne pas se contenter de notes rapides et d’esquisses relativement impressionnistes.
Les débats lors de la convention ont été axés plus particulièrement sur plusieurs questions.
• Quelles structures et quelles orientations permettraient d’assurer une plus grande participation et un meilleur contrôle des membres au sein de la DSA, ainsi qu’une plus grande cohésion et une plus grande efficacité ?
• Comment parvenir au mieux à l’indépendance vis-à-vis de l’establishment du Parti démocrate, en portant une attention particulière aux élections présidentielles de 2028 ?
• Qu’attendre des candidat.es soutenus par les DSA ? Et aussi : en quoi consiste ce soutien ? (Des camarades qui collaborent à la campagne ? Une consultation et une collaboration continues entre les DSA et la ou le candidat ?) Qu’attendre d’un.e candidat.e soutenu.e ? Doit-ile se présenter comme un socialiste déclaré, sur un programme élaboré avec la participation des DSA ? Si le ou la candidate est élu.e, comment peut-on s’assurer qu’ile rendra des comptes ?
• Jusqu’où les DSA doivent-il se déplacer vers la gauche pour rester fidèle à leurs principes socialistes fondamentaux ?
• Comment mettre en œuvre au mieux un internationalisme authentique et pertinent (impliquant des questions telles que l’impérialisme et l’anti-impérialisme, les relations avec diverses organisations et coalitions, la solidarité avec la Palestine et les spécificités de l’antisionisme, ainsi que la question du « campisme ») ?
Le débat s’est déroulé en conjonction avec des résolutions de motivation, de soutien ou d’opposition qui devaient être votées. Un délégué expérimenté de la DSA de Pittsburgh a exprimé ainsi le sens général de la direction prise par l’organisation :
o Notre organisation a les yeux résolument tournés vers 2028 :
§ Nous allons préparer une action pour le 1er mai 2028 et avons défini une série de tâches que notre organisation doit accomplir pour être prête : R30 : Combattre dans la guerre des classes : préparer le 1er mai 2028, tel que modifié par R30-A01 : Locataires et travailleurs ensemble en 2028
§ Nous allons lancer une campagne pour une candidature présidentielle issue de la gauche syndicale en 2028, conformément à la résolution R33 : Unir les syndicats et la gauche pour présenter un candidat socialiste à la présidence et construire le parti (non amendée)
o Lutter contre le fascisme : nous nous opposerons à Trump en :
§ Luttant contre les expulsions et en faisant de l’abolition de l’ICE [1] une priorité, conformément à la résolution R26 : Lutter contre la répression fasciste de l’État et l’ICE
§ Poursuivant le travail du « Comité de réponse à l’administration Trump » (TARC) tel que décrit dans la R05 : Combattre le fascisme, construire le socialisme
o Réaffirmation de nos engagements envers la Palestine et l’internationalisme :
§ Réaffirmons notre implication dans le travail international et le travail du BDS en adoptant la R36 : Une stratégie socialiste démocratique unifiée pour la solidarité avec la Palestine
§ Adoption sans amendement de la résolution antisioniste R22 : Pour des DSA antisionistes combatifs
o Nous mettrons à jour notre programme
§ Une commission sera créée pour mettre à jour le document « Les travailleurs méritent mieux » afin de l’adapter à la situation politique actuelle, par l’adoption sans amendement de la résolution R34 : « Les travailleurs méritent mieux, pour toujours : pour un programme cohérent et permanent à la hauteur de la croissance politique des DSA.
«
o Les élections restent une priorité
§ Les élections resteront une priorité majeure pour notre organisation, la convention a décidé d’embaucher deux personnes supplémentaires pour s’occuper des élections.
§ Les soutiens au niveau fédéral de la part du National devront désormais faire l’objet d’une communication réfléchie et le Comité politique national (NCP) devra rencontrer la section locale et le candidat. (REMARQUE : les sections locales peuvent toujours choisir de ne pas demander le soutien du National, ce qui devrait être le cas de la section locale de New York par rapport à Alexandra Ocasio Cortez)
o Le mouvement syndical reste une priorité
§ Le mouvement syndical reste une priorité majeure de notre organisation. Nous avons adopté la CR10 : Résolution consensuelle de la Commission nationale syndicale des DSA : Construire un mouvement syndical dirigé par les travailleurs (telle que modifiée par les CR10-A02, CR10-A03 et CR10-A04).
o Le logement et l’organisation des locataires restent une priorité
§ Nous avons adopté la CR06 : Résolution consensuelle de la Commission pour la justice en matière de logement 2025 des DSA, qui stipule que nous lutterons pour les quatre piliers du logement social et que notre travail en matière de logement sera axé sur la création de syndicats de locataires forts et militants
Si une résolution antisioniste ferme sur la Palestine n’avait pas été adoptée lors de la convention de 2023, il est très significatif qu’une telle résolution ait remporté 56 % des voix lors de la convention de 2025, avec 44 % contre. L’un des points litigieux concernait les nouvelles normes que les candidats devraient respecter pour pouvoir bénéficier du soutien des DSA : soutien total et public au mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) et à la lutte palestinienne. Cela semblerait exclure le soutien des DSA à de nombreuses et nombreux candidat.es qu’il a soutenu.es jusqu’à présent, dont Bernie Sanders. « Cependant, note Stephan Kimmerle, il appartiendra au nouveau Comité politique national (NPC) d’interpréter cette résolution, et même les personnes qui ont présenté la résolution ont insisté sur le fait que les DSA resterait flexible dans sa mise en œuvre. »
Une des décisions que beaucoup d’entre nous regrettent concerne le sort d’un amendement à la résolution internationale qui remettait explicitement en cause les perspectives campistes, qui a été rejeté par 43 % des voix pour et 56 % contre.
Une attention particulière a été accordée à la manière dont les candidat.es soutenu.es par les DSA mèneront leur campagne et exerceront leurs fonctions une fois élu.es. La résolution consensuelle présentée par le Comité électoral national des DSA, qui a été adoptée, mettait l’accent sur la présentation de candidat.es représentant DSA et issus de ses rangs, plutôt que de simplement appuyer des « démocrates progressistes » en mal de soutien. La résolution exigeait que les candidat.e.s soutenu.e.s par les DSA « se réclament ouvertement et fièrement des DSA et du socialisme, notamment en encourageant expressément les gens à rejoindre les DSA » et en « s’identifiant publiquement comme « socialiste » ou « socialiste démocrate ». Elle exhorte les sections locales à exiger des candidat.e.s qu’iles s’engagent « à construire une liste socialiste et à faire preuve d’indépendance politique ». Il reste bien sûr à voir comment cette politique sera réellement appliquée.
De nombreuses résolutions – qui n’ont pas pu être discutées ni votées faute de temps – ont finalement été renvoyées au Comité politique national (CPN), qui assure le fonctionnement de l’organisation entre ses congrès bi-annuels.
Les élections au CPN qui ont eu lieu lors de la convention sont un autre signe du virage à gauche de l’organisation. Sur les 24 sièges du CPN, seuls 9 ont été attribués à des membres du caucus de l’aile modérée, tandis que 18 sont allés à des personnes associées à la gauche – qui se sont finalement répartis de manière égale entre 9 sièges remportés par les caucus de l’aile extrême gauche et 9 sièges remportés par les caucus du bloc marxiste de centre gauche.
Il est toutefois important de ne pas accorder à cela plus d’importance qu’il n’y en a. « Notre nouveau CPN est « plus à gauche », a commenté un délégué avisé de Pittsburgh, « mais il reste à voir ce que cela signifiera ». Cela tient au souhait de nombreuses et nombreux militant.e.s (mais pas toustes) de divers caucus d’éviter les scissions et les divisions qui pourraient affaiblir DSA. Dans le même temps, certains caucus sont extrêmement fluctuants et, en cette période d’instabilité,
Par ailleurs, des discussions ont eu lieu lors du congrès – sans lien avec les résolutions ou les votes – qui ont donné une idée très vivante des perspectives politiques qui prévalent aujourd’hui au sein des DSA. Parmi celles-ci, on peut citer : 1) un discours remarquablement radical de Rashida Tlaib et la réponse de la Convention à celui-ci ; 2) des présentations par les principaux organisateurs de la campagne municipale de Zohran Mamdani à New York ; 3) un « premier échange politique interorganisationnel » dynamique de trois heures (deux minutes par intervenant) auquel ont participé des invités issus de divers mouvements et luttes, entrecoupé de contributions de membres des DSA actives et actifs dans ces luttes. Des interventions éloquentes et significatives ont été faites par des membres du Chicago Teachers Union, du Caucus of Rank-and-file Electrical Workers (CREW), d’Essential Workers for Democracy, d’un caucus de base de la National Association of Letter Carriers, de Railroad Workers United, de l’Arise Chicago Workers Center, du Debt Collective, du Sunrise Movement, du BDS et du Palestinian Youth Movement, du PSOL et du PT du Brésil, du Parti des travailleurs de Belgique, de La France Insoumise, de Morena du Mexique, de Democracia Socialista de Porto Rico et des Socialistes démocrates du Japon.
Le discours de Rashida Tlaib a soulevé des acclamations et une ovation debout. Stephan Kimmerle le présente ainsi :
« La députée Rashida Tlaib, oratrice principale, s’est adressée à la convention dans un message puissant et émouvant contre la guerre en Palestine. Elle a établi un lien entre les votes du Congrès qui financent le génocide et le manque de financement pour des réformes telles que l’assurance maladie pour tous et l’accès à l’eau potable. Tlaib a condamné « l’establishment des deux partis » pour son rôle dans le financement du génocide, soulignant que les Républicains et les Démocrates sont tous deux financés par des milliardaires.
Dans un contraste clair et une critique apparente d’Alexandria Ocasio-Cortez [AOC], Tlaib a déclaré : « Une arme est une arme. » AOC avait voté en juillet en faveur du financement par les États-Unis du Dôme de fer israélien, justifiant son vote en disant qu’il y a une différence entre la fourniture d’« armes défensives » et d’« armes offensives » à Israël. En revanche, Tlaib et Ilhan Omar ont correctement voté contre. (AOC a ensuite voté contre l’ensemble du projet de loi sur le financement de l’armée).
Tlaib s’est prononcée contre les « systèmes capitalistes d’exploitation » et a souligné que « les masses laborieuses ont soif de changement révolutionnaire… C’est pourquoi DSA est si important. Nous sommes capables de diagnostiquer honnêtement et sincèrement les problèmes auxquels sont confrontés les Américain.es de la classe ouvrière ». Elle a exhorté les DSA – en utilisant le « nous » pour désigner l’organisation – à parler un langage compréhensible par les travailleur.es, ceux que les Démocrates et les Républicains ont abandonnés, afin d’expliquer « ce que le socialisme démocratique peut signifier pour leur vie ». Tlaib a exhorté DSA à orienter son travail vers la grande masse de la classe ouvrière et à attirer davantage de personnes de couleur dans notre organisation en les convainquant des idées socialistes démocratiques – des tâches essentielles pour DSA.
Est-il pertinent pour des marxistes révolutionnaires de travailler dans le cadre de la DSA ?
La réalité des DSA, telle qu’elle ressortait du congrès, était qualitativement différente de ce que je m’étais imaginé. DSA est beaucoup plus à gauche que je ne le pensais, beaucoup plus critique et enclin à rejeter les deux partis capitalistes. Je m’attendais à une organisation dominée par la tendance modérée, avec quelques possibilités de discussion à gauche, de tâches de formation et de participation à des actions sociales concrètes et intéressantes. Le fait qu’il s’agisse de la plus grande organisation socialiste des États-Unis, qu’elle ait connu une croissance spectaculaire et qu’elle compte un très grand nombre de jeunes activistes socialistes qui font essentiellement partie de notre classe ouvrière diversifiée sur le plan professionnel a été un facteur déterminant dans ma décision, au cours des dernières années, de m’y engager.
Ce que j’ai connu avec DSA à Pittsburgh au cours des douze derniers mois m’a convaincu 1- que cela avait un sens pour moi de m’impliquer sérieusement dans cette organisation au niveau local, et 2- que je devais me rendre à la Convention nationale – en tant qu’observateur – pour me faire une idée plus précise de l’organisation dans son ensemble. Et cela a été une révélation pour moi. Dans ce compte rendu, j’ai essayé de donner une idée de ce que j’ai découvert lors de la Convention nationale de l’organisation, qui s’est tenue du 8 au 10 août 2025. J’ai trouvé une réalité beaucoup plus ouverte, dynamique et radicalisée à gauche que je ne l’avais imaginé, certes pleine de limites et d’imperfections frustrantes, mais aussi ouverte et en évolution, avec des possibilités de contribuer à la création d’une organisation socialiste plus efficace. Il y a également beaucoup à apprendre de cette expérience. DSA a beaucoup de problèmes, mais aussi un grand potentiel. Donc, oui, en tant que marxiste révolutionnaire, je trouve tout à fait judicieux de faire partie des DSA. Non pas pour « intervenir » dans DSA, mais pour en faire véritablement partie.
Il me semble tout aussi utile de faire partie de Solidarity et du Tempest Collective. Déterminer comment ces éléments s’articulent entre eux est un défi qu’il convient de relever en s’impliquant activement dans ces organisations, tout en contribuant à la construction d’un mouvement efficace pour le socialisme.
Paul Le Blanc
Publié dans ESSF
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de Deeplpro.
• Paul Le Blanc
Professeur émérite d’histoire
Université La Roche
Pittsburgh, Pennsylvanie, États-Unis