Réseau Bastille discussion,discussion-archive France Insoumise, l’armure du commandeur commence-t-elle à se fendre ?

France Insoumise, l’armure du commandeur commence-t-elle à se fendre ?

(Raquel Garrido, députée de Seine Saint Denis, lors de la manifestation parisienne pour l’Ukraine de samedi)

Samedi matin, soit le jour même où se sont tenues les manifestations de soutien à la résistance ukrainienne, le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU, répondait aux questions de France Culture.

Source : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-transition-de-la-semaine/la-transition-du-jour-chronique-du-samedi-25-fevrier-2023-5381474

Que disait-il ?

A la question que lui pose le journaliste sur les mutations de l’armée ukrainienne, il répond d’emblée : il n’y a pas au sens classique d’armée ukrainienne, mais un peuple en armes pour sa libération. L’Etat major a été profondément remanié, ce sont de jeunes chefs qui ont remplacés les anciens cadres. Ceux-ci sont capables d’utiliser sur le plan militaire les technologies du numérique, et infliger des pertes à une armée russe qui ne sait pas ou n’a pas la volonté de les utiliser. Le général Trinquand prend l’exemple tout simple du téléphone portable qui permet de faire des vidéos sur les unités russes, images transmises immédiatement à une unité de commandement permettant de réagir très vite… Ni les lourdeurs conventionnelles des systèmes de l’OTAN d’un côté, ni d’un autre le commandement russe n’a cette souplesse de mouvement. On est en face d’une réalité militaire d’un type nouveau, qui ne répond ni aux canons de l’OTAN, ni aux lourdeurs de l’état-major russe.

J’ajoute : c’est le mouvement d’un peuple qui est aux postes de commandement ! Trinquand souligne de même la résistance importante des unités territoriales. S’il n’en parle pas, nous savons nous le rôle qu’y joue les syndicats indépendants de même que certains courants du mouvement ouvrier, dont les socialistes radicalisés et les libertaires. Il s’agit de défendre localement les infrastructures… un pont, un hôpital, une usine… etc. Il fait un sort au passage au bataillon Azov animé par des individus qui se réclament du nazisme et qui obsède tellement l’extrême gauche française. Il les considère comme une milice privée qui, intégrée aux forces armées, doit se plier aux règles sur lesquelles fonctionne l’armée ukrainienne. Azov c’est donc très peu de choses ! Il dit en fait, à partir d’une compétence militaire fondée sur une analyse des rapports politiques et sociaux, que le peuple ukrainien vaincra et posera la question d’une reconstruction démocratique.

La veille des manifestations qui se sont déployées dans le pays, sous-estimées par Mediapart, à Paris bien sûr mais aussi dans un certain nombre de ville de province, Clémentine Autain publie un entretien dans le Journal du Dimanche. Thème général : « Pour que Poutine abandonne sa guerre en Ukraine ». Elle fait partie du « quarteron » d’opposants « factieux » aux yeux de Mélenchon-Bonaparte et de ce fait exclue de la direction de France Insoumise. Députée de Seine Saint Denis, elle fait partie de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale. Elle déclare :

« … imagine-t-on sincèrement un face-à-face diplomatique entre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelenski ? C’est à mon sens plutôt du côté d’une régulation globale, d’un règlement opéré par la communauté internationale qu’il faut porter nos efforts. Faire abandonner sa guerre à Poutine, voilà l’objectif. Pour y parvenir, nous devons aider les Ukrainiens à tenir le choc militairement et parallèlement, faire monter la pression internationale. Cela suppose de ne pas nous enferrer, nous enfermer dans une opposition entre la Russie versus l’Occident et d’aller chercher le basculement des pays émergents, dont la pression sur Poutine peut devenir déterminante.

Au point de départ, souvenons-nous : une violation caractérisée du droit international au service d’un projet impérialiste et réactionnaire. Nous n’avons pas voulu la voir venir alors que, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, depuis l’intervention brutale en Syrie, nous aurions dû prendre davantage au sérieux le projet poutinien. »

Regard rétrospectif pour le moins significatif : tant que le groupe Autain, Corbières, Coquerel et même Ruffin, hélas, a fait partie de l’imperium mélenchonien, ils se sont accommodés de l’absence de démocratie dans la France Insoumise et surtout de l’omerta frappant durant les deux campagnes présidentielles et législatives le peuple ukrainien sous les bombes. Prise de position pour aider les ukrainiens à « tenir le choc militairement ». Très bien, on ne peut que s’en féliciter, c’est donc reconnaître pleinement les droits d’un peuple à chasser un envahisseur par la résistance unie de son armée et de son peuple.

Pour le reste, encore un effort reste à faire pour rompre avec la conception mélenchonienne du monde mutipolaire. La solution n’est pas entre la logique des blocs (US, Europe occidentale) et les pays émergents, sur lesquels il conviendrait de s’appuyer pour aider à une solution de paix. La question est celle d’une politique internationaliste, dans la tradition qui avait toujours été celle du mouvement ouvrier et avec laquelle il faut renouer. Elle déclare :

« Si l’enjeu devient une guerre entre l’Occident et la Russie, le pire est devant nous. La pression, les puissances de persuasion pour que Poutine abandonne sont aujourd’hui à chercher en dehors des pays occidentaux. La mauvaise direction, c’est le schéma binaire qui ferme et enferme les positions autant que le jeu diplomatique pourtant si indispensable : d’un côté la démocratie, “le camp du bien”, qui serait incarnée par l’Occident et de l’autre, le reste du monde appréhendé comme un tout sous le prisme de la dictature, du “camp du mal”. »

Les manifestations du samedi 25 février sont l’expression du fait que le mouvement ouvrier cherche à renouer avec l’internationalisme, grâce à une petite avant-garde militante, s’appuyant sur l’unité syndicale, mais qui a le grand mérite d’exister. Certes, les appareils syndicaux ont appelé aux manifestations, mais ils n’ont pas mobilisé. La fourchette relevée par LCI de 5000 à 10 000 manifestants, plus la mobilisation en province, c’est déjà autre chose que les 500 que nous étions en avril 2022 devant l’ambassade de Russie. Ce retour de l’internationalisme s’affirme dans une situation de très forte poussée du prolétariat sur les retraites et contre l’ensemble de la politique du régime haï de Macron. Clémentine Autain est encore loin de la rupture avec les conceptions du chef de France Insoumise sur les questions internationales.

On notera avec intérêt la présence dans le carré de tête de la manifestation parisienne de Raquel Garrido, élue de Saine Saint Denis, faisant partie du « quarteron » de « factieux » exclue de la direction avec son mari, Alexis Corbières, député de Seine Saint Denis et fidèle lieutenant de Mélenchon durant 20 ans, au piquet lui aussi. Certes sa présence à cette manifestation a fait l’objet d’un accord avec la responsable de groupe, Mathilde Panot. C’est ainsi, l’histoire mord la nuque de ces cadres politiques, formés dans la mélenchonnerie. Donc à suivre.

France insoumise, l’armure du commandeur commence-t-elle à se fendre ?

2 commentaires sur “France Insoumise, l’armure du commandeur commence-t-elle à se fendre ?”

  1. Je remercie Robert de nous avoir envoyer son texte pour publication. Il aborde de manière très intéressante différents problèmes actuels sous un angle qui mérite bien sûr d’être discuté. Alimenter la réflexion dans le club/réseau est nécessaire au moment où bien des certitudes s’effondrent.
    J’aimerai donc discuter certains points avancés dans le texte.
    Je ne suis plus un spécialiste de l’art militaire depuis ma démobilisation en 1974 mais je pense que si effectivement il faut insister sur la modernisation de l’armée, la décentralisation des secteurs (héritage aussi de la tradition cosaque), sur la jeunesse des états-majors, il ne faut pas oublier que cela nécessite une centralisation des informations précises transmises par les américains et un service de communication ultra performant.
    Certes, il y a une mobilisation du peuple dans le cadre des brigades territoriales souvent structurées par les syndicats mais on ne peut pas parler de peuple en armes au sens d’une armée populaire autoorganisée ou d’un soulèvement ( moment du peuple en armes). Le peuple est mobilisé pleinement dans une guerre de résistance dans le cadre défini par l’armée ukrainienne et si on assiste à des initiatives héroïques spontanées et organisées localement ce n’est pas l’amorce d’une guérilla. C’est une guerre de défense de la nation ukrainienne dans laquelle se mobilisent les différentes couches de la population avec des adaptations militaires à leur situation. Je pense qu’il faut être prudent quant à l’utilisation d’expressions telle que le peuple en armes … Bien sûr ce qui se structure dans le cadre de la guerre aura une importance politique majeure dans la situation suivante mais il ne faut pas trop anticiper.
    Concernant LFI, la génération des exclus du premier cercle mélenchonien avait encore un lien avec d’une part la lutte de classes et d’autre part une certaine pensée marxiste. Et ,en effet, elle peut avoir des réflexes internationalistes. Tu as raison de comparer le succès de la manifestation de samedi au ridicule de l’attroupement pour la paix où d’après les dires des organisateurs cinq cents personnes seraient passés en trois heures. Il faut aussi comparer le nombre d’élus LFI et Nupes qui ont signé la pétition Pour une paix… qui demande le retrait des troupes russes de tout le territoire ukrainien et celui des signataires de celle pour la Paix qui exige l’arrêt des livraisons d’armes à l’Ukraine où l’on retrouve en toute solitude Louisa Hanoune pour l’Algérie et le député Legrave et ses » libres penseurs « pour la France ( c’est différent pour l’Allemagne et l’Italie , cela mériterait une étude spécifique.).
    La nouvelle génération dirigeante de LFI provient le plus souvent des courants postmarxistes (décoloniaux, identitaires, féminisme wittignien…) qui ne partant pas du « général pour s’élever vers le particulier »et se retrouve lorsque l’histoire survient dans la position inverse qu’espérée. L’analyse publiée sur le site de Pierre Madelin est éclairante et peut être étendue des « décoloniaux » aux courants de l’ »Émancipation » soit effectivement les post marxistes.
    Ce changement d’entourage et la promotion « Lénine », la formation sur dossier dans l’institut La Boétie sont inhérents à toute gouvernance impériale mais c’est aussi à un approfondissement vers la pensée Laclau /Mouffe du peuple incarné dans l’image du leader.
    La présence de Garrido voulut par la cheffe Panot montre que cela ne se fait pas sans tentatives d’éviter la crise, l’éclatement immédiat. Dans ce monde, c’est lors de l’établissement des listes de candidats que le prurit théorique devint insupportable. Bientôt les européennes…

    Enfin il y a des points à discuter à têtes reposées entre nous, je cite sans développer, celui de la démocratie et de LFI. L’ »ère du peuple »date de 2014, le changement de logiciel est clairement inscrit déjà. Et tu as raison dans l’analyse de RP que cela n’a rien à voir avec un néoréformisme.
    L’histoire de LFI est une longue suite de crises et d’exclusions (on connait ce phénomène de gouvernance).Aujourd’hui, c’est un nouveau moment dans cette crise et le mouvement social s’il se radicalise peut précipiter la chute de ce type de formation.
    Enfin, je ne pense pas qu’il y ait un lien de causalité entre une avancée internationaliste et la mobilisation contre Macron et la réforme des retraites. C’est beaucoup plus complexe. Comme peuvent être les rapports entre le RESU, la quatrième internationale, une petite avant-garde et le mouvement ouvrier. Il y a un combat politique à mener mais il n’est pas réductible à ces références somme toute assez générales.
    Il y a donc beaucoup de sujets de discussions, d’autant plus nombreux et intéressants que nos analyses et nos références ne sont pas si éloignées que cela.
    Merci Robert, la discussion est ouverte.

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