Au milieu de l’été, deux initiatives se font connaitre.
1)Disons un mot déjà du mouvement « Rencontres souveraines » prévu pour une réunion les 23 et 24 septembre 2023 à Nîmes, initié par un accord politique entre « République souveraine, laïque et écologique » et « Oser la France ».
Cet accord s’inscrit dans la continuité de la défense du souverainisme français contre « l’Union européenne supranationale en instaurant une Europe des nations indépendantes ». Rappelons que la « social-démocratie » française, plus exactement le parti de François Mitterand, avait soutenu en 1990 la coalition militaire de 35 États dirigée par l’impérialisme américain contre l’Irak. Il s’en était suivi une crise qui s’était soldée par le départ de Jean-Pierre Chevènement du gouvernement, alors ministre de la Défense. Puis la création du MDC (Mouvement des Citoyens), organisation qui devait entrainer une fraction militante importante venant du PS. Ce parti devait entrer en décomposition rapide, compte tenu de la ligne de ses fondateurs, l’ex-CERES. Il ne s’agissait pas de résister à la vague néo-libérale qui allait profiter opportunément de la dislocation de l’URSS, mais d’unir « les républicains des deux rives », de Chevènement au couple Pasqua-Séguin. On rappellera que Jean-Pierre Chevènement, qui devait servir d’aile gauche à François Mitterand, avait fait ses classes dans le club Patrie et Progrès, groupuscule de gaullistes de gauche, qui était pour maintenir l’Algérie française. L’initiative actuelle nous sert le même brouet faisandé.
« Oser la France » est fondé par Julien Aubert en 2017. Il est haut fonctionnaire et député du Vaucluse de 2012 à 2022. Il fut secrétaire général adjoint des Républicains de 2017 à 2019. Il se situe dans l’héritage de Philippe Séguin et secrétaire général de l’Association des députés gaullistes depuis septembre 2012. Lors du congrès de 2021 des Républicains, il soutient Éric Ciotti. Se situant dans la ligne du « gaullisme social et souverainiste », on retrouve dans « Rencontres souveraines », la remise sur le métier de la ligne de l’union des « républicains des deux rives ».
Georges Kuzmanovic (né à Belgrade en 1973), ancien combattant et officier de réserve, est un personnage qui a joué un rôle particulièrement réactionnaire sur les questions internationales auprès de Jean-Luc Mélenchon. Selon Wikipedia, il a commencé sa carrière dans les missions humanitaires au Rwanda, après le génocide des Tutsis, au Mali où il construit des puits et des dispensaires. En France il crée un lieu d’hébergement pour les sans-abris et fonde l’ONG Autre Monde. Il est intéressant de noter que c’est là qu’il se lie à la gauche du PS, dont Benoît Hamon, mais surtout Charlotte Girard. C’est elle qui le présente à Jean-Luc Mélenchon en 2005. Lorsque ce dernier fonde le PG (Parti de Gauche) en 2008, il entre dans la direction du nouveau parti et, fait à souligner, fonde une section locale en Russie, dont le responsable Alexey Sakhnin sera exclu en 2022 en raison de sa condamnation de l’offensive militaire russe en Ukraine. En 2018 Kuzmanovic devait multiplier les prises de position contre la ligne officielle de la FI : il se prononce dans l’Obs « pour l’assèchement des flux migratoires », puis considère les luttes féministes comme secondaires. Après avoir justifié l’intervention russe en Syrie en 2015, on le retrouve soutenant l’intervention en Ukraine et qualifiant le régime de Kiev de « pronazi ». C’est ce personnage, que l’on peut qualifier de « rouge-brun », qui s’associe avec son organisation « République souveraine », à l’opération « Rencontres souveraines » de septembre 2023.
Présence surprenante dans cet aréopage de Charlotte Girard, fondatrice du PG avec son ex-époux François Delapierre disparu en 2015 et qui était pressenti pour devenir le dauphin de Jean-Luc Mélenchon : nous avions apprécié de cette camarade, lors du mouvement des gilets jaunes, sa critique de la position de la FI. Elle reprochait au mouvement de se situer fondamentalement dans le jeu des institutions de la Vème République. Cette critique devait l’amener à quitter la FI, alors que la direction du mouvement lui refusait en fait de se porter candidate dans le scrutin européen de 2018. On ne pouvait que saluer les critiques avancées par elle du fonctionnement antidémocratique de la FI. Mais de là aujourd’hui à se retrouver dans la même cour que le rouge-brun Kuzmanovic aux côtés de personnalités de premier plan des Républicains, comme Julien Aubert, ce n’est plus un écart mais un naufrage !
2)Dans le même moment politique, un appel de 400 militants, animateur des Groupes d’Action locaux de la France Insoumise vient d’être publié. On notera bien sûr l’exaspération de militants de base qui sont dépossédés du contrôle de leur propre mouvement. Tout est mis en musique par un groupe de fidèles aux ordres d’un président bonapartiste. Mais enfin camarades ! Peut-être est-il temps de s’interroger sur ce qui motive cette absence de démocratie. Il y a une explication. Les signataires écrivent :
« Nous ne voulons plus nous contenter de jouer les petites mains au service d’une poignée de « cadres » qui décident pour nous et en notre nom, d’autant plus dans un mouvement qui prône la 6ème République, la révocation des élu.e.s et le RIC.»
Une remarque : la revendication d’une VIème République est quasiment absente de la ligne politique générale du candidat Mélenchon en 2022. Certes, ici et là, les militants dans les réunions peuvent en parler mais ce n’est pas l’axe de la campagne, pas plus que celle de la législative qui va suivre. Quant à la révocation des élus, la dernière fois que le candidat l’a avancée, c’était lors du meeting de rue du 21 mars 2012 à la Bastille, initiant la campagne électorale et commémorant la Commune de Paris de 1871. Depuis, nous sommes passés de la forêt de drapeaux rouges de 2012 au bleu-blanc-rouge de 2017, avec interdiction du rouge. Quant à la singularité de la campagne de 2022, présidentielle et législative, elle se déroule sur fond d’agression du régime autocratique de Poutine contre les droits fondamentaux du peuple ukrainien. Alors que la guerre revient en Europe, silence fut imposé dans les élections !
La gauche se tait !
Celui qui se tait exonère !
La vérité est que FI, du moins son petit imperium, défend une politique encadrée dans le respect des institutions du « coup d’état permanent » (1). Le macronisme fait une démonstration tout à fait aveuglante du point où peut conduire la survie de ce régime bonapartiste : un pouvoir qui gouverne contre son peuple et une police qui devient une milice de guerre civile, sur fond de guerre aux portes de l’Europe. Il n’y a pas de démocratie possible dans la longue agonie de la Vème République, pas plus qu’il n’y a pas de démocratie possible dans la FI, mouvement constitué sur la seule préparation du plébiscite bonapartiste. Cet appel se heurte au mur des institutions. Le problème n’est pas aujourd’hui de les démocratiser mais de les renverser. La seule place qu’un mouvement politique peut occuper est celle de devenir nous-mêmes le pouvoir constituant. Discutons du fond et non de la forme de la démocratie. Car l’indigente conclusion résume l’absence de construction d’une alternative : « La prochaine échéance électorale est en mai 2024. Nous avons encore le temps. » Et en 2024, à savoir une élection européenne qui verra encore grossir le nombre des abstentionnistes, on peut aussi tranquillement (on a le temps n’est-ce pas !) attendre la présidentielle de 2027… En attendant Macron continuera de frapper… Quant à la VIème République dont vous vous réclamez à juste titre, par quel coup de baguette magique va-t-elle surgir ? Par la volonté de Bonaparte qui imposera, comme il l’a proposé il y a un certain nombre de mois, une constituante formée par des députés tirés au sort ? Votre texte glisse silencieusement sur la question centrale de la Constituante, c’est-à-dire sur la question des outils qui pourraient permettre au peuple de retrouver son pouvoir souverain.
Cet appel est un couteau sans lame !
(1) Formule de François Mitterand)
APPEL
Le texte des 400
https://framaforms.org/sites/default/files/forms/files/appel_fi_6eme_dans_lfi_2_.pdf
Pour la 6ème République à la France Insoumise
Nous, militant.e.s de France Insoumise, de longue date ou plus récent.e.s, avons été mobilisés comme jamais et très déterminés lors des séquences électorales depuis 2016 (et bien avant pour nombre d’entre nous). Ces campagnes, inventives et joyeuses, nous ont enchantés, révélant en nous un enthousiasme et une force dont nous ne soupçonnions parfois pas l’existence !
Sur le terrain, dans nos villes et territoires, comme dans la plupart des luttes (Gilets Jaunes, réforme des retraites, assurance chômage…), nous avons presque toujours été les seuls représentants politiques de gauche (mis à part quelques camarades communistes parfois et d’autres du NPA bien souvent).
Cet engagement, souvent au détriment de nos vies familiales et professionnelles, est une caractéristique importante, pour ne pas dire essentielle, de notre mouvement : il est le prolongement naturel du fabuleux programme que nous portons. Et pour les gens, il est un repère crucial, peut-être même l’espoir d’une alternative rigoureuse et radicale pour réparer les dégâts des politiques néolibérales des 30 dernières années et construire un monde nouveau.
Nous, militant.e.s de la France Insoumise, tirons la sonnette d’alarme. Nous traversons en effet une véritable crise interne liée aux décisions « verticales » à répétition que nous subissons : par exemple de la création de l’Union Populaire à la création de la NUPES, à aucun moment nous n’avons été consultés. Qui rejoint ces parlements ? Qui en devient président.e ? Qui décide de leurs créations et de leur rôle ? On ne sait pas… On devine juste ou on l’apprend par les médias…
Ce dysfonctionnement, ou plutôt l’absence totale de démocratie entre les « décideurs » et les militants de terrain que nous sommes, n’est pas nouveau à la France Insoumise ; à de nombreuses reprises, et sur des sujets d’importance, notre avis a été ignoré. Absence de débat interne sur la gestion de la crise sanitaire, nomination des porte-paroles sans consultation des militant.e.s, impossibilité de dresser des bilans après des élections… sont d’autres exemples de dysfonctionnements qui nous inquiètent.
Nous avons souvent été d’accord avec les décisions prises tout en regrettant qu’elles soient venues d’en haut sans consultation interne. C’est bien sûr pire quand nous sommes confrontés à un choix avec lequel nous sommes en désaccord. Par exemple, et pour l’ensemble des signataires de cet Appel, la décision des alliances en haut, très éloignée des réalités du terrain et sans l’avis des militant.e.s, est une décision dévastatrice et a localement affaibli les groupes d’action.
Pour d’autres, l’absence d’un espace où on peut se parler, tirer des bilans et constater des désaccords provoque un réel turn-over. Des camarades s’éloignent découragés alors même qu’ils restent en accord avec notre projet commun.
Début Novembre, apprendre par voie de presse la recomposition des instances de notre mouvement, à 48h d’une Assemblée populaire (décidée par qui ? avec quelle stratégie ?) est un autre motif d’exaspération…
Et les exemples ne manquent pas de décisions qui nous concernent et qui sont prises sans débats ni explications : même quand on en demande, le siège se mure dans un silence la plupart du temps.
Alors, beaucoup d’entre nous sommes aujourd’hui pris entre deux feux : essayer de changer les choses en construisant ensemble une véritable structure rendant possible à la base de participer au choix des orientations politiques importantes, comme la stratégie et les alliances, ou tout simplement rendre publique cette pratique très discutable…
Car si notre détermination à faire émerger un monde meilleur reste intacte, nous ne voulons plus nous contenter de jouer les petites mains au service d’une poignée de « cadres » qui décident pour nous et en notre nom, d’autant plus dans un mouvement qui prône la 6ème République, la révocation des élu.e.s et le RIC.
Nous, militant.e.s de la France Insoumise, demandons à être respectés et entendus rapidement ! Que ce soit aux Amphis ou dans les échanges entre militants sur le terrain, cette demande forte est importante et présente sur tout le territoire.
Notre mouvement ne survivra pas à cette verticalité incessante, en totale contradiction avec les principes que nous défendons. Le contexte pourri d’alliance des droites et de l’extrême droite nous oblige à être rassemblés, à être encore plus forts. Or notre renforcement passe par la co-construction des instances de décision.
La prochaine échéance électorale est en mai 2024. Nous avons encore le temps.