Réseau Bastille discussion,discussion-archive À la suite de la réunion du RESU (18 mars 2023), par Bernard Dréano

À la suite de la réunion du RESU (18 mars 2023), par Bernard Dréano

Du côté des Etats.

Demain des négociations ? Le fait principal de ces derniers jours c’est la déclaration chinoise en 12 points, un an après le début de l’agression. Cette déclaration s’adresse principalement…aux Etats Unis (lesquels se sont empressés de considérer cette déclaration comme « sans intérêt »).

D’un côté la Chine réaffirme la nécessité du « respect de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de tous les pays », donc de l’Ukraine (mais aussi de la Chine pour qui Taiwan est une province). Elle s’oppose à tout recours à l’arme nucléaire et appelle « les deux camps » à respecter le « droit international humanitaire ».

D’un autre côté la Chine manifeste ostensiblement un soutien mesuré à la Russie (cf. visite de Xi Jin Ping à Moscou), et laisse entendre qu’elle ne tolérerait pas de défaite russe. Surtout elle appelle à « abandonner la mentalité de guerre froide » visant bien sur les Etats Unis. Enfin elle affirme sa priorité, protéger l’économie mondiale, « maintenir la stabilité des chaines d’approvisionnement », et s’oppose donc de facto aux sanctions.

Avec cette déclaration la Chine s’affirme comme acteur mondial. Elle vient de plus de réussir un « coup diplomatique » en facilitant, aux grand dam des Etats Unis, la première réunion entre Iraniens et Saoudiens (qui entretiennent l’un et l’autre des relations économiques importantes avec les chinois).

D’autres acteurs internationaux pourrait intervenir, l’Inde, la Turquie (quoique neutralisée par la situation interne jusqu’aux prochaine élections), voire l’Afrique du Sud, Lula ou le Pape.

Cela pourrait-il déboucher sur un cessez-le-feu ? A court terme, certainement pas. L’ouverture de négociations ? Pas vraiment, mais il est possible que s’ouvre un processus de « conférence de l’ONU » à Genève ou ailleurs. De telles « conférences » pour chercher des sorties de conflits, ont souvent existé quoique qu’elles n’ont dans la période récente, débouché sur rien (cf. conférence de Genève sur la Syrie par exemple).

Suite à la déclaration en 12 ponts Zelinsky a immédiatement déclaré qu’il était prêt à discuter avec les Chinois, et ces derniers, tout en privilégiant « l’ami éternel » russe (visite de Xi Jin Ping à Moscou), n’ont pas fermé la porte.

L’ouverture d’une « conférence de Genève » renforcerait le prestige de la Chine (d’où la réticence des Américains), et serait bien accueillie par la majorité des Etats du Sud. Je pense que les mouvements de solidarité avec l’Ukraine ne devraient pas s’opposer à l’ouverture d’une telle conférence (à laquelle probablement les Ukrainiens accepteraient de participer), même si cela serait sans effet sur le terrain.

L’annonce de l’incrimination de Vladimir Poutine par la CPI intervient dans ce contexte. Aussi justifiée soit-elle, elle risque d’être considérée dans bien des Etats et/ou des opinions publiques, comme manifestation du « deux poids, deux mesures » des Occidentaux Rappelons au sujet de la CPI que l’Ukraine, qui a accepté les investigations de la CPI sur son sol, n’a pas pour autant ratifié le Statut de Rome de ladite Cour, et cela non parce que la CPI pourrait incriminer des Ukrainiens (ces derniers sont en état de légitime défense), mais parce que les Etats Unis s’y opposent. Depuis que Bill Clinton a renoncé à faire ratifier par le congrès le statut de Rome, la diplomatie US cherche, avec plus ou moins de virulence, à empêcher les Etats de pleinement adhérer au Statut de Rome, ou d’obtenir que des activités américaines sur le territoire de ces Etats échappent à la juridiction de la CPI

Situation militaire

On ne sait pas ce qui va se passer à court terme. Au-delà des annonces plus ou moins tonitruantes, les fournitures d’armes occidentales, principalement américaines, restent qualitativement (types de matériels) et quantitativement (munitions) limitées, les barreaux de l’échelle qualitative d’améliorations des équipements ayant été fixés dès le départ et publiquement par les Américains. Surtout les nouveaux matériels réellement existants (systèmes anti-aériens performants, chars de batailles par exemple) ne sont pas, ou pas encore, déployés ou opérationnels sur le terrain. Après l’arrêt des contre-offensives ukrainiennes de l’été et du début d’automne, la Russie a entamé sa guerre d’usure (on dit attrition pour fait chic), combinant frappes en profondeurs pour détruire les infrastructures énergétiques ukrainiennes d’une part et démoraliser la population d’autre part, et le grignotage de positions sur le front, sans en tirer un avantage stratégique important. En l’état, chacun attend le printemps (mai-juin) pour tester ses capacités (aller au moins jusqu’à Kramatorsk pour les Russes, avancer vers le Sud-Est ou Donetsk pour les Ukrainiens). Aucune négociation, et a fortiori aucune proposition de cessez-le-feu n’est envisageable avant cette « épreuve de vérité »

Au niveau des mouvements

En ce qui concerne les mouvements, partis, syndicats etc. qui se considèrent comme « progressistes », de gauche, écologistes, féministes, etc., on distingue, par rapport à la guerre en Ukraine quatre attitudes :

. Les campistes. Certains adhérents totalement au narratif poutinien. D’autres, quelques soient les responsabilités de Poutine dans la crise actuelle, considèrent que l’impérialisme occidental (américain), est à la manœuvre, et qu’il il faut, pour la stabilité du monde, le combattre en priorité. Cette position est majoritaire dans les gauches d’Amérique Latine, dans le monde arabe, en Afrique, en Asie du Sud (avec évidemment des exceptions), très forte en Amérique du Nord, dans certains pays d’Europe comme en Allemagne, en Autriche ou en Grèce.

– Les pacifistes. Outre l’opposition de principe à la guerre, la plupart des positions pacifistes partent du principe que cette guerre-ci est d’abord un affrontement « de bloc », a minima OTAN vs Russie, pouvant évoluer vers une guerre généralisée (compte tenu de l’antagonisme Chine-USA) pouvant conduire à une guerre nucléaire (une hypothèse que beaucoup imaginent possible à court terme). D’autres insistent sur la tendance à la surenchère et la relance de la course aux armement qui participe d’une tendance générale à la « sécuritisation » des politiques et à la militarisation générale, sur fond de crises montantes (environnementale, économique, culturelle). Les courants pacifistes sont très fort en Europe (Allemagne, Italie, Espagne, Royaume Uni…)

– Les évitants. Il s’agit d’une attitude extrêmement répandue à travers le monde, dans les mouvements les plus divers. Plutôt que de prendre position, par rapport à une guerre que l’on comprend mal ou que l’on considère comme locale, en tout cas loin des préoccupations immédiates dans chaque région du monde, voire secondaire par rapport aux crises systémiques d’aujourd’hui, beaucoup « évitent » le sujet. Prenons par exemple des mouvements climats – à l’échelle locale ou internationale, sollicité par le réseau Eco-action ukrainien, tous saut Greenpeace, ont purement et simplement « oublié » de répondre.

Les internationalistes. Dont nous sommes évidemment au RESU. Ce qui fait la spécificité des internationalistes c’est qu’ils considèrent que le droit des peuples est essentiel, y compris bien sur le droit de résister à l’agression, en tout lieu et à tout moment. Qui savent qu’il y a un peuple Ukrainien, un peuple Russe, un peuple Polonais, un peuple Géorgien, etc., avec toutes leurs diversités, que cette guerre pas seulement un affrontement entre « le pentagone et le Kremlin », mais d’abord une lutte nationale contre un agresseur impérialiste. Et qu’il est essentiel de manifester sa solidarité, politique et concrète, avec les peuples, et pour les membres du RESU qui adhèrent tous à des principes progressistes, que cette solidarité doit s’exercer avec les forces progressistes homologues et d’abord en Ukraine et avec les antiguerres russes. Ces internationalistes sont par ailleurs divers dans leurs histories, leurs formes d’organisation, etc. Au niveau global, à gauche, les internationalistes sont minoritaires par rapport aux courants précédents. Sans exagérer notre importance, le RESU-France et quelques autres (notamment au niveau syndical) ont réussi à la faire exister de manière symboliquement très significative (même si ce n’est pas une force concrète importante. Il existe aussi de manière significative et plutôt en croissance, en Pologne, dans plusieurs pays d’Europe occidentale (Irlande, Royaume Uni, Suisse, Belgique…)

Convergences campistes-pacifistes ?

La demande d’un « cessez le feu immédiat » est adressée au monde de manière rhétorique mais les manifestations ont des cibles pratiques : les gouvernements occidentaux, (presque jamais l’agresseur russe). Elles s’accompagnent généralement du rejet plus ou moins virulent des fournitures d’armes à l’Ukraine pour ne pas « ajouter la guerre à la guerre ». Les campagnes anti-armes, comme la pétition d’Alice Schwarzer et Sarah Wagennecht en Allemagne, sont d’ailleurs abondamment relayées par la propagande russe pour montrer que « le camp de la paix » est avec Poutine. Bien entendu tous les campistes ne veulent avoir aucune relation avec des ukrainiens, et surtout pas des progressistes ni avec les antiguerres russes. De tels contacts ne sont pas a priori refusé du côté des pacifistes mais force est de constater qu’ils sont rares (avec les russes et encore plus avec les ukrainiens) ; il y a cependant des exceptions notables, comme par exemple le Centre non-violent NOVACT de Barcelone, des membres du Mouvement pour une alternative non-violente en France, certains groupes chrétiens ou féministes. Toutefois la majorité des pacifistes, mais aussi des évitants, préfèrent « oublier » les ukrainiens et les russes-antiguerre.

Débats internationalistes-pacifistes

Il nous faut combattre les positions des campistes. Souvent portées par les droites extrême, mais aussi par des secteurs de la gauche, trop souvent de gauche. Et discuter avec les pacifistes, ceux qui reconnaisse la réalité de l’agression russe, mais s’inquiètent de l’escalade, de la militarisation, de l’OTAN et de l’avenir de la sécurité en Europe, etc. Et aussi s’adresser aux évitants.

Quelques pistes d’action

Le Réseau ENSU/RESU, qui fête le premier anniversaire de sa création est un acquis précieux, même s’il reste encore petit. Il est déjà plus qu’Européen (puisqu’il s’étend en Amérique du Nord, en Australie, un peu en Amérique latine, etc. Sa gestion est internationale. Il peut faire connaitre les initiatives de solidarité particulière, parmi lesquelles les actions syndicales, et, dans une moindre mesure, féministes, qui se sont développées ces derniers mois. Sa relation étroite avec les progressistes ukrainiens, politiques et syndicaux notamment, est fondamentale. Mais l’action solidaire ne se résume pas au seul ENSU/RESU et à ses militants de gauche. Par exemple, la Conférence « Solidarity with Ukraine, Building a new Internationalism » organisée à la London School of Economics (l’équivalent londonien de Sciences-Pô à Paris), avait une importante composante universitaire, tout en étant organisée par des gens proches ou membres du ENSU/RESU (comme Global Justice Now, le correspondant britannique d’ATTAC), avec une forte implication ukrainienne (SR, KVPU, CLC, Eco-action… et la très active Union des étudiants ukrainien en Grande Bretagne), une forte présence polonaise, quelques français et quelques autres… une alliance qui avait organisé les ateliers sur la guerre lors de l’université européenne des mouvements sociaux de Mönchengladbach l’été 2022. Mais il y a d’autres initiatives, coalitions etc., comme le Forum organise à Berlin en novembre 2022 par la Coalition Civil M+, essentiellement autour de la défense des droits humain, avec forte présence ukrainienne (et présence russe anti-guerre plus discrète), forte présence des organisations de défense de droits, et plus de « libéraux-démocrates » que de gens de gauche (en particulier allemands) …

Plusieurs axes de travail pour le RESU-Fr (et d’autres), par exemple…

L’importance du soutien aux progressistes ukrainiens et aux antiguerres russes avec plusieurs aspects à développer :

  • Faire connaitre les positions et la réalité des forces progressistes en question, poursuivre la dynamique syndicale, développer la solidarité avec les féministes
  • Ouvrir de nouveau champs de solidarité, notamment par rapport aux mouvements de jeunes (dont le mouvement ukrainien Action Directe), aux écologistes…
  • Développer la solidarité avec les anti-guerres de la Fédération de Russie, la gauche socialiste, les mouvements féministes, les mouvements de défense des droits, les démocrates libéraux, les peuples minoritaires, etc.

La nécessité de se saisir de question essentielles dans la période :

Reconstruction et avenir de l’Ukraine : A la conférence LSE de Londres le problème de la reconstruction de l’Ukraine a été posé : la troisième conférence internationale à ce sujet doit se tenir à Londres en juin – un processus entamé en juillet 2022 à Lugano. Les discours, et plus grave les projets sont totalement dominés par une logique néo-libérale féroce, et aucun contre-projet n’existe. Ce point est aussi souligné comme crucial par nos amis de la gauche ukrainienne. Peut-on imaginer une sorte de contre-sommet en juin ?

Militarisation: Le contexte de la guerre en Ukraine renforce dans le monde, et singulièrement en Europe et en France, les questions de la militarisation/sécuritisation, de la nouvelle course aux armements, d’un débat sur un cadre de sécurité pour le futur (et de l’avenir de l’OTAN), etc. Au-delà des slogans abstraits il n’y a pas de proposition progressistes en la matière. La prochaine loi quinquennale de programmation militaire va être discuté au parlement dans quelques mois (et engager les choix militaro-industriels pour des décennies), sans que la gauche française n’en a jamais discuté sérieusement. Et la question sera posée au niveau Européen sans que s’esquisse une position progressiste en Europe avant les élections de l’an prochain. Il est urgent de travailler sur le sujet (par exemple à l’université d’été des mouvements sociaux CRID-ATTAC prévue à Bobigny en aout prochain).

Crise écologique et guerre en Ukraine. Les destructions de l’environnement sont considérables en Ukraine et ont déjà des conséquences dramatiques. Quels sont les effets directs et indirects de la guerre elle-même. De l’activité militaire, de la guerre elle-même et des activités militaires et militaro-industrielles en général dans le nouveau contexte mondial (rappelons que les émissions militaires de carbone ne sont pas décomptées dans les présentations du GIEC, malgré les rapports du Transnational Institute et les campagnes des ONG – pour faire cesser leur occultation lors des deux dernières COP).

La campagne pour Maksym Butkevych

La campagne pour la libération de notre camarade Maksym Butkevych, pour des raisons personnelles mais aussi pour le symbole politique qu’il represente, doit être un axe majeur de notre activité en tant que RESU-Fr et ENSU/RESU

Un commentaire sur “À la suite de la réunion du RESU (18 mars 2023), par Bernard Dréano”

  1. Présentation sans concession et assez complète des questions qui restent sans réponse chez les internationalistes.

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