Réseau Bastille discussion,discussion-archive Les dérives du mouvement de Sahra Wagenknecht, fidèle disciple de J.-.L. Mélanchon, et la guerre en Ukraine, par Robert Duguet

Les dérives du mouvement de Sahra Wagenknecht, fidèle disciple de J.-.L. Mélanchon, et la guerre en Ukraine, par Robert Duguet

Cette contribution vient en illustration du texte « Ouvrons la discussion » publiée sur le site du Réseau Bastille. Dans les notes personnelles que j’avais alors rédigé à propos du texte élaboré avec Charles, intitulé « ouvrons la discussion », j’avais noté :

« Il y a, en France, sur la question de la guerre et de l’offensive contre le peuple ukrainien, un arc politique ouvertement ou discrètement propoutinien dans la représentation parlementaire qui intègre le PCF, la France Insoumise et… le Rassemblement National. On peut se poser la question : jusqu’où ira la décomposition de cette gauche ? Marcel Déat et Jacques Doriot ne sont pas loin. »

Je crois que le texte sur l’Allemagne, transmis par Michel Lanson sur le réseau, concernant les positions de Sahra Wagenknecht est éclairant et révèle la nature profonde du « national-populisme » que ce soit dans sa version allemande ou française. L’enquête publiée le 21 avril 2023 par le Washington Post est signée Catherine Belton, Souad Mekhennet et Shane Harris. Les auteurs, en s’appuyant sur des faits précis, soulignent la volonté du régime de Poutine de faire pression sur le gouvernement allemand, et d’alimenter le rapprochement qui s’opère maintenant depuis 2018 entre le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) et les positions « national-populistes » impulsées par le couple Wagenknecht-Lafontaine.(1)

Rappelons quelques éléments historiques : c’est en 2007 que naissent Die Linke, parti issu de la fusion entre directement les cadres de l’appareil d’Etat stalinien de la RDA (République Démocratique Allemande), à savoir le Parti socialiste unifié d’Allemagne et l’Alternative électorale travail et justice sociale, créée en 2005 par des syndicalistes et des militants de la gauche du SPD, opposés à la politique néo-libérale de Gerald Schröder.

C’est en septembre 2007 que l’Association PRS (Pour la République Sociale) apparait à la Fête de l’Humanité en France. Fondée en mai 2004 par Jean Luc Mélenchon et un certain nombre de militants issus de la Gauche Socialiste, elle se réclame des valeurs républicaines et sociales, veut regrouper dans le Front de Gauche tous les courants opposés aux dérives néo-libérales du PS. C’est à ce moment-là que se nouent des relations internationales entre la direction de PRS Jean Luc Mélenchon- François Delapierre et les fondateurs des Linke allemands, Oskar Lafontaine et Sahra Wagenknecht. A l’issue du meeting qui consacre la sortie des mélenchoniens du PS et la naissance du Parti de Gauche, Oskar Lafontaine et une délégation de jeunes quadras des Linke y prennent la parole. L’heure est à la stratégie Front de Gauche chez nous et outre Rhin. Wagenknecht est issue du parti stalinien de la RDA. Elle n’a pas bonne presse dans die Linke. Lorsqu’elle tentera de se porter candidate à la co-présidente du parti, la fraction sociale-démocrate s’y opposera.

2017 c’est la campagne « national-populiste » de Mélenchon et la ligne sectaire tous azimuts contre le PCF, les écologistes et Hamon. Wagenknecht a la réputation d’être l’aile gauche des Linke : les résultats électoraux prometteurs au début ne se confirment plus. Le parti régresse et évolue vers des accords avec le SPD. Elle fait campagne contre un accord Verts-Die Linke et SPD, qui aboutira à privatiser certains services publics dans le Land de Berlin. Elle constitue le mouvement Aufstehen (Se lever ou levons-nous !) Elle a souvent apporté son soutien, comme Mélenchon, aux populismes latino-américains, notamment le régime d’Hugo Chavez.

C’est là qu’on retrouve la référence aux idéologues du « populisme de gauche », Chantal Mouffe et son mari Ernesto Laclau, qui fut proche du péronisme. Dans la démarche des fondateurs, voilà le retour d’un vieil ennemi historique de la démocratie qui s’appelle Carl Schmidt : c’est un constitutionaliste allemand qui inspirera la conception de l’Etat des nationaux-socialistes ; c’est la référence d’ailleurs centrale de Chantal Mouffe.

Lorsque la social-démocratie est confrontée à la grande crise économique de 1929, une fraction de son appareil veut renforcer l’exécutif au détriment de la démocratie parlementaire. Ce courant se rapproche à la fin de la République de Weimar de Carl Schmidt qui était d’accord avec la nécessité d’infléchir la prédominance de l’exécutif. Le SPD a connu alors ses « néo-socialistes ». On voit des relations troublantes entre des dirigeants sociaux-démocrates et ce juriste, militant de la droite catholique. Avec l’avènement de Hitler, Il s’emploiera à justifier les pires aspects de la législation nazie. Dans la conception libérale démocratique l’Etat de droit est défini par la loi, qui émane expressément des représentants élus. Pour Schmidt, le droit n’a rien à voir avec la démocratie libérale ; il traduit une volonté politique qu’elle soit celle d’un souverain, d’un monarque, d’un gouvernement disposant de pouvoirs spéciaux. Le droit justifie un état d’exception ou la suspension des pouvoirs d’un parlement. Conception du « droit » parfaitement conciliable avec le fascisme, que Schmidt soutiendra de 1933 à 1936. Ses convictions catholiques le conduiront à rompre avec le National-Socialisme, pourtant sa conception de l’Etat va bel et bien inspirer les fascistes.

Le trotskyste allemand Manuel Kellner (2) écrivait alors en 2018 :

« Certaines positions développées par Wagenknecht et Lafontaine se situent à la droite non seulement de l’aile anticapitaliste du parti, mais aussi de son programme officiel. L’ennemi désigné n’est plus le capitalisme tout court, mais le capitalisme néolibéral débridé. Les « frontières ouvertes » sont désignées comme un projet de la bourgeoisie néolibérale pour exacerber la concurrence au sein de celles et ceux d’en bas et pour affaiblir ainsi le salariat et faire baisser les salaires réels. La défense des acquis démocratiques passe par la défense de la souveraineté des États-nations contre l’Union européenne et les projets – par exemple celui de Macron – de renforcer l’intégration européenne en son sein. En gros, le projet de Wagenknecht et Lafontaine vise à affaiblir l’extrême droite, à contrer l’essor électoral de l’AfD et à gagner des couches de salariés et de laissés-pour-compte allemands qui, mécontents du Parti social-démocrate (SPD) et attirés par la démagogie de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD, extrême droite), ne se retrouvent pas dans les positions de Die Linke. D’après Wagenknecht et Lafontaine, Die Linke ignore trop leur crainte d’être en concurrence, défavorable, avec les immigrés. »

Ces positions sont le pendant exact de celles de Mélenchon et Quatennens à la même date contre la régularisation de tous les sans-papiers, mais au sein des Linke et plus largement du mouvement ouvrier allemand, elles ne passent pas. Wagenknecht sera largement huée et sifflée et mise en minorité lors du congrès de juin 2018. Il y a des choses que les militants des Linke n’aiment pas : que les initiatives prises ne soient pas discutées dans les instances du parti, qu’elles s’inscrivent dans la ligne du populisme de droite de l’ AfD et enfin les militants ont bien compris que la France Insoumise s’est construite sur les cendres non seulement du Front de gauche, mais aussi du Parti de gauche français.

On peut dire qu’en 2018, lorsque cette crise se développe en Allemagne, le couple Wagenknecht-Lafontaine a perdu la première manche. Le mouvement ouvrier résiste. Les choses deviennent un peu plus sérieuses avec le positionnement sur la guerre. Wagenknecht prend appui d’une part sur la diplomatie du régime de Poutine et d’autre part sur les atermoiements du gouvernement allemand concernant l’aide militaire à l’Ukraine et la livraison des chars Léopard.

C’est l’équipe d’ Aufstehen qui est à l’origine d’une manifestation de 13 000 personnes à la porte de Brandebourg le 25 février dernier, exigeant l’arrêt des livraisons d’armes à l’Ukraine. Elle dénonce le fait que les chars allemands, qui devaient être alors livrés, soient utilisés pour tirer sur “des femmes et des hommes russes”. Comment peut-on oser écrire des choses pareilles :  est-il dans l’ordre des choses que les chars russes massacrent les ukrainiens ?

L’article du Washington Post, auquel nous nous référions précédemment, précise :

« Jürgen Elsässer, rédacteur en chef d’un magazine d’extrême droite, et des dizaines de membres du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) se trouvaient dans la foule à Berlin et ont acclamé les appels de Mme Wagenknecht à couper les ponts avec l’Ukraine. Le magazine Compact de M. Elsässer avait récemment déclaré en couverture que M. Wagenknecht était : “Le meilleur chancelier – un candidat pour la gauche et la droite ».

Jusqu’où peut aller cette dérive ? L’arc politique entre le populisme de « gauche » et l’extrême droite, se cristallisant contre le droit du peuple ukrainien de se défendre par les armes et de fonder démocratiquement son Etat souverain, se confirme en Allemagne. Les gouvernements d’Angela Merkel fondés sur un accord indispensable entre la démocratie chrétienne et les sommets du SPD pour appliquer les réformes néo-libérales européennes portent bien sûr la responsabilité du développement du « national-populisme ». Ce n’est parce que les partisans de Wagenknecht, minoritaires pour l’instant, parlent d’ « anticapitalisme » qu’ils le sont. Les SA de Röhm étaient aussi « anticapitalistes » … et antisémites ! Partant d’une position qui oppose dans le cadre de l’Etat national le prolétariat qualifié à la main d’œuvre sous-qualifiée, ils cherchent à fructifier sur l’électorat de l’extrême droite.

Cette histoire a déjà eu lieu en Allemagne !

Notes :

(1)J’avais écrit spontanément : « entre le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) et les positions des Linke ». C’est présenté de cette façon dans certains organes de presse. Une lecture plus approfondie en particulier du trotskyste Kellner montre que la position de Wagenknecht est étrangère aux courants ouvriers des Linke issus de la social-démocratie.

(2) Tiré de Imprekor. Kellner est membre de l’Internationale Sozialistische Organisation (ISO, section allemande de la IVe Internationale), et rédacteur du mensuel Sozialistische Zeitung (SoZ).

Un commentaire sur “Les dérives du mouvement de Sahra Wagenknecht, fidèle disciple de J.-.L. Mélanchon, et la guerre en Ukraine, par Robert Duguet”

  1. Quelques remarques sur le billet du camarade Robert Duguet.

    Il comporte selon moi des erreurs et des outrances. Nous devons pouvoir défendre des positions différentes, y compris sur des sujets graves, sans effectuer des rapprochements injustifiés et injurieux,

    Le rapprochement entre Mélenchon (et non la FI, qui, par définition, n’a pas de “positions”) et le RN à propos d’un supposé poutinisme est polémique et infondé. Le RN a emprunté de l’argent aux banques russes. Il y a là un lien réel. Rien de comparable avec Mélenchon.
    On peut plus justement rapprocher la position de Mélenchon sur l’agression russe en Ukraine de celle de Macron, réticent à surenchérir dans l’ardeur guerrière contre la Russie.

    Le rapprochement entre le P.C.F. et Mélenchon, d’une part, Déat et Doriot de l’autre, 80 ans plus tôt, est injurieux et n’a aucun sens.

    Il est inexact de dire que la campagne de Mélenchon en 2017 était « national-populiste ». J.L.M. s’est en effet un moment déclaré plus ou moins « populiste de gauche », ce que pour ma part j’ai dénoncé dans mon livre “…Ni Tribun”, mais sa campagne était une vigoureuse campagne social-démocrate « de gauche ». Après sa défaite, il a en effet stupidement injurié le PCF, mais plutôt tenté de se rapprocher de ce qui restait du PS et des écologistes.

    Je voudrais bien savoir ce qui justifie l’affirmation selon laquelle « la référence centrale » de Mouffe est Carl Schmidt. Soit dit sans vanter la philosophie de Mouffe, qui ne vaut rien.

    Dire que Mélenchon s’est prononcé contre la régularisation de tous les travailleurs sans papiers est juste un mensonge. Il s’est prononcé pour, chacun peut le vérifier. Mais ce n’est pas la même chose que « frontières ouvertes ». La position traditionnelle du mouvement ouvrier n’est certes pas favorable à l’immigration massive : ce, pour les raisons que Kellner reproche à Wagenknecht et Lafontaine : la concurrence avec les travailleurs du pays, stratégie bien connue du patronat pour peser sur les salaires. Dans le cas de l’Allemagne, les capitalistes ouvrent aussi les frontières pour des raisons démographiques : la faible natalité allemande. La position socialiste, humaine et internationaliste consiste à se montrer solidaire des travailleurs étrangers qui sont sur le sol du pays, mais surtout d’accuser le capitalisme qui pille des pays, par exemple africains, avec la complicité de dictateurs qu’il soutient, ce qui crée une telle misère que les habitants de ces pays tentent en masse d’émigrer, au risque de leur vie, pour, dans le meilleur des cas, être surexploités en France et en Europe.

    J’en viens à la question de l’agression russe contre l’Ukraine. À ma connaissance personne ne conteste le droit du peuple ukrainien de se défendre par les armes. Ni à gauche, ni à droite, ni même à l’extrême-droite. Notons qu’en Italie, parvenue au pouvoir, l’extrême-droite “fasciste” s’est immédiatement rangée à la position occidentale commune.
    À ma connaissance toujours, personne ne propose non plus d’entrer en guerre contre la Russie, comme la France et la Grande-Bretagne sont entrées en guerre contre l’Allemagne quand celle-ci a envahi la Pologne. Est-ce que Robert défend l’entrée en guerre de la France aux côtés de l’Ukraine ?
    Donc quel est le désaccord profond ? Il se concentre sur les chars léopards ?
    La stratégie des capitalistes consiste à faire du commerce et de la politique : ils vendent des armes aux ukrainiens, bien sûr en nombre insuffisant pour que cela leur donne un net avantage, et décident des sanctions moyennement efficaces contre la Russie. Durant la guerre Iran-Irak (l’Irak était l’agresseur) les occidentaux ont vendu des armes aux deux camps : le but était de prolonger la guerre, car il était dans leurs intérêts d’affaiblir les deux camps. Dans le cas présent, il est difficile, pour moi, de comprendre la stratégie occidentale. La défense du droit international ? Difficile à croire si l’on pense au Vietnam, au Chili, à la Palestine, à l’Irak… Affaiblir la Russie dans le cadre d’une rivalité capitaliste ? Mais il semble que ce qui se passe renforce le rival le plus puissant des USA, la Chine.

    De mon point de vue le mouvement ouvrier défend la paix, et dans ce cas précis la négociation, sur des bases qui, peu ou prou, repartent des accords de Minsk. Sur ce point je n’ai pas de désaccord avec Mélenchon, ni avec Ruffin.

    Pour finir, le rapprochement entre Wagenknecht et Roehm est injurieux et n’a aucun sens. Et en effet, les SA de Roehm ont fait une certaine agitation anticapitaliste, ce pourquoi beaucoup ont été assassinés par les SS.

    JP Boudine

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Related Post