Idées et Sociétés, Politique et Social

Que cherche Retailleau avec la loi contre l’antisémitisme à l’Université?

Une analyse réalisée par l’organisation Golem.

Nouvelle Loi sécuritaire contre l’Antisémitisme à l’Université

L’antisémitisme à la fac est une réalité, mais ne nous trompons pas de cible!

Depuis le 7 octobre 2023, les étudiants juifs et juives font face à l’ indifférence des syndicats étudiants, enfermés dans des logiques de camps ; à celle des « référents discrimination », peu ou pas formés sur les questions de racisme et d’antisémitisme ; et au manque de soutien des présidents d’université qui étouffent les problèmes pour ne pas faire de vagues. Ces étudiant-es se sont retrouvé-es dans une solitude insupportable, avec peu de ressources pour faire face au harcèlement, aux agressions verbales et physiques qu’ils et elles subissent de la part d’autres étudiant-es, voire même de leurs professeurs.

Déposée par deux députés issus du groupe Horizon et Renaissance, la « proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l’enseignement supérieur » se présente comme une réponse à la hausse des actes antisémites dans les universités et à cette situation désastreuse. Pourtant, ni le débat qui s’est tenu le 7 mai dernier à l’Assemblée nationale, ni le texte proposé par ces députés et adopté définitivement à l’assemblée nationale le 2 juillet ne sont à la hauteur de la situation dans les universités.  

Le débat, tout d’abord. Encore une fois, la France Insoumise a montré que son groupe n’avait décidément pas envie d’entendre parler d’antisémitisme. En votant contre l’article 1 de la proposition, et en insistant sur le fait qu’il ne voulait pas mentionner l’antisémitisme dans le texte de loi, le groupe parlementaire LFI a montré son déni face à cet antisémitisme que Mélenchon a qualifié de « résiduel ».

Chapitre Ier

Formation à la lutte contre lantisémitisme, le racisme, 
les discriminations, les violences et la haine 
dans les établissements denseignement

Article 1er

1° bis À la première phrase du 3° de l’article L. 123‑2, les mots : « les discriminations » sont remplacés par les mots : « l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine »

2° À la deuxième phrase du neuvième alinéa de l’article L. 721‑2, les mots : « les discriminations » sont remplacés par les mots : « l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine » ;

3° Le chapitre Ier du titre VI du livre VII est complété par un article L. 761‑2 ainsi rédigé : « Art. L. 761‑2. – Les établissements d’enseignement supérieur assurent une formation à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine. Cette formation comprend notamment un module spécifique portant sur l’histoire de l’antisémitisme et ses formes renouvelées. Elle est intégrée dans le cursus de chaque étudiant. » ;

 L’article L. 811‑3‑1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ils bénéficient à ce titre d’une formation obligatoire à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine. »

Il n’était pourtant question, dans cet article, que d’ajouter une référence à l’antisémitisme et non de lui accorder un privilège. Cet article prévoyait surtout d’imposer des « référents racisme et antisémitisme » formés à ces questions dans toutes les universités pour mieux écouter et prendre en charge des étudiant-es victimes de racisme – un petit pas en avant par rapport à la situation actuelle. 

Les députés insoumis auraient ils oublié les bases de la lutte antiraciste ? S’il est nécessaire de mentionner l’antisémitisme, c’est pour mettre fin à l’invisibilisation de cette oppression. D’ailleurs, nous aurions aimé que la loi mentionne aussi l’islamophobie, qui n’apparaît pas dans ce texte et dont l’existence n’en finit pas d’être niée, et invisibilisée par l’extrême droite, des plateaux de CNews aux propres mots du ministre de l’Interieur, Bruno Retailleau.

Si les députés de la France Insoumise ne s’évertuaient pas à nier l’existence de l’antisémitisme et les témoignages des étudiants et étudiantes juives, peut-être n’y aurait-il pas besoin de mentionner l’antisémitisme. Leur refus de voter l’article 1 de cette loi prouve finalement sa nécessité. 

Néanmoins, cette proposition de loi introduit surtout une confusion. En voulant lutter contre l’antisémitisme, elle fait peser un danger sur les libertés universitaires. Supprimé pendant le travail en commission puis réintroduit pendant l’examen du texte à l’assemblée, l’article 3 indique que « sont passibles d’une sanction disciplinaire tous les faits susceptibles de porter atteinte à l’ordre et au bon fonctionnement de l’établissement ». 

Chapitre III

Procédure disciplinaire

Article 3

3° L’article L. 811‑6 est ainsi modifié :

a) Au début, sont ajoutés neuf alinéas ainsi rédigés :

« I. – Sont passibles d’une sanction disciplinaire tous faits constitutifs d’une faute disciplinaire, notamment :

« 5° Les faits susceptibles de porter atteinte à l’ordre ou au bon fonctionnement de l’établissement.

Ce motif est tellement large et peu caractérisé qu’il pourrait englober toutes les mobilisations étudiantes, que ce soit sur des enjeux syndicaux, anticapitalistes, féministes, antifascistes, écologiques, antiracistes… Rappelons que la protection du bon fonctionnement de l’établissement a été un argument utilisé par les présidences d’université pour étouffer les affaires de violences sexuelles et empêcher le développement du mouvement Metoo dans l’enseignement supérieur. 

Enfin, l’article 3 retire le droit aux universités de disposer en interne des prérogatives disciplinaires pour les attribuer au rectorat. Concrètement, cela signifie que l’État pourrait se charger d’appliquer a discipline dans les universités en fonction des directives ministérielles et de l’orientation politique du gouvernement. 

« Art. L. 811‑5‑1. – Dans chaque région académique, une section disciplinaire commune aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel est créée par le recteur.

« Elle est présidée par un membre de la juridiction administrative. Elle comprend des représentants de l’administration des établissements, des représentants du personnel enseignant et des représentants des usagers.

« Elle peut être saisie par le président ou par le directeur de chaque établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel de la région académique. Elle exerce alors, en lieu et place de la section disciplinaire prévue à l’article L. 811‑5, le pouvoir disciplinaire à l’égard des usagers.

Il s’agit d’un changement radical qui, dans un contexte de surenchère sécuritaire et liberticide de la part du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau, indique la volonté du gouvernement d’étouffer la liberté politique des universités et la liberté de manifester.

Sous prétexte de lutter contre l’antisémitisme, cette loi facilite l’ingérence du gouvernement à l’université. Elle donne au rectorat le champ absolument libre pour réprimer les mouvements étudiants et mettre les universités au pas. Un phénomène d’autant plus inquiétant quand on voit la répression à l’œuvre dans les universités américaines depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Les étudiant-es juifves risquent d’être les première victimes de cette nouvelle loi sécuritaire, qui se sert de l’antisémitisme comme prétexte pour assouvir les penchants autoritaires et liberticides du gouvernement actuel.