International

« La guerre du silence » : 


Entretien avec la journaliste palestinienne Shuruq As’ad

L’Agence Média Palestine s’est entretenue avec la journaliste Shuruq As’ad, qui dénonce le déclin de l’attention médiatique internationale sur la Palestine depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 10 octobre dernier.

Basée entre Ramallah et Jerusalem, Shuruq As’ad est journaliste depuis plus de trente ans, et elle participe à de nombreux programmes d’encouragement des femmes journalistes, de formation et de défense du droit à l’information. Elle est la fondatrice du Palestine Journalism Hub et membre du Syndicat des journalistes palestinien-nes (PJS).

« J’ai vécu trente ans de journalisme, trente années de brutalités israéliennes pour m’empêcher d’informer », raconte Shuruq As’ad. « Des intimidations, des violences physiques, verbales, des tirs, des cyber-attaques, tout cela a toujours accompagné mon travail de journaliste. Que cela soit bien clair : ça n’a pas commencé le 7 octobre. Mais depuis, il y a eu une très grande accélération. »

« Ce n’est pas nouveau, mais c’est encore plus clair, il y a une décision de la part d’Israël de faire taire les journalistes et les activistes, et les méthodes sont de plus en plus brutales. Nous sommes continuellement traumatisé-es par ces attaques, plus de 255 journalistes ont été tué-es en deux ans. J’ai de plus en plus peur, car les soldat-es peuvent faire ce qu’ils ou elles veulent, il n’y a pas de conséquences. »

« L’an dernier, un soldat nous a dit qu’il nous tuerait s’il nous revoyait. Il a regardé mon caméraman dans les yeux et lui a dit, littéralement : ‘je te tirerai dessus’. Mon collègue ne travaille plus depuis. »

La journaliste nous confie qu’elle craint pour sa vie et pense régulièrement à partir. « Il n’y a pas longtemps, je faisais un reportage à Jérusalem – peu de journalistes y ont accès, mais j’ai le permis qu’il faut. Malgré le permis, un soldat m’a interrompue, m’a menacée, fouillée, a confisqué ma carte Sim. Il a également menacé la personne que j’interviewais… C’est une véritable guerre du silence. »

Un guerre qui se poursuit au-delà du reportage sur le terrain, dans la diffusion même de l’information. « Il y a beaucoup d’attaques en ligne, je dois toujours réfléchir à la meilleure manière pour moi de contourner les barrières de la censure et des algorithmes qui tente de nous silencier. »

« Ce sont des attaques directes sur nos libertés d’expression et d’informer. Ce sont des attaques qui concernent tout le monde, car chacun-e a une responsabilité à garantir ces libertés. »

Le silence comme méthode et comme barrière
La dernière entrave à cette information, c’est précisément le silence, celui des médias internationaux qui ne relaient pas les informations collectées au péril de leurs vies par les journalistes palestinien-nes.

« La communauté internationale a abandonné les journalistes palestinien-nes, et se contente de relayer les chiffres fournis par les organisations humanitaires. »

« L’an dernier, on a observé un léger changement dans le traitement médiatique international de la situation à Gaza. Peut-être parce que les journalistes internationaux ne pouvaient pas ignorer le génocide, ils et elles devaient se couvrir de toute attaque contre leu éthique, ou bien elles et ils ont réellement pris conscience et ont accompli un devoir moral… Quoi qu’il en soit, il y a eu un sursaut, mais aujourd’hui, c’est bien fini. »

« Les médias occidentaux ont vendu le plan de Trump comme un plan de ‘paix’, et voudraient prétendre à présent que tout est fini. C’est faux. Gaza est toujours assiégée, et continuellement bombardée. L’occupation continue, et ses attaques incessantes en Cisjordanie. »

« En réponse, les médias occidentaux se taisent et nous oublient. C’est une immense déception. Mais nous n’arrêterons pas d’informer, et de dénoncer tant les efforts de silenciation d’Israël que le silence international. »

Agence Média Palestine, le 2 décembre 2025
https://agencemediapalestine.fr/blog/2025/12/02/la-guerre-du-silence-entretien-avec-la-journaliste-palestinienne-shuruq-asad/