La gauche qui refuse de condamner les meurtres de masse est condamnée

Eric Levitz 

Journaliste au New York Magazine

11 octobre 2023

Ce week-end en Israël, un groupe islamiste d’extrême droite a perpétré le plus grand massacre de Juifs depuis l’Holocauste, assassinant des familles entières, y compris des bébés, dans leurs lits et massacrant 260 spectateurs. Au total, plus de 1 000 Israéliens ont été tués et plus de 100 autres ont été pris en otages.

Comme on pouvait s’y attendre, le gouvernement d’extrême droite d’Israël a réagi en privant de nourriture, d’électricité et de carburant les 2 millions d’habitants de Gaza, puis en préparant une attaque militaire plus que jamais tempérée par le souci des pertes civiles. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a mis en évidence la brutalité de ce qui va se produire lundi, en déclarant : « Nous combattons les animaux humains et nous agirons en conséquence ».

Et un grand nombre de soi-disant gauchistes ont trouvé dans tout cela une raison de se réjouir. D’autres, quant à eux, ont catégoriquement refusé de condamner les atrocités du Hamas, insistant sur le fait qu’il ne leur appartenait pas de dénoncer la « stratégie militaire » ou la « résistance violente » des Palestiniens opprimés.

À mon avis, ces réponses constituent une trahison des valeurs les plus fondamentales de la gauche. Soit on défend l’égalité de valeur de toutes les vies humaines, on s’oppose aux crimes de guerre et on méprise les projets politiques ethno-nationalistes d’extrême droite, soit on ne le fait pas. De plus, applaudir (ou annoncer publiquement votre refus de condamner) le meurtre d’enfants n’est pas seulement moralement grotesque, mais aussi politiquement contre-productif.

Les apologistes occidentaux des crimes de guerre palestiniens ont bien moins de pouvoir que leurs apologistes de la domination brutale d’Israël sur les territoires palestiniens et de la discrimination contre les citoyens arabes d’Israël. Mais c’est précisément parce que les critiques de gauche de l’apartheid israélien manquent de pouvoir que nous ne devons pas perdre notre autorité morale. Pendant des décennies, les défenseurs instinctifs du gouvernement israélien ont cherché à assimiler l’opposition à l’occupation au mépris de la sécurité des Juifs israéliens. Aujourd’hui, une forte minorité de soi-disant défenseurs de la Palestine affirme allègrement cette diffamation, insistant sur le fait que la solidarité avec la Palestine nécessite une indifférence totale (ou, à tout le moins, le silence sur) le massacre de Juifs. Ce faisant, ils permettent à leurs adversaires de discréditer et de marginaliser plus facilement la cause plus large de la libération palestinienne.

Et cette cause n’a jamais été aussi vitale. Il est donc impératif que les progressistes rejettent toute apologie des atrocités du Hamas.

Il n’est pas exagéré de dire que de nombreux partisans de gauche de la Palestine ont célébré les atrocités du Hamas. La direction nationale des Étudiants pour la justice en Palestine a déclaré que les événements du week-end étaient une « victoire historique pour la résistance palestinienne », vantant le succès du Hamas à « prendre l’ennemi complètement par surprise ». La section du Connecticut des Socialistes Démocrates d’Amérique a applaudi la « lutte anticoloniale sans précédent » de la résistance palestinienne, a promis sa solidarité avec cette lutte et a juré : « Pas de paix sur les terres volées ! Lors d’un rassemblement co-parrainé par des organisations socialistes à New York, un orateur a parlé avec approbation du massacre d’adolescents israéliens, en disant : « Il y avait une sorte de rave ou de fête dans le désert où ils passaient un bon moment, jusqu’à ce que la résistance arrive en deltaplane et a emmené au moins plusieurs dizaines de hipsters. »

Certains intellectuels de gauche, quant à eux, ont choisi d’exprimer leur ardeur pour les crimes de guerre dans un jargon impénétrable. Pour parler clairement, il aurait fallu que ces penseurs reconnaissent qu’ils approuvaient le massacre d’enfants et qu’ils assument ainsi l’extraordinaire fardeau de justifier cette position ; c’est-à-dire la charge d’expliquer pourquoi nous devrions croire que la libération palestinienne peut être obtenue par le meurtre d’enfants juifs et uniquement par le meurtre d’enfants juifs. Il est donc compréhensible qu’au lieu de faire valoir ce point sans détour, beaucoup aient choisi de transmettre le sentiment « les personnes opprimées ont le droit de commettre des meurtres de masse » avec autant d’opacité et de pseudo-profondeur que le permet leur vocabulaire durement acquis.