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Adresses – internationalisme et démocr@tie n°13

Adresses – internationalisme et démocr@tie n°13

Les conditions du chaos.

Depuis le 8 octobre 2023, Netanyahou et son gouvernement à composante suprémaciste ont déclenché sept guerres provoquant des milliers et des milliers de victimes. Ils ont entraîné Trump dans un pilonnage spectaculaire d’installations nucléaires en Iran contre les convictions chauvines de sa base MAGA. Au-delà des installations nucléaires, ce sont les organes vitaux de la société iranienne qui ont été visés par l’aviation israélienne.

Changer de régime par la volonté et la violence d’un État étranger, chacun connaît l’histoire… Ces criminels voudraient-ils nous rejouer la rengaine des néoconservateurs, la lutte du Bien contre le Mal ? Temporairement, un cessez-le-feu peut être institué, violé, redéfini… mais le chaos est installé :
* les règles du droit international sont bafouées (Poutine, Trump, Netanyahou, etc. agissent à leur guise, entrant de fait en guerre) ;
* les règles constitutionnelles des pays sont trahies (les « chambres parlementaires » ne sont plus consultées) ;
* plus aucun accord de contrôle sur les armements, nucléaires ou non, n’existe (les négociations rompues, les accords tombent).

La violence, les actes de guerres, les crimes de masse deviennent le langage courant des impérialistes. Poutine, éloigné des projecteurs de l’actualité, multiplie les tirs sur la population ukrainienne ; Xi Jinping peaufine [1] son rôle de parrain pour avancer ses pions ; les alliances se font et se défont loin des institutions internationales. Qui se souvient que l’ONU existe encore ?

Seuls la crainte de leur opinion publique et le risque de pertes domestiques retiennent encore, partiellement, le bras de ces nouveaux despotes.

Sous les bombes à Gaza, à Téhéran, les populations martyres veulent vivre. Sous les bombes, elles se heurtent encore à leurs propres bourreaux.

Nous publions, en urgence, des déclarations d’Iranien·nes exprimant le double refus de la dictature des mollahs et de l’intervention israélienne. Comme iels l’écrivent :

Dans la politique alternative que nous cherchons à renforcer, le rassemblement est à la fois le moyen et la fin. Nous pensons que la guerre et le fait de placer ses espoirs dans les puissances militaires étrangères ne sont absolument pas compatibles avec l’objectif de liberté, de justice et d’indépendance qui est le nôtre [2].

L’accélération des événements, volontaire ou induite, provoque stupeur et sidération et rend toute analyse difficile.

Spectateurs et spectatrices souvent impuissant·es, nous avons pourtant la force du nombre, des mémoires d’expériences émancipatrices, des capacités d’imagination.

Aux désastres climatiques – dont les politiques extractives évoquées par Maryna Larina dans son article « Drill, baby, drill ! » – ou guerriers, nous opposons et rêvons nos possibles et nos libertés, nos soifs d’égalité et de paix, sans la naïveté complice de pacifistes hors du temps…

Au Moyen-Orient, beaucoup de regards sont tournés, à juste titre, vers Gaza, la Cisjordanie, l’Iran. La situation des populations, et particulièrement des femmes en Afghanistan, est souvent oubliée comme sont négligés les combats des populations syriennes. Yassin al-Haj Saleh nous rappelle que si Assad est tombé, la révolution en Syrie n’a pas gagné.

Décrire les événements, ne permet pas de comprendre leur genèse ni les contradictions internes aux rapports sociaux et encore moins les possibilités de les subvertir. Ilya Budraitskis lie la montée de l’extrême droite à la crise de l’hégémonie néolibérale. Il serait juste d’ajouter aussi : en l’absence d’alternatives crédibles développées par des organisations progressistes.

Populariser toutes les expériences, même très partielles, d’auto-organisation populaire, d’embryons de démocratie radicale ou d’alternatives sociales rend plus visibles les résistances, aussi fragmentaires soient-elles. Il faut briser le silence qui les recouvre. Les deux textes publiés sur les mobilisations et l’auto-organisation du mouvement étudiant et social en Serbie en démontrent l’actualité et la pertinence. Oleksandr Kitral analyse des formes de « reconstruction populaire » par leurs habitant·es de villages détruits en Ukraine, en insistant sur la communication et la transparence.

Crimes de guerres, crimes contre l’humanité, génocides… En complément des publications sur le sujet dans de précédents numéros d’Adresses [3], le texte de Bertrand Russell vient nous rappeler que lorsque les organisations internationales sont défaillantes, les initiatives citoyennes peuvent s’emparer de l’arme du droit [4].

Quelles peuvent être les interventions des populations lorsque leur propre gouvernement viole les lois internationales ? Fadi Shabita pose une question fondamentale qui concerne non seulement la lutte en Palestine/Israël mais l’organisation de la solidarité avec la lutte du peuple palestinien pour ses droits nationaux. Il évoque les conditions de la « corésistance » :

La question cruciale n’est pas de savoir s’il y a de la place pour une lutte commune avec les Israélien·nes, mais quelles sont les conditions à remplir pour qu’une telle coopération favorise réellement la libération et l’égalité.

Tout en poursuivant l’analyse des formes actuelles de pouvoir autoritaire – sans oublier, comme l’écrit Oleksandr Kyselov, qu’« on ne peut pas combattre le fascisme avec des fleurs » –, il est indispensable de multiplier les réactions unitaires. Un appel antifasciste venu d’Italie et publié dans plusieurs journaux et disponible en plusieurs langues fait explicitement référence au Manifeste des intellectuels antifascistes italiens paru le 1er mai 1925.

Les dimensions masculinistes et patriarcales s’appuyant sur des traditions inventées ou des lectures atemporelles de textes religieux écrits à certaines époques et dans certains contextes, ne sont pas à négliger.  Fatou Sow interroge ainsi les liens actuels entre les combats des femmes, le sacré et l’État. De leurs côtés, Ravi K. Thiara, Stéphanie Condon, Monika Schröttle scrutent les liens entre violences, genre, ethnicité et racisme.

La « question nationale » reste un sujet trop négligé malgré les avertissements d’Otto Bauer. Andriy Movchan revient sur « Les socialistes et la question nationale en Ukraine, hier et aujourd’hui ». Dans un contexte régional et ethnolinguistique bien différent, l’« Appel kurde pour une Syrie fédérale et démocratique » vient rappeler que la reconstruction de la Syrie passe nécessairement par le respect des droits nationaux et culturels des différentes populations.

Nietzsche, complaisamment cité en ces temps troublés, écrivait que « du chaos naît la lumière ». Comme en écho, le poète Henri Michaux proclamait : « Faute de soleil, sache mûrir dans la glace. » Nous sommes à l’amorce du chaos et aucun démiurge nous en sortira.

Didier Epzstajn, Michel Lanson, Patrick Silberstein

[1] Voir notamment le n° 8 d’Adresses consacré à la Chine.
[2] « Contre la guerre, le bellicisme et les illusions sur une invasion étrangère », p. 55
[3] Voir Monique Chemillier-Gendreau, « Contrer la domination et ouvrir la perspective d’un autre monde », Adresses, n°2/20 ; « L’occupation du territoire palestinien est frappée d’une triple illégalité », Adresses, n°3/25 ; « L’échec du droit international à devenir universel et ses raisons », Adresses, n°7/67. Voir également « S’opposer aux sanctions contre la Cour pénale internationale et pour préserver l’accès des victimes à la justice », Adresses, n°10/97.
[4] Né en 1966 à l’initiative de Bertrand Russell, le Tribunal Russel rassemble des personnalités comme Jean-Paul Sartre et James Baldwin. Les sessions qui devaient se tenir à Paris ont finalement été déplacées à Stockholm, le gouvernement français ayant fait marche arrière. Les États-Unis seront reconnus coupables d’utiliser des armes prohibées, de faire usage de la torture et d’agressions sur les civils. D’autres tribunaux Russell verront le jour, notamment sur les crimes de guerre en Irak (2004) et en Palestine (2009-2012).

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