Pourquoi les filles russes, qui obtiennent systématiquement de meilleurs résultats scolaires que les garçons, sont-elles amenées à croire que leurs connaissances sont sans importance ? Comment les manuels scolaires russes, les nouveaux programmes d’études et les programmes régionaux d’aide sociale transforment-ils les écolières en un outil de politique démographique ? L’écrivaine et militante féministe Liliya Vezhevatova mène l’enquête.
Depuis 2022, les écoles russes sont devenues un lieu non seulement de transmission des connaissances, mais aussi de renforcement des rôles sociaux valorisés par l’État. Les filles sont considérées comme une ressource démographique et se voient de plus en plus attribuer le rôle de futures mères et de gardiennes des « valeurs traditionnelles ». Les cours d’« éducation patriotique » tels que « Conversations importantes » présentent la maternité comme une mission supérieure, et la nouvelle discipline « Études familiales » encourage les élèves à se marier le plus tôt possible et à avoir beaucoup d’enfants.
Parallèlement, certaines régions introduisent des objectifs annuels indiquant un nombre modeste mais croissant d’élèves enceintes, des indicateurs à atteindre et à communiquer, auxquels sont liés les versements budgétaires. Ces évolutions s’accompagnent de déclarations publiques de responsables gouvernementaux et religieux selon lesquelles la famille et les enfants sont plus importants pour les filles que l’éducation. Dans l’ensemble, les écoles sont progressivement transformées en instruments de mobilisation démographique où les filles sont principalement préparées à la maternité plutôt qu’à faire des choix indépendants concernant leur vie. C’est ainsi que le gouvernement russe actuel considère les écoles dans le contexte de la militarisation.
Les « valeurs traditionnelles » au lieu de l’éducation
Les objectifs démographiques sont ouvertement intégrés dans la politique éducative. En 2024, le ministère de l’Éducation a introduit un nouveau cours parascolaire, intitulé « Études familiales », destiné aux élèves de la 5e à la 9e année, c’est-à-dire aux enfants âgé·es de 11 à 15 ans environ. Selon le programme, ses objectifs sont « d’inculquer aux élèves les valeurs d’une famille solide, du mariage et de la natalité » et « de promouvoir la chasteté ». En outre, le projet national Conversations importantes », une série de cours hebdomadaires comprenant des modules sur les valeurs familiales, établit également une division rigide des rôles entre les sexes. Les filles se voient attribuer le rôle de « mère et femme au foyer », tandis que les garçons sont censés devenir des « protecteurs et des guerriers ». La formulation est très directe : « la mère est la gardienne de la maison, la gardienne du foyer » ; « la maternité est la mission des femmes ». En revanche, les soldats russes « héroïques » en guerre en Ukraine sont présentés comme des modèles aux garçons. Le message adressé aux adolescentes est clair : la maternité n’est pas seulement l’un des nombreux choix de vie possibles, elle est obligatoire. Quant à leurs camarades de classe masculins, on leur promet le rôle de créateurs, de leaders et de défenseurs actifs.
Dans certaines régions, les autorités ont mis en place un système de paiements en espèces pour les jeunes mères. Dans le kraï de l’Altaï, en Sibérie, une aide unique de 100 000 roubles (un peu plus de mille euros) a été officiellement promise à toutes les étudiantes à temps plein qui prennent rendez-vous pour des soins prénataux. Dans l’oblast de Kalouga, à l’ouest de la Russie, un programme similaire (versement unique de 100 000 roubles aux lycéennes et étudiantes enceintes) a été mis en place en 2025, avec un objectif de 123 filles concernées la première année, 130 en 2026 et 143 e 2027. En d’autres termes, la grossesse chez les adolescentes est désormais un indicateur de performance : d’ici 2027, la région devrait compter près de quatre cents mères mineures afin que les responsables puissent rendre compte de leur succès en matière d’augmentation de la population. Des objectifs similaires en matière de grossesse ont été adoptés dans l’oblast d’Oryol (490 paiements sur 3 ans), à Kemerovo, dans le kraï de l’Altaï, à Briansk, à Voronej et à Tver. Le ministère fédéral du Travail a recommandé que ces mesures soient mises en œuvre dans tout le pays, les présentant comme un soutien aux jeunes mères afin d’améliorer la démographie.
De nombreuses et nombreux experts considèrent que ces initiatives encouragent délibérément les grossesses chez les adolescentes. Même des députées protestent contre leur normalisation, affirmant qu’« une enfant qui donne naissance à un enfant est une tragédie, pas un acte héroïque », et avertissant que ces aides « envoient un message : tombez enceinte et recevez de l’argent ». Nina Ostanina, présidente de la commission de la Douma d’État sur la protection de la famille, a qualifié les incitations financières accordées aux écolières pour avoir des enfants de « mesure d’urgence, et en aucun cas d’encouragement » et s’est prononcée contre le fait de « pousser les écolières à la grossesse et à l’accouchement ».
Ces politiques trouvent un écho dans les discours des hauts fonctionnaires qui parlent ouvertement de l’éducation et de la famille comme de choix contradictoires pour les jeunes femmes. Les responsables politiques au plus haut niveau remettent en question la valeur de l’éducation pour les filles : en 2023, le ministre de la Santé Mikhaïl Mourachko a déclaré que retarder la maternité au profit de l’éducation et de la carrière était une « pratique néfaste bien établie » qui entraînait des problèmes de santé. « Nous devons envoyer un message différent : plus une femme accouche tôt, dès que cela est physiquement possible et conforme aux directives du ministère de la Santé, mieux c’est pour elle et son enfant », a souligné le ministre.
Plus tôt, en 2020, la sénatrice Margarita Pavlova avait proposé « d’arrêter de pousser les filles vers l’enseignement supérieur » et déclaré que passer beaucoup de temps à se découvrir soi-même était un « effet secondaire du féminisme ». « Toute cette découverte de soi s’étale sur des années, entraînant une perte de la fonction reproductive », a déclaré Mme Pavlova, appelant à rediriger les jeunes femmes russes des universités vers le mariage précoce et la maternité.
Le prêtre Dmitry Smirnov, personnalité influente du clergé, a exprimé un point de vue similaire. « Les filles n’ont pas besoin d’aller à l’école ; elles doivent apprendre à être mères. » Il a déclaré lors d’une émission de radio qu’il était plus important pour une fillette de sept ans d’apprendre à s’occuper d’un bébé que de « lire et écrire », posant une question rhétorique : « À quoi sert d’aller à l’école ? De cette façon, elle sera prête à devenir mère. » Bien que les propos de Smirnov aient suscité une vive réaction, son argument était essentiellement le même que celui des responsables, quoique plus absurde. La seule différence était sa franchise.
Les responsables, les sénateurs et les prêtres sont d’accord : l’éducation des filles est peu importante, tandis que remplir sa « vocation féminine » dès le plus jeune âge est une vertu.
Il est vrai que plus le niveau d’éducation d’une femme est élevé, plus elle devient mère tardivement et moins elle a d’enfants. Une analyse réalisée en 2023 à partir de données provenant de 28 pays européens a montré que l’éducation a une influence déterminante sur l’âge auquel les femmes ont leur premier enfant et sur la probabilité d’avoir d’autres enfants par la suite. D’une certaine manière, il est logique que les écoles russes soient le lieu choisi pour discuter de la maternité : c’est l’éducation qui donne aux filles le temps et l’espace nécessaires pour choisir leur voie dans la vie.
Des manuels scolaires sans femmes
Une étude menée par Glasnaya avant l’année scolaire 2025-2026 a révélé un déséquilibre déprimant entre les sexes dans les manuels scolaires russes. Dans les passages assignés à l’examen d’État unifié (USE), qui détermine l’obtention du diplôme d’études secondaires et l’admission à l’université en Russie, les femmes ne représentent que 8,8% du nombre total de personnages, tandis que les personnages masculins apparaissent près de sept fois plus souvent (58,2%). Le sexe des autres personnages n’était pas précisé. En d’autres termes, lorsqu’elles se préparent à l’examen scolaire principal, les filles ne voient pratiquement aucun nom féminin parmi les auteurs et les personnages sur lesquels sont basés les devoirs. Alors que les textes officiels et éducatifs utilisent d’anciens titres professionnels russes marqués par le genre (par exemple « actrice »), ils refusent délibérément d’utiliser les mots inventés au cours des dernières décennies par le mouvement féministe pour mettre en avant, par exemple, les femmes rédactrices et réalisatrices. De plus, les candidates qui utilisent ces mots risquent de perdre des points pour déviation stylistique. Dans le programme scolaire, les femmes n’apparaissent pratiquement jamais en tant qu’artistes, scientifiques ou politiciennes ; le plus souvent, si elles sont représentées, c’est uniquement comme accessoires des hommes.
Cette tendance se retrouve également dans les manuels scolaires consacrés aux sciences humaines. Selon les calculs de Glasnaya, les femmes ne représentent que 5% des personnages historiques (dans les domaines de la politique, des sciences, de la culture et de l’industrie) mentionnés dans les manuels scolaires populaires d’études sociales destinés aux élèves de la 4e à la 3e. Les hommes et leurs réalisations représentent les 95% restants. Sur les 38citations répertoriées dans les postfaces « Paroles de sagesse » de chaque chapitre, une seule appartient à une femme (l’impératrice Catherine II), alors qu’il existe de nombreuses autres femmes historiques non subversives. De plus, aucune femme n’est mentionnée dans la section du manuel de 8e année consacrée aux réalisations scientifiques russes actuelles. Les auteurs des manuels scolaires passent sous silence les femmes chercheurs contemporaines ou dissimulent leur statut : par exemple, le Dr Elena Lobacheva est décrite comme une « économiste russe contemporaine » (au masculin grammatical), sans aucune indication de son diplôme, tandis que ses collègues masculins sont couronnés de tous leurs titres. Les lecteurs pourraient bien en conclure que la science, l’histoire et la culture sont presque exclusivement le produit des hommes et que la contribution des femmes à ces domaines est négligeable.
Le programme d’études littéraires a également tendance à présenter les femmes dans des rôles stéréotypés. Une analyse des devoirs assignés ces dernières années révèle des schémas de représentation récurrents : les femmes sont soit des victimes héroïques (par exemple, des partisanes inébranlables pendant la Seconde Guerre mondiale), soit des personnages passifs qui ont besoin d’être protégés par des guerriers masculins. Les personnages féminins apparaissent dans un éventail limité de professions traditionnelles : enseignante, actrice, trayeuse, infirmière, secrétaire. Les femmes sont souvent décrites uniquement à travers leur statut de parentes (d’hommes) : mères, sœurs ou grands-mères. Les rôles masculins, en revanche, vont de Pierre le Grand aux charpentiers et soldats, sans oublier une multitude d’écrivains et de scientifiques célèbres. Ainsi, le programme perpétue structurellement un manque de modèles pour les filles. Les femmes sont soit absentes, soit représentées exclusivement dans des rôles domestiques ou secondaires.
Les expert·es décrivent ce phénomène comme « l’effacement symbolique » des femmes. La chercheuse en études de genre Yulia Grishina note : « La faible représentation des femmes dans les manuels scolaires indique aux élèves que ce groupe est moins important dans la sphère publique de la science, de la culture et de l’art ; cela renforce les stéréotypes de genre et perpétue l’inégalité entre les sexes. En d’autres termes, ne pas mentionner les femmes implique que les problèmes auxquels elles sont confrontées n’existent pas, tout comme leurs actions. »
Les manuels scolaires ne se contentent pas de refléter la réalité : dans une large mesure, ils la construisent. Lorsqu’une fille passe ses onze années d’école sans voir pratiquement aucune femme parmi les personnages historiques, les écrivains ou les scientifiques, cela renforce les inégalités existantes en les présentant comme la norme. Cela réduit la portée de ses ambitions, car elle ne dispose que d’un nombre limité de modèles potentiels, contrairement aux garçons qui en ont une multitude. Et les garçons finissent par se considérer comme ayant droit à des postes de direction, car c’est ce qu’on leur enseigne à l’école.
Des recherches montrent que la représentation dans les supports pédagogiques influence directement la motivation et les choix des élèves. Par exemple, une étude publiée en 2023 dans The Quarterly Journal of Economics révèle que le manque de diversité en matière de genre ou d’origine ethnique dans les manuels scolaires conduit à limiter la perception qu’ont les élèves de leurs propres capacités. Si une fille n’apprend rien sur les femmes scientifiques, écrivaines ou politiciennes, son idée de ce qu’elle peut devenir reste incomplète. Un contenu éducatif inclusif élargit les horizons, et la présence de femmes à des postes de direction renverse l’idée selon laquelle le leadership est une prérogative masculine. L’inclusivité dans l’éducation n’est pas une question de « politiquement correct », mais une nécessité pour un accès égal à l’avenir.
C’est en forgeant qu’on devient forgeron.
Les nouveaux programmes scolaires sont renforcés par des pratiques quotidiennes qui créent un paysage idéologique unifié. Les filles entendent le même message provenant de différentes sources : manuels scolaires, professeurs principaux, cours extrascolaires. Les cours d’histoire et de santé et sécurité mettent de plus en plus l’accent sur la « valeur spirituelle et morale de la famille » et la nécessité des rôles traditionnels. Parallèlement, les cours d’études sociales qui pourraient offrir un espace de discussion sur les droits humains, la pensée critique et l’égalité des sexes sont supprimés. Leur place dans l’emploi du temps est prise par des cours sur le patriotisme et la religion qui proposent aux filles le rôle de « femmes au foyer » et aux garçons celui de « défenseurs de la patrie ». Les enseignants des écoles russes se plaignent régulièrement de la suppression de matières importantes de l’enseignement général au profit de cours spécialisés, un vieux problème qui s’est encore aggravé avec l’arrivée de la guerre. Un enseignant russe a évoqué les devoirs de propagande dans une précédente interview accordée à Posle.
Dans un tel environnement, la répétition est importante. « La maternité est la mission des femmes » peut sembler discutable en soi, mais cela devient une « vérité » lorsqu’on le répète sans cesse. En utilisant les mêmes phrases jour après jour en classe, lors des conversations importantes » et des activités parascolaires, les écoles transforment ces déclarations d’opinions en « connaissances ». Le système ne laisse aux filles pratiquement aucune place au doute ou au choix personnel.
Connaissances contre destin
La dévalorisation par la Russie de l’éducation des filles semble particulièrement contradictoire si l’on considère leurs résultats scolaires réels.
Aucune statistique officielle récente ventilée par sexe n’est disponible publiquement. Ces dernières années, les rapports des agences gouvernementales russes sur l’examen d’État unifié (USE) et l’examen d’État de base (BSE) se sont concentrés sur le nombre d’élèves ayant obtenu la note maximale et sur les notes moyennes par région. Les dernières données détaillées datent de 2015, année où, selon Rossiyskaya Gazeta, les filles ont obtenu des notes moyennes plus élevées dans presque toutes les matières. Par exemple, les élèves de sexe féminin ont obtenu en moyenne 65,7 points en russe, contre 58,6 pour les garçons, et 55 points en littérature, contre 45,9. Les filles étaient également en tête en informatique (59,2 contre 56,4) ; la seule matière dans laquelle les garçons ont légèrement surpassé leurs camarades féminines était les mathématiques avancées. Une tendance similaire a été observée dans les notes obtenues au BSE, qui est passé à la fin de la troisième : les filles ont obtenu de meilleurs résultats dans la plupart des matières et étaient plus susceptibles de réussir avec mention, tandis que les garçons étaient plus susceptibles d’échouer.
Ces tendances sont confirmées par des études internationales plus récentes. Dans l’étude PIRLS-2021, qui évalue les compétences en compréhension et en interprétation de la lecture des élèves du primaire, les filles russes ont obtenu 14 points de plus que les garçons en lecture, tandis que dans l’étude TIMSS-2019, leurs différences en mathématiques et en sciences étaient minimes. En outre, des analyses réalisées par l’École supérieure d’économie ont montré que les filles ont tendance à obtenir de meilleurs résultats en sciences humaines et à poursuivre leurs études dans ce domaine, tandis que les garçons sont légèrement plus enclins à se concentrer sur les domaines techniques.
Jusqu’en 2021, les filles ont toujours constitué la majorité des candidats à l’université en Russie. Selon le ministère de l’Éducation et des Sciences, environ 52% des candidats retenus pour l’année universitaire 2021-2022 étaient des femmes (soit plus de 565 000 étudiantes). En 2022-2023, l’équilibre entre les sexes dans les admissions s’est quelque peu équilibré (environ 50/50), mais la proportion de femmes parmi les diplômés universitaires reste plus élevée : les filles sont moins susceptibles d’abandonner leurs études et plus susceptibles de terminer leurs programmes et d’obtenir leur diplôme. Ainsi, les indicateurs objectifs montrent que les résultats scolaires des filles sont meilleurs à l’école primaire et à l’université. Non seulement les filles obtiennent de meilleures notes, mais elles sont également plus susceptibles de poursuivre leurs études.
Les écolières peuvent surpasser les garçons en termes de résultats scolaires, mais le système leur rappelle constamment que ce n’est pas le plus important. La priorité absolue est qu’elles fondent une famille et aient des enfants le plus tôt possible ; tout le reste est facultatif. Cette dissonance sape l’estime de soi et la motivation des filles : pourquoi faire des efforts si vos excellentes compétences en mathématiques ou en littérature seront de toute façon invalidées ?
Un avenir sans alternative
Une adolescente russe qui rêve de science, de sport ou d’une carrière ne trouve aucun soutien à ses aspirations dans les manuels scolaires ou le discours officiel. Au contraire, on lui fait croire que de tels projets sont secondaires, voire un obstacle potentiel à un mariage précoce. Au lieu de la liberté de choix, on lui offre un avenir prédéterminé, et elle risque d’être condamnée ou qualifiée d’« échec en tant que femme » si elle tente de suivre sa propre voie.
Au lycée, alors que les adolescents expérimentent généralement différents rôles et font des projets, les filles sont poussées vers une seule voie : la famille et la maternité précoce. Le conflit entre leur désir naturel d’épanouissement personnel et le scénario qui leur est imposé peut être source d’anxiété et dévaloriser les réelles réussites scolaires des filles : leurs récompenses, leurs victoires dans des concours et leurs bons résultats scolaires deviennent moins importants que le fait de se conformer à un rôle de genre.
Il faut dire que les enseignant·es peuvent parfois compenser ce biais. Celles et ceux qui ne sont pas d’accord avec les directives idéologiques doivent contourner le programme scolaire, rechercher des ressources supplémentaires et discuter avec les élèves de sujets qui ne sont pas abordés dans les manuels. Mais de tels efforts nécessitent une motivation personnelle et une volonté d’aller à l’encontre du système. Depuis l’introduction des cours « patriotiques et des nouveaux programmes scolaires, les enseignant·es se trouvent dans une situation où tout écart par rapport à la ligne officielle peut leur valoir d’être dénoncé·es ou licencié·es. Celles et ceux qui tentent de maintenir l’esprit critique dans leurs classes sont en fait contraint·es de trouver un équilibre entre leur éthique professionnelle et le risque de persécution.
À long terme, ces politiques conduiront au maintien des inégalités entre les sexes dans la société. Les écolières qui commencent aujourd’hui à se considérer comme des « aides » et des « femmes au foyer » seront moins susceptibles d’aspirer demain à des postes de direction dans les domaines scientifiques, commerciaux et politiques. La Russie passe à côté de leurs talents et de leurs idées parce que, pendant leurs années de formation, on leur dit que « ce n’est pas un travail pour une femme ». Pour les filles elles-mêmes, cela se traduit par des choix de vie limités. Leur potentiel personnel, qu’il soit scolaire, créatif ou professionnel, reste inexploité.
***
La politique consistant à utiliser les écoles comme un outil démographique semble simple et pratique pour l’État : plus tôt les filles accepteront le rôle qui leur est assigné, moins elles poseront de questions. Mais cette stratégie présente des inconvénients qui commencent déjà à se manifester.
Tout d’abord, cela reproduit les inégalités sociales. Les filles ont moins d’opportunités de s’épanouir et de faire des choix, ce qui pénalise la société dans son ensemble : il y a moins de femmes chercheuses, entrepreneuses et dirigeantes pour apporter des changements, faire avancer le pays et défendre les intérêts des femmes.
Les inégalités ancrées dans les écoles se reflètent ensuite dans la politique. Aujourd’hui, les femmes ne détiennent que 17% des sièges au parlement russe (la Douma d’État et le Conseil de la Fédération). En d’autres termes, il n’y a pratiquement aucune femme parmi ceux qui prennent les décisions stratégiques, qui déterminent les priorités en matière de dépenses publiques, de politique sociale et de science. Or, des études montrent qu’une forte représentation des femmes au sein du gouvernement a un effet positif sur la croissance économique, le niveau de confiance dans les institutions et la qualité de vie. Si l’on enseigne aujourd’hui aux filles russes que l’éducation et la carrière ne sont pas une priorité, elles seront tout aussi peu nombreuses à diriger le pays demain.
Deuxièmement, ces politiques perpétuent les stéréotypes sexistes qui sont transmis à la génération suivante. Une écolière qui a appris que ses résultats scolaires n’ont aucune importance transmettra cette expérience à ses propres enfants demain, transmettant ainsi des attitudes misogynes à la génération suivante. Cela crée un cercle vicieux dans lequel les rôles patriarcaux sont promulgués à la fois par le gouvernement et au niveau local, au sein de la famille. Ce serait le pire scénario possible, mais est-ce vraiment si irréaliste pour la jeune génération ?
Enfin, derrière la préoccupation apparente du gouvernement pour le taux de natalité se cache un refus de reconnaître le droit des filles à une éducation complète et leur droit général à faire leurs propres choix de vie, même si cela signifie choisir les sciences ou les affaires publiques plutôt que d’avoir des enfants. Les prestations sociales et les objectifs de grossesse peuvent améliorer temporairement les indicateurs démographiques de la Russie, mais derrière ces chiffres se cachent les opportunités perdues de toute une génération.
https://www.posle.media/article/lessons-in-childbirth
Traduit par DE
