Communiqué du mouvement GOLEM, le 5 avril 2024

« Sionistes hors de nos facs ». C’est cette banderole géante qui accueillait les étudiants de l’Université Sorbonne Nouvelle le 4 avril. Le rassemblement était organisé par le Comité Palestine de Paris 3 pour empêcher la tenue d’une conférence de l’UEJF. « Sionistes hors de nos facs » est désormais une revendication bien connue des étudiants, qu’elle soit écrite en lettre capitale sur une banderole, scandée par des manifestants, taguée dans les toilettes de l’université ou murmurée par des camarades de promotion. Les sionistes ne sont plus les bienvenues à l’université.

Remarquons déjà que « sionistes » ne désignent pas une idéologie ou des organisations politiques qu’il faudrait combattre mais bien des individus se considérant ou étant considéré comme « sioniste ». Ce sont les étudiants « sionistes » qui sont visés. Mais qui sont donc ces étudiant·es « sionistes » qu’il faudrait dégager des facs ?

C’est là que le bât blesse car « sionistes » est un mot fourre-tout, polysémique qui n’a pas la même définition pour les uns et pour les autres.

Si on revient à sa définition originale, «sioniste » désigne les partisans du droit à l’autodétermination du peuple juif à travers l’établissement d’un foyer national juif. Avec la création de l’État d’Israël, l’existence de ce foyer national juif est devenue une réalité matérielle. On peut donc considérer qu’actuellement, « sionistes » désignent les personnes qui soutiennent l’existence de l’État d’Israël et…Et rien de plus ! « Sioniste » ne veut rien dire de plus et se considérer sioniste ne donne aucune indication sur les opinions politiques d’un individu, sur la forme d’organisation politique qu’il voudrait donner à cet État, sur ses frontières, sur les relations avec le peuple palestinien, sur la politique de colonisation, sur le conflit israélo-palestinien. « Sioniste » ne veut rien dire de plus qu’être pour l’existence de l’État d’Israël.

Il existe donc des sionistes qui sont résolument contre la politique coloniale de l’État d’Israël, contre l’oppression du peuple palestinien, contre les massacres à Gaza, contre le gouvernement Netanyahou. Il existe des sionistes qui militent pour un cessez-le-feu immédiat, pour la création d’un État Palestinien, pour une solution à un État bi-national, pour le démantèlement des colonies, pour que la justice condamne lourdement les responsables des massacres à Gaza.

Pour des raisons liées à l’histoire de l’antisémitisme en Europe et dans les pays arabes, les étudiants juifs sont attachés émotionnellement à l’État d’Israël où ils ont parfois une partie de leur famille et dans lequel ils voient un refuge possible en cas de danger antisémite. Danger qui malheureusement est loin d’avoir disparu. Rappelons que depuis l’assassinat de Sébastien Selam en

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2003, au moins 13 personnes ont été assassinées en France parce que juives. Comment les étudiants juifs, indépendamment de leurs opinions politiques, de leur position sur le conflit israélo-palestinien peuvent-ils se sentir lorsqu’ils sont accueillis sur leur lieu d’étude par une banderole géante « Sionistes hors de nos facs » ?

On pourra rétorquer qu’il s’agit d’un malentendu, d’une différence de perception, que « sioniste » ne veut plus dire droit à l’autodétermination du peuple juif ou du moins, que ceux qui appellent à « dégager les sionistes », n’appellent pas à dégager tous ceux qui défendent l’existence de l’État d’Israël. Mais dans ce cas-là, qui sont donc les « sionistes » qu’il faudrait dégager ?

Ce jeudi 4 avril, les étudiants rassemblés derrière la banderole hurlaient « Sionistes, fascistes, c’est vous les terroristes ». On pourrait logiquement croire que derrière « sioniste », devenu pour eux synonyme de fasciste, ils désignent les soutiens du gouvernement fasciste de Netanyahou et de sa politique, les soutiens des massacres à Gaza, les soutiens de la colonisation. S’agirait-il d’une incompréhension ? Est-ce que finalement ce sont bien les fascistes qui sont visés et non les « sionistes » au sens où pourrait l’entendre un étudiant juif ?

Nous sommes allés leur demander, pour tenter de dissiper ce malentendu. Malheureusement nul malentendu et les réponses sont quasiment unanimes. « Sionistes » désignent les personnes qui soutiennent l’existence même de l’État d’Israël. Nous avons bien la même définition. Il n’en existe d’ailleurs pas d’autre. « Sionistes hors de nos facs » est donc bien un appel à dégager toute personne attachée à l’existence de l’État d’Israël, toute personne défendant le droit à l’autodétermination du peuple juif. Nulle question de colonisation des territoires occupés, des massacres à Gaza, d’Apartheid, de fascisme, c’est l’existence même de l’État d’Israël qui pose problème.

Allons plus loin, il a suffi qu’un camarade serre la main au président de l’UEJF, pour être qualifié de « sioniste » par des personnes qui ne l’avaient jamais vu, ne lui avaient jamais parlé, ne connaissaient en rien de ses positions sur l’existence de l’État d’Israël. Le sionisme serait donc une maladie contagieuse et transmissible par contact physique ? On ne parle pas avec un sioniste, on pourrait tomber malade. Dans son université des militants qui continuaient de lui parler se sont vus adressés les mêmes reproches : « Pourquoi parlez-vous avec des sionistes ? ».

Sartre expliquait dans Réflexion sur la question juive « Le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour Juif »1. Aujourd’hui, on peut faire le même constat à l’université : l’étudiant sioniste est celui que les autres étudiants tiennent pour sioniste et qui le traitent en conséquence, c’est à dire en l’insultant, en l’ostracisant et en essayant de le « dégager ». Les familles juives se sont déjà massivement détournées de l’école public en raison de l’antisémitisme, voulons-nous que les étudiants juifs quittent à leur tour l’université ?

Mais si parmi ces étudiants qui brandissaient fièrement leur banderole « Sionistes hors de nos facs », il y avait des antisémites convaincus, comme cet étudiant qui expliquait maladroitement dans son mégaphone que « les Juifs étaient des suprémacistes blancs », il en existe heureusement d’autres qui ne comprennent pas la signification de leur banderole. Il y en a qui peuvent dans la même phrase appeler à dégager les « sionistes » et faire l’éloge de la LFI qui défend pourtant dans son programme politique une position sioniste avec la solution à deux États.

1 Jean-Paul Sartre, Réflexion sur la question juive, Paris, Gallimard, 1954, réed. Folio, 1985, p. 75.

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Aux organisations étudiantes et syndicales, aux militants antiracistes et antifascistes à nos camarades de lutte, nous demandons encore une fois d’être solidaires avec les étudiants victimes d’antisémitisme, d’essayer de comprendre leur douleur actuelle et de ne plus utiliser « sioniste » comme une insulte. Nous leur demandons d’essayer d’intégrer les Juifs et même, soyons fous, d’intégrer les sionistes antifascistes et antiracistes aux mobilisations de soutien au peuple palestinien, contre la colonisation, contre les massacres à Gaza et pour une paix juste et durable entre peuples israéliens et palestiniens dans le respect de leur droit à l’autodétermination.

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CENTS JOURS DE MILEI EN ARGENTINE: CRUAUTE ET TRANSGRESSION 

Trois mois de bruit et fureur alors que l’ Argentine est sur la corde raide au bord de l’ abîme. 

 Pablo Stefanoni 19 mars 2024 

Le 10 décembre dernier, à l’occasion du 40e anniversaire du retour de l’Argentine à la démocratie, l’économiste Javier Milei, un “anarcho-capitaliste” qui a exprimé son scepticisme à l’égard de la démocratie et qui continue à considérer l’État comme une “organisation criminelle”, est arrivé à la Casa Rosada.

Milei s’attache à montrer que son arrivée au pouvoir non seulement ne le modère pas, contrairement à ce qui se passe habituellement, mais qu’ elle attise encore plus sa rage refondatrice. Une sorte d'”Atlas Shrugged”  du Rio de La Plata qui reprend les images du capitalisme héroïque du roman d’Ayn Rand, publié en 1957, ainsi que des visions messianiques de la politique qui l’amènent à se comparer à Moïse ; ou à comparer sa sœur Karina à Moïse et à se réserver le rôle du frère et “traducteur” de Moïse, Aaron.Un président-troll

Pour Milei, la refondation nationale passe par la fin de “100 ans de collectivisme” qui auraient détourné le pays du destin tracé par les libéraux du 19ème siècle, le conduisant à devenir une immense “villa miseria” (bidonville). Il veut aussi en finir avec la “caste” politique – il a même remis au goût du jour le slogan “Que se vayan todos”- “Qu’ils s’en aillent tous”, scandé dans les rues lors de la rébellion sociale de 2001 – bien que son gouvernement soit truffé de politiciens de carrière, dont l’ancien candidat péroniste à la présidence Daniel Scioli, battu de justesse en 2015 par l’ancien président conservateur Mauricio Macri (2015-2019) et aujourd’hui secrétaire au Tourisme, à l’Environnement et aux Sports de Milei.

La détérioration économique de ces dernières années, avec une inflation de plus de 100 % par an et une augmentation de la pauvreté à plus de 40 %, a conduit les électeurs à revenus moyens et faibles à faire confiance à ce discours et à choisir “La Libertad Avanza”, l’étiquette électorale de Milei, avec un mélange de lassitude et d’ indigestion face à tout ce qui est  connu et d’espoir face à l’inconnu. En même temps, il est difficile d’expliquer le résultat des élections argentines sans prendre en compte le climat mondial, avec la montée de nouvelles droites radicales et de politiciens prétendument “anti-establishment”.

Milei a assumé la présidence lors d’une cérémonie dos au Congrès – pour réaffirmer sa lutte contre “la casta” -la caste – ; et son récent message à la nation à l’occasion de l’ouverture de l’année législative a montré son mépris pour un Congrès où il est minoritaire et dépendant de la droite de “Propuesta republicana” -(Proposition républicaine (Pro), le parti de Mauricio Macri, et de l’opposition “dialoguiste” , qu’il ne cesse d’insulter.

“Il n’y a pas de place pour les tièdes”, a déclaré le président de la Chambre des députés, Martín Menem, du parti de Milei et l’un des proches de l’ancien président néolibéral Carlos Menem (1989-1999) qui intègrent le nouveau parti au pouvoir

La fureur de Milei s’est accrue ce mois-ci lorsqu’une majorité du Sénat a rejeté son décret de nécessité et d’urgence (DNU) publié en décembre – qui abroge ou modifie quelque 300 lois pour déréglementer l’économie – bien que cette décision n’ait aucun effet juridique si la Chambre des députés ne vote pas également en faveur de son rejet.

Le président a posté à nouveau un message avec la liste des sénateurs qui ont voté contre la DNU et les lettres HDRMP (hijos de remil puta-fils de  pute). Il avait également menacé de “pisser” [uriner] sur les gouverneurs après l’échec de sa “loi omnibus” – comprenant plus de 500 articles et des pouvoirs spéciaux pour le président – à la chambre basse, et avait qualifié le Congrès de “nid de rats”.

Accro aux réseaux sociaux, Milei agit comme un véritable président-troll, dans le sillage de Donald Trump, soutenu par des armées de followers – organisés et spontanés – qui lancent de violentes guérillas virtuelles et font circuler un lexique visant à disqualifier l’opposition, souvent sous forme de mèmes.

“Ils sont à la masse” (les opposants ne voient pas la réalité), “larmes de gauchistes” (les gauchistes pleurent la perte de leurs privilèges) ou “les forces du ciel” (sur lesquelles s’appuie le gouvernement), ainsi que divers autres mèmes dans lesquels Milei est présenté comme un lion rugissant ou un super-héros.

Milei, approfondissant son côté mystique, répète une citation du livre des Maccabées selon laquelle, dans une bataille, la victoire ne dépend pas du nombre de soldats, mais des forces du ciel. Proche de l’organisation hassidique Chabad Lubavitch, bien qu’il ne soit pas juif, il tweete souvent des messages bibliques en hébreu pour réaffirmer qu’il ne dirige pas un gouvernement ordinaire, mais une révolution qui va au-delà des frontières terrestres.

Guerre culturelle

Depuis son entrée en politique en 2021, après s’être fait connaître comme un panéliste excentrique de la télévision, obsédé par John M. Keynes – un nom qui le rend littéralement fou -, Milei a commencé à intégrer le langage de la “droite alternative”. Il a d’abord dénoncé l’omniprésence supposée du Forum de São Paulo – un réseau affaibli de partis de gauche latino-américains – à partir de points de vue complotistes, et est finalement devenu un croisé contre le “marxisme culturel”.

Dans ce cadre Il dénonce le réchauffement climatique comme une invention socialiste et associe le “féminisme radical” et l’environnementalisme à un plan de réduction de la population planétaire par l’avortement et la décroissance.

Milei présente ses politiques comme de véritables revanches anti-progressistes. Les fermetures de l’Institut National contre la Discrimination, la Xénophobie et le Racisme et de l’Agence de presse d’État Télam, ainsi que les réductions du financement du cinéma argentin et du Conseil National de la Recherche Scientifique et Technique sont célébrées comme des victoires contre le marxisme culturel, provoquant des “larmes de gauchistes”.

Même les licenciements de travailleurs sont célébrés par les militants libertaires, souvent aux portes des Institutions “supprimées”. “La cruauté est à la mode”, a déclaré l’écrivain Martín Kohan. Une cruauté mêlée à la transgression propre aux réseaux sociaux et aux nouvelles droites.

Le protocole “anti-piquet” (contre la lutte organisée des chômeurs organisés -les “piqueteros”)  – qui criminalise les blocages de rue – adopté par la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, écartée du scrutin lors des dernières élections, est également vécu de cette manière. “Faucon” de la droite traditionnelle, qui occupait déjà le même poste dans le gouvernement Macri, Bullrich est un membre clé du gouvernement et a fait de la main de fer contre la criminalité et la contestation sociale sa marque de fabrique. Si le Milei anarcho-capitaliste parlait de façon critique des “forces répressives de l’État”, le Milei président fait siennes les menaces de répression de sa ministre.

La dernière provocation en date a été de remplacer, le 8 mars, alors que des dizaines de milliers de femmes défilaient à Buenos Aires pour la Journée internationale de la femme, le Salon des Femmes Argentines du palais du gouvernement par le Salon des los Próceres-des Héros de la Nation. Le panthéon pluraliste, qui comprenait des femmes de biographies et d’idéologies différentes, a été remplacé par des portraits de Pròceres-de Héros Nationaux, tous masculins, y compris les traditionnels “pères fondateurs”, avec des figures telles que l’ancien président controversé Menem, qui a imposé un programme de privatisation radical dans les années 1990 – pour Milei, un Héros national de plus.

La responsable de ce changement est Karina Milei, la sœur du président, qu’il surnomme “la patronne” et actuelle secrétaire générale de la présidence. “Une idée archaïque et excluante de la nation… qui sent la naphtaline”, résume le célèbre historien Roy Hora.

Face aux critiques de misogynie, Milei répond en donnant raison aux femmes qui occupent des postes dans son cabinet : Bullrich, la ministre des affaires étrangères Diana Mondino, la ministre Sandra Pettovello, qui dirige le ministère du Capital humain qui a absorbé les portefeuilles de l’Education, du Travail, des Politiques sociales, de la Femme et des Droits de l’Homme, et sa sœur Karina, figure centrale de l’administration.

On peut également ajouter à la liste la vice-présidente Victoria Villarruel, une avocate qui défend, ou du moins justifie, les officiers militaires condamnés pour des crimes contre l’humanité commis pendant la dernière dictature (1976-1983), mais dont le style et les intérêts sont en conflit permanent avec Milei et son entourage.

Cette bataille culturelle fait entrer Milei dans la tribu mondiale des politiques ultras. Lui croit que l’Occident est en danger parce qu’il a abandonné les idées de la liberté, comme il l’a souligné devant le Forum économique mondial de Davos, qu’il considère comme un club de socialistes.

Devenu en 2013 adepte de la version la plus radicale de l’école autrichienne d’économie, celle de Murray Rothbard, le mandataire argentin est devenu une icône des droites libertaires, mais son anti-progressisme le connecte aussi avec les secteurs les plus réactionnaires. C’est en tant que tel qu’il a été l’un des invités de la dernière Conservative Political Action Conference (CPAC) aux États-Unis, où il a rencontré Donald Trump sans pouvoir cacher son émotion. Milei a également rendu visite à la Première ministre italienne d’extrême droite Giorgia Meloni – lors du même voyage au cours duquel il a tenté de se réconcilier avec le pape François, qu’il avait qualifié de “représentant du mal sur Terre” – et entretient des liens étroits avec la famille Bolsonaro. Il a également reçu beaucoup d’éloges de la part d’Elon Musk, avec qui il partage une haine viscérale de la justice sociale.

Tronçonneuse et mixeur

Milei a fait campagne avec une tronçonneuse pour symboliser la réduction des dépenses publiques qui, a-t-il promis, ne toucherait que la “caste”.

Mais son programme de choc était d’une telle ampleur que le Fonds monétaire international (FMI) lui-même lui a recommandé de ne pas négliger les familles de travailleurs et les plus vulnérables, par crainte d’une explosion sociale. En janvier, la pauvreté touchait déjà plus de 57% de la population, selon l’Observatoire de la dette sociale argentine de l’Université catholique.

Plus que la tronçonneuse, Milei a utilisé le mixeur (liquéfaction des dépenses) : il a maintenu les postes budgétaires sans augmentation en 2023 avec une inflation de 20,6% en janvier et 13,2% en février (chiffre célébré par le gouvernement pour une supposée tendance à la baisse).

Les retraites ont vu leur pouvoir d’achat baisser de 30%. La réduction des prestations sociales, la paralysie des travaux publics, la réduction des transferts aux provinces et le report du paiement de la dette expliquent l’excédent financier que le gouvernement célèbre mais que plusieurs économistes considèrent avec scepticisme, notamment en termes de durabilité.

Ces 100 jours ont été marqués par des tensions avec les gouvernements provinciaux, compte tenu du refus de l’administration fédérale de leur transférer certains fonds fiscaux. Mais dans le cas de la province de Buenos Aires, la plus peuplée du pays et gouvernée par le péroniste Axel Kicillof, Milei a soutenu l’appel à la “rébellion fiscale” – c’est-à-dire au refus de payer les impôts – lancé par le député José Luis Espert, un allié du gouvernement.

Mais la stratégie de Milei, qui consiste à asphyxier financièrement les provinces pour qu’elles procèdent à des ajustements aussi radicaux que l’État fédéral, est à double tranchant, et il suffit de se rappeler les violentes explosions sociales provinciales des années 1990.

“Allez Toto [Caputo, ministre de l’économie]. Le déficit 0 n’est pas négociable”, écrit Milei sur le réseau X. De son côté, Caputo a assuré qu'”il n’y a pas de précédent mondial d’une réduction de cinq points du déficit en un mois, et ce que cela démontre, c’est l’engagement du président”.

Bien que Milei considère que tous les impôts sont un vol et que s’y soustraire devrait être un droit de l’homme, il a l’intention d’en augmenter plusieurs, et même d’étendre le mal nommé impôt sur les “gains” ( sur les revenus salariaux) que l’ancien ministre de l’économie et candidat à la présidence, Sergio Massa, avait réduit l’année dernière, pendant la campagne électorale.L’économie sera la clé

La bataille culturelle sert à unir et à occuper la base de Milei, mais le président a gagné les élections parce qu’il a convaincu 30 % des électeurs au premier tour et 55 % au second que sa recette sortirait le pays de la crise et le projetterait dans un avenir prometteur de liberté et d’abondance. C’est sur ce terrain que se jouera son avenir et sa capacité à construire un bloc de soutien politique et social qui lui fait défaut aujourd’hui.

La stabilité du gouvernement est pour l’instant assurée par un Parti Justicialiste encore éprouvé par sa défaite électorale – et par le fort rejet social du secteur péroniste dominant des 20 dernières années, celui de l’ancienne présidente Cristina Fernández de Kirchner -, par un système politique qui n’a pas encore réussi à décoder le “mileisme” et par la crainte de l’opposition que Milei ne capitalise sur le rejet législatif de ses mesures lors des élections législatives de 2025 pour en faire un levier populiste.

En attendant, tout le monde se demande combien de temps durera la confiance sociale – qui, selon les sondages, semble durer – dans le président le plus inclassable et le plus extravagant des quatre dernières décennies de démocratie en Argentine.

À propos du 8 mars à Paris, communiqué du RAAR

La manifestation parisienne du 8 mars a été un succès, dont nous nous félicitons. Les organisatrices de la manifestation avaient accepté que les collectifs juifs « Nous vivrons » et « No Silence » défilent au sein du cortège, suite aux difficultés rencontrées lors de la marche féministe du 25 Novembre. Mais de graves incidents ont eu lieu ce 8 mars à Paris. Au cours de la manifestation, ces collectifs ont été harcelés, agressés, insultés, c’est-à-dire traités de « fascistes », et finalement exfiltrés, alors que ces femmes juives portaient un message dénonçant les féminicides et les viols du 7 octobre en Israël, reconnus désormais officiellement par l’ONU.


Il s’agit là d’événements inadmissibles, qui n’ont rien à voir avec la solidarité indispensable avec le peuple palestinien. Le RAAR (Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes) dénonce le comportement des groupes qui ont provoqué le départ des militantes de « Nous vivrons » et « No Silence » et assure ces dernières de sa solidarité. Nous demandons aux organisatrices de la marche du 8 mars de condamner publiquement ces agressions.

Paris, le 9 mars 2024

Le Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR)

La guerre n’est un spectacle de tréteaux

Lundi soir ,dans la nuit, Macron, rendant compte d’une réunion qu’il avait organisé avec une vingtaine de chefs d’États et de gouvernements, a radicalement changé de discours envers la Russie « qu’il ne fallait pas humilier ».

Défaite de la Russie alors qu’il fallait qu’elle ne gagne pas.

Pas en guerre contre le peuple russe donc en guerre contre Poutine.

Envisager l’envoi de troupes sur le terrain.

Passage rapide à l’économie de guerre.

Sur l’envoi possible de troupes sur place, annonce sans précisions, les plus importantes chancelleries européennes ont fait connaître immédiatement leurs désaccords.

Ce qui laisserait à penser que Macron comme souvent a décidé tout seul. L’émoi provoqué par ces annonces dans les États-majors français peut en témoigner.

Cette fuite en avant dans le discours chercherait-elle à cacher que la France est un des plus faibles contributeurs à l’aide à l’Ukraine et à sous-estimer la faiblesse de l’armée française en armements et en effectifs.

Ce discours qui ne repose sur aucun accord préalable ni sur aucune étude de faisabilité montre surtout l’irresponsabilité de ce président. 

Sur le plan économique, le passage à une économie de guerre nécessite des réformes profondes et un consensus politique a minima. Or, si les carnets de commandes de certaines industries sont pleins, il n’est nullement prévu à ce stade d’ouvrir de nouvelles lignes de production. Il est encore moins prévu de réorienter certaines industries vers l’armement. Il n’y a ni contrôle ni de planification en vue voire nationalisation temporaire de ce secteur. Éléments capitaux pour aller vers une économie de guerre.

Si un accord existe entre producteurs européens pour accélérer la production d’armes et de munitions c’est avant tout pour rééquiper les armées européennes, l’aide à l’Ukraine apparaissant comme un « effet d’ aubaine ». Il faut aussi voir que l’augmentation de la production d’armes et donc la croissance des exportations vers des pays financièrement solides est importante au moment où l’économie stagne.

Macron aux prises avec de multiples crises intérieures comme la crise agricole nous parlait de « réarmement », aujourd’hui  il parle de guerre. C’est un Macron isolé qui envisage un débat avec vote sur l’accord bilatéral avec l’Ukraine dans un parlement où les partis dominants sont favorables à la Russie sous couvert de pacifisme  chauvin.

Pourtant l’Ukraine est dans une situation difficile, difficile sur le plan militaire du fait du retard dans la livraison des munitions et difficile sur le plan politique et sociale en raison des multiples réformes néolibérales. C’est dans ces moments que le pouvoir devrait s’appuyer sur le peuple en développant les solidarités et les socialisations. Au contraire, ce sont les plans néolibéraux qui sont mis en œuvre plaçant l’Ukraine sous l’entière dépendance de l’Europe et des Etats-Unis. Et comme l’a rappelé Macron dans son discours, le retour de Trump changera la donne entièrement. L’Ukraine dépend totalement de l’aide des gouvernants occidentaux  aux prises avec leurs propres crises . Elle est sous la menace de changements politiques qui renverseraient les alliances.

Comme souvent la parole, le verbe sert de masque à la réalité. Parfois l’illusion fonctionne mais là le danger est trop grand de voir l’Ukraine asphyxiée.

Dans toute l’Europe des manifestations très importantes d’Ukrainien/nes essentiellement ont montrées la volonté populaire de sauver la nation ukrainienne. Le combat politique à leur côté doit mettre en lumière les résistances et les besoins du peuple dans sa lutte pour son indépendance. 

La lutte politique doit être au niveau du courage des ukrainiens et doit affronter ceux qui jouent avec la vie et l’indépendance d’un peuple pour satisfaire leurs visées géopoliticiennes. 

PS. Moins de vingt-quatre  heures après les propos de Macron, le secrétariat de l’OTAN et la Maison Blanche déclarent qu’ils n’enverront pas de soldats sur le sol ukrainien.

Lettre ouverte aux organisations qui convergent au sein d’Urgence Palestine

Nous sommes militant·es de gauche, révolutionnaires, libertaires, syndicalistes, juif·ves pour certain·es. Notre solidarité et notre soutien sont tournés vers les Gazaoui·es. Dans cette lettre ouverte, nous interpellons le collectif Urgence Palestine et les organisations qui le composent : le soutien au peuple palestinien ne doit tolérer ni l’antisémitisme ni les idées réactionnaires.

Nous sommes militantes et militants de gauche, révolutionnaires, libertaires, syndicalistes, juif·ve·s pour certain·e·s. Au moment où nous écrivons ce texte, notre solidarité et notre soutien sont tournés vers les Gazaoui·e·s, qui subissent un massacre atroce et vertigineux, ainsi que vers les Palestiniennes et les Palestiniens de Cisjordanie soumis à la colonisation, aux expropriations et aux violences quotidiennes exercées par les colons et les forces de sécurité aux ordres du gouvernement israélien. 

Notre soutien et notre solidarité sont également tournés vers les victimes civiles de l’attaque du 7 octobre en Israël, massacrées parce que juif·ve·s ou assimilé.e.s comme tel.le.s, et qui sont pour certain·e·s encore retenu·e·s en otage par le Hamas. Nous n’oublions pas. Nous ne pardonnons pas.

Le collectif Urgence Palestine, créé en octobre 2023 à l’initiative de Boussole Palestine, regroupe de nombreuses organisations[1] avec comme objectif initial de constituer “un front large, populaire, démocratique”[2] autour de certaines revendications que nous partageons : “Pour un cessez-le-feu immédiat et la fin du blocus. Halte au massacre, Halte au siège.”[3]

Pour autant, plusieurs aspects nous inquiètent fortement : via ses interventions ou celles d’organisations qui le composent, ce collectif agglomère énormément de prises de positions problématiques : apologie des massacres du 7 octobre, aveuglement voire connivence vis-à-vis de l’extrême droite palestinienne, rhétorique complotiste antisémite, invisibilisation des viols commis envers des femmes en Israël…

Le combat pour l’indépendance de la Palestine et la liberté du peuple palestinien est juste, légitime et indispensable. Pour qu’il soit réellement émancipateur, massif et victorieux, il ne devrait tolérer ni l’antisémitisme ni les idées réactionnaires..

Par cette lettre ouverte, nous voulons permettre aux militant·e·s et aux organisations qui se réclament de l’antiracisme, de l’antifascisme, de la solidarité internationale et de la justice sociale ; aux camarades qui se sentent concernées par l’urgence du cessez-le-feu permanent pour le peuple Palestinien, par l’urgence de l’indépendance pour la Palestine, par l’urgence de la paix entre les peuples, de faire leur choix de s’engager aux côtés d’Urgence Palestine en connaissance de cause.

     a)     Apologie des massacres du 7 octobre

Dès le 7 octobre, nous disposions de nombreuses informations[4] montrant que l’opération menée par le Hamas[5], le Jihad islamique[6], le FPLP[7], le FDLP[8] et la Fosse aux lions[9] avait visé en grande partie des civils, notamment dans des kibboutzim et au festival de musique Tribe of Nova, avec une tonalité antisémite, pogromiste et exterminatrice caractérisée : massacres systématiques et indifférenciés de civils de tous âges, viols et mutilations, tortures, enlèvements d’otages dont des bébés et des personnes âgées, acharnement sur les cadavres, destruction des maisons…

Pourtant, la plupart des déclarations des organisations membres d’Urgence Palestine ont caractérisé le “Déluge d’al-Aqsa” le 7 octobre, d’ “opération de résistance” et l’ont défendue voire célébrée, au mépris des crimes commis contre des civils, massacrés en raison de leur judéité supposée. 

C’est notamment le cas de l’Action Antifasciste Paris Banlieue (AFA-PB) qui a déclaré : “Face aux événements actuels en Palestine, on ne peut que se ranger du côté de la résistance palestinienne[10]

De son côté, l’association Europalestine a salué : “La résistance armée palestinienne, sous la conduite de la branche militaire du Hamas (les brigades Ezzedidine al-Qassam), [qui] a réussi samedi une offensive sans précédent contre le régime de l’apartheid” se réjouissant de voir “Netanyahou et sa bande humiliés par la réussite de la résistance[11]

Le 7 octobre, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) a rappelé son “soutien aux PalestinienNEs et aux moyens de luttes qu’ils et elles ont choisi pour résister (…)[12]

Dans une publication sur le réseau social X, supprimée depuis, le Parti des Indigènes de la République (PIR) a exprimé sa position sans ambiguïté : “Que la Résistance palestinienne qui mène son action avec détermination et confiance dans des conditions héroïques reçoive en ces heures terribles toute notre fraternité militante. La Palestine vaincra, et sa Victoire sera la nôtre[13]

Après avoir qualifié le Hamas et ses alliés de “Résistance Musulmane”, Perspectives Musulmanes a condamné les “lâches et sournoises condamnations de l’action des Libérateurs[14]

Révolution Permanente a affirmé de son côté : “Le droit [des Palestiniens] à la résistance et à la lutte contre les agressions et attaques du colonialisme israélien est pour nous indiscutable. En ce sens, par-delà nos désaccords politiques avec les directions palestiniennes, nous défendons inconditionnellement ce droit, par tous les moyens qu’il trouve à sa disposition dans une situation aussi complexe, y compris la lutte armée[15]

Samidoun a caractérisé l’opération du Hamas de “résistance indiquant une nouvelle voie à suivre” avant de reprendre à leur compte et sans la moindre critique la déclaration de Mohammed Deif, l’un des dirigeants militaires du Hamas responsable de l’attaque du 7 octobre[16]

Enfin, l’UJFP a comparé implicitement le Hamas au Groupe Manouchian, résistants de la Main d’Oeuvre immigrée (dont une majorité étaient juifs) au sein des Francs-Tireurs et Partisans contre l’occupant allemand, laissant entendre que les Israéliens seraient les nouveaux nazis.[17]

Ces déclarations convergent toutes et, si l’on devait faire l’inventaire exhaustif des propos tenus par les organisations membres ou proches d’Urgence Palestine, on ne trouverait probablement aucune contradiction de fond. Il y a bien là les éléments d’un consensus politique que chacun·e appréciera.

     b)     Aveuglement sinon connivence envers l’idéologie d’extrême droite du Hamas 

Si le secteur international de la CNT rappelle qu’il ne “partag[e] clairement pas [le] projet de société [du Hamas]”, si Révolution Permanente parle de “désaccords politiques avec les directions palestiniennes”, leurs communiqués respectifs ne disent pas sur quoi portent ces “désaccords” et s’empressent de saluer immédiatement “le droit légitime des Palestinien·ne·s à se défendre” et ce “quoiqu’on pense de leurs directions politiques”, ainsi que l’écrit l’UJFP.

Comme si ces désaccords étaient anecdotiques. 

Comme si les massacres commis par le Hamas pouvaient être décorrélés de l’idéologie de cette organisation politique. 

Comme si l’on pouvait séparer le fait de tuer et de mutiler des juif·ve·s du fait d’appeler à les tuer : 

–        dans sa Charte fondamentale : “L’Heure ne viendra pas avant que les musulmans n’aient combattu les Juifs (c’est à dire que les musulmans ne les aient tués), avant que les Juifs ne se fussent cachés derrière les pierres et les arbres et que les pierres et les arbres eussent dit: ’Musulman, serviteur de Dieu ! Un Juif se cache derrière moi, viens et tue-le”[18]

–        via des déclarations de dirigeants : 

“Les juifs ont corrompu les peuples européens. C’est pourquoi l’Europe a voulu s’en débarrasser […] Il incombe à la Palestine bénie de mener le djihad, afin de débarrasser le monde de la malfaisance des juifs.”[19] 

“Nous voulons que vous coupiez la tête des Juifs avec des couteaux.”[20]

“Il y a des Juifs partout ! Nous devons attaquer tous les Juifs de la planète Terre – nous devons les massacrer et les tuer, avec l’aide d’Allah. Assez d’échauffement ! ”[21]

Alors que nombre d’organisations ont rappelé, à raison, l’importance de contextualiser l’attaque du 7 octobre, de la situer dans le cadre d’un peuple soumis à une politique d’extrême-droite israélienne meurtrière et mortifère, celles-ci n’ont pas vu, ou n’ont pas voulu voir, la contextualisation et la filiation directe entre l’antisémitisme fondamental du Hamas d’un côté et le choix du mode opératoire de l’autre. Le pogrom du 7 octobre constitue pourtant le massacre de Juif·ve·s le plus sanglant depuis la Shoah. 

De plus, ces organisations n’ont guère prêté attention au fait que le Hamas s’en est largement pris à des kibboutzim qui abritaient, c’est un fait connu, des militant·e·s de gauche,  engagé·e·s pour la paix et la reconnaissance des droits des Palestinien·ne·s, à l’instar de Viviane Silver, activiste de gauche qui œuvrait au quotidien pour la paix et pour prendre soins des enfants gazaouis en leur donnant des soins médicaux. Elle a été brûlée vive dans sa maison du kibboutz Beeri le 7 octobre, dans le silence assourdissant d’une partie de notre camp politique.

Un tel silence, une telle cécité, voire une telle connivence d’organisations de “notre camp” face à ces horreurs relève d’une insensibilité et d’un mépris profond envers les vies juives, absolument déshumanisées, qui nous révolte..

C’est ce même silence qui a caractérisé bien trop d’organisations, notamment le 25 novembre dernier, face aux viols de masse systématiques[22] qui ont accompagné les attaques du 7 octobre[23], et face au sort des otages dont Urgence Palestine se refuse à demander la libération[24], tandis qu’Europalestine déclare que “les combattants à Gaza traitent correctement les otages”[25].

Comme si la solidarité internationale ne pouvait pas combiner la condamnation des atrocités subies par les civils palestiniens et les atrocités subies par les civils israéliens !

     c)     Rhétorique complotiste et antisémite

Parmi les autres éléments très problématiques dans les prises de position d’Urgence Palestine se trouve l’utilisation d’une rhétorique proche du complotisme antisémite pour caractériser le sionisme : “Le sionisme est né en occident et continue d’être soutenu par les puissances coloniales, impérialistes et racistes où ses réseaux se nourrissent de la domination des hommes blancs puissants et riches[26]

Dans la même ligne, un des porte-parole d’Urgence Palestine, Sari Hijji, approuve les propos d’un militant de Génération Palestine, Chafik, qui déclare qu’il faut “se libérer du sionisme, parce que le sionisme c’est pas simplement ce qu’il se passe en Palestine, c’est quelque chose qui est mondial”[27]. Puis, Sari Hijji insistera sur l’importance de se battre contre le sionisme car “c’est un catalyseur, un endroit où tu vas pouvoir politiser les gens”[28].

En utilisant ces termes de “réseaux”, de “domination”, d’“hommes blancs puissants et riches”, et en faisant du combat contre le sionisme mondial le “catalyseur” des luttes sociales, Urgence Palestine est bien loin de la critique de la politique menée par l’extrême-droite israélienne. Par l’imaginaire convoqué et le champ lexical utilisé, le collectif est alors bien plus proche de la vision antisémite d’une “conjuration juive internationale d’inspiration sioniste” telle qu’imaginée dans Les Protocoles des sages de Sion  et diffusée entre autres par le négationniste et antisémite notoire Ahmed Rami. Le post du 12 octobre 2023 de ce compagnon de route de Robert Faurisson et Vincent Reynouard résonne fortement avec les prises de position d’Urgence Palestine sus-mentionnées : “La libération de la Palestine fait partie de la libération du monde entier dont le sort se joue en Palestine. Si le  peuple palestinien se libère de cette domination sioniste, cela  donnera l’espoir au monde entier qu’il se libérera de cette domination.”[29]

Le protocole des sages de Sion, matrice de la dénonciation du “sionisme mondial”

Ce texte, rédigé au début du XXè siècle par l’Okhrana, la police politique tsariste, est un faux[30] qui décrit un prétendu projet juif et sioniste de domination mondiale. Ce livre servira de support de propagande antisémite à travers le monde entier tout au long du XXè siècle. 

Afin de prouver “l’aspiration de la juiverie à dominer les peuples du monde entier[31], Hitler s’appuiera sur ce faux à de nombreuses reprises. Ce sera aussi le cas d’autres dignitaires nazis, à l’instar de Johann Van Leers qui a, par exemple, cité ce passage dans une brochure de propagande nazie[32] : “Nous les forcerons à nous offrir un pouvoir international, dont la disposition sera telle qu’elle pourra sans les briser englober les forces de tous les États du monde et former le Gouvernement Suprême”. Van Leers est un dignitaire nazi qui se réfugiera au Caire dans les années 1950 pour y développer la propagande antisémite pour le régime de Nasser. Il dirigeait “La voix des arabes”, principale radio égyptienne et vecteur de la propagande “antisioniste” du monde arabe. A son arrivée en Egypte, il avait été accueilli par Amin Al-Husseini avec les mots suivants : “Nous vous remercions d’être venu jusqu’ici reprendre le combat contre les puissances des ténèbres incarnées par la juiverie mondiale”.[33]

En URSS, une partie de ces Protocoles ont été utilisés par Staline. L’accusation de sionisme sera au centre du “complot des blouses blanches”, cette affaire montée elle aussi de toutes pièces[34] qui servira de point de départ à une campagne antisémite d’Etat dans les derniers mois de la vie du dictateur. 

Une vision réactualisée du “sionisme mondial”

En 1988, c’est le Hamas qui les cite dans sa charte fondamentale comme preuve irréfutable du “plan sioniste” : 

“Lorsqu’ils auront parachevé l’assimilation des régions jusqu’auxquelles ils seront parvenus, ils ambitionneront de s’étendre plus loin encore, et ainsi de suite. Leur plan se trouve dans Les Protocoles des sages de Sion et leur conduite présente est une bonne preuve de ce qu’ils avancent.“[35]

Cette vision complotiste du sionisme sera réaffirmée dans leur “Document sur les principes généraux et politiques” de 2017, dans lequel est affirmé que “le projet sioniste ne vise pas uniquement le peuple palestinien” et qu’il est “la principale source de[s] problèmes [de la Oummah]” et comme “un grand danger pour la sécurité et la paix internationales et la stabilité de l’humanité tout entière.”[36]

En France, cette idée a été réactualisée dans les années 2000 à l’extrême-droite par Soral et Dieudonné qui s’en prendront régulièrement au “sionisme mondial” et au “lobby sioniste” qui contrôlerait les médias et la finance. Ils vont alors fortement imprégner une part importante de “la gauche”, comme chacun a pu le constater encore dernièrement lorsque David Guiraud explique que Soral et Dieudonné étaient “les seuls à prendre à bras-le-corps” le sujet israélo-palestinien[37]. On pourrait aussi citer Etienne Chouard qui déclarait sans sourciller : “[Soral] m’a rendu sensible à un point qui, pour moi, n’existait pas auparavant : c’est le sionisme, le poids du sionisme au niveau mondial.[38]

Europalestine a présenté une liste aux européennes de 2004[39] dans laquelle figurait Dieudonné et à laquelle Soral a apporté un soutien appuyé. La même association a appelé à manifester pour soutenir “l’humoriste” le 20 février 2014. Une douzaine d’années plus tard, cette association dénoncera à plusieurs reprises l’emprise supposée du lobby juif, en manifestant notamment le 1er avril et le 9 décembre 2017 pour “la séparation du CRIF et de l’Etat”[40], ce qui ne manquera pas de résonner avec la “séparation de la Synagogue et de l’Etat” réclamée par le militant d’extrême-droite et ancien collaborateur Pierre Sidos, le 6 février 1959.

En termes de passerelles avec l’extrême-droite, notons également qu’Elias d’Imzalène, fondateur de Perspectives Musulmanes et orateur régulier sur les camions d’Urgence Palestine, donnait une conférence en 2013 au Théâtre de la Main d’Or, alors dirigé par Dieudonné, sur le thème “Lobby tout puissant : vers une révolte des oubliés[41]. La conférence, organisée par Egalité & Réconciliation, donnait également la parole à Franck Abed, théoricien d’extrême-droite antisémite et royaliste. 

Aussi, parler du sionisme comme le fait Urgence Palestine, non pour ce qu’il est, à savoir un mouvement visant à la formation d’un foyer national juif, traversé par des courants allant de l’extrême-gauche anticoloniale à l’extrême droite-fasciste religieuse, mais pour dénoncer le poids du sionisme au niveau mondial et la “domination des hommes blancs puissants et riches” s’inscrit dans la continuité d’une rhétorique faisant appel à de nombreux tropes antisémites. 

Ne perdons pas notre boussole internationaliste 

La nécessaire défense du peuple palestinien se trouve entachée de déclarations célébrant les exactions du Hamas ; de silenciation voire de négation des violences et viols commis envers des Israéliennes ; d’antisémitisme et de complotisme. 

Nous ne pouvons tolérer un tel soutien acritique et inconditionnel au Hamas qui véhicule et met en pratique une idéologie antisémite, sexiste, homophobe et réactionnaire.

Nous ne pouvons tolérer que des organisations auxquelles nous avons pu adhérer ou contribuer et qui se retrouvent autour d’Urgence Palestine, puissent à ce point mépriser les vies juives, qui plus est dans un contexte de flambée d’antisémitisme en France[42]. Les atrocités commises par l’armée israélienne et les colons israéliens ne doivent en aucun cas nous faire perdre de vue notre boussole internationaliste, antifasciste, antiraciste et antipatriarcale.

En France, l’ambiguïté de notre camp politique (une part de la gauche et des libertaires) sur ces questions profite aux antisémites ; fait le jeu de l’extrême-droite qui se pose en défenseurs des Juif·ve·s pour mieux attaquer les Arabes, les Maghrébin.e.s et les Musulman·e·s ; met en danger les Juif·ve·s et amoindrit notre capacité de mobilisation de masse pour soutenir le peuple palestinien.

Ne laissons pas faire !

PS : Nous avons appris récemment que Gérald Darmanin envisage de dissoudre deux associations membres d’Urgence Palestine : Europalestine et Samidoun. Malgré notre profonde opposition aux positions prises par ces organisations, nous sommes opposés à leur dissolution par la force de l’Etat.

C’est au mouvement social de prendre conscience des aspects problématiques de ces organisations et de les dégager

SIGNATAIRES (dernière mise à jour 20/02/2024 – 12h10)

  • Fred Albi, militant associatif et syndical 
  • Ludovic Arberet, syndicaliste
  • Jacky Assoun,professeur retraité, membre du réseau  bastille.
  • Jean-Michel Barbier, ingénieur, ex-membre d’Alternative Libertaire
  • Grégory Benzekry,Dubamix, syndicaliste CGT, collectif Golem
  • Sophie Bournazel, militante CNT-F
  • Sylvaine Bulle,universitaire sociologue, membre du Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes (Raar)
  • Yves Coleman, Editions Ni Patrie Ni Frontières
  • Daman, chanteur, militant CNT-F, animateur à Radio Libertaire 
  • Debunkers de Hoax et rumeurs d’extrême droite, collectif
  • Nadine Herrati, cadre Les Écologistes, élue locale
  • Stéphane Julien, participant à La Révolution Prolétarienne
  • Jacques Kirsner, scénariste et producteur.
  • Michel Lanson, retraité Éducation Nationale, membre du Réseau Bastille
  • Lorenzo Leschi, collectif Golem
  • Jules Le Roy, militant jeunes écologistes, collectif Golem
  • Marieme Helie Lucas, Secularism Is A Women’s Issue (SIAWI)
  • Pierre Madelin, auteur
  • Philippe Marlière, politiste 
  • Fabienne Messica, sociologue, LDH
  • Vincent Présumey, professeur d’Histoire, syndicaliste FSU et membre du groupe Aplutsoc.
  • Martial Roche, journaliste, ex-militant de la CNT-F
  • Emmanuel Sanders, militant Juives et Juifs Révolutionnaires
  • Brigitte Stora, autrice, militante internationaliste
  • Nathanaël Uhl, militant PCF et collectif Golem 
  • Illana Weizman, essayiste
  • Dan Zisso, co-organisateur des manifestations anti-Neanyahu à Paris, Bureau Départemental EELV 92

Notes :

[1] Action Antifasciste Paris-Banlieue (AFA), Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF), Argenteuil Solidarité Palestine (ASP), Comité d’action interprofessionnel et intergénérationnel d’Issy-les-Moulineaux, Association France Palestine Solidarité-Paris 14-6, Collectif Boycott Apartheid Israël Paris-Banlieue, Collectif Ivryens pour la Palestine, Convergence Citoyenne Ivryenne (CCI-Ivry), Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), Coordination pour la Défense des Quartiers Populaires, Droits Devant !!, Europalestine, Femmes Plurielles, Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR), Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP), Fédération Syndicale Etudiante (FSE), FSE Nanterre, FSE Saint-Denis, secrétariat international de la Confédération Nationale du Travail (CNT), Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), Parti des Indigènes de la République (PIR), Parti des Travailleurs Tunisie-Section France, Perspectives Musulmanes, Révolution Permanente, Samidoun Paris Banlieue, Solidarité Montreuil Palestine, Union des Travailleurs Immigrés Tunisiens (UTIT)

[2] Appel d’Urgence Palestine https://urgence-palestine.com/ 

[3] Appel d’Urgence Palestine

[4] Attaque du Hamas sur Israël : au moins 250 morts et 1 500 blessés selon un bilan dans la soirée, nombreux appels à la désescalade, Libération, 07/10/2023 https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/le-hamas-revendique-une-vaste-attaque-contre-israel-des-roquettes-tirees-et-des-assaillants-infiltres-20231007_H7KRMBSGVFBWVJDHEOUODTSFLE/ 

[5] Des centaines de morts, des otages, Tel Aviv touchée… Retour sur le Jour I de la guerre entre le Hamas et Israël, L’Orient Le Jour, 07/10/2023 https://www.lorientlejour.com/article/1351713/des-dizaines-de-roquettes-tirees-de-la-bande-de-gaza-vers-israel-suivez-notre-direct.html

[6] Palestinian Al Quds Brigades claim responsibility for attack at Lebanon-Israel border, Al Arabiya, 09/10/2023 https://english.alarabiya.net/amp/News/middle-east/2023/10/09/At-least-two-infiltrators-from-Lebanon-killed-in-border-clash-Israel-channel-13-TV

[7] Communiqué du FPLP, 08/10/2023 https://www.alahednews.com.lb/fastnewsdetails.php?fstid=217239

[8] Al-Qassam fighters engage IOF on seven fronts outside Gaza: Statement, Al Mayadeen, 08/10/2023 https://english.almayadeen.net/news/politics/al-qassam-fighters-engage-iof-on-seven-fronts-outside-gaza

[9] Qassam Brigades announces control of ‘Erez Crossing’, Roya News, 07/10/2023 https://en.royanews.tv/news/44975/2023-10-07

[10]X/Twitter, Afa P-B, 07/10/2023  https://twitter.com/AFA_Paris75/status/1710558474331951603?t=ZvLU-zH9ml8O8wiMzeJZYw&s=19 

[11] Gaza, Israël complètement pris par surprise par l’offensive de la Résistance, Europalestine, 07/10/2023 https://europalestine.com/2023/10/07/gaza-israel-completement-pris-par-surprise-par-loffensive-de-la-resistanc

[12] Offensive de Gaza : nous sommes tous et toutes palestinienNEs !, NPA, 07/10/2023 https://nouveaupartianticapitaliste.org/communique/offensive-de-gaza-nous-sommes-tous-et-toutes-palestiniennes

[13] Archive : https://web.archive.org/web/20231009232309/https://twitter.com/PartiIndigenes/status/1711048078566859142

[14] De la Résistance à la Libération, tous derrière la Palestine, Perspectives Musulmanes, 09/10/2023 https://www.instagram.com/p/CyL77GyIxAw/?img_index=1 

[15] Soutenir la résistance palestinienne est-ce soutenir la stratégie et les méthodes du Hamas ?, Révolution Permanente, 11/10/2023 https://www.revolutionpermanente.fr/Soutenir-la-resistance-palestinienne-est-ce-soutenir-la-strategie-et-les-methodes-du-Hamas

[16] Palestine : La résistance s’élève vers la révolution, le retour et la libération, Samidoun, 07/10/2023 https://samidoun.net/fr/2023/10/palestine-la-resistance-seleve-vers-la-revolution-le-retour-et-la-liberation/ 

[17] https://ujfp.org/larmee-du-crime/  L’UJFP n’est pas signataire de l’appel d’Urgence Palestine mais participe activement aux réunions d’organisation d’Urgence Palestine. Au sujet de cette organisation qui a relayé des propos négationnistes et antisémites, voir https://info-antiraciste.blogspot.com/2021/05/en-route-vers-le-negationnisme-derive.html et https://info-antiraciste.blogspot.com/2020/12/nouvelle-diatribe-antisemite-de-houria.html 

[18] Charte du Hamas, 1988, Article 7https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.gremmo.mom.fr%2Flegrain%2Fvoix15.htm#federation=archive.wikiwix.com&tab=url 

[19] Yunis Al-Astal, membre du Hamas et du Conseil législatif palestinien, Al-Aqsa TV, 25/02/2016

[20] Fathi Hammad, membre du Bureau Politique du Hamas, Al-Aqsa TV, 07/05/2021

[21] Fathi Hammad, Al-Aqsa TV, 12/07/2019

[22]Screams Without Words’: How Hamas Weaponized Sexual Violence on Oct., N-Y Times, 28/12/2023 https://www.nytimes.com/2023/12/28/world/middleeast/oct-7-attacks-hamas-israel-sexual-violence.html

[23] Communiqué d’Urgence Palestine, 24/11/2023 https://www.facebook.com/urgencepalestine/posts/122128114652077739   

[24] Communiqué d’Urgence Palestine, 18/11/2023 https://urgence-palestine.com/20231118-cp-reaction-appel-2/ 

[25] https://twitter.com/Europalestine1/status/1735938877142040698

[26] Communiqué d’Urgence Palestine, 24/11/2023 https://www.facebook.com/urgencepalestine/posts/122128114652077739  

[27] Space X/Twitter du 07/12/2023, 41 min https://x.com/i/spaces/1OdKrjdbBdyKX

[28] Space X/Twitter du 07/12/2023, 47min30

[29] Tweet d’Ahmed Rami, 12 octobre 2023 https://x.com/ahmed_rami/status/1712227547637825718?s=20 

[30] Les Protocoles des Sages de Sion, le complot centenaire, Podcast réalisé par  Alexandre Manzanarès, France Culture, Septembre 2020 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-les-protocoles-des-sages-de-sion-le-complot-centenaire

[31] Werner Maser, Mein Kampf d’Adolf Hitler, 1968

[32]Johann von Leers,Forderung der Stunde : Juden raus ! 1933

[33] Bernard Lewis, Sémites et antisémites, Presse Pocket, 1991 et https://phdn.org/negation/rassinier/leers.html 

[34] Thomas Wieder, Staline et le “complot des blouses blanches”, Le Monde, 20/04/2006 https://www.lemonde.fr/livres/article/2006/04/20/staline-et-le-complot-des-blouses-blanches_763505_3260.html

[35] Charte du Hamas, 1988, Article 32 https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.gremmo.mom.fr%2Flegrain%2Fvoix15.htm#federation=archive.wikiwix.com&tab=url 

[36] Charte du Hamas, 2017, article 15 https://www.chroniquepalestine.com/charte-mouvement-hamas-version-francaise/ 

[37] Charlotte Belaïch, Daniel et David Guiraud, politiques de père en schismes, Libération, 15/12/2023 https://www.liberation.fr/politique/daniel-et-david-guiraud-politiques-de-pere-en-schismes-20231215_37DWILIF2ZDJ5P6FCFRR3YEXF4/ 

[38]L’air du soupçon, Interview d’Etienne Chouard par François Ruffin, 10/09/2013 http://fakirpresse.info/l-air-du-soupcon 

[39] Page Wikipedia Europalestine, https://fr.wikipedia.org/wiki/Coordination_des_appels_pour_une_paix_juste_au_Proche-Orient_-_EuroPalestine 

[40] Séparation du Crif et de l’Etat, Appel à rassemblement, Europalestine, 14/03/2017 https://europalestine.com/2017/03/14/separation-du-crif-et-de-letat-appel-a-rassemblement-le-1er-avril-a-paris/ 

[41] Conférence d’Elias d’Imzalène, Franck Abed et Jacob Cohen annoncée sur le site d’Egalité & Réconciliation https://www.egaliteetreconciliation.fr/Conference-d-Elias-d-Imzalene-Franck-Abed-et-Jacob-Cohen-16961.html 

[42] https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/15/antisemitisme-1-518-actes-recenses-depuis-le-7-octobre-peu-de-condamnations_6200221_3224.html Recommandé (15)Recommandé (15)

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Communiqué des Soulèvements de la Terre.

30 janvier 2024

Voilà une semaine que le monde agricole exprime sa colère au grand jour et en acte : celui d’un métier devenu quasiment impraticable, croulant sous la brutalité des dérèglements écologiques qui s’annoncent et sous des contraintes économiques, normatives, administratives et technologiques asphyxiantes.

Alors que les blocages se poursuivent un peu partout, nous soumettons quelques mises au point sur la situation depuis le mouvement des Soulèvements de la terre.

Nous sommes un mouvement, d’habitant·es des villes et des campagnes, d’écologistes et de paysan·nes, installé·es ou en installation. Nous refusons la polarisation que certains essaient de susciter entre ces mondes. Nous avons fait de la défense de la terre et de l’eau notre point d’entrée et d’ancrage. Ce sont les outils de travail des paysans et des milieux nourriciers. Nous nous mobilisons depuis des années contre les grands projets d’artificialisation qui les ravagent, les complexes industriels qui les empoisonnent et les accaparent. Soyons clair·es, le mouvement actuel dans son hétérogénéité même, a été cette fois initié et largement porté par d’autres forces que les notres. Avec des objectifs affichés parfois différents, et d’autres dans lesquels nous nous retrouvons absolument. Quoi qu’il en soit, lorsque que les premiers blocages ont commencé, nous avons, depuis différents comités locaux, rejoint certains barrages et certaines actions. Nous sommes allé·es à la rencontre de paysan.nes et d’agriculteurs.rices mobilisé·es. Nous avons échangé avec nos camarades de différentes organisations paysannes pour comprendre leurs analyses de la situation. Nous nous sommes retrouvé·es nous-mêmes dans la digne colère de celles et ceux qui refusent de se résigner à leur extinction.

Nous ne pouvons que nous réjouir que la majorité des agriculteurs.rices bloquent le pays aujourd’hui. Qu’ils et elles soient représenté·es par la FNSEA et des patrons de l’agrobusiness dans les instances de négociation avec le gouvernement est consternant, à l’heure où les cadres du syndicat majoritaire sont copieusement sifflé·es sur certains blocages et où ce dernier ne peut plus retenir ses bases. De nombreuses personnes sur les barrages ne sont pas syndiquées et ne se sentent pas représentées par la FNSEA.

Fondé après guerre, ce syndicat hégémonique a accompagné le développement du système agro-industriel depuis des décennies, en co-gestion avec l’État. C’est ce système qui met la corde au cou des paysan·nes, qui les exploitent pour nourrir ses profits et qui finalement les poussent à s’endetter pour s’agrandir afin de rester compétitif·ves ou disparaître. En 1968, Michel Debatisse, alors secrétaire général de la FNSEA avant d’en devenir le président, déclarait : « Les deux tiers des entreprises agricoles n’ont pas, en termes économiques, de raison d’être. Nous sommes d’accord pour réduire le nombre d’agriculteurs ». Mission plus que réussie : le nombre de paysan.nes et de salarié.es agricoles est passé de 6,3 millions en 1946, à 750 000 au dernier recensement de 2020. Tandis que le nombre de tracteurs dans nos campagnes augmentait d’environ 1000%, le nombre de fermes chutait lui de 70% et celui des actifs agricoles de 82% : autrement dit, ce sont plus de 4 actifs sur 5 qui ont quitté le travail agricole en seulement quatre décennies, entre 1954 et 1997. Et la lente hémorragie se poursuit aujourd’hui…

Alors que la taille moyenne d’une exploitation en France en 2020 est de 69 hectares, celle d’Arnaud Rousseau, actuel dirigeant de la FNSEA, ancien courtier et négociant tout droit sorti d’une business school, s’élève à 700 hectares et il est à la tête d’une quinzaine d’entreprises, de holdings et de fermes, président du conseil d’administration du groupe industriel et financier Avril (Isio4, Lesieur, Matines, Puget, etc.), directeur général de Biogaz du Multien, une entreprise de méthanisation, administrateur de Saipol, leader français de la transformation de graines en huile, président du conseil d’administration de Sofiprotéol…

Les cadres de la FNSEA tout comme les dirigeants des plus grosses coopératives agricoles – abondamment représentés par la « Fédé » et ses satellites – se gavent [1]

[1] Voir cet article de Basta et celui-ci de La…

 : le revenu moyen mensuel des dix personnes les mieux payées en 2020 au sein de la coopérative Eureden est de 11 500 €.

Les revenus moyens des agriculteurs brandis sur les plateaux et le mythe de l’unité organique du monde agricole masquent une disparité de revenus effarante et de violentes inégalités socio-économiques qui ne passent plus : les marges des petits producteurs ne cessent de s’éroder tandis que les bénéfices du complexe agro-industriel explosent.

Dans le monde, le pourcentage du prix de vente qui revient aux agriculteurs est passé de 40 % en 1910 à 7 % en 1997, selon l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). De 2001 à 2022, les distributeurs et les entreprises agroalimentaires de la filière lait ont vu leur marge brute s’envoler de respectivement 188% et 64%, alors même que celle des producteurs stagne quand elle n’est pas simplement négative.

Une des raisons qui poussent le monde agricole à bloquer les autoroutes, à ouvrir des bouteilles de lait à Carrefour (Epinal-Jeuxey) ou à bloquer les usines Lactalis (Domfront, Saint-Florent-le-Vieil, etc.), à labourer un parking (Clermont-l’Hérault), à bloquer le port de la Rochelle, à vider des camions venus de l’étranger, à asperger de lisier une préfecture (Agen), à retourner un Macdo (Agens), à sortir avec des caddies pleins d’un supermarché (Chasseneuil-du-Poitou) – c’est que les industriels intermédiaires de l’amont – fournisseurs, vendeurs d’agroéquipements, semenciers industriels, vendeurs d’intrants et d’aliments – et de l’aval des filières – les coopératives de collecte-distribution comme Lactalis, les industriels de la grande distribution et de l’agroalimentaire comme Leclerc – qui structurent le complexe agroindustriel les dépossèdent des produits de leur travail.

C’est ce pillage de la valeur ajoutée organisé par les filières qui explique, aujourd’hui, que sans les subventions qui jouent un rôle pervers de béquilles du système (en plus de profiter essentiellement aux plus gros) 50% des exploitant·es auraient un résultat courant avant impôts négatif : en bovins lait, la marge hors subvention qui était de 396€/ha en moyenne entre 1993 et 1997 est devenue négative à la fin des années 2010 (-16€/ha en moyenne), tandis que le nombre de paysans pris en compte par le Réseau d’information comptable agricole dans cette filière passe sur cette période de 134 000 à 74 000 

Les accords de libre échange internationaux (que dénoncent et la Confédération paysanne, et la Coordination rurale) mettent en concurrence les paysanneries du monde entier et ont accéléré ces déprédations économiques. Nous savons bien que, aujourd’hui, lorsque l’on parle de « libéralisation », de « gains de compétivité », de « modernisation » des structures, c’est que des fermes vont disparaître, que la polyculture élevage va régresser (elle ne représente plus que 11% des exploitations actuellement), ne laissant plus qu’un désert vert de monocultures industrielles menées par des exploitant-es à la tête de structures toujours plus endettées de moins en moins maîtres d’un outil de travail et d’un compte en banque qui finit par n’appartenir plus qu’à ses créanciers.

Le constat est sans appel : moins il y a de paysan·nes, moins ils et elles peuvent gagner leur vie, sauf à agrandir toujours et encore leur surface d’exploitation, en dévorant au passage les voisin·es. Dans ces conditions, ’devenir chef d’entreprise’ comme le promet la FNSEA, c’est en réalité se trouver dans la même situation qu’un chauffeur Uber qui s’est endetté jusqu’au cou pour acheter son véhicule alors qu’il dépend d’un donneur d’ordres unique pour réaliser son activité… Ajoutons à cela la brutalité du changement climatique (évènements climatiques extrêmes, sécheresses, incendies, inondations…) et les dérèglements écologiques entraînant dans leur sillage la multiplication de maladies émergentes et autres épizooties, et le métier devient presque impossible, invivable, tant l’instabilité est grande.

Si nous nous soulevons, c’est en grande partie contre les ravages de ce complexe agro-industriel, avec le vif souvenir des fermes de nos familles que nous avons vu disparaître et la conscience aiguë des abîmes de difficultés que nous rencontrons dans nos propres parcours d’installation. Ce sont ces industries et les méga-sociétés cumulardes qui les accompagnent, avalant les terres et les fermes autour d’elles, accélérant le devenir firme de la production agricole, et qui ainsi tuent à bas bruit le monde paysan. Ce sont ces industries que nous ciblons dans nos actions depuis le début de notre mouvement – et non la classe paysanne.

Si nous clamons que la liquidation sociale et économique de la paysannerie et la destruction des milieux de vie sont étroitement corrélées – les fermes disparaissant au même rythme que les oiseaux des champs et le complexe agro-industriel resserrant son emprise tandis que le réchauffement climatique s’accélère – nous ne sommes pas dupes des effet délétères d’une certaine écologie industrielle, gestionnaire et technocratique. La gestion par les normes environnementales-sanitaires de l’agriculture est à ce titre absolument ambigüe. À défaut de réellement protéger la santé des populations et des milieux de vie, elle a, derrière de belles intentions, surtout constitué un nouveau vecteur d’industrialisation des exploitations. Les investissements colossaux exigés par les mises aux normes depuis des années ont accéléré, partout, la concentration des structures, leur bureaucratisation sous contrôles permanents et la perte du sens du métier.

Nous refusons de séparer la question écologique de la question sociale, ou d’en faire une affaire de consom’acteurs citoyens responsables, de changement de pratiques individuelles ou de « transitions personnelles »  : il est impossible de réclamer d’un éleveur piégé dans une filière hyperintégré qu’il bifurque et sorte d’un mode de production industriel, comme il est honteux d’exiger que des millions de personnes qui dépendent structurellement de l’aide alimentaire se mettent à « consommer bio et local ». Pas plus que nous ne voulons réduire la nécessaire écologisation du travail de la terre à une question de « réglementations » ou de « jeu de normes » : le salut ne viendra pas en renforçant l’emprise des bureaucraties sur les pratiques paysannes. Aucun changement structurel n’adviendra tant que nous ne déserrerons pas l’étau des contraintes économiques et technocratiques qui pèsent sur nos vies : et nous ne pourrons nous en libérer que par la lutte.

Si nous n’avons pas de leçons à donner aux agriculteur·rices ni de fausses promesses à leur adresser, l’expérience de nos combats aux côtés des paysan·nes – que ce soit contre des grands projets inutiles et imposés, contre les méga-bassines, ou pour se réapproprier les fruits de l’accaparement des terres – nous a offert quelques certitudes, qui guident nos paris stratégiques.

L’écologie sera paysanne et populaire ou ne sera pas. La paysannerie disparaîtra en même temps que la sécurité alimentaire des populations et nos dernières marges d’autonomie face aux complexes industriels si ne se lève pas un vaste mouvement social de reprise des terres face à leur accaparement et leur destruction. Si nous ne faisons pas sauter les verrous (traités de libre-échange, dérégulation des prix, emprise monopolistique de l’agro-alimentaire et des hypermarchés sur la consommation des ménages) qui scellent l’emprise du marché sur nos vies et l’agriculture. Si n’est pas bloquée la fuite en avant techno-solutionniste (le tryptique biotechnologies génétiques – robotisation – numérisation). Si ne sont pas neutralisés les méga-projets clés de la restructuration du modèle agro-industriel. Si nous ne trouvons pas les leviers adéquats de socialisation de l’alimentation qui permettent de sécuriser les revenus des producteurs et de garantir le droit universel à l’alimentation.

Nous croyons aussi à la fécondité et à la puissance des alliances impromptues. A l’heure où la FNSEA cherche à reprendre la main sur le mouvement – notamment en chassant de certains des points de blocage qu’elle contrôle tout ce qui ne ressemble pas à un agriculteur « syndiqué fédé » – nous croyons que le basculement peut venir de la rencontre entre les agriculteur·ices mobilisé·es et les autres franges du mouvement social et écologique qui se sont élevées ces dernières années contre les politiques économiques prédatrices du gouvernement. Le « corporatisme » a toujours fait le lit de l’impuissance paysanne. Comme la séparation d’avec les moyens de subsistance agricoles a souvent scellé la défaite des travailleur-ses. Peut-être est-il temps de faire céder quelques murs. En continuant à renforcer certains points de blocage. En allant à la rencontre du mouvement pour celles et ceux qui n’y ont pas encore mis les pieds. En poursuivant ces prochains mois les combats communs entre habitant·es des territoires et travailleur·euses de la terre.

Les Soulèvements de la Terre – le 30 janvier 2024

Adresse inaugur@le pour une revue

C’était il y a longtemps
Les tambours de guerre du FNL vietnamien annonçaient une incroyable nouvelle: les envahisseurs n’étaient pas invincibles. Partout, ou presque, les campus s’enflammaient, l’insubordination ouvrière se répandait comme une traînée de poudre, le vieux monde était bousculé, Paris, Mexico, Berlin, Berkeley, Turin et Prague ne faisaient plus qu’un.
La jeunesse, celle des facs et celle des usines, secouait la vieille société, les hiérar- chies, les pouvoirs de droit divin, la propriété inaliénable, le patriarcat, les bureaucraties prédatrices et liberticides. Les murs prenaient la parole et les barricades ouvraient des voies insoupçonnées.
Désordre climatique dans le monde de Yalta, le cycle des saisons en fut perturbé. Le printemps fut tchécoslovaque et, en France, Mai dura jusqu’en juin. En Italie, Mai fut rampant et l’automne chaud. Dans les années qui suivirent, tout avait semblé possible à Santiago et à Lisbonne qui s’était couvert d’œillets.
Le fond de l’air était rouge et le souffle long de la révolution mit à mal la propriété privée des moyens de production, la morale établie, les rapports sociaux sexués, les divisions ethniques et les partis uniques. Il y eut de la contestation et de la subversion, des grèves et des conseils ouvriers, des expropriations et de l’autogestion, des livrets militaires brûlés, des batailles pour les droits civiques, des combats pour l’égalité et la libération des femmes, l’émergence nouvelle de l’écologie et, à une échelle inconnue jusque-là, d’un raz-de-marée féministe. Les libertés inabouties ou trahies étaient à portée de main et la chienlit éclaboussait les pères fouettards et les gardes-chiourmes.
Le monde pouvait changer de base: il apparaissait désormais possible de se réapproprier le contrôle des mécanismes de la vie en société. La démocratie pouvait être sans bornes et ne plus s’arrêter ni à la porte des entreprises ni aux frontières pas plus que dans les quartiers et les relations entre les peuples.
C’est aujourd’hui
Le monde a changé. Le printemps fut bri- sé à Prague et à Santiago, étouffé à Lisbonne. Un silence de mort est retombé sur la place Tienanmen. Mais le Mur de la prison «soviétique» s’est effondré libérant à la fois un espace pour la liberté et un continent entier aux prédateurs. L’emprise des multinationales sur le monde ne connaît plus guère de limites. Les impérialismes ont désormais de nombreux visages. De même que la barbarie. La planète brûle des prédations que la civilisation capitaliste lui inflige. Le monde est lourd du péril de la guerre de tous contre tous. Le fond de l’air est sombre, parfois même brun. Les fascismes du 21e siècle ne portent pas que des chemises noires.
Demain est pourtant déjà commencé
Cela fait plus d’un demi-siècle que d’au- cuns avaient annoncé que la «civilisation était à un carrefour». Il fallait choisir un itinéraire qui passait par des politiques démocratiques qui mettent au service du plus grand nombre ce que permettaient les progrès sociaux, culturels, scientifiques, technologiques et humains. Les chars russes, ceux qui pensaient que le bilan était «globalement positif », ceux qui se sont adaptés et accommodés et bien sûr ceux qui étaient partisans de la liberté du renard dans le poulailler en ont décidé autrement.


La civilisation est désormais au bord du gouffre : les forces du capital, celles des impérialismes et des sous-impérialismes, celles des barbaries et celles des fascismes sont à l’offensive sur la planète. Une planète qui brûle.
Quant aux forces émancipatrices, elles ont souvent fait, en partie, ce qu’elles ont pu mais elles se sont également souvent égarées dans diverses impasses dont les noms figurent sur les cartes comme autant d’obstacles à éviter : « campisme », « avant-gardisme », « substitutisme », « étatisme », « sec- tarisme», «autoritarisme», «relativisme» et bien d’autres encore.
Alors oui, il faut en sortir. D’où l’idée d’une revue
Une de plus, direz-vous. C’est vrai. Cependant son titre se veut un clin d’œil à l’Association internationale des travailleurs de Marx et Bakounine et un appel à la mise en place d’un outil international et internationaliste de réflexion, de partage et d’échanges.
Le projet que vous avez sous les yeux paressait dans divers tiroirs. Il attendait un déclic. Celui-ci est venu d’outre-Atlantique avec le texte «Pour une gauche démocratique et internationaliste» rédigé par Ben Gidley, Daniel Mang et Daniel Randall, que nous avons été plusieurs à signer en répondant ainsi à leur appel et que nous publions en page 5 de ce numéro 00. C’est un texte qui met les pieds dans le plat et qui appelle au renouvellement des pratiques et des idées afin de rester fidèles à ce pour quoi nous combattons depuis des décennies: nous sommes attaché·es à une vision et à une pratique révolutionnaire où la démocratie, l’auto-organisation, l’autogouvernement – sous toutes leurs formes – sont au cœur du projet. Non la démocratie comme abstraction mais la démocratie comme ob- jectif. Non l’internationalisme comme abstraction mais l’internationalisme comme pra- tique.
L’ambition est claire: faire renaître la capacité à discuter et à élaborer ensemble pour que s’ouvre – à la lumière de nos expériences multiples qui se sont souvent frottées les unes aux autres – une large dis- cussion pour faire de la révolution une uto- pie concrète, pour permettre des synthèses,
pour conserver et transmettre la mémoire des luttes, des expériences, des révolutions, pour contribuer à la socialisation des opprimé·es et des exploité·es.
Alors oui, une revue mondiale qui mette en place les conditions d’un échange mondial et qui donne accès «au plus grand nombre » à l’archipel des articles et des textes participant de cette recherche d’une issue à la crise du projet émancipateur.
Une revue pour explorer l’internationalisme et la démocratie
Sa «base politique» sera articulée autour des thématiques suivantes: émancipation du travail, autogouvernement, autodétermination, autogestion, auto-organisation, féminisme et genre, révolution, renversement/ dépassement du capitalisme, alternatives, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, démocratie socialiste, reconversion industrielle pour une production socialement utile et écologiquement soutenable, refus du campisme et lutte contre tous les impéria- lismes et sous-impérialismes…
Une revue singulière composée de «cahiers» comportant des textes et articles piochés sur les sites et revues du monde, une sorte de plateforme, de hub où se croiseront les réflexions, selon un dispositif à construire et sans autres lignes directrices que de permettre l’échange et la lecture.
Une revue qui ne fera volontairement aucune concurrence aux publications papier ou internet existantes, bien au contraire, qui agira pour les mettre en synergie.
Une revue qui évitera les polémiques de seconde zone ou les textes étroitement po- liticiens.
Un projet ouvert en construction permanente.

A bas le ministère Castera de l’enseignement privé ! 

TRIBUNE de Robert Duguet.

La nomination d’Amélie-Castera comme ministre de l’Education Nationale génère une situation qui devient explosive chez les personnels de l’Education Nationale contre le gouvernement Macron. Il y a un moment où le quantitatif, 40 ans de contre-réformes dans l’école publique, se change en qualitatif. La scolarisation des trois enfants de la ministre dans un établissement catholique intégriste, le lycée Stanislas qui scolarisa en son temps un certain Charles De Gaulle, père fondateur de la Vème République, vient de mettre le feu aux poudres. Cet établissement, au nom de la morale catholique, met en cause la mixité scolaire, condamne l’homosexualité et l’avortement, rejette la contraception, préconise la chasteté avant le mariage… La question du financement public de l’enseignement privé, aujourd’hui à 97% catholique, est à nouveau sous la lumière des projecteurs. Dans cette même séquence Macron vient de rejouer son petit Pétain de service – il l’avait fait deux fois il y a quelques mois en rendant hommage au grand soldat – aujourd’hui pour nous imposer des élèves en uniforme, le SNU (Service National Universel) d’embrigadement de la jeunesse de 15 à 17 ans, au son de la marseillaise… et pourquoi pas, comme sous le célèbre maréchal, manque plus que le lever des couleurs tous les matins dans la cour du lycée : et on chantera « Emmanuel, nous voilà ! »

Il faut poser le problème dans sa vraie dimension, la question de l’aide à l’enseignement privé catholique, n’est que l’application d’une politique générale imposée par la Vème République bonapartiste. La vague néo-libérale qui prend son essor après les années 1970, accentue l’entrée du religieux dans la sphère publique des Etats, et pas seulement dans l’hexagone. La constitution de 1958 lui donne un terrain fertile. Macron, après Sarkozy, a posé à plusieurs reprises la question de la nécessité du religieux, lui l’apôtre de Paul Ricoeur, ce philosophe proche de la revue Esprit fondée en 1932 par Emmanuel Mounier. Lors de sa nomination comme chanoine du Latran, il a proclamé qu’il veut réparer le lien abimé entre l’Eglise de France et l’Etat par la loi de séparation de 1905. Aujourd’hui le lycée privé musulman Averroès est en rupture de contrat d’association sur décision du préfet du nord, tandis qu’un établissement comme Stanislas fait l’objet de toutes les sollicitudes de la part du pouvoir. A ce titre nous sommes à nouveau rendus au cœur des thèses de l’extrême droite américaine de Samuel Huttington fondées sur la notion de « choc des civilisations ». Malgré le scandale, Valérie Pécresse maintient l’aide publique de la région à Stanislas, soit cette année 1,3 millions d’euros, tandis que la mairie de Paris l’a provisoirement suspendue. Pourquoi provisoirement ?

Le fondateur de la Vème république Charles De Gaulle, membre de la haute hiérarchie militaire inspiré par le nationalisme intégral de Charles Maurras, pose d’emblée en 1959, à travers la loi Debré, les bases du « principe monarchique » (1) le financement public de l’école confessionnelle, c’est le rétablissement des liens entre le trône et l’autel, un nouveau concordat. Le financement du religieux remet en cause le principe de « sécularisation » de l’Etat, pour reprendre la caractérisation de Marx dans « la question juive », que nos ancêtres des Lumières, puis le mouvement ouvrier ont mis des siècles à imposer. 

Aujourd’hui les vierges effarouchées de la « gauche » officielle, y compris celles de la France Insoumise et du député Vannier s’offusquent de ce retournement de valeurs : nous allons donc dire des choses désagréables à entendre par ces consciences oublieuses.

Quelques mois avant la campagne électorale de 1981, François Mitterand publie un livre « Ici et maintenant », à l’écart des 121 propositions programmatiques du candidat, sous forme de dialogue dans lequel il développe l’ensemble de ses positions. Laissons-lui la parole sur la question de l’école et de la laïcité. Il vient d’expliquer quelles sont ses racines spirituelles :

« Du fond de l’Église et du monde chrétien ressurgit l’appel initial. Le personnalisme d’Emmanuel Mounier acheva d’apporter au socialisme chrétien ses lettres de noblesse Un oncle, frère cadet de ma mère et mort à vingt ans, avait appartenu aux équipes de Sangnier. On m’avait élevé dans la piété de sa mémoire. J’entendais mes parents catholiques, et catholiques pratiquants, parler avec tristesse de cette Église si loin des humbles et pourtant qu’ils aimaient. La Bible a nourri mon enfance. Huit ans d’internat dans une école libre[à remarquer que Mitterrand utilise l’adjectif libre et non pas confessionnel ou catholique] , à Saint Paul d’Angoulême, m’ont formé aux disciplines de l’esprit. Je ne m’en suis pas dépris. J’ai gardé mes attaches, mes goûts, et le souvenir de mes maîtres bienveillants et paisibles. Nul ne m’a lavé le cerveau. J’en suis sorti assez libre pour user de ma liberté. » 

Lorsque s’est trouvée posée la question laïque après 1982, qu’en pensait Jean Luc Mélenchon ? Construisant un courant au sein du PS qui comptait à l’époque beaucoup de militants laïques qu’il rassurait côté cour, côté jardin il se soumettait à son maître adulé Mitterand. Paul Gourdot qui fut Grand Maître adjoint (1978-79) puis Grand Maître (1981-84) du Grand Orient de France, mènera dans les années 1982-1984 un travail de terrain dans les loges maçonniques pour convaincre les membres du Grand Orient de s’opposer au service d’unification laïque de la loi Savary, marquant sa fidélité au mot d’ordre fondateur du CNAL sur le financement des écoles privées : « fonds publics à l’école publique ! fonds privés à l’école privée ! » Mélenchon reprochait au Grand Orient de ne pas s’engager sur le grand service unifié de Mitterand-Savary. Il y eut une engueulade homérique entre les deux hommes. Paul Gourdot, à juste titre, remonta les bretelles au petit jeune et envoya une lettre à tous les parlementaires francs-maçons pour leur dire que ceux qui votaient la loi Savary trahissaient leur serment. Mais le rouleau compresseur du « coup d’Etat permanent » l’emporta. 

Le député socialiste Arthur Delaporte explique à propos de la situation actuelle: « La guerre scolaire, c’est le terme employé quand la gauche sous l’égide d’Alain Savary a fait de la lutte contre le financement public des établissements privés d’enseignement son cheval de bataille ». Explication totalement fausse. Le journaliste de Médiapart qui la reprend pour argent comptant, fait allusion aux manifestations monstre contre la loi Savary, en omettant d’écrire comment les différents courants laïques ont réagi face à cette loi, antilaïque dans son essence, présentant selon une formule « concordataire » dont le ministre Guizot ou le vicomte de Falloux n’aurait pas rougi, que « la religion concourt au service public », le financement public étant justifié de ce fait.(2) Le projet Savary qui tentait de définir un accord avec la hiérarchie catholique, proposait l’entrée des écoles confessionnelles dans le service public avec reconnaissance de leur caractère propre. Pour les établissements relevant du service public, liberté leur était donnée de se définir comme établissements autonomes régis par un projet d’établissement particulariste. Cet abandon des principes aboutira à la défaite laïque de 1984. Le CNAL disparaitra et la FEN éclatera en 2000. Ajoutons au passage que les petits enfants d’Alain Savary étaient scolarisés en 1981 dans une école confessionnelle. Attaqué par la droite au parlement, le ministre répondra : « Je vous fais remarquer que nous avions le pouvoir d’abroger les lois antilaïques en une nuit mais que nous ne l’avons pas fait ». Le rapport de force établi par la victoire socialiste le permettait effectivement.

Tous les gouvernements qui ont suivis depuis, qu’ils soient de gauche ou de droite, se sont situés dans le cadre aggravé de la loi Debré de 1959 de financement public des écoles confessionnelles sous contrat d’association. Dans les faits il a considérablement augmenté alors que les moyens accordés à l’école de la République n’ont cessé de décroitre. On en arrive à la situation actuelle d’effondrement de l’école publique. Que les rênes du ministère de l’Education Nationale soient confiées à une catholique intégriste, que les liens entre les collectivités et les établissements soient totalement opaques, sont le produit d’une politique qui a été décidée et imposée au pays, dans le droit fil du positionnement de François Mitterand de 1980 et de la continuité des institutions gaullistes, entrainant la défaite du puissant mouvement laïque de notre pays en 1984. Rappelons que le chef de l’Etat d’alors participera au millénaire des capétiens, entre autres…

L’enquête de Médiapart révèle une autre question : les régions peuvent consentir des subventions d’investissement facultatives que la loi toutefois limite à 10% du budget propre d’un établissement privé. Dans certains cas elles ont flambé. En Île-de-France, collectivité présidée par Valérie Pécresse du parti Les Républicains, les subventions au privé ont bondi de 450 % entre 2016 et aujourd’hui, pour atteindre 10 millions d’euros programmés en 2024, le lycée Stanislas en bénéficiant bien entendu. Il faut rappeler d’où vient cette limitation des 10%. Cette disposition faisait partie d’un texte jamais abrogé après les lois laïques de 1880-1885 et celle de la séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, il s’agissait de la loi du vicomte de Falloux de 1851 faisant passer le corps des instituteurs sous la botte du clergé, sous la surveillance des conseils paroissiaux. On se souvient du discours éblouissant de Victor Hugo contre cette offensive contre la pensée libre, alors que se préparait le coup d’Etat bonapartiste de Louis Napoléon Bonaparte. Toutefois c’est la loi Falloux elle-même qui mettait une limitation à 10%. Le personnel actuel de la macronie et de ses alliés fait mieux et plus fort. C’est une insulte à la conscience laïque et à ce million de manifestants qui ce jour glacial du 16 janvier 1994 ont défilé dans les rues de la capitale contre la loi Bourg-Broc qui abrogeait un article de la loi Falloux. Le démocrate-chrétien François Bayrou était aux commandes. En bon catholique, il proposait de déplafonner l’aide des régions pour les dépenses d’investissement de l’enseignement privé au-delà de 10%. Aujourd’hui certaines collectivités violent la loi. Un régime plus à droite que la loi Falloux ?

Que demande la France Insoumise à travers l’action du député Vannier, membre d’une commission parlementaire travaillant sur ces questions : les relations entre les régions et les établissements privés sont devenues opaques, il faut rétablir une certaine transparence par une pratique « démocratique ». Des critères peuvent être avancés, par exemple la mixité scolaire, pour éventuellement remettre en cause le contrat d’association de tel ou tel établissement privé. Le PS et le PCF ne demandent pas autre chose. Autrement dit il s’agit de rester dans le cadre de la loi Debré de 1959. Il déclare :

« …Il ne s’agit pas de couper le financement du jour au lendemain – nous ne demandons pas l’abrogation immédiate de la loi Debré, car l’état de l’école publique ne permettrait pas de faire face. Mais il faut, selon moi, un mécanisme de modulation financière qui permette d’œuvrer en faveur de la mixité sociale et scolaire. Nous préciserons nos propositions à l’issue de nos travaux. »(3)

S’il y a une chose que l’actuel scandale met à l’ordre du jour c’est à nouveau la question laïque trahie en 1984, inversant l’ordre des priorités : vaches maigres pour le public, vaches grasses pour le privé ! Les petits accommodements de Paul Vannier dans le cadre de la loi Debré laissent en place cette constitution du « coup d’Etat permanent ». 

Dehors le gouvernement Macron-Castera ! Dire aujourd’hui « Fonds publics à l’école publique ! fonds privés à l’école privée ! » c’est combattre pour une nouvelle République sociale, démocratique et laïque. Être laïque aujourd’hui c’est s’engager pour la chute de ce régime. 

Notes :

  1. la formule est utilisée par De Gaulle dans son dialogue avec Alain Peyrefitte.
  2. Relire le préambule de la loi Savary, c’est du Guizot à l’état pur !
  3. Cité par Médiapart, voir le dossier entièrement consacré au lycée Stanislas scolarisant les enfants de l’actuelle ministre de l’enseignement privé !

Introduction au débat du 16 décembre, par R. Duguet

Qu’est-ce que le mélenchonisme ?

1ère partie

Sommaire :

Dans « le sillon » de François Mitterand…

Le parti de gauche, le Front de Gauche, pour un nouveau front populaire

Les expériences nationales-populistes en Amérique latine et Podemos en Espagne vont modifier la relation de Mélenchon à la stratégie FDG

Victoire et effondrement de Syriza en Grèce

Mélenchon et la défense de la capitulation d’Alexis Tsipras

Mélenchon à l’école de Chantal Mouffe

Du Front de gauche de 2014 à France Insoumise, l’élection de 2017

Le populisme et la question syndicale

Allemagne 2109-2023: montée inquiétante du populisme avec Sahra Wagenknecht et de l’extrême droite

Contre la résistance « armée et non-armée » du peuple ukrainien et pour la défense de la Russie poutinienne

France Insoumise une crise comme les autres ?

Cette brochure numérique répond à une demande des camarades de Bastille visant à ouvrir une discussion sur le mélenchonisme. La période traitée va de la rupture du Front de Gauche en 2014 à la constitution du mouvement France Insoumise en 2016, couvrant son positionnement politique, celui de son principal artisan Jean Luc Mélenchon, sur un calendrier qui épouse les trois élections présidentielles de 2012, 2017 et 2022.

Dans « le sillon » (1) de François Mitterand…

Le mieux est de partir pour introduire de ce que Mélenchon lui-même défend dans une conférence prononcée le10 mai 2021, sur le quarantième anniversaire du 10 mai 1981. Il y retrace le chemin qui a été de son point de vue, celui d’une génération en politique : la mienne, la nôtre, celle qui a eu 20 ans en 1968 et qui a fait ses classes dans la grève générale de 10 millions de travailleurs contre De Gaulle. Elle avait la volonté de « changer la vie ». La reconstruction du nouveau PS en 1971 à Epinay permet en dix ans de donner au pays une majorité politique en 1981. Dans le discours d’intronisation de François Mitterrand, qui déchaîne alors contre lui les tenants d’une droite chassée du pouvoir, on y lit ceci :

« En ce jour où je prends possession de la plus haute charge, je pense à ces millions et ces millions de femmes et d’hommes, ferment de notre peuple, qui, deux siècles durant, dans la paix et la guerre, par le travail et par le sang, ont façonné l’Histoire de France, sans y avoir accès autrement que par de brèves et glorieuses fractures de notre société. »

Cette conférence a pour idée directrice que l’orientation imposée en 1983, avec le tournant de la rigueur et la mise entre parenthèse des réformes, n’était pas inéluctable. « La révolution a été suspendue »… Il récuse la théorie « gauchiste » de la trahison des directions de la classe ouvrière, et il était possible de faire face à la montée du courant libéral au sein de la gauche : en fait, les couches populaires ont laissé faire, habituées à s’en remettre à ceux qui les représentaient, au lieu de contrôler leurs élus et de se mobiliser. Je caricature à peine : le peuple finalement est responsable de ce qui est arrivé. On connaît cette théorie : elle a toujours fait partie de l’arsenal idéologique du stalinisme, le peuple mérite le régime qu’il se plaint de supporter. Tout au long de son propos, Mélenchon va y avoir recours.

Il nous dit qu’il faut comprendre le monde dans lequel nous étions alors : l’URSS et la Chine, plus un certain nombre de petit pays sont régis par la collectivisation des moyens de production. C’est d’emblée la reprise de la théorie de la division du monde en blocs. Aucune analyse du fait que ces régimes, fondés sur des régimes dictatoriaux, étaient très exactement l’inverse de l’émancipation sociale contrôlée par les producteurs eux-mêmes. L’échec historique des régimes staliniens est la brèche dans laquelle s’est engouffrée la vague néo-libérale actuelle. Cette vague ne trouve pas en face d’elle une force capable d’incarner au moins une résistance, sinon une alternative.

Sur la place du PCF sur l’échiquier politique en 1973: leurs militants, dit-il, étaient les plus ardents défenseurs de l’union des forces de gauche, dans la continuité de l’action engagée, à l’issue de la guerre mondiale, par le Conseil National de la Résistance. Le PCF porte le programme de l’Union de la Gauche, tant qu’il reste sur la ligne de l’union. Le parti de Mitterrand l’a ensuite supplanté, parce qu’il a repris le flambeau de l’union. La position qui était celle de Mélenchon sur la nature de l’URSS et sur la fonction des partis communistes en Europe occidentale, dans l’héritage du lambertisme, est un des éléments qui allait lui permettre de construire une gauche au sein du PS : il supplante le CERES de Chevènement ainsi que le courant de Jean Poperen, mais toujours dans l’ombre de François Mitterand.

Vient ensuite une longue énumération de ce que fit la gauche au pouvoir. Bien sûr des mesures positives ont été prises (les 39 heures payées 40, la 5ème semaine de congés annuels, la retraite à 60 ans, l’abolition de la peine de mort…) elles sont le produit d’une montée en puissance des masses contre le régime corrompu de Giscard d’Estaing. Dans ce catalogue, les mesures positives voisinent avec d’autres qui contiennent déjà en germe la soumission à la vague néo-libérale. Par exemple, les lois Auroux qui tracent dès 1982, dans l’esprit du catholicisme social de son inspirateur, le cadre d’un nouveau corporatisme dans les relations capital-travail. Au passage Mélenchon salue la CFDT, qui à l’époque jouait la carte gauchiste contre les confédérations CGT et CGT-FO. Rien n’est dit non plus de sa place dans le combat pour la défense de l’école publique et des lois laïques, au moment de l’épisode de la loi Savary qui avait provoqué l’affrontement des deux France. Pourtant il y avait une majorité laïque dans le PS : elle capitule devant Mitterand, et Mélenchon avec elle. Sur la laïcité ce sera le double langage : défense du projet Savary côté cour, discours laïque vis-à-vis de ses cadres politiques. Mais quand il en vient à parler des nationalisations, on aborde la question centrale du refus de la rupture : les nationalisations ont permis un financement public des pertes pour ensuite privatiser les gains. Elles ne sont absolument pas des mesures anticapitalistes. Elles permettent au capitalisme français de chercher à s’imposer sur le marché mondial. D’ailleurs, Mélenchon ne revendique aucune mesure à caractère anticapitaliste dans son propos.

La question centrale des institutions de la Vème République est largement éludée, et pour cause puisqu’au moment où prononce cette conférence, il reconnait la légitimité de Macron jusqu’en mai 2022 et il se prépare à faire une campagne dans le respect des institutions. C’est comme le paradis dans l’imaginaire catholique, vous aurez la VIème République et la Constituante si vous m’élisez.

Mitterrand avait fondé la Convention des Institutions Républicaines en 1964, petite organisation bourgeoise à la marge du mouvement ouvrier de l’époque, qui globalement reste structuré par la force du PCF. La SFIO ayant sombré dans le soutien à la sale guerre coloniale en Algérie. Il le fait sur la ligne de condamnation des institutions du « coup d’état permanent », reprenant la caractérisation de Marx contre le bonapartisme. Parvenu au pouvoir en mai 1981, il n’a jamais été question pour lui, pour Marchais aussi, de remettre en cause ces institutions. De ce point de vue, les gouvernements présidés par François Mitterrand, allant de contre-réformes en contre-réformes, n’ont été que l’histoire d’une lente décomposition du corps historique de la gauche. La dérive de la social-démocratie, en particulier de la social-démocratie allemande, vers l’Europe néo-libérale, Mitterrand l’a largement accompagnée. Malade et se sachant condamné, il a jeté toutes ses forces dans le soutien au traité de Maastricht. La gauche socialiste soutient. Mélenchon se situe dans le sillage de François Mitterrand et il épingle le traître Hollande : ce dernier devient celui qui a permis la liquidation de la social-démocratie en France. Relecture pour le moins contestable de l’histoire. Les militants qui ont approché de par leur engagement dans le nouveau parti socialiste le personnage de Mélenchon, ont souvent été étonnés par l’admiration sans bornes qu’il portait à François Mitterrand, jusqu’à se déguiser après la mort du maître avec le manteau, l’écharpe rouge et le chapeau.

Le traité européen de 2005 voit se développer une opposition politique au sein même du PS et de l’électorat socialiste qui sera une des composantes de la victoire du non à l’Europe néo-libérale. Des forces se libèrent à gauche du PS pour une recomposition politique. Mélenchon constitue l’association PRS (Pour la République Sociale) en mai 2004, sur une ligne de défense des valeurs républicaines contre le social-libéralisme défendu par la majorité du PS. Une position souverainiste qui n’était pas qualitativement différente que celle défendue par Jean Pierre Chevènement, qui lui cependant prit doublement position contre Maastricht et contre la guerre du Golfe.

Le Parti de Gauche, Le Front de Gauche, pour un nouveau front populaire

En 2012 la candidature de Mélenchon était portée par le Front de Gauche, c’est-à-dire par une coalition de partis et d’organisations allant d’une scission au sein du PS, le PCF puis plusieurs composantes issues de la fin de la LCR puis du NPA. Toutefois il faut ajouter que la naissance du FDG n’a été possible que parce qu’une composante s’est détachée du PS. Une scission réformiste de gauche que l’on peut caractériser ainsi contre un parti qui n’a plus rien de social-démocrate. La dynamique née de la scission répondait à une vraie attente politique. Le courant de Christian Picquet refuse la constitution du NPA et s’inscrit d’emblée comme composante du FDG, il fonde Gauche Unitaire. Initialement fondés en novembre 2011 comme acteurs du Nouveau Parti anticapitaliste, le courant Convergences et Alternative et la Gauche Anticapitaliste, forte d’une surface militante importante, rejoignent le Front de gauche en juillet 2012. Ils participent en son sein à un regroupement qui aboutit en novembre 2013 à la fondation d’Ensemble, dont ils sont, avec d’autres courants de la gauche radicale et écologique co-fondateurs.

Bien sûr la constitution du FDG se cale sur le calendrier électoral : l’accord PG-PCF de 2009 a pour horizon les européennes de juin. Puis il y aura la perspective de la présidentielle de 2012 qui voit le front recruter dans la gauche radicale.

Le programme « l’humain d’abord » se situait sur le terrain d’une résistance aux effets du néo-libéralisme, certes programme modeste en termes de propositions progressistes, mais il répondait à une résistance dans le salariat et la jeunesse qui ne demandait qu’à s’organiser. Avec le FDG, malgré toutes les critiques qui ont été alors portées par les militants contre son caractère de cartel strictement électoral, on était sur le terrain d’une orientation de type front populaire de combat. La candidature Mélenchon, sur la ligne d’une nouvelle république sociale, démocratique et laïque, ouvrant la perspective d’une Constituante et d’une VIème République, enthousiasme. Il avance même la question de la révocabilité des élus. Il surprend tous les partis traditionnels en commençant sa campagne dans la rue par une manifestation massive, le 18 mars à la Bastille, jour anniversaire de la Commune de Paris. Le drapeau est rouge. S’inspirant de la déclaration des droits de l’homme de 1793, il proclame le devoir de l’insurrection sociale, quand le gouvernement met en cause les droits du peuple souverain.

Les 12% du score à l’élection confortent les milliers de militants qui ont porté la campagne : enfin il est peut-être possible de dégager une voie qui nous sorte de la nécessité du vote utile à gauche. Les journées d’étude du Front de Gauche à Grenoble durant l’été 2012 regrouperont pas moins de 3000 militants, le PCF plafonnant à 600. La revendication venant des militants d’une organisation démocratique à la base se heurte à la direction : les limites étaient fixées par le fait que les deux forces principales, le PG et le PCF, n’acceptaient pas que les unités politiques puissent s’organiser sur la base 1 citoyen = 1 voix. Les partis ne peuvent être que des forces de proposition. La période qui suivra 2012 sera celle du renforcement de la cartellisation du Front.

L’élan donné par la constitution du Parti de Gauche le 1er février 2009 pour les militants qui le rejoignent et qui attendaient depuis longtemps cette fracture dans le Parti Socialiste se heurte en quelques semaine à la question de la démocratie. Il est co-fondateur du Parti avec Marc Dolez, qui est député du Nord et premier secrétaire d’une fédération évoluant sur la gauche du PS et de son courant Forces Militantes, lequel a fait une magnifique campagne en 2005 pour le non-socialiste au néo-libéralisme. Il faut faire vite : le NPA est sur les fonds baptismaux. En fait Mélenchon considère la naissance du PG comme un coup manqué : il pensait que son dégagement du PS emporterait une partie de son appareil ; il se trouve confronté à des militants issus des couches militantes de la gauche radicale et qui veulent un parti démocratique. Quelques semaines après le meeting de proclamation du parti, il déclare devant un parterre de journalistes : « J’attendais les socialistes, je me retrouve devant une bande de gauchistes ! » Dans un temps très court le PG est vidé de sa substance militante. Le PG aura été le parti politique le plus antidémocratique qui soit dans la gauche radicale, le PCF au passé pourtant si lourd, faisant figure d’enfant de chœurs. La loubianka mélenchonienne (exclusions, mise sous tutelle des fédérations récalcitrantes, mises à l’écart des postes de responsabilité pour ceux qui déplaçaient des virgules dans les textes d’orientation) a fonctionné à plein régime.

Mélenchon casse toute velléité d’expression démocratique, tout ce qui peut ressembler à l’émergence d’un « centrisme de gauche », pour reprendre la caractérisation de Léon Trotsky. Il ne sera pas Marceau Pivert. D’ailleurs il est déjà sur autre chose : les processus révolutionnaires frappent à la porte en Grèce et en Espagne…

Les expériences nationales-populistes en Amérique latine et Podemos en Espagne vont modifier la relation de Mélenchon à la stratégie FDG

A partir du 15 mai 2011 va se développer en Espagne le mouvement des indignés, traduisant une offensive de la classe ouvrière et de la jeunesse paupérisée contre la politique de la droite et de la gauche : le projet mouvement Podemos va surfer sur cette vague et porter le projet de « convertir l’indignation en changement politique ». Son Manifeste est publié le 14 janvier 2014 par une trentaine d’intellectuels et de militants : Pablo Iglesias en est issu, s’y ajoute un des leaders de la gauche anticapitaliste, Errejon et des représentants du mouvement pour la santé et l’éducation publique. Juan Carlos Mondenero le présente lors d’un meeting public le 17 janvier comme un mouvement politique qui prolonge le mouvement social : « Si les marées citoyennes ont agité le monde du travail, nous voulons agiter le monde politique »… Le 2ème groupe important dans la fondation de Podemos est Izquierda anticapitalista, section de la 4ème internationale, celle à laquelle appartient l’ex-LCR française, courant qui avait fait scission de izquierda unida en 2008 : cette composante militante jouera un rôle important dans la formation des cercles locaux de Podemos.

Les promoteurs de Podemos ont appris des expériences latino-américaines que « la différenciation gauche/droite était épuisée et (qu’ils étaient incapables) de construire une majorité sociale avec ce discours. Il y a un ennemi qui est en train de voler la démocratie, là-bas c’étaient les Etats Unis et ici c’est le modèle néo-libéral ». Tout de suite on bascule dans une conception qui n’est plus fondée sur la lutte des classes mais dans le campisme. Le projet est inspiré des expériences latino-américaines. C’est l’époque où Jean Luc Mélenchon passe ses vacances en Amérique latine, chez Evo Morales ou Ugo Chavez. La ligne est donnée : s’appuyer sur la bourgeoisie nationale.

Podemos va apparaître comme la traduction électorale du mouvement des indignés : « Convertir l’indignation en changement politique » D’emblée il y a de profonds désaccords sur le rapport au politique. Le mouvement des indignés fonctionnait sur la base de la convocation des assemblées populaires : il ne passe pas par la voie électorale mais par celle de l’expérimentation sociale et de la prise en charge par les citoyens mobilisés pour affronter les questions d’urgence sociale. Revendiquer un droit au logement par exemple, mais aussi forger une contre-culture pour faire la démonstration que la société peut fonctionner autrement. Les uns veulent intervenir en direction des élus, les autres veulent mener leur propre combat en dehors du calendrier électoral. Plusieurs expériences sont faites en ce sens, mais le groupe qui anime Podemos finit par imposer que le changement passe par la voie institutionnelle. Une enquête réalisée en 2011 indique que la méfiance à l’encontre du système des partis est majoritaire mais en fait, à l’étape actuelle du processus révolutionnaire, les indignés aspirent à une démocratisation pour orienter les partis vers l’intérêt public. La question de la représentation n’est pas majoritairement rejetée.

Au niveau des cercles locaux, apparaissent les experts qui établissent un programme, mais après les cercles n’ont plus à donner leur avis. L’obsession de gagner par les institutions conduit à privilégier le leadership du chef et à diminuer le pouvoir des militants.

Héloïse Nez explique : « Podemos est bien devenu un nouveau parti politique, qui s’inscrit dans les règles du jeu de la démocratie représentative. Il est peu probable qu’il échappe à la loi « d’airain de l’oligarchie », selon laquelle les organisations politiques se bureaucratisent à mesure qu’elles se développent et que leurs dirigeants acquièrent des savoir-faire spécifiques. Une élite est bien en train de se former au sein de Podemos, et elle se confronte de plus en plus aux militants des cercles, qui ont tendance à déserter l’organisation faute de pouvoir avoir un impact sur les décisions prises. »(4)

A la caractérisation de cet auteur, il faut ajouter que Podemos continue à se situer, comme la vieille gauche espagnole dans le respect des institutions franquistes.

Victoire et effondrement de Syriza en Grèce

Le mouvement Syriza ou coalition de partis de gauche et d’extrême gauche, fut fondé en 2004. L’association PRS (Pour la République Sociale) dirigée par Jean Luc Mélenchon nait elle aussi en mai 2004. Elle se positionne à l’extérieur du PS comme association d’éducation populaire, en fait sélection de cadres militants sur une ligne rassemblement de la gauche radicale contre les dérives de la social-démocratie, tout en se maintenant dans le PS.

En 2015 la défaite du gouvernement d’Union Nationale d’Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie) et d’Evangelos Venizelos (PASOK) est une victoire des forces sociales qui se sont constamment mobilisées depuis 2010 contre les accords passés par la bourgeoisie grecque avec la troïka (BCE, UE, FMI), imposant au pays une politique d’austérité brutale. Syriza est l’expression de cette recherche d’une solution politique nouvelle pour gouverner le pays sur une autre orientation économique : le programme de Thessalonique est un accord entre les forces du Front autour des revendications immédiates dès la prise du pouvoir. Le coup de tonnerre de la victoire de Syriza en Grèce tombe sur la tête des dirigeants européens. Victoire perçue à l’échelon international, par les regroupements Front de Gauche en France mais aussi au Portugal, par tous ceux qui cherchent la voie de la résistance contre l’austérité et le néo-libéralisme.

En Grèce qui doit gouverner le pays ? Le néo-libéralisme et la politique austéritaire qui l’a ruiné ou les forces sociales qui ont permis cette victoire ? Angela Merkel qui défend les intérêts des rentiers allemands et l’ensemble des dirigeants européens ont d’emblée annoncé la couleur : la dette doit être honorée ! Si le gouvernement d’Alexis Tsipras veut répondre, y compris aux revendications les plus immédiates, qui ne sont pas particulièrement révolutionnaires (le SMIC à 750 euros, le service de santé gratuit, le remboursement de ce qui a été indument volé aux retraités ou aux salariés…), comment cela est-il possible si le pays reste dans le carcan de l’Union Européenne. Le nouveau gouvernement grec est donc devant une alternative redoutable, ou il continue à négocier avec ce qu’exige la troïka, et il perdra l’appui des couches sociales qui l’ont porté au pouvoir, ou il s’appuie sur ces couches et entame le bras de fer avec le néo-libéralisme. Peut-il le faire seul dans les frontières nationales de la Grèce ? Bien évidemment, non ! La question du lien à l’international est posée, notamment avec le Podemos espagnol et au-delà avec ceux et celles qui emprunteront le même chemin en France ou en Irlande… La gauche radicale française, va-t-elle rompre avec l’Union Européenne ou s’en remettre à l’horizon borné des élections européennes ?

La deuxième leçon à retenir des élections grecques, c’est l’effondrement du PASOK. Alors qu’il recueillait encore 44% des suffrages en 2009, il tombe à 4% et obtient 13 sièges dans l’assemblée nationale. Le PASOK paie ainsi l’addition d’une politique liée entièrement aux intérêts de l’oligarchie financière européenne et des accords avec les partis de droite. Voilà l’avenir qui attend le PS français. Quant au KKE, il bénéficie de la vague qui porte Syriza et se maintient à 5,6% mais sur une ligne traditionnelle de refus de tout accord avec ce qu’il analyse comme une résurgence de la social-démocratie. La direction de Tsipras ne se battra pas pour contraindre le KKK à l’unité. Dans cette faille les néo-nazis d’Aube dorée arrivent en 3ème position, devant les libéraux de To Potami à 5,69%. Les positions de To Potami sont celles d’un parti bourgeois souverainiste comparable à celles en France d’un Jean Pierre Chevènement ou Nicolas Dupont Aignan. Mais le choix du dirigeant Tsipras de faire alliance d’emblée avec To Potami sera fatale pour les forces de la recomposition. Plusieurs députés de Syriza ont posé la question d’une ouverture en direction du KKE, de mettre ce dernier en face de ses responsabilités et de faire l’unité au moins sur le programme minimum de Thessalonique. La défaite infligée au PASOK n’empêche pas Jean Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS français, non seulement d’en minimiser la portée mais encore d’associer le PASOK à la victoire de la gauche.

Mélenchon et la défense de la capitulation d’Alexis Tsipras

Jean Luc Mélenchon a rédigé un billet sur son blog politique en date du 26 février2015 approuvant les accords que le gouvernement grec vient de passer avec les tenants de l’Eurogroupe : il y a une constante dans ce texte, c’est une invective contre la gauche de Syriza, et contre ceux et celles qui dans la gauche radicale française seraient tentés d’oser mettre en cause les accords de Tsipras. Citons quelques passages :

« Maintenant nous entrons dans une bataille de propagande contre la Grèce de Tsipras. Une troupe composite de droitiers écumant de rage, de gauchistes toujours prompts à excommunier qui ne se plie pas à leurs mantras abstraites, et d’ancien gauchistes pour qui l’échec des autres doit justifier leur propre mutation libéralo-libertaire, se coalisent pour chanter sur tous les tons la « capitulation de Tsipras ».

Que dis-je : « la première capitulation » comme titre « Médiapart ». Car bien-sûr, il y en aura d’autres ! C’est acquis d’avance ! Il est temps de se démoraliser promptement ! Il est juste de rentrer à la maison, de ranger les banderoles pour en faire des mouchoirs, d’éteindre les lampions et de se couvrir la tête de cendres froides… »

Ou encore :

« …L’idée est d’humilier la Grèce et de présenter son gouvernement comme traître à son peuple. Que le traité d’armistice ne soit pas à notre goût, cela va de soi. Pour autant, faut-il aboyer avec la meute et nous transformer en procureurs ? Faut-il ne tenir pour rien qu’en pleine Europe de l’austérité et dans un pays martyr une liste de « réformes progressistes » soit maintenue ?… »

Alors que Mélenchon minimise l’opposition à Tsipras (« des gauchistes toujours prompts à excommunier »), le militant gréco-français Stahtis Kouvelakis informe alors que la contestation au sein du groupe parlementaire dépasse de très loin ce que représente la plateforme de gauche, regroupement de deux courants anticapitalistes, DEA et APO. Ce sont quatre ministres qui s’opposent à Tsipras et une trentaine de députés.

Mélenchon appuie l’accord de soumission « à l’ombre de la bourgeoisie » (2) qu’est le petit parti nationaliste To Potamos contre un mouvement de fond dans Syriza et dans le peuple grec : Tsipras s’engage à renoncer au programme de Thessalonique : ne pas « supprimer les privatisations qui ont été parachevées », annuler l’engagement électoral clair de rétablir le salaire minimum (751 euros) et enfin pas question de toucher à l’appareil bancaire et de faire une réforme fiscale.

Entre la Grèce et l’Espagne, entre la faillite du Front de Gauche grec et l’émergence de Podemos, Mélenchon a choisi une politique qui n’est pas seulement nationale mais européenne. Pour lui, c’est ce mouvement profond dans la société espagnole qui permet, lorsqu’il s’exprime dans des élections, de ravir le drapeau des mains d’Izquerdia Unida, un cartel électoral du type du Front de Gauche, au profit du populisme. Il écrit :

« En réalité l’Espagne tranche une question pendante dans toute la recomposition en Europe. Elle ne la tranche pas définitivement ni pour tout le monde en tous lieux et toutes circonstances. Mais elle répond à sa façon à une question posée partout : pour construire un pôle alternatif, faut-il faire un cartel de partis destiné à plus ou moins long terme à fusionner sur le mode Die Linke ou Syriza ? Ou bien un mouvement global, inclusif de toutes les formes de participation individuelle ou collective sur le mode Podemos. »

Mélenchon se met à l’école de Chantal Mouffe

Au-delà de l’expérience FDG, Mélenchon va aller chercher ses références doctrinales chez les fondateurs latino-américains du populisme dit de « gauche », Ernesto Laclau (1935-2014) qui avait soutenu le régime bonapartiste de Juan Péron en Argentine ; sa femme Chantal Mouffe (née en 1943), qui vient des universités catholiques de Louvain, Paris et Essex et qui soutiendra le régime cubain de Castro. Le livre-manifeste « Hégémonie et perspectives socialistes », co-écrit avec Ernesto Laclau est publié en 1985.

Un journaliste de Figarovox l’interroge le 11 avril 2017. L’interview a le mérite d’être d’une grande clarté, contrairement à son livre, et de dégager une synthèse. Elle résume « le populisme de gauche » en cinq points fondamentaux :

1)Sur la place de la classe ouvrière :

« Dans Hégémonie et stratégie socialiste, nous développions également l’idée qu’un projet socialiste ne peut consister uniquement dans la défense des intérêts de la classe ouvrière. A côté de la demande de justice sociale légitime, il y a toute une série d’autres demandes démocratiques qui ont à voir avec des antagonismes qui ne sont pas situés au niveau de l’économie : la lutte contre le racisme et le sexisme notamment. Il est nécessaire d’articuler ces différentes demandes. C’est pourquoi nous proposons de reformuler l’idéal socialiste en termes de radicalisation de la démocratie. Il faut étendre l’idéal démocratique à toute une série de domaines qui avant n’étaient pas conçus comme étant politiques. Pour autant, il n’a jamais été question d’abandonner les classes populaires ou de troquer le social contre le sociétal. »

Ce qui est rejeté dans ce paragraphe c’est le fait que dans le rapport social capital-travail, la classe ouvrière est révolutionnaire, non en fonction de quelque idée d’une fin mystique de l’histoire, mais parce qu’elle la seule classe de la société bourgeoise en capacité de dépasser le rapport capital-travail et donc d’émanciper l’humanité du travail salarié. Si on passe par-dessus bord cette idée fondamentale du matérialisme historique, la défense de la classe ouvrière étant un élément parmi d’autres, il n’y a plus de fil conducteur, il n’y a plus de classes sociales qui se disputent la scène de l’histoire des hommes.

Petit rappel historique : en 1931 Marcel Déat (5), Adrien Marquet, député-maire de Bordeaux, Gilbert Montagnier publient un livre intitulé « Perspectives socialistes » dans lequel ils affrontent la direction de la SFIO et qui servira de base idéologique pour constituer le courant néosocialiste ; madame Mouffe n’est pas particulièrement innovante : Déat explique que la classe ouvrière n’est qu’un élément parmi d’autres pour constituer « le front du peuple ». Ce n’est plus le mouvement ouvrier qui est la locomotive de l’histoire, c’est la capacité du « socialisme » à changer la donne en utilisant les structures de l’Etat… Lorsque les nazis prennent le pouvoir en 1933, ils sont chassés du parti à la suite du combat mené par l’aile gauche Pivert-Ziromski : ils finiront chez Pétain.

2)La faillite de la social-démocratie,

voit les masses désorientées se tourner vers les mouvements populistes. Il faut se situer sur le même terrain que les populistes, en traçant le chemin d’un « populisme de gauche ». Ainsi dit-elle :

« Un « nous » se définit toujours par rapport à un « eux ». Mais le « eux » n’est pas obligatoirement « les immigrés ». Il peut être tout autre à commencer par les forces du néolibéralisme. La différence fondamentale entre populisme de gauche et de droite est la nature du « eux ». Dans tous les cas, le « nous » et le « eux » ne sont jamais la représentation d’intérêts qui existent déjà. Podemos l’a très bien compris et ne s’adresse pas uniquement aux gens qui votent ou se reconnaissent dans la gauche. Le mouvement cherche également à convaincre les électeurs du Parti populaire, à créer une volonté collective, un « nous » qui serait de nature transversale. »

La démarche est uniquement pensée en termes de représentation électorale dans les institutions actuelles, ici on court après les voix du Parti Populaire espagnol, en France après celles du FN.

3) Avec le populisme de « gauche » on entrerait dans l’ère de la post-démocratie.

« Je suis en désaccord profond avec ceux qui considèrent que l’électorat du FN est perdu car intrinsèquement « raciste » ou « sexiste ». Il faut se demander pourquoi ces électeurs se reconnaissent dans le FN. Selon moi, l’abandon des classes populaires par la social-démocratie explique le succès des populismes de droite. Les sociaux-démocrates ont accepté la thèse selon laquelle il n’y a pas d’alternative à la société néolibérale. S’il n’y a pas d’alternative, cela signifie que les décisions à caractère politique ne sont pas vraiment politiques, mais techniques et doivent être résolues par des experts qui organisent le statu quo. C’est ce que j’appelle la post-politique. »

Qu’est-ce que la post-démocratie ? L’incapacité de la social-démocratie de répondre aux aspirations d’un peuple se dépasse par un régime où la démocratie par délégation, c’est-à-dire le droit pour le peuple souverain, d’élire ses représentants, est remplacé par des experts. Avec cette notion on est au cœur du corporatisme, de l’association capital-travail. Ce n’est pas franchement une idée nouvelle.

Deuxième rappel historique : au moment où se développait le combat des néosocialistes dans la SFIO, un deuxième réseau autour de la revue « Révolution constructive », animé par l’historien Georges Lefranc, défend l’idée d’un état fondé sur la compétence des experts. En 1931 se fonde un troisième réseau, le courant X-Crise ou « planisme des ingénieurs ». Ses fondateurs Gérard Bardet et André Loizillon associent des personnalités issues de polytechnique pour trouver des solutions aux problèmes économiques des années 1930. Les planistes ne se réunissent pas seulement entre experts mais vont jouer un rôle incontestable dans la superstructure politique, multiplier des liens avec des hommes politiques appartenant aussi bien aux courants de gauche que de droite, et jusqu’à l’extrême droite maurrassienne. On retrouve là l’idée populiste classique, ni droite ni gauche, mais un glissement vers un Etat autoritaire qui met au rencart le parlementarisme.

4)La référence à la nation chez un peuple est déterminée par un « affect » état d’esprit correspondant à la manifestation des émotions, des sentiments, de la motivation, écrit le dictionnaire -ou par « un investissement libidinal très fort ». Voilà la psychanalyse freudienne appelée au secours !

« Je défends l’idée d’un patriotisme de gauche car je crois qu’il y a un investissement libidinal très fort dans l’identité nationale. Il faut en tenir compte. C’est une erreur de diaboliser la nation ou d’en faire un instrument fasciste. J’ai souvent été critique d’Habermas qui préconisait d’abandonner l’identité nationale au profit d’une identité post-nationale européenne. J’ai toujours pensé que c’était impossible car l’identité nationale est trop importante pour les gens. L’erreur de toute une partie de la gauche est de penser que l’attachement à la nation conduit nécessairement à des formes négatives de nationalisme. Je considère au contraire que cet attachement peut être mobilisé d’une manière tout à fait progressiste. »

Ici la nation se fonde sur des notions complètement subjectives, totalement opposées à la conception républicaine : ainsi le bourgeois libéral Ernest Renan explique dans une célèbre conférence prononcée en Sorbonne en 1976 ceci : la nation ne se fonde pas sur la religion, même si celle-ci peut avoir une influence sur la vie sociale d’un peuple ; elle ne se fonde pas sur la langue, même si celle-ci a une importance dans l’unification d’un peuple parlant plusieurs langues ou dialectes ; elle ne se fonde pas sur le cours des fleuves et les paysages divers, même si la géographie implique des références culturelles différentes ; elle ne se fonde pas plus sur la race et la couleur de peau, même si l’origine ethnique importe des coutumes diversifiées. La nation se fonde sur un groupe d’hommes et de femmes qui ont librement choisi de vivre ensemble en se fixant des règles, par la démocratie…

La nation de Chantal Mouffe, c’est celle de Maurice Barrès, pas celle de Jaurès ! L’affect c’est le « rapport charnel » avec sa patrie que Mélenchon revendique dans plusieurs entretiens.

5) Si la post-démocratie c’est la politique faite par des techniciens spécialisés ou experts, la pierre angulaire ne repose plus sur des instances élues mais sur un principe régulateur. Elle déclare :

« Dans la mesure où le peuple est hétérogène, il faut un principe articulateur pour le fédérer. Dans la plupart des cas, la personne du leader joue un rôle important. Elle permet au ‘nous’ de se cristalliser autour d’affects communs, de s’identifier à un signifiant hégémonique. Dans certains cas spécifiques, une lutte concrète peut suffire comme ce fut par exemple le cas pour le mouvement Solidarnosc en Pologne. La lutte dépassait largement la personne de Lech Walesa. Mais dans la majorité des mouvements politiques importants qui ont existé, le leader a toujours été déterminant. Leader charismatique ne veut pas nécessairement dire leader autoritaire. Dans le cas de Pablo Iglesias, son leadership n’est pas incompatible avec une importante démocratie interne. »

Chantal Mouffe a beau apporter des bémols en disant que la vie interne de Podemos reste démocratique. Sans doute au début, puisque ce parti est issu du mouvement révolutionnaire des indignés. Il est difficile de tirer un trait sur sa base sociale, même si une partie de sa direction autour d’Íñigo Errejón explique que Podemos n’est pas le parti des Indignés et qu’il défend la post-démocratie du règne des experts.

Du Front de gauche de 2014 à France Insoumise, l’élection de 2017

A l’automne 2014, soit après le score de 12% dans la présidentielle, Mélenchon change totalement d’orientation. Lors de la réunion des délégués du FDG tenue à la mairie de Montreuil en octobre il fait un discours sur le thème : « nous allons fédérer le peuple ». Je vois encore les visages médusés de Marc Dolez, cofondateur du PG, de Christian Picquet de la Gauche Unitaire, de militants du PCF… Finie l’internationale et le drapeau rouge, il amorce une évolution vers le populisme qui traduit son adaptation aux institutions de la Vème République : désormais, il y a le guide dans son rapport direct avec le peuple et le retour à la Nation. Ce paravent idéologique, jamais modifié depuis, a été codifié dans le livre « l’Ere du Peuple », texte programmatique écrit durant l’été 2014, où la Révolution citoyenne se substitue à la révolution prolétarienne, la nation à la classe. Mélenchon ne peut plus être caractérisé aujourd’hui comme un réformiste de gauche, que des révolutionnaires peuvent soutenir dès lors où il a la volonté d’appliquer les réformes de son programme, mais comme un populiste candidat au poste de Bonaparte dans les institutions d’une Vème république finissante. Même critique pour la perspective de la Constituante : c’est le président qui l’octroie au peuple. Mieux les constituants sont tirés au sort, de quoi faire se retourner dans sa tombe l’abbé Sieyès.

Il souligne qu’à l’ère du néo-libéralisme « l’oligarchie économique » fait passer sa politique sur le corps des Etats-Nations. Dans la même séquence historique on voit des militants issus du lambertisme, Jacques Cotta et Denis Colin de La Sociale évoluer vers le souverainisme. Dans la présidentielle de 2022, s’ils n’appellent pas à voter FN, cela sous-entend qu’ils le feront. Après l’expérience du Front de Gauche, Mélenchon ne pose plus les problèmes en termes d’affrontement gauche-droite. Comment peut-on continuer à être l’aiguillon de la « social-démocratie » quand celle-ci finit par faire mieux que la droite contre le salariat ? Question légitime bien sûr, mais l’alternative proposée ne l’est pas…

…Le nouvel évangile populiste réduit les rapports sociaux à un conflit entre l’oligarchie et le peuple. En raison même de la logique imposée par les institutions, une oligarchie politique s’est formée, qu’elle ait une coloration à droite ou à gauche. Les appareils politiques, et particulièrement le PS, se sont fossilisés autour des écuries présidentielles. Le corpus idéologique de la gauche s’est totalement effondré : il n’y a pas plus de vrais débats politiques dans les appareils de gauche. Le débat, lorsqu’il a lieu, se place dans un champ, l’associatif, le réseau ou le club, qui n’a plus de prise réelle sur la chose publique.

A ce point du raisonnement, Mélenchon chemine vers son Bad Godesberg (3). Un peuple n’est pas un corps chimiquement pur qui aurait la vertu de devenir soudain le souverain. Il est constitué de classes sociales, c’est-à-dire de groupes d’homme et de femmes jouant dans la production du travail social un rôle particulier. C’est le critère de classe qui est abandonné au bénéfice de l’Etat Nation. Rappelons que le nationalisme intégral de Maurras, dont les institutions de la Vème République sont l’enfant légitime via le général De Gaulle, se fonde sur l’opposition « entre le pays réel et le pays légal ».

Nous sommes renvoyés à une conception du peuple qui est abstraite, réduite à l’essence strictement électoraliste du citoyen. Ce qui conduit l’auteur à ne pas partir en fait du rôle objectif et nécessaire du salariat révolutionnaire dans le processus constituant. Il écrit : « le peuple est constituant ou il n’est rien. Comme Marx disait du prolétariat qu’il était révolutionnaire ou bien qu’il ne serait rien. » Je vois mal comment aujourd’hui un mouvement constituant peut monter en puissance s’il ne s’appuie pas sur ceux qui peuvent reconstruire la société sur d’autres bases économiques que celles du capitalisme agressif que nous subissons et qui pose aujourd’hui sur l’écologie la question de la survie de l’espèce humaine. Et là, à divers endroits de l’ouvrage, qu’il s’agisse de l’éco-socialisme ou d’autres problèmes particuliers évoqués, jamais on n’aborde la question de la propriété des moyens de production : on produit des objets de consommation pourquoi ? Pour enrichir les actionnaires et les banquiers ou pour satisfaire les besoins fondamentaux de l’humanité ? Qui doit gouverner : le salariat ou les actionnaires ? L’ingénieur, l’ouvrier qualifié, le technicien ou le banquier ? Un seul exemple : la production de CO2 qui asphyxie la planète et met en cause l’écosystème. Peut-on penser une seule minute qu’il est possible de produire un véhicule propre, fonctionnant à l’hydrogène, voire même à l’air comprimé, sans toucher à la propriété privée des moyens de production ?

De cette impasse sur la question de la propriété résulte toute une série d’autres points : l’opposition entre le lieu où se manifeste la révolution citoyenne, la place publique de la cité d’une part et l’entreprise d’autre part. La forme moderne de la « révolution socialiste » serait alors la révolution citoyenne.Ce qui est assez curieux de noter, c’est lorsque l’auteur prend des exemples concrets, pour confirmer sa thèse de départ, on peut parfaitement lui opposer l’inverse à partir de sa propre démonstration. L’auteur prend l’exemple du processus révolutionnaire en Tunisie qui allait chasser Ben Ali et dit : en fait ce sont les syndicalistes de l’UGTT qui encadrent le mouvement social qui débouche sur les places publiques. Donc c’est le salariat qui engage le processus constituant : qu’exprime le mouvement des syndicalistes du mouvement ouvrier tunisien, sinon qu’ils sont à ce moment précis la classe qui entraine le corps social tout entier ? Toutefois, dans tout processus de ce type, les forces réactionnaires jouent leur partie. C’est en fait un parti islamiste dit « modéré » qui sortira électoralement victorieux de la première étape de la révolution tunisienne. Ce qui pose un autre problème : si dans les révolutions actuelles, le salariat est le seul corps social en capacité de reconstruire la société sur d’autres bases, son seul mouvement ne suffira pas à émanciper la société du capitalisme pourrissant. Il a besoin d’une représentation.

En fait la ligne nationale-populiste appliquée pour l’élection présidentielle de 2017, en bleu-blanc-rouge avec interdiction de l’Internationale et du drapeau rouge, est une défaite politique. La confiance qui est encore donnée au candidat, après les fortes mobilisations contre la loi néo-libérale El Khomeri, cassant le code du travail, est un effet différé dans l’élection présidentielle de ce combat. Certes elle se confirme par un score à hauteur de 19,60%, qui amplifie celui de 2012, 12%. Ceux et celles qui ont soutenu la candidature de Mélenchon sont restés sur la logique de 2012. Pour eux France Insoumise c’est une gauche radicalisée. Rappelons que Benoit Hamon fait 6,4%. La ligne bonapartiste contre les partis, les polémiques insultantes contre le PCF et la gauche du PS conduisent à la défaite. Les chiffres parlent : il pouvait au minimum être au second tour sinon gagner l’Elysée.

Mélenchon a-t-il donc la volonté de prendre le pouvoir en s’appuyant sur le besoin de représentation, donc sur la démocratie, non ! France Insoumise c’est la dissolution dans l’Etat gazeux ! Il veut prendre le pouvoir dans la Vème République, ce qui n’est pas du tout pareil.

Le populisme et la question syndicale

La lutte contre la loi El Khomri a mis en lumière la dérive droitière de la direction de France Insoumise sur la question syndicale. La conception qu’a aujourd’hui Mélenchon de la place des organisations syndicales dans le combat social est en contradiction flagrante avec la position qui a été la sienne de 1976, date de ses premières prises de responsabilité au sein du parti de François Mitterand, jusqu’à son départ du Front de Gauche en 2014.

Rappelons brièvement le contenu de la loi : les accords nationaux interprofessionnels et les conventions collectives de branche disparaissent dans son projet de société. Un droit du travail par entreprise s’appliquera : durée du travail, les repos et les congés, droits et libertés dans l’entreprise, le contrat de travail, le droit disciplinaire, la rupture du contrat de travail, les prud’hommes, les représentants du personnel, les syndicats, la négociation collective, les conflits collectifs… Il s’agit de donner une « autonomie » complète aux employeurs qui consultent et négocient quand ils ont décidé de le faire. Le MEDEF réclame de pouvoir licencier quand il le veut. Le refus du salarié d’accepter telle ou telle disposition concernant ses droits en entreprise entraîne son licenciement avec impossibilité de saisir les prud’hommes. La loi Macron met un point final aux principes du droit social, tels que ceux-ci étaient sortis des rapports de force entre le mouvement ouvrier et le capital à l’issue de la seconde guerre mondiale.

Sur la résistance à El Khomri, le front syndical est totalement éclaté du fait de la division des confédérations : la CFDT de Laurent Berger et la direction FO de Jean Claude Mailly négocient dans le cadre de la loi. La CGT oppose la stratégie perdante des journées d’actions. Maillys désavoue les Union départementales-FO qui, comme à Paris, ont manifesté fin juin aux côtés de la CGT, de la FSU et de Solidaires en les présentant comme des initiatives « isolées », alors qu’il y a une vraie opposition dans cette confédération à la loi Macron. Cette tentative d’accrocher la CGT-FO à la politique de Macron voir monter une opposition parmi les syndicats et les militants : un militant ou adhérent FO normalement constitué voit là une position diamétralement opposée aux principes qui, historiquement, ont constitué la spécificité de la confédération : une centrale réformiste attachée à la négociation salariale nationale et par branches professionnelles, la loi venant concrétiser l’accord entre le patronat et la classe ouvrière… Le POI, qui depuis les gilets jaunes fait mouvement vers la France Insoumise, est devenu avec le temps l’infanterie de l’appareil confédéral. Contre Mailly se constitue une opposition de plusieurs UD, dont celle en particulier du Finistère.

Le rôle d’un mouvement politique n’était-il pas de faire ce qu’il pouvait, avec ses moyens, d’agir pour l’unité et le retrait des ordonnances. Le salariat n’a pas suivi la stratégie presse-bouton du leader de la France Insoumise et ses appels à la jeunesse scolarisée de se mettre en mouvement sont restés lettre morte. Au lieu de cela, le leader de France Insoumise, pourfend la charte d’Amiens qui, de son avis, est aujourd’hui dépassée : « Le dogme du mouvement social indépendant de la politique a montré sa limite ». Ceux qui ont voté la charte étaient des militants qui œuvraient pour l’unification du prolétariat comme classe dans une centrale unique et démocratique – la vieille CGT se définira comme telle – et qui militaient pour la grève générale révolutionnaire. Rappelons qu’à la veille de la guerre, même les social-démocraties allemandes et françaises, partis les plus puissants de l’internationale ouvrière, reprenaient à leur compte la perspective de la grève générale révolutionnaire. En fait, pour les syndicalistes ouvriers, il s’agissait de tracer une délimitation politique avec le réformisme parlementaire et de laisser libre le syndicat de mener sa lutte des classes comme il l’entend, y compris par des moyens révolutionnaires. Rappelons que l’aile prétendument marxiste de Jules Guesdes du parti socialiste était contre la grève générale !

Pourquoi Jean Luc Mélenchon s’en prend-il aujourd’hui à la Charte d’Amiens ? Il revendique le droit pour les responsables politiques, amis du mouvement social, de dire ce qu’ils pensent de ce qui se fait. Il réclame de discuter sur un pied d’égalité avec les syndicats de l’élaboration de la stratégie devant être mise en œuvre. Il demande que la FI soit un interlocuteur à part entière, et ait une partie du pouvoir décisionnel.

C’est un tournant politique dans son itinéraire, aussi important que celui pris au moment où il quitte le Front de Gauche ainsi que la direction du PG. Depuis son départ du Parti socialiste, il n’avait eu de cesse d’affirmer qu’il se gardait bien de commenter publiquement la stratégie des organisations syndicales. Durant la mobilisation contre la réforme des retraites de 2010, sollicité par un journaliste d’Orange qui lui demandait s’il appelait à la reconduction de la journée de grève du mardi 12 octobre 2010, il répond : « Je n’appelle à rien du tout, ce sont les travailleurs qui décident, et cela ne peut pas être quelqu’un d’autre qu’eux dans leur section syndicale et sur leur lien de travail. Nous on soutient ». Leader du Front de gauche, et dans le prolongement alors de sa position de social-démocrate de gauche, il défend le rôle des organisations syndicales dans ce combat. Sur la radio RMC, il rappelle ce que doivent faire les mouvements politiques sympathisant avec la lutte menée : « Les syndicats derrière lesquels je me range sans conditions organisent la résistance sociale. Et nous nous essayons de contribuer avec nos modestes moyens à la réussite des journées de mobilisation ». Interrogé par Jean Jacques Bourdin, lui demandant s’il appelle à la grève reconductible, il répond : « Je m’interdis de dire ce que je préfère. J’ai un avis, c’est que les syndicats savent ce qu’il faut faire. Je ne suis pas dirigeant syndical ». Puis il ajoute : « Je m’en tiens à ce que j’ai toujours dit, à savoir que le Charte d’Amiens voté par le syndicat à l’époque unique CGT prévoyait une séparation du politique et du syndicat. Je dis que je soutiens les syndicats, et que je propose donc un référendum en tant que responsable politique ».

Pourquoi un tel changement d’orientation ? Pourquoi maintenant ? Qu’est-ce que cela révèle ? La réponse se trouve fondamentalement dans le glissement progressif vers les positions populistes. L’utilisation d’une certaine mise en cause gauchiste, dont il joue habilement, des directions confédérales ne doit pas faire illusion. Il considère que les « corps intermédiaires », concept repris à la doctrine sociale de l’Eglise, est un obstacle à la « fédération du peuple ». Le rapport du « leader charismatique » (Chantal Mouffe) avec le peuple est une relation organique, passionnelle, directe sans l’obstacle des corps subsidiaires que sont les syndicats.

A l’ère de la décadence impérialiste Léon Trotsky expliquait en mai 1940 que les bureaucraties syndicales poussaient vers l’intégration dans les appareils d’Etat. La charte d’Amiens n’est pas un « dogme », elle reste un point d’appui contre l’intégration dans les structures d’un Etat bonapartiste. Sur la question des syndicats, la position populiste est-elle autre chose qu’une évolution vers une nouvelle charte du travail. Les hommages au maréchal Pétain par Macron l’actuel chef de « l’Etat français » ne sont pas de sa part un dérapage ou un mouvement d’humeur.

Allemagne : montée inquiétante du national-populisme avec Sahra Wagenknecht et de l’extrême droite

C’est en 2007 que naissent Die Linke, parti issu de la fusion entre directement les cadres de l’appareil d’Etat stalinien de la RDA (République Démocratique Allemande), à savoir le Parti socialiste unifié d’Allemagne et l’Alternative électorale travail et justice sociale, créée en 2005 par des syndicalistes et des militants de la gauche du SPD, opposés à la politique néo-libérale de Gerald Schröder.

C’est en septembre 2007 que l’Association PRS (Pour la République Sociale) apparait à la Fête de l’Humanité en France. Fondée en mai 2004 par Jean Luc Mélenchon et un certain nombre de militants issus de la Gauche Socialiste, elle se réclame des valeurs républicaines et sociales, veut regrouper dans le Front de Gauche tous les courants opposés aux dérives néo-libérales du PS. C’est à ce moment-là que se nouent des relations internationales entre la direction de PRS Jean Luc Mélenchon- François Delapierre et les fondateurs des Linke allemands autour d’Oskar Lafontaine. A l’issue du meeting qui consacre la sortie des mélenchoniens du PS et la naissance du Parti de Gauche, Oskar Lafontaine et une délégation de jeunes quadras des Linke y prennent la parole. L’heure est à la stratégie Front de Gauche chez nous et outre Rhin. Wagenknecht est issue du parti stalinien de la RDA. Bien qu’épouse d’Oskar Lafontaine Elle n’a pas bonne presse dans die Linke. Lorsqu’elle tentera de se porter candidate à la co-présidente du parti, la fraction sociale-démocrate s’y opposera.

2017 c’est la campagne « national-populiste » de Mélenchon et la ligne sectaire tous azimuts contre le PCF, les écologistes et Hamon. Wagenknecht a la réputation d’être l’aile gauche des Linke : les résultats électoraux prometteurs au début ne se confirment plus. Le parti régresse et évolue vers des accords avec le SPD. Elle fait campagne contre un accord Verts-Die Linke et SPD, qui aboutira à privatiser certains services publics dans le Land de Berlin. Elle constitue le mouvement Aufstehen (Se lever ou levons-nous !) Elle a souvent apporté son soutien, comme Mélenchon, aux populismes latino-américains, notamment le régime d’Hugo Chavez.

C’est là qu’on va retrouver la référence aux idéologues du « populisme de gauche. Dans la démarche des fondateurs, voilà le retour d’un vieil ennemi historique de la démocratie en Allemagne qui s’appelle Carl Schmidt : c’est un constitutionaliste allemand qui inspirera la conception de l’Etat des nationaux-socialistes ; c’est une référence revendiquée par Chantal Mouffe.

Lorsque la social-démocratie est confrontée à la grande crise économique de 1929, une fraction de son appareil veut renforcer l’exécutif au détriment de la démocratie parlementaire. Ce courant se rapproche à la fin de la République de Weimar de Carl Schmidt qui était d’accord avec la nécessité d’infléchir la prédominance de l’exécutif. Le SPD a connu alors ses « néo-socialistes ». On voit des relations troublantes entre des dirigeants sociaux-démocrates et ce juriste, militant de la droite catholique. Avec l’avènement de Hitler, Il s’emploiera à justifier les pires aspects de la législation nazie. Dans la conception libérale démocratique l’Etat de droit est défini par la loi, qui émane expressément des représentants élus. Pour Schmidt, le droit n’a rien à voir avec la démocratie libérale ; il traduit une volonté politique qu’elle soit celle d’un souverain, d’un monarque, d’un gouvernement disposant de pouvoirs spéciaux. Le droit justifie un état d’exception ou la suspension des pouvoirs d’un parlement. Conception du « droit » parfaitement conciliable avec le fascisme, que Schmidt soutiendra de 1933 à 1936. Ses convictions catholiques le conduiront à rompre avec le National-Socialisme, mais sa conception de l’Etat va bel et bien inspirer les fascistes.

Pour LFI, il s’agit d’organiser les convergences populistes à l’échelle de l’Europe dans la perspective des élections de juin 2019. L’initiative de constituer à la rentrée politique de septembre 2018 le mouvement « Aufstehen », à l’initiative de Sarah Wagenknecht et d’Oskar Lafontaine, s’inscrit dans cette stratégie. Cette responsable des Linke déclare : « Les sociaux-démocrates, Die Linke et les Verts avaient, jusqu’aux dernières élections, la possibilité de gouverner ensemble. Ils ne l’ont pas utilisée ». D’emblée le cadre est posé : il ne s’agit plus d’engager un combat, sur la gauche du mouvement ouvrier, pour pousser le SPD à la rupture avec les alliances au centre, mais d’entrer dans une autre logique, celle de chasser sur les terres de l’extrême droite. Au passage rappelons que les résultats électoraux modestes des Linke depuis leur création sont liés précisément au fait qu’ils n’ont pas mené pratiquement ce combat pour la rupture avec le néo-libéralisme. Le parallèle avec France Insoumise doit être souligné : il s’agit de lancer une plateforme en ligne où on peut s’inscrire en remplissant un simple formulaire. C’est un rassemblement au-dessus des partis, qui pour l’instant ne remet pas en question l’appartenance aux Linke.

Là où la politique de Sarah Wagenknecht heurte les traditions du mouvement ouvrier allemand, c’est sur la question de l’accueil des migrants. Elle déclarait au quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung, le 12 août 2019 : « Les études le prouvent : sans l’immigration, la croissance allemande aurait conduit à une plus grande augmentation des salaires dans le secteur des bas salaire ». De plus, les fondateurs d’Aufstehen n’étaient pas aux côtés des manifestants anti-racistes à Chemnitz. On retrouve dans la France Insoumise les mêmes ambiguïtés. On s’inspire des positions anti-migratoires de l’extrême droite en pensant qu’on va lui reprendre son capital électoral.

C’est deux mois après l’offensive du régime autocratique de Poutine contre les droits nationaux du peuple ukrainien : Wagneknecht pousse alors très loin la dérive vers le national-populisme. Le 21 avril 2023 le Washington Post soulignait, en s’appuyant sur des faits précis, la volonté du régime de Poutine de faire pression sur le gouvernement allemand en alimentant le rapprochement qui s’opère entre le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) et les positions « national-populistes » impulsées par le couple Wagenknecht-Lafontaine. Prenant appui d’une part sur la diplomatie du régime de Poutine et d’autre part sur les atermoiements du gouvernement allemand concernant l’aide militaire à l’Ukraine et la livraison des chars Léopard, Wagenknecht est à l’initiative de l’organisation d’une manifestation de 13 000 personnes à la porte de Brandebourg le 25 février dernier, exigeant l’arrêt des livraisons d’armes à l’Ukraine. Jürgen Elsässer, rédacteur en chef d’un magazine d’extrême droite, et des dizaines de membres du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) se trouvaient dans la foule à Berlin et ont acclamé les appels de Mme Wagenknecht à couper les ponts avec le peuple ukrainien résistant par les armes. Le magazine Compact de M. Elsässer avait récemment déclaré en couverture que Wagenknecht serait “Le meilleur chancelier – un candidat pour la gauche et la droite”.

Le 23 octobre 2023 Wagenknecht, avec une dizaine de députés, fonde le BSW (Bündnis Sahra Wagenknecht), sur une ligne national-populiste, réitérant sa condamnation de l’aide militaire à la résistance ukrainienne, exigeant le cessez-feu immédiat, et affirmant son repli nationaliste et anti-immigration contre l’actuelle Union Européenne. Elle y ajoute, ce qui est très important, la levée des sanctions contre la Russie. Dans une conception qui ne se fonde pas, comme celle de France Insoumise en France, sur la lutte des classes, mais sur une place à tenir au sein du monde multi-polaire, BSW défend l’adaptation à l’impérialisme russe. Cette scission avec l’aile gauche de la social-démocratie intervient au moment où la coalition du social-démocrate Olaf Scholz, regroupant le SPD, les Verts et le FDP (Freie Demokratische Partei), vieux parti libéral né en 1948 et aujourd’hui sur une ligne néo-libérale tout à fait de type macroniste, essuie une défaite face à l’extrême droite en Hesse et en Bavière.

L’Allemagne se trouve dans une période de ralentissement économique. BSW prend appui à l’ouest, non pas sur les couches pauvres, mais sur l’inquiétude des secteurs ouvriers qualifiés. La menace de la désindustrialisation et la crainte des flux migratoires, dans un pays où les équilibres politiques étaient fondés sur un accord historique entre le SPD et la CDU, fait que des secteurs du prolétariat qualifié se détournent des alliances au centre, s’abstiennent ou regardent du côté des populismes. Par ailleurs dans les régions de l’ex-RDA, elle prend appui comme l’AFD, sur une population qui s’estime être un parent pauvre dans la réunification par rapport à l’Ouest de l’Allemagne. Tout cela fait un cocktail détonant ouvrant une brèche pour la constitution d’un mouvement populiste de masse qui, selon un sondage Insa publié le 29 octobre par le tabloïd Bild, pourrait regrouper 27 % du corps électoral. La coalition d’Olaf Scholz recueille 71 % d’avis défavorables aujourd’hui.

BSW c’est une sortie par la porte de droite. Il est vraisemblable que le parti Linke ne survivra pas à cette opération et que les éléments socialistes et syndicalistes le quitteront. Cette situation nouvelle au cœur de l’Europe dans la représentation du mouvement ouvrier allemand est à placer en parallèle avec les dérives actuelles du leader de FI.

Contre la résistance « armée et non-armée » du peuple ukrainien et pour la défense de la Russie poutinienne

Nous venons de vivre en 2022 deux séquences électorales, présidentielle et législative, au cours desquelles tout débat sur les questions internationales ont fait l’objet d’une omerta totale, alors que l’offensive du régime autocratique de Poutine contre les droits nationaux du peuple ukrainien mettait la guerre aux portes de l’Europe. Cette omerta imposée par France Insoumise a été appliquée par les composantes formant la NUPES durant la campagne…

Le soutien de France Insoumise et de Jean Luc Mélenchon allait avant la guerre à Sergueï Oudaltsov, l’organisateur d’un “Front de gauche” russe qui a soutenu l’annexion de la Crimée et les attaques menées contre l’Ukraine depuis 2014. Après l’ « opération militaire spéciale » du 24 février, Mélenchon prend ses distances ainsi qu’Alexeï Sakhnin, numéro 2 de l’organisation russe, qui avait comme Oudaltsov soutenu l’annexion de la Crimée, mais s’est opposé à l’invasion du 24 février : notons que ce dernier sera exclu de l’organisation russe en raison de cette opposition. Il est aujourd’hui réfugié en France. Nous avions donc en Russie une organisation « front de gauche » pro-poutinienne.

C’est là qu’il faut souligner le rôle joué par Georges Kuzmanovic (né à Belgrade en 1973), ancien combattant de l’Afghanistan et officier de réserve, personnage qui a joué un rôle particulièrement réactionnaire sur les questions internationales auprès de Jean Luc Mélenchon. Après diverses activités de type humanitaire en Afrique, il se lie à la gauche du PS, c’est Charlotte Girard qui le présente à Mélenchon en 2005. Lorsque ce dernier fonde le PG (Parti de Gauche) en 2008, il entre dans la direction du nouveau parti et, c’est là qu’il fonde une section locale en Russie, et pousse Alexey Sakhnin à sa direction. En 2018 Kuzmanovic devait multiplier les prises de position contre la ligne officielle de la FI : il se prononce dans l’Obs « pour l’assèchement des flux migratoires », puis considère les luttes féministes comme secondaires. Après avoir justifié l’intervention russe en Syrie en 2015, on le retrouve soutenant l’intervention en Ukraine et qualifiant le régime de Kiev de « pronazi ». C’est ce personnage, que l’on peut qualifier de « rouge-brun », qui s’associe avec son organisation « République souveraine », à l’opération « Rencontres souveraines » de septembre 2023 avec des éléments du parti LR anti-macroniens. Sur les flux migratoires il était en avance sur les dérives actuelles de Mélenchon…

A première vue, on serait tenté de considérer qu’il y a deux Mélenchon : celui d’avant Février 2022 et celui d’après. Celui d’avant, ouvertement pro-russe, ne perd pas une occasion d’attaquer l’Ukraine, en relayant, sans filtre, la propagande du Kremlin. Celui d’après, plus prudent, condamne la guerre du bout des lèvres, s’abritant derrière un discours pacifiste. Sur ce point, la question du nécessaire soutien à la résistance « armée et non-armée » a fait apparaitre des lignes de fracture dans l’extrême gauche française et de refuge vers un soi-disant « défaitisme révolutionnaire » s’inspirant de Lénine dans la première guerre mondiale. En fait la politique de Mélenchon, et au-delà d’une partie de l’extrême gauche française est totalement campiste. Les Etats-Unis c’est le camp du mal et la Russie actuelle serait la continuité de la défunte URSS.

L’omerta sur l’Ukraine est rompue par le Parti Socialiste (secoué par une crise interne avec les opposants à l’appartenance à la NUPES) et Europe Ecologie Les Verts (EELV) appelant à soutenir la résistance ukrainienne :

« Il faut donner les moyens aux ukrainiens de repousser l’agression russe, au plus près de ce dont ils ont besoin », déclare Anna Pic, députée du Parti Socialiste de la Manche. Le député EELV de Paris Julien Bayou, membre de la commission de la défense de l’Assemblée Nationale, déclare au Huffington Post : « Nous sommes clairement pour l’envoi de chars en général …»,et il ajoute « …Les alertes contre les risques de belligérance, exprimées par certains de ses collègues de la Nouvelle Union Populaire Ecologiste et Sociale (NUPES), sont ineptes et hypocrites. Notre devoir est d’apporter une réponse juste, nécessaire et proportionnée à l’agression russe. Le pacifisme, ce n’est pas de laisser l’Ukraine se faire écraser ».

Il suffit donc que la question de la guerre émerge enfin dans le débat, pour que l’accord NUPES ratifié après le score de Mélenchon dans la présidentielle, impliquant ce silence assourdissant à l’international, fasse émerger de profondes divergences…

2023 France Insoumise une crise comme les autres ?

Le premier cercle de FI exclut de sa direction nationale quatre de ses membres : Eric Coquerel, Clémentine Autain, François Ruffin et Alexis Corbières. La journaliste du Monde met du baume sur les blessures de la crise de la FI dans son édition du 24 décembre. En gros, dit-elle, c’est habituel et cela va continuer comme avant :

« Jean-Luc Mélenchon, lui, crée les conditions pour se représenter en 2027. Il vient de remettre au pas La France insoumise, en écartant de sa direction les figures jugées trop indépendantes, comme Alexis Corbière, Eric Coquerel, Clémentine Autain et François Ruffin, une façon de couper court à toute ambition extérieure à la sienne. Bien sûr, en interne, les militants râlent et, à l’extérieur, ces divisions sont du plus mauvais effet, alimentant les critiques à l’égard d’un personnage décrit comme autoritaire par ses détracteurs. « La fragilisation de LFI va donner des billes à ceux qui veulent affaiblir la Nupes », poursuit Rémi Lefebvre. Est-ce là l’important ? En verrouillant l’appareil, Jean-Luc Mélenchon reste le seul maître de son destin. »

Jugement formellement exact mais qui limite la profondeur de la crise : l’ambition présidentiel conduit à liquider l’essentiel de sa direction historique, la génération FGD-PG, précisément en raison du fait que l’aspiration des militants à contrôler démocratiquement leur mouvement se développe.

Le 23 août 2022 émerge l’appel des 1300 à l’initiative de la direction : le type d’organisation « gazeuse » dont Mélenchon a soigneusement tracé les limites électoralistes, lui pose un problème, celui de la solidité de l’édifice sur le plan idéologique. L’outil ne fonctionne vraiment que pour l’élection présidentielle, entre deux scrutins, notamment les Municipales, la FI n’a aucune unité d’intervention. Elle éclate ou passe sous la table. On ne dirige pas une mairie sans l’outil d’un parti. En dehors du noyau fondateur, l’indigence politique à la base est patente. L’appel ouvre pour constituer une école d’éducation populaire qui vise à former une génération de cadres politiques et à fournir un prêt à porter idéologique pour répondre aux grands dossiers sur lesquels la FI se propose de se battre. L’appel stipule :

« Les thèmes portés par cette école devront permettre de re-créer une colonne vertébrale idéologique majoritaire dans le pays : l’inflation, le droit du travail, la santé, les services publics, les forêts et les océans, la sobriété énergétique, les libertés publiques, la lutte contre le racisme et l’islamophobie, le remboursement à 100% par la sécurité sociale, les cantines gratuites, l’augmentation du SMIC… »

Oui mais, comment peut-on faire cela sans la médiation d’un parti ? C’est la quadrature du cercle ! C’est là qu’on comprend la fonction que doit remplir le POI. Dans la campagne législative de 2022, les militants du POI ont joué un rôle central, sans rapport avec ce que représente ce parti réellement. Dans une série de circonscription, ce sont des militants lambertistes qui fournissent l’armature idéologique à des candidats jeunes et pauvrement armés. Dans une conférence tenue au siège du POI, Mélenchon se fait applaudir par des militants jeunes, lorsqu’il conclut son intervention par : replacer « le trotskysme » au cœur de la recomposition politique.

Depuis le mois d’août la contestation monte forcément sur la question de la démocratie. Mélenchon a prévenu : le 18 juillet 2022 dans une conférence donnée au siège du POI, il déclare : « On [qui ?] veut nous imposer des parlements locaux, mais nous ne nous laisserons pas faire ! » : C’est une déclaration de guerre contre une aspiration démocratique qui monte.

Dans le JDD du Dimanche 18 Décembre 2022 Clémentine Autain épingle « la décision de composer une direction repliée sur elle-même engendre une crise majeure. Pourquoi ne pas inclure les différentes sensibilités et personnalités qui font pourtant la force de notre mouvement ? La mise au placard du pluralisme n’est pas possible. Nous avons un problème de démocratie dans la vie du mouvement ».

C’est Alexis Corbière, fidèle lieutenant de Mélenchon depuis 20 ans, car il vient comme lui de la maison mère, le lambertisme, qui déclare le 16 Décembre 2022, dans le Monde :

« Cette situation insatisfaisante est le produit d’une méthode que j’ai moi-même du mal à saisir. J’ai en tout cas un radical désaccord avec le résultat, conséquence d’un processus qui ne joue pas collectif, qui n’associe pas assez les militants et qui n’intègre pas les différentes sensibilités de notre mouvement qui s’incarnent dans certaines personnalités. Cela nous empêche d’arriver à un consensus. Certains ont beau s’en réclamer, il n’est pas là. Beaucoup de militants sont désarçonnés ».

Il ajoute :

« C’est peut-être un désaccord que j’ai avec Jean-Luc. Je pense que ce que nous construisons doit être une forme de contre-société. Cela doit annoncer ce que nous ferions si nous dirigions le pays. Il doit y avoir un peu de VIe République là-dedans. Nous menons le combat contre un gouvernement qui refuse de se soumettre au vote. Nous ne pouvons pas théoriser au même moment le fait que nous ne votons pas. Il faudra donc consulter les militants et voter. Il y a dans le pays une puissante soif de démocratie, et elle existe évidemment aussi dans LFI. Ne fabriquons pas quelque chose qui rend confus ce que nous voulons faire demain pour la France. Nous sommes un grand mouvement populaire. Cela doit se retrouver dans la direction. Il faut faire mieux, c’est la consigne donnée. »

La journaliste poursuit et dit :

« faut-il que LFI devienne un parti ? »

Corbières esquisse la question du parti et réhabilite l’espace « gazeux » : « D’accord pour brandir la forme mouvementiste, mais il faut produire du consensus. A ce stade, nous n’y sommes pas. La responsabilité de ceux qui animent cette coordination est de l’entendre. »

Fin de la 1ère partie

Notes :

(1) Le terme de Sillon ne relève pas d’une métaphore poétique, c’est une allusion précise au journal du catholique social Marc Sangnier et aux bases sur lesquelles se constitue le nouveau parti socialiste.

(2) La formule est de Léon Trotsky à propos de l’accord entre les forces du mouvement ouvrier dans la révolution espagnole et le petit parti bourgeois républicain représentant « l’ombre de la bourgeoisie ».

(3) C’est au congrès de Bad Godesberg, en 1959, que le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) abandonna la référence au marxisme et se rallia à l’économie de marché.

(4)Héloïse Nez, sociologue hispano-française, « Podemos, de l’indignation aux élections » remarquable travail sur l’expérience Podemos publié en 2015.

(5)Marcel Déat (1894-1955), intellectuel brillant et dirigeant social-démocrate, qui était pressenti par Léon Blum pour assurer sa succession à la direction de la SFIO.