Idées et Sociétés, International

Standing Together peut-il supporter le poids de ses contradictions ?

La convention de Haïfa marquait les dix d’existence de l’organisation. Un moment de réflexions et d’interrogations rapporté par la journaliste Samah Watad pour +972 Magazine. Une réflexion peut aussi nous être bien utile. ML

Le mouvement judéo-arabe célèbre son 10e anniversaire après une période d’expansion rapide. Mais à mesure qu’il grandit, les questions se multiplient quant à ses positions politiques, ses ambitions électorales et les limites de l’organisation binationale.

À l’entrée du Centre international des congrès de Haïfa, des familles palestiniennes en deuil étaient assises en silence, tenant les portraits de leurs enfants tués dans la spirale de violence criminelle qui sévit dans les communautés arabes d’Israël. À quelques mètres de là, de jeunes militant·es israélien·nes distribuaient des autocollants portant des slogans optimistes, voire pleins d’espoir, tels que « Seulement ensemble nous pouvons » et « Construisons ensemble notre pouvoir ». 

Le contraste était déconcertant. Le chagrin, l’optimisme et la ferveur idéologique coexistaient difficilement lors de la convention marquant les 10 ans de la création de Standing Together, fin novembre. 

Fondé par des membres du Parti communiste israélien, dont l’ancien député Dov Khenin et l’actuel codirecteur national de l’organisation Alon-Lee Green, Standing Together se positionne comme un mouvement populaire judéo-arabe fondé sur l’organisation de rue, la communication bilingue et l’action de masse coordonnée, qui aspire à reconstituer la gauche israélienne longtemps stagnante. Après avoir connu une croissance régulière au cours de ses huit premières années d’existence, la visibilité du mouvement a explosé dans le contexte de la guerre génocidaire menée par Israël contre Gaza, ce qui a suscité un regain d’intérêt tant au niveau local qu’international pour son rôle dans la lutte pour un avenir juste en Israël-Palestine.

L’expansion rapide de Standing Together au cours des deux dernières années – le mouvement compte désormais près de 6 000 membres et son site web répertorie près de 80 employé·es – a été en partie alimentée par son attrait croissant auprès des jeunes Palestinien·nes d’Israël, déçu·es par la politique traditionnelle des partis. Mais à mesure que le mouvement prend de l’ampleur, les questions se multiplient quant à ses ambitions électorales, sa position sur des questions épineuses telles que le sionisme et le caractère juif d’Israël, et sa capacité à s’engager de manière significative dans la résolution des contradictions auxquelles sont confronté·es les citoyen·nes palestinien·nes d’Israël sous un gouvernement israélien de plus en plus fasciste.

Un vecteur d’action
Pour comprendre la récente montée en popularité du mouvement, il faut d’abord comprendre la situation particulièrement difficile dans laquelle se sont retrouvé·es les citoyen·nes palestinien·nes d’Israël pendant la guerre. 

Au cours des deux dernières années, les autorités israéliennes ont réprimé de manière agressive pratiquement toutes les activités politiques liées à Gaza. Des centaines de personnes, dont d’éminentes personnalités palestiniennes, ont été arrêtées pour avoir simplement publié sur les réseaux sociaux des messages de solidarité avec les Gazaoui·es victimes d’attaques ; les manifestations ont été réprimées avec une poigne de fer ; et les instances politiques ont été menacées de fermeture. C’est dans ce vide qu’est intervenu Standing Together, dont les manifestations binationales ont offert aux citoyen·nes palestiniens·ne un bouclier de protection leur permettant d’exprimer leur chagrin et leur rage.

Dans le même temps, les autorités ont également réprimé les campagnes visant à fournir une aide humanitaire à la population de Gaza, fermant de fait les organisations d’aide arabes établies (notamment l’association Al-Rahmoun et Igatha 48) dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre. Dans ce climat de peur et d’impuissance, Standing Together a lancé à l’été 2024 une campagne à grande échelle appelant le public à faire des dons de nourriture et d’aide humanitaire à Gaza, alors qu’Israël menait une politique de famine.

Offrant un rare canal public aux citoyen·nes palestinien·nes désireuses/désireux d’apporter leur contribution, le mouvement a organisé des collectes de nourriture dans au moins 15villes arabes, de Nazareth à Wadi Ara, et a déclaré avoir collecté suffisamment d’aide pour remplir 400 camions, dont la moitié a atteint les personnes dans le besoin à Gaza avant que le gouvernement israélien ne bloque toute nouvelle livraison dans la bande de Gaza, obligeant le mouvement à distribuer le reste aux communautés vulnérables de Cisjordanie. 

Standing Together n’était pas la seule organisation à tenter de collecter des fonds pour répondre aux besoins humanitaires des Palestinien·nes à Gaza. D’autres acteurs/actrices politiques, dont le parti arabo-juif Hadash, ont mené des campagnes parallèles, optant souvent pour des transferts d’argent via des ONG locales ou internationales afin de contourner les restrictions israéliennes. Cependant, ces efforts étaient de moindre envergure et les organisateurs/organisatrices se sont délibérément abstenu·es de les promouvoir sur les réseaux sociaux par crainte de représailles gouvernementales. 

La campagne de Standing Together a soulevé des questions persistantes parmi les Palestinien·nes d’Israël : comment une opération d’une telle ampleur a-t-elle pu éviter des répercussions juridiques alors que d’autres ont été empêchées de voir le jour ? Comment l’aide a-t-elle été réellement acheminée ? Et son impact était-il plus symbolique que matériel ? Néanmoins, des centaines de personnes ont mis leurs doutes de côté pour soutenir une campagne qui a peut-être sauvé des vies à Gaza.

Pour d’autres Palestinien·nes qui ont assisté à la convention du 10e anniversaire, en particulier les personnes d’âge moyen et les personnes âgées, ce qui les a principalement attiré·es vers le mouvement, c’est la nécessité de lutter contre l’explosion de la violence armée et du crime organisé qui a fait 248 mort·es rien que l’année dernière, transformant la vie quotidienne dans les villes arabes en une négociation constante avec le danger. 

« La criminalité et la violence sont les problèmes les plus urgents dans notre communauté, mais les actions militantes qui les concernent sont généralement fragmentées et limitées aux cercles politiques », a déclaré Rawyah Handaqlu, fondatrice d’Eilaf – The Center for Advancing Security in Arab Society, à +972.   Standing Together a comblé ce vide, notamment en tendant la main aux familles des victimes de crimes et en transformant leur chagrin en une action visible et durable, tant sur le terrain qu’en ligne. »

Certain·es se sont demandé si la visibilité de Standing Together dans les manifestations contre la violence criminelle reflétait un engagement à long terme en faveur d’un changement de politique ou si le mouvement utilisait simplement le deuil à des fins symboliques. Mais l’attention constante que le mouvement porte à cette question – en se rendant aux funérailles, en organisant des manifestations et en accompagnant les familles endeuillées – a trouvé un écho dans des endroits où les institutions étatiques se sont retirées et où les partis politiques arabes et les organisations dirigeantes n’ont pas été en mesure de trouver des solutions ou d’organiser un activisme efficace. 

Standing Together a également embauché un·e membre du personnel chargé de coordonner ces efforts dans le nord d’Israël, afin d’établir et de maintenir des relations à long terme avec les familles endeuillées, dans le but ultime de les rallier au mouvement pour mener la lutte en faveur du changement.

Rula Daood, codirectrice nationale palestinienne du mouvement aux côtés de Green, qui a passé son temps à la convention à passer sans transition des familles en deuil aux bénévoles et aux journalistes, avec un mélange d’urgence et de fierté, considère que tous ces facteurs contribuent à la popularité croissante de Standing Together parmi les Palestinien·nes en Israël. « Notre présence dans les efforts de secours à Gaza et dans la lutte contre la criminalité et la violence a permis aux gens de voir le mouvement comme quelque chose de tangible, et pas seulement comme de la rhétorique », a-t-elle expliqué. 

En effet, alors que pour de nombreuses et nombreux membres juifs, en particulier les jeunes militant·es, l’attrait du mouvement réside davantage dans la promotion de la justice sociale, la coexistence judéo-arabe ou l’espoir de faire revivre une identité israélienne progressiste, pour les militant·es palestinien·nes, il représente l’un des derniers espaces restants pour lutter contre la violence structurelle et le crime organisé.

Cet écart était manifestement évident au centre des congrès de Haïfa. Les militant·es juifs/juives chevronné·es ont exprimé leur joie, voire leur soulagement, à la vue d’un mouvement binational après deux années où le racisme avait envahi tous les domaines — preuve précieuse que la gauche israélienne était toujours vivante. Pour de nombreuses et nombreux participants palestiniens, l’atmosphère était plus pesante, teintée d’un sentiment d’urgence qui n’avait pas grand-chose à voir avec la nostalgie politique, mais tout à voir avec la survie.

Ambiguïté stratégique
Standing Together vise à faire tomber les distinctions traditionnelles au sein de la société israélienne et à construire « une nouvelle majorité politique » sur la base d’intérêts matériels communs — un large camp qui inclurait les Palestinien·nes et les Juifs/Juives, ainsi que celles/ceux qui se déclarent de gauche et celles/ceux qui ne s’identifient traditionnellement pas comme tel·les. 

Comme l’explique Sally Abed, l’une des animatrices du mouvement et membre du conseil municipal de Haïfa : « Nous n’essayons pas de mettre tout le monde dans la même pièce. Nous organisons une masse critique de personnes capables de convaincre les autres de [la nécessité] d’un bloc stratégique autour de [questions telles que] le logement, la justice, l’égalité et la liberté. » 

Abed a opposé cela aux partis politiques arabes en Israël qui, selon elle, se sont accrochés de manière obsessionnelle à des idées révolutionnaires abstraites. « D’un point de vue sociologique, on constate que les habitant·es de Tel-Aviv sont différents de celles et ceux du Néguev, et je pense qu’il est possible d’avoir des idées révolutionnaires tout en mobilisant les gens autour de problèmes moins explicitement « politiques » comme la criminalité et la violence. Nous essayons de construire quelque chose de vivant : un projet politique qui ne soit pas seulement un slogan, mais une structure. »

Pourtant, même parmi les militant·es chevronné·es qui adhèrent pleinement aux principes du mouvement, le déséquilibre des pouvoirs entre Juifs/Juives et Palestinien·nes (qui représentent respectivement environ 60% et 40% des membres) est impossible à ignorer. Dans ce contexte, un sujet reste particulièrement sensible : le sionisme.

Parmi les dirigeant·es de Standing Together, la question du sionisme est souvent décrite comme « compliquée » et la position du mouvement à cet égard est délibérément laissée dans le flou. De nombreuses et nombreux militants juifs craignent en effet que toute tentative de clarification ne risque d’éloigner des membres potentiel·les. Mais pour les Palestinien·nes, le sujet est inévitable et ne se limite pas à l’abstrait ; il touche au cœur même de celles et ceux qui se sentent appartenir à ce mouvement. 

Cette tension a été rendue publique lors d’une récente interview de Green et Abed dans l’émission Zeteo de Mehdi Hasan. Green a souligné que « le mouvement s’engage à instaurer une égalité totale entre toutes les personnes qui vivent entre le fleuve et la mer », tout en répétant le refrain familier selon lequel elles et ils ne « se tiennent pas à la porte » pour demander aux gens si elles ou ils sont sionistes avant de les laisser entrer. 

Abed, quant à lui, a évoqué la manière dont les Palestinien·nes vivent le sionisme, non pas comme une identité ou une étiquette, mais comme un système de domination responsable du « nettoyage ethnique de mon peuple » et du maintien des Palestinien·nes « sous le joug », tout en affirmant que les Palestinien·nes ne peuvent se permettre le luxe de la pureté idéologique : « Si nous voulons être en mesure de créer […] une masse critique dans la société israélienne pour mettre fin au contrôle militaire, à l’apartheid, au siège […], nous devons comprendre comment nous [pouvons] créer un dialogue propice. » 

La position d’Abed reflète un calcul difficile : un rejet du sionisme à la fois en tant qu’idée et en tant que structure, associé à une acceptation réaliste du fait que les personnes qui s’identifient encore comme sionistes seront les bienvenues au sein du mouvement – non pas parce qu’elle est à l’aise avec cet arrangement, mais parce que les Palestinien·nes ne peuvent pas se permettre de rejeter des partenaires potentiels qui partagent une partie, mais pas la totalité, de leur vision d’un avenir juste. 

Pourtant, cette approche, bien que pragmatique, soulève une question plus profonde : comment un mouvement peut-il prétendre lutter contre l’injustice tout en accueillant des personnes qui sont attachées au système qui la sous-tend ? Pour de nombreuses et nombreux citoyens palestiniens, cela reflète les limites profondes d’un activisme binational qui refuse de nommer les structures d’oppression. L’absence de position claire contre le sionisme et le colonialisme de peuplement est également l’une des raisons qui ont conduit le PACBI, branche officielle du mouvement BDS, à dénoncer Standing Together pour cause de normalisation. 

Pour les militant·es juifs/juives du mouvement, la question du sionisme est souvent résolue par un lent processus de remise en question interne. Plusieurs ont décrit un processus graduel de « désapprentissage » du sionisme. Au centre des congrès de Haïfa, une militante juive d’une cinquantaine d’années a déclaré à +972 : « J’ai été élevée dans la conviction que le sionisme était la bonne voie. Il m’a fallu plusieurs années pour passer du Meretz [le parti sioniste le plus à gauche d’Israël] au Hadash, et je comprends pourquoi il est difficile pour les personnes de s’en détacher, d’autant plus que la société israélienne se déplace de plus en plus vers l’extrême droite. »

Bon nombre des militant·es juifs/juives avec lesquel·les je me suis entretenu ont demandé à rester anonymes. Elles et ils ont évoqué les réactions négatives de leur famille et de leurs ami·es, ainsi qu’un sentiment d’isolement, même au sein de leurs propres cercles sociaux. Cette réalité soulève une autre question : si le fait de soutenir Standing Together a déjà un coût social pour les Israélien·nes juifs/juives, dans quelle mesure ce mouvement peut-il réellement s’étendre au-delà de sa base actuelle ? 

Parmi les Palestinien·nes que j’ai interviewé·es, l’ambiguïté stratégique était plus difficile à accepter. Rabea Alasam, militante bédouine du Naqab/Néguev et membre de la direction nationale du mouvement, a souligné que si les militant·es juifs/juives peuvent se permettre des parcours idéologiques progressifs, les Palestinien·nes sont contraint·es de vivre quotidiennement avec les conséquences du sionisme – dans la loi, sur leurs terres et dans leurs corps. 

C’est dans cet espace entre le gradualisme juif, l’urgence palestinienne et l’ambiguïté stratégique du mouvement que les promesses et les limites de Standing Together apparaissent clairement. 

Pourtant, pour de nombreuses et nombreux membres palestiniens du mouvement, y compris celles et ceux qui sont mal à l’aise avec ces ambiguïtés, la politique inclusive de Standing Together a également fourni un moyen indispensable à la politisation d’une identité qu’Israël s’est efforcé sans relâche de réprimer. Angela Mattar, une étudiante palestinienne au Technion de Haïfa, a décrit un long et difficile parcours vers l’activisme politique. « Je n’ai pas grandi dans un foyer politisé », a-t-elle déclaré. « Mais je savais que je voulais changer les choses. » 

Elle a finalement trouvé sa voie au sein de Standing Together après avoir essuyé des critiques pour avoir soutenu des étudiant·es arabes du campus qui protestaient contre le génocide perpétré par Israël à Gaza. « C’était le seul endroit qui me permettait de m’exprimer librement, de me sentir en sécurité dans mon identité palestinienne et de ne pas avoir à faire de compromis. »

Rejoindre un mouvement judéo-arabe n’a pas été facile pour elle. « J’avais peur que les gens disent que je normalisais la situation », a admis Matar. « Mais j’ai réalisé que je ne renonçais à rien. Je pouvais parler de Gaza, de la Nakba, et me sentir soutenue. Ce n’est pas quelque chose que je considère comme acquis. »

Alasam décrit également Standing Together comme son premier foyer politique. « C’est seulement grâce à Standing Together que j’ai commencé à dire que je suis bédouine et que je suis palestinienne », dit-il. Mais les questions persistent dans son esprit. « De quel type de partenariat s’agit-il ? Est-ce juste ? Chaque soir, je m’endors avec cette question. »

Les dirigeant·es du mouvement affirment que l’acceptation de ces contradictions est la seule façon honnête de construire un projet politique véritablement commun. « Aucun mouvement réel dans l’histoire n’a jamais été aligné à 100% sur le plan idéologique », a déclaré Abed. « Les personnes viennent pour différentes raisons. Certain·es à cause de la criminalité. D’autres à cause de la guerre. D’autres encore à cause des loyers. Ce n’est pas un défaut. C’est la réalité. »

Ces tensions — entre solidarité et inégalités structurelles, lutte commune et enjeux inégaux — ne sont pas nouvelles pour Standing Together. Mais elles sont devenues plus difficiles à masquer à mesure que le mouvement a pris de l’ampleur. Comme me l’a confié en privé un·e militant·e palestinien·ne présent à la convention : « Nous sommes ici parce que nous n’avons pas le choix. Elles et ils sont ici parce qu’elles et ils veulent croire en quelque chose. »

Contester l’espace
Parmi les membres des principaux partis politiques arabes en Israël — en particulier Hadash et Balad, qui ont traditionnellement été à l’avant-garde de la lutte pour les droits des Palestinienfnes tant en Israël que dans les territoires occupés —, Standing Together est généralement considéré avec un mélange de scepticisme et de malaise. 

Compte tenu de l’histoire des fondateurs/fondatrices du mouvement avec le parti, certain·es membres de Hadash y voient un chevauchement, voire une concurrence. Un·e membre du parti qui a demandé à rester anonyme a critiqué les tactiques de « visibilité » du mouvement. « Elles et ils viennent aux manifestations vêtus de leurs chemises officielles, alors qu’il existe un accord commun entre tous les partis de ne pas brandir de drapeaux ni porter de symboles partisans, et de s’en tenir à des slogans communs », a-t-il déclaré. « Elles et ils se rendent même dans les tentes de deuil pour les victimes avec ces t-shirts. Pour nous, c’est inapproprié et inacceptable. » 

Il a également rejeté l’idée selon laquelle Standing Together serait plus actif sur le terrain que les partis. « Ce n’est tout simplement pas vrai. Nous avons choisi, en fonction de la situation à l’époque, de collecter des fonds pour Gaza, et non de la nourriture, [car] nous savions que le gouvernement israélien ne laisserait pas passer la nourriture. L’impact du 7 octobre se fait encore profondément sentir. Les personnes ont peur d’être actives politiquement. » 

Il a toutefois concédé qu’« il y a eu un déclin et un retrait des partis, et peut-être n’avons-nous pas réussi à faire de la place aux jeunes. Il est également vrai que Standing Together comble un vide dont nous n’avons pas su tirer parti comme nous aurions dû.elles et ils investissent clairement beaucoup dans les médias et la visibilité ».

Balad, qui adopte une position plus explicite contre le caractère ethnocratique d’Israël, ne considère pas ce mouvement comme un concurrent direct. Le message politique du parti, qui appelle à un « État de tous et toutes ses citoyennes », ne correspond pas à l’évitement délibéré de la question par Standing Together.

Dans l’interview accordée à Zeteo, Green a critiqué ce qu’il décrit comme un État juif oppressif ou suprémaciste et a mis l’accent sur l’égalité, mais il s’est abstenu de rejeter explicitement le cadre de l’État juif — un autre cas où l’ambiguïté stratégique du mouvement devient un point central de discorde lorsqu’il entre dans l’espace politique palestinien, où beaucoup considèrent ce cadre comme intrinsèquement inégalitaire.

Un·e membre haut placé du Balad, qui a demandé à rester anonyme, a également minimisé l’influence de Standing Together : « En dehors des cercles politiques et des militant·es en ligne, beaucoup de gens ne savent même pas qui elles ou ils sont, sauf peut-être comme le groupe qui a collecté des dons pour Gaza. Et c’est tout. »

La/le membre de Balad s’est également interrogé sur ce qui se passera lorsque le financement du mouvement s’épuisera ; contrairement aux partis politiques en Israël, Standing Together a accès à des ressources internationales qui lui permettent de construire son infrastructure, de coordonner ses campagnes et d’améliorer son image publique.

Les tensions entre Standing Together et les partis ont atteint leur paroxysme lors de la récente élection du Haut Comité de suivi, l’organe de direction non partisan des citoyen·nes palestinien·nes d’Israël. Daood, codirecteur national de Standing Together, s’est présenté pour devenir la nouvelle dirigeante de cet organe. C’était la première fois depuis des années qu’une personne extérieure à la structure politique traditionnelle se présentait à l’élection, ce qui a été perçu comme un défi malvenu. 

Malgré le large soutien dont bénéficiait Daood en ligne, les instances composant le Haut Comité de suivi, dont elle avait besoin pour se présenter, ont finalement cédé à la pression, ce qui a conduit à sa disqualification de la course. Jamal Zahalka, ancien chef du parti Balad qui a siégé à la Knesset pendant de nombreuses années, est sorti vainqueur. Cet épisode a mis en évidence une faille importante : Standing Together fait pression pour entrer plus sérieusement dans la vie politique palestinienne et se heurte à une résistance silencieuse de la part de celles et ceux qui en contrôlent encore les portes.

Pour l’instant, malgré les spéculations croissantes – alimentées en partie par la candidature de candidat·es tels qu’Abed aux élections locales, en plus de celle de Daood à la tête du Haut Comité de suivi – les dirigeant·es de Standing Together insistent sur le fait qu’elles et ils ne prévoient pas de se lancer dans la politique nationale dans un avenir proche. « Nous ne croyons pas aux raccourcis », a déclaré Abed à +972. « Un véritable changement nécessite des infrastructures, des institutions, et cela prend du temps. »

Selon le sondeur Yousef Makladeh, directeur de StatNet, un centre de sondage qui enquête auprès des communautés palestiniennes en Israël, il n’y a actuellement pas d’espace politique pour un nouveau parti arabe. « Nous n’avons même pas inclus [Standing Together] dans notre dernier sondage », a-t-il expliqué. « Nous ne voyons aucune chance qu’elles et ils puissent franchir le seuil électoral. » 

Pourtant, selon M. Makladeh, l’influence du mouvement se fait sentir d’autres manières. Les sondages montrent qu’après des années de fragmentation et de lassitude politique, la plupart des citoyen·nes palestinien·nes d’Israël souhaitent un parti arabe unifié. Même sans se présenter aux élections, suggère-t-il, la présence de Standing Together, en particulier en tant que projet binational, pourrait contribuer à redonner aux Palestinien·nes d’Israël le sentiment que l’organisation politique a un sens. Cela seul, dit-il, pourrait motiver davantage de personnes à voter lors des élections de l’année prochaine.

De retour au centre des congrès de Haïfa, la militante sociale Jumana Khalaileh a ouvert la séance sur scène en racontant l’histoire du meurtre de son frère aux mains de criminels violents. Alors qu’elle pleurait, le public pleurait avec elle. 

La décision des organisateurs/organisatrices d’inviter Khalaileh comme première intervenante reflète leur compréhension du fait que le public palestinien en Israël a désespérément besoin d’un mouvement qui se tiendra à ses côtés dans ce qui est devenu une lutte pour sa survie même – une lutte que ses partenaires juifs/juives israélien·nes ne connaîtront jamais. Alors que la foule écoutait attentivement, le fossé criant entre les privilèges dont jouissent ces deux groupes nationaux pesait lourdement en arrière-plan.

Samah Watad, 19 décembre 2025
Samah Watad est une journaliste et chercheuse palestinienne basée en Israël, qui couvre les questions politiques et sociales.
https://www.972mag.com/standing-together-israel-palestinians-10-years/
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