Réseau Bastille editorial,editorial-archive Éditorial du 13 mars 2023, par Michel Lanson

Éditorial du 13 mars 2023, par Michel Lanson

70% des français dont pratiquement l’ensemble des actifs sont opposés à la réforme des retraites imposée par Emmanuel Macron

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78% des français pensent, aujourd’hui, au lendemain des manifestations du samedi 11 mars, que la réforme ne sera pas retirée.

Lorsque vous mettez les deux sondages en tension vous avez la contradiction de la situation politique. Les travailleurs , les jeunes, les chômeurs, tous les syndicats de salariés et les organisations politiques se réclamant peu ou prou du peuple ou de la classe ouvrière demandent maintenant le retrait de la réforme. Mais, ils sont davantage encore à penser que la réforme passera. Non que Macron soit si fort qu’on ne puisse s’opposer à lui mais que le levier pour faire tomber sa politique n’existe pas.

Après les années COVID et l’explosion des prix de l’énergie, au moment où l’inflation s’acharne sur les plus démunis et à la veille d’un problème majeur du système financier via la Silicon Valley, dans un monde en guerre où les impérialismes russes et chinois repartent en conquête, la violence sociale et politique de Macron s’exerce de plus en plus sauvagement sur les classes populaires.

Violence sociale.

Avec comme seul justificatif apparent la rengaine éculée : « il faut retrouver la “valeur travail” », le pouvoir revoit à la baisse les indemnités chômage, les minima sociaux… et reporte de 2 ans l’âge de la retraite. Macron doit tenir sur ces contre-réformes, c’est un dictat des milieux financiers, et il le fait au mépris du « dialogue social » si cher aux syndicats « réformistes ». Personne ne peut s’étonner qu’il refuse de recevoir l’Intersyndicale.

Violence politique.

Même les plus respectueux des institutions de la V° république ne sont pas sans voir que le gouvernement,sans majorité mais avec l’aide perfide des Républicains, est obligé de forcer les travaux parlementaires à coup de manœuvres grossières et ce, même au sein du docile Sénat. Il est vrai que la tactique de certaines oppositions qui font de la guérilla de pupitres peut lui fournir bien des prétextes à mettre à mal ce qui reste des apparences de la démocratie.

Sept manifestations imposantes qui sont allées crescendo jusqu’au 7 mars, des journées de grèves importantes, des secteurs à l’arrêt n’ont pas suffi à faire bouger la situation .

La loi, d’une manière ou d’une autre, sera votée et promulguée la semaine prochaine.

Cela ne sert à rien de répéter que si le pays est à nouveau bloqué (il ne l’a pas été le 7), si la grève s’étend ( la précarité financière des salariés est un élément majeur de la situation) et si les manifestations grossissent (elles refluent alors même que le choix du samedi devait avoir l’effet inverse), la victoire est encore possible.

Le temps de l’hubris militante, des promesses de mégaphone, des chants de plateaux de camions (« Et la rue elle est à qui…») et des proclamations de matamore est déjà passé. Cette semaine de navette à l’assemblée montrera les divisions du camp bourgeois ( ce n’est pas sans intérêt) mais cela ne fait pas bouger le rapport de force pour le retrait de la réforme.

Il faut, dès à présent, commencer l’analyse des actions et des luttes. Il est vrai que l’unité des organisations syndicales dans l’intersyndicale a permis que le ressentiment puisse s’exprimer en mobilisations massives. Les manifestations ont atteint des records pour ce siècle mais le climax devait être le retrait de la mesure d’âge. Macron n’a pas bougé d’un pouce ; la situation ne peut être stabilisée sans gain politique.

L’unité syndicale, son expression sous la forme d’Intersyndicale, est un facilitateur considérable pour la mobilisation, pour la clarté des revendications mais ce n’est pas le but ultime sinon l’intersyndicale s’aligne logiquement sur les positions de l’organisation la plus « à droite ». La gauche de l’arc syndical devrait être à l’écoute des travailleurs, aider l’auto-organisation des luttes, proposer des analyses au fondement politique et ne pas se contenter de gauchir le discours réformiste.

Berger, le leader cédétiste, est hors de lui, menace de faire la tête lors d’éventuelles nouvelles négociations mais les institutions sont les institutions.

La messe est dite et dans ce cadre syndical c’est l’opposition stalinienne, thorézienne, de la CGT avec ses opérations sur les raffineries et son discours de radicalités factices qui apparaît au grand jour. Les recrutements syndicaux dans la montée du mouvement sont volatiles quand l’heure devient politique.

Au plan politique, les députés RN, lavés et cravatés, aux silences éloquents, attendent de récolter les voix des déçus du mouvement.

Certes, rien n’est jamais écrit à l’avance, un incident, un accident sur un blocage, un lycée ou une fac peuvent survenir. Un « événement » peut comprimer le réel et bousculer la logique. Mais c’est bien de l’analyse politique que peuvent sortir des perspectives au-delà de la situation actuelle.

La pente naturelle est de rechercher des solutions pratiques immédiates. Réorganiser le rapport politique/ syndical, préempter comme Mélenchon le mouvement social sont des solutions erronées.

Le fait majeur des dernières manifestations, c’est l’apparition de rassemblements, de défilés dans de petites villes, des communes rurales ou maritimes. Cela montre que les travailleurs, le prolétariat dispersés aspirent à s’organiser. Certes, l’influence des gilets jaunes est passée par là, mais il faut tourner la page, faire taire les discours complotistes et retenir la volonté d’accéder à la parole et de s’organiser par soi-même.

La crise sociale est profonde, la crise de la représentation politique incurable, le ressentiment envers Macron et son gouvernement et envers tous ceux qui, peu ou prou, s’avancent comme un recours montera de plus en plus. À ce stade, laisser filer le discours, l’analyse serait prendre un risque dangereux. Pensons à l’Italie, pensons à la Hongrie.

Mais dans ces temps de relance de contre-réformes néolibérales et de guerres impérialistes , pensons aux camarades ukrainiens qui s’organisent, s’auto-organisent aussi, pour repousser l’envahisseur, le colonisateur et qui, dans le même temps et dans le même mouvement de pensée, s’opposent aux réformes néolibérales imposées en contrepartie de l’aide militaire. Mais nous reviendrons sur ces points lors de la campagne pour la libération de l’humaniste libertaire Maksym Butkevich.

Les situations ne sont pas comparables terme à terme mais l’analyse ne se fait pas par séquences, par flashs publicitaires ou punchlines percutantes. Il existe une forme de cohérence qu’il est dangereux d’oublier.

Aujourd’hui, c’est de la « critique des armes » dont il faut parler ; comment ouvrir à l’auto-organisation en refusant tous bricolages entre vestiges d’organisations politiques, comment libérer la parole non pas seulement dans certaines formes d’oppression mais pour réfléchir à un plan d’ensemble. Un programme d’action pas une compilation de littératures électorales.

À chaque mouvement d’importance les mêmes questions se posent, toujours plus fortement. Mais aujourd’hui, allons-nous avoir assez d’énergie, de volonté et d’inventivité pour sortir de la condition de Sisyphe ?

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