Les tragédies se succèdent au Moyen-Orient sans que nous ayons le temps de les dénombrer. Nous n’avons même plus le temps d’en désigner les responsables indistinctement ou par ordre hiérarchique, car les responsabilités se recoupent et se concurrencent à l’infini. Nous nous contenterons aujourd’hui de souligner quelques antécédents dont les conséquences ravageuses se multiplient en s’intensifiant. Comment aborder la question de la guerre actuelle entre Israël et l’Iran sans évoquer les antécédents qui l’ont préparée puis provoquée ? Il ne s’agit certes pas d’une démarche manichéenne ou d’un discours diplomatique qui pratiquent l’ambigüité et privilégient le mensonge à la vérité. Il s’agit simplement de rappeler que le prix fort est toujours payé par les peuples, même s’ils ont quelquefois leur part de responsabilité. Israël souhaite que nous regardions toutes et tous dans une seule et même direction : celle de sa sécurité. D’ailleurs, tous les chefs des Etats puissants, depuis le déclenchement de cette guerre il y a une douzaine de jours, répètent obsessionnellement qu’Israël a le droit absolu de se défendre. Mais Israël est-il vraiment menacé par un danger nucléaire qui viendrait de l’Iran ? Si c’est vraiment le cas, pourquoi s’attaque-t-il à l’Iran seulement aujourd’hui ? Son but n’est-il pas surtout de donner un autre prétexte aux Etats-Unis et à tous ceux qui le soutiennent inconditionnellement permettant à Netanyahou de prolonger la vie de son mandat et de son gouvernement ?
Qui pense aujourd’hui à l’Iran, au peuple iranien, à l’histoire iranienne ? Si l’on ne regarde pas tout cela avec une certaine sérénité et un minimum d’objectivité, nous continuerons à nager dans les eaux troubles des médias, dont l’intention n’est pas celle de nous renseigner, mais plutôt de nous perdre dans les méandres d’une information partielle donc partiale. Allons-nous regarder ce pays qui regorge de richesses historiques et culturelles s’effondrer sous nos yeux sans bouger le petit doigt, comme nous l’avons fait pour l’Irak démantelé et la Syrie déchiquetée ? Qu’importe si les prédateurs sont nationaux ou internationaux puisqu’ils n’agissent tous que par cupidité, intérêt et envie de pouvoir ?
Pendant plusieurs décennies, des femmes et des hommes politiques surtout de gauche, aussi bien que les médias, ont voulu considérer la révolution islamique comme une conséquence directe et normale de la lutte contre le shah. La France, pour ne parler que de notre pays, reçoit donc Khomeiny à Neauphle-le-Château et des jeunes étudiant.es de la gauche arabe et française allaient l’écouter et revenaient enivré.es par ses paroles et recommandations. Nous étions très peu nombreu.ses à se saisir des tracts distribués par Khomeiny, à les lire et à n’y voir que de l’obscurantisme teinté de démagogie révolutionnaire.
Le fondateur de la révolution islamique rentre donc en Iran, récupère la révolution iranienne contre le shah et commet impunément des massacres pour pouvoir s’installer : 2000 Iranien.es, surtout de gauche, ont été tué.es dès l’arrivée de Khomeiny en Iran. D’autres chiffres que nous ne connaissons pas précisément concernent ceux qui ont pris la fuite pour l’Europe, les Etats-Unis et le Canada. Presque toutes et tous, celles et ceux qui ont fui dans ces conditions ont connu des drames et des tragédies personnelles et familiales, pas seulement parce qu’elles et ils ont été quelquefois mal reçu.es dans leur pays d’accueil, mais surtout par désespoir, car ces citoyens iraniens pensaient que leur révolution allait aboutir à une vraie victoire et pas à une honteuse récupération accomplie par l’Ayatollah Khomeiny et massivement soutenue par une gauche occidentale, africaine et arabe.
Ainsi, Khomeiny a réussi avec ses successeurs non seulement à écraser toute velléité de contestation en Iran, mais aussi à se tailler une belle réputation auprès de tous les peuples du Moyen-Orient opprimés par des régimes militaires, totalitaires et/ou confessionnels. Il a participé presqu’en même temps qu’Israël à écarter l’Autorité Palestinienne et à soutenir inconditionnellement Hamas, réalisant ainsi ses propres projets hégémoniques et impérialistes dans la région :
- L’Irak démantelé par les Etats-Unis et livré implicitement à l’Iran qui confessionnalise le pays en se vengeant ainsi de Saddam Hussein, dont l’approche n’était pas moins confessionnelle, malgré le faux visage laïc que celui-ci prétendait donner à son pouvoir.
- La création de Hezbollah au Liban qui, avec les Kataeb (forces armées de Pierre Gemayel), ont réussi à bloquer toute formation décente d’un vrai gouvernement libanais qui permettrait enfin à ce pays, mille fois blessé, de réussir à se relever.
- Le soutien inconditionnel de ce Hezbollah dans tous ses crimes perpétrés en Syrie, l’intervention directe des militaires et des milices iraniens pour soutenir Bachar Al Assad qui, malgré son armée et ses alliés, avait commencé à perdre du terrain et enfin, l’appel au secours lancé par les mollahs à la Russie pour que celle-ci intervienne et sauve le régime chancelant de Bachar Al Assad.
- Enfin, même s’il n’y a pas un accord tacite entre Israël et l’Iran et même s’ils allaient de toutes façons entrer en guerre comme ils le font actuellement, le projet de ces deux pays concernant la Palestine est le même, puisqu’il est surtout hégémonique, car pour Israël, Hamas est un « ennemi utile »1et pour l’Iran, le soutien de Hamas en munitions et en discours démagogiques est une porte ouverte sur le Moyen-Orient. Les Houthis du Yémen, aussi bien que le Hezbollah libanais, qui se sont mobilisés depuis le 7 octobre pour soutenir Hamas, entrent donc dans la réalisation du projet iranien à long terme.
- Enfin, pour revenir à la manipulation et à l’écrasement des peuples du Moyen-Orient par leurs régimes théocratiques, monarchiques, militaires, totalitaires et despotiques, n’est-il pas important de préciser que le peuple iranien, depuis sa lutte contre le shah, n’a jamais cessé de se soulever contre la politique souvent meurtrière des mollahs ? Les femmes, ces dernières années, ont montré particulièrement un courage exemplaire, car, sachant que le foulard est un prétexte pour les soumettre et les opprimer, elles ont décidé de réagir en arrachant leurs foulards au risque d’être arrêtées, interrogées, torturées et parfois même tuées. Rappelons cependant, que même à la fin du régime du shah, le foulard, aussi bien que le voile étaient en voie de disparition, pour une raison évidente qui touche presque toutes les femmes du Moyen-Orient (l’Iran, la Turquie, l’Egypte, l’Irak, la Syrie, etc.). Elles se sont soulevées entre les deux guerres mondiales pour revendiquer l’indépendance de leur pays, mais aussi pour l’accès à l’éducation, aussi bien que pour le rejet du foulard et du voile.
Les Iraniennes n’avaient donc pas besoin, avec l’arrivée triomphale de Khomeiny en Iran, de ces femmes européennes, dont plusieurs étaient françaises, qui mettaient le foulard pour rendre visite au chef de la révolution islamique et lui dire à la manière de Montherlant « Pitié pour les femmes ».
Il y a encore deux ou trois jours, nous avons écouté à la télévision des paroles d’une avocate franco-iranienne que tous les démocrates du Moyen-Orient pourraient répéter : « Nous n’avons guère besoin de condescendance, ni d’interventions militaires ou politiques occidentales, le peuple iranien saurait lui-même trouver le chemin de sa liberté. Nous voulons seulement bénéficier d’une solidarité morale et intellectuelle ».
Mais pendant cette guerre entre Israël et l’Iran, comment peut-on oublier les Palestinien.nes de Gaza et des Territoires Occupés ? De toute façon, Israël ne les oublie pas, puisqu’il en tue cyniquement et quotidiennement entre 70 et 120 civils, même lorsqu’ils se dirigent vers le seul lieu où ils auraient pu se procurer du ravitaillement, lieu qui leur a été indiqué, bien entendu, par les autorités israéliennes. Trump, informé de ce méfait, dément. Mais lorsque le même crime est perpétré à maintes reprises, le Président des Etats-Unis choisit de se taire lâchement.
Sans revenir sur l’installation d’Israël en Palestine depuis 1948, ni sur le traitement qu’il réserve aux Palestinien.nes : 700 000 expulsés, des terrains, des maisons et des récoltes confisqués, etc., sans revenir non plus sur le 7 octobre, puisque nous nous sommes déjà prononcés sur les crimes de guerre commis par Hamas, mais sur l’instrumentalisation de ces crimes par Israël, pour qui Hamas, depuis Sharon, a toujours été « l’ennemi utile », comme nous le rappelle Sylvain Cypel dans son livre.
Mais comment se défendre contre un colonisateur qui prétend avoir tous les droits :
* Parce qu’il a été victime des pires horreurs du Nazisme,
* Parce que son statut de victime lui donne le droit de s’installer où il veut, quand il veut et comme il veut,
* Parce que ce droit lui donne un autre droit plus absolu, celui de se protéger contre tous les dangers aussi bien réels qu’éventuels,
* Enfin, ce droit ne lui a-t-il pas été conféré par les Etats les plus puissants de ce monde ?
Il est donc clair que lorsqu’un colon a tous les droits, le colonisé n’en a aucun. La question qui se pose légitimement par conséquent est la suivante : dans la région du Moyen-Orient, qui d’autre qu’Israël a le droit de se protéger d’un danger menaçant ? Car si Israël bénéficie seul de ce droit absolu, il est logique qu’il fasse le vide autour de lui.
Les Palestien.nes revendiquent une reconnaissance usurpée depuis 1948. Or, si les Palestinien.nes réussissent à arracher à l’ONU la reconnaissance d’une entité spoliée et s’ils/elles acceptent de coexister paisiblement avec l’entité israélienne, malgré leurs blessures subies et leurs plaies ouvertes, nous aurions déjà fait un grand pas vers une paix réelle, mais à condition que tous les droits spoliés des Palestinien.nes leur soient restitués. A condition surtout, qu’Israël retrouve ses esprits et qu’il cesse de se comporter comme l’enfant gâté de toutes les grandes nations.
Comment expliquer à Israël que ce qu’il fait depuis 1948 ne devrait bénéficier d’aucune légitimité internationale :
* Grignoter depuis 1967 des surfaces illimitées des Territoires Occupés pour y construire des colonies,
* Procéder à des arrestations arbitraires suivies d’emprisonnements sans procès,
* Utiliser l’Autorité Palestinienne comme police garantissant la sécurité d’Israël,
*Instrumentaliser Hamas pour livrer plusieurs guerres meurtrières contre Gaza dont la plus horrible est celle déclenchée après le 7 octobre et où les Gazaouis sont massacrés, assoiffés et affamés,
* Tuer impunément – parfois avec leurs familles – des journalistes de Gaza et des Territoires Occupés,
* Tirer sur les Gazaouis civils même lorsqu’ils se déplacent afin de chercher de quoi boire et manger,
* Tirer sur les ambulances et détruire systématiquement les hôpitaux et les marchés,
* Intercepter et empêcher toute volonté et conscience internationales d’agir afin de faire parvenir par solidarité quelques subsides aux Gazaouis coupés du monde entier,
* Traiter d’antisémite toute critique formulée à l’encontre d’Israël.
Qui pourrait prétendre encore aujourd’hui qu’Israël est un pays démocratique ? Netanyahou joue impunément avec les lois, la Knesset, l’armée, le soutien inconditionnel des Etats-Unis et de l’Europe sans aucun état d’âme. Il transforme très habilement le projet sioniste prétendument laïc en projet religieux et biblique afin d’obtenir l’alliance de l’extrême-droite religieuse. Une extrême-droite intolérante et raciste qui ne pourrait trouver nulle part une justification de ses méfaits et ambitions.
Israël devrait cesser d’agir comme s’il était le seul peuple qui mérite de vivre en paix dans la région du Moyen-Orient, il devrait surtout arrêter de profiter de toutes les crises au Moyen-Orient pour les détourner à son avantage :
* Lorsqu’Israël envahit le Liban en 1982 et lorsqu’il facilite – comme nous l’explique Jean Genet – l’horrible massacre de Sabra et Chatilla par les Kataeb libanaises,
* Lorsque le général américain Schwartzkopf nous annonce dès le départ que le but ultime de la première guerre du Golfe est la sécurité d’Israël,
* Lorsqu’Israël participe avec la Russie à convaincre le Président Obama de ne pas toucher à Bachar Al Assad, malgré l’utilisation d’armes chimiques contre son peuple et lorsqu’il continue encore aujourd’hui à grignoter des terrains syriens dans l’intention, dit-il, de sécuriser ses frontières.
Au lieu de se targuer d’être la seule démocratie au Moyen-Orient, ce qui n’est plus le cas depuis un bon moment, Israël aurait dû exprimer un minimum de compassion et de solidarité avec tous les peuples arabes dont les révolutions ont été écrasées dans le feu et le sang. C’est en empruntant le chemin de la démocratie et de la liberté, que les peuples arabes auraient pu soutenir leurs sœurs et frères de Palestine pour les aider à retrouver leur unité et à construire une paix juste avec Israël.
Ghaïss Jasser
De l’autrice :
Le 47ème Festival International de Films de Femmes de Créteil
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/06/02/le-47eme-festival-international-de-films-de-femmes-de-creteil/
Retrouver le sens de l’Histoire
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/29/retrouver-le-sens-de-lhistoire/
« Les Peaux Rouges » d’Israël
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/07/les-peaux-rouges-disrael/
Partir ou rester pour mourir – voix de Palestinien·nes
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/05/partir-ou-rester-pour-mourir-voix-de-palestinien·nes/
Quand les calculs stratégiques des puissants occultent la cause des peuples
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/26/quand-les-calculs-strategiques-des-puissants-occultent-la-cause-des-peuples/
Le testament d’Edward Saïd ?
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/30/le-testament-dedward-said/
Lettre ouverte au président Macron
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/07/15/lettre-ouverte-au-president-macron/
Pour que le Moyen-Orient retrouve la paix
Note de lecture parue sous le titre :
Des despotes jouissent d’une légitimité dont les peuples sont sans cesse privés
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2019/04/17/des-despotes-jouissent-dune-legitimite-dont-les-peuples-sont-sans-cesse-prives/
Lettre ouverte au Président de la République François Hollande
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2016/12/06/lettre-ouverte-au-president-de-la-republique-francois-hollande/
Nouvelles questions féministes : Féminismes dans les pays arabes
Coordination : Ghaïss Jasser, Amel Mahfoudh, Feriel Lalami et Christine Delphy
Note de lecture
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2016/12/06/preserver-les-acquis-et-developper-les-droits-des-femmes
1 Sylvain Cypel, l’Etat d’Israël contre les Juifs, Ed. la Découverte, 2024.