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Soudan : une action internationale est urgente pour empêcher de nouvelles atrocités à El Fasher

Après dix-huit mois de siège sans interruption, la ville soudanaise d’El Fasher est tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR) le 26 octobre 2025. Des preuves de massacres de masse et de nettoyage ethnique s’accumulent. Une action internationale urgente, décisive et coordonnée est nécessaire pour protéger les civil·es, permettre l’accès humanitaire et garantir la responsabilité des crimes graves commis à El Fasher et dans l’ensemble du Soudan.

Paris, Kampala, le 29 octobre 2025. 

La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres soudanaises, l’African Centre for Justice and Peace Studies (ACJPS) et le Sudanese Human Rights Monitor (SHRM), expriment leur profonde inquiétude après la chute d’El Fasher aux mains des Forces de soutien rapide (RSF) le 26 octobre 2025, qui marque une escalade catastrophique du conflit en cours au Soudan. Après un siège de 18 mois qui a laissé des centaines de milliers de civil·es piégé·es, affamé·es, et soumis·es à des attaques incessantes, la prise de la ville s’est suivie d’atrocités généralisées faites de massacres, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité.

Une ville assiégée : 18 mois de violence dévastatrice

El Fasher, capitale du Darfour-Nord et dernier bastion des Forces armées soudanaises (SAF) au Darfour, subit depuis mai 2024 un siège brutal mené par les RSF. Ce siège a coupé tout accès humanitaire pendant plus d’un an, laissant environ 260 000 civil·es, dont la moitié sont des enfants, piégé·es sans nourriture, sans eau potable, sans soins médicaux et sans sécurité. Le Programme alimentaire mondial des Nations unies n’a pas été en mesure d’acheminer l’aide alimentaire par la route depuis plus d’un an, les denrées alimentaires de base coûtant jusqu’à 460 % plus cher que dans d’autres régions du Soudan.

Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies a recensé environ 1 850 morts parmi les civil·es dans le nord du Darfour entre le début de l’année 2025 et le 20 octobre, dont environ 1 350 à El Fasher. Ce chiffre est considéré comme largement sous-estimé en raison des coupures de télécommunications et du manque d’accès sur le terrain. Rien qu’en octobre, au moins 115 civil·es ont été tué·es et 102 blessé·es lors de six attaques contre la ville assiégée, dont 17 enfants parmi les morts.

Des preuves d’atrocités de masse et de nettoyage ethnique

Depuis la prise d’El Fasher par les RSF le 26 octobre, des informations crédibles font état d’atrocités généralisées, notamment des exécutions sommaires, des raids de maison en maison, des attaques contre des civil·es fuyant le long des voies d’évacuation et des obstacles destinés à empêcher les civil·es d’atteindre un lieu sûr. Le laboratoire de recherche humanitaire de l’École de santé publique de Yale a mis en lumière des preuves concordantes avec la commission de massacres par les forces de la RSF dans la ville. L’analyse d’images satellites a révélé la présence de formes ressemblant à des corps humains près des véhicules des RSF et une décoloration rougeâtre du sol, identifiée comme étant du sang provenant des massacres. Les images montrent des véhicules des RSF déployés dans des formations tactiques correspondant à des opérations de nettoyage maison par maison. Le fait que les membres des RSF aient documenté et diffusé publiquement leurs crimes sur les réseaux sociaux démontre un profond mépris du droit international et un sentiment d’impunité profondément ancré.

En parallèle des événements à El Fasher, les RSF ont mené des attaques meurtrières contre des civil·es à Bara, dans l’État du Kordofan du Nord, du 25 au 27 octobre 2025, immédiatement après le retrait des SAF. Ces massacres se sont déroulés dans un contexte de coupure totale des communications, empêchant la vérification totale de l’ampleur des atrocités, facilitant les exécutions massives visant des civils non armés, notamment des femmes, des enfants et des personnes âgées, ainsi que des pillages et des tortures généralisés. Ces deux événements soulignent une stratégie systématique de nettoyage ethnique menée par les RSF, qui s’étend du Darfour au Kordofan.

« La chute d’El Fasher, ainsi que le récent massacre de Bara, représentent un échec catastrophique de la communauté internationale à protéger les civil·es et à prévenir les atrocités de masse, malgré les avertissements répétés des organisations de défense des droits humains, de l’ONU et des observateurs locaux », a déclaré Mossaad Ali, directeur exécutif de l’ACJPS. « La campagne systématique de nettoyage ethnique menée par les RSF à El Fasher doit cesser immédiatement. Les civil·es piégé·es dans la ville sont exposés à un risque imminent de massacres, de violences sexuelles et de déplacements forcés. La communauté internationale doit aller au-delà des déclarations d’inquiétude et passer à des actions concrètes, notamment des mesures de lutte contre l’impunité, des sanctions et des mécanismes de protection des civil·es sur le terrain. »

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme rapporte que les combattants de la RSF ont procédé à des exécutions sommaires de civil·es qui tentaient de fuir la ville, avec des indications de motivations ethniques derrière ces meurtres. Le Yale Humanitarian Research Lab a conclu qu’« un processus systématique et délibéré de nettoyage ethnique est en cours à El Fasher, visant les populations Fur, Zaghawa, Berti et autres populations non arabes par le biais de déplacements forcés et d’exécutions sommaires ».

Les violences sexuelles contre les femmes et les filles continuent d’être signalées à grande échelle, l’ONU indiquant que le nombre de personnes exposées à des violences sexistes a triplé pour atteindre 12,1 millions dans tout le Soudan. La dernière maternité en activité à El Fasher s’est effondrée, laissant plus de 6 200 femmes enceintes sans accès à des services de santé sexuelle et reproductive vitaux. Les installations médicales ont été pillées et prises pour cible lors d’attaques, détruisant l’infrastructure sanitaire essentielle de la ville.

Contexte

Dans son rapport de septembre 2025 intitulé « Une guerre d’atrocités », la Mission d’enquête internationale indépendante des Nations unies sur le Soudan a conclu que les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) étaient responsables d’attaques directes et à grande échelle contre des civils et de la destruction massive d’infrastructures essentielles. La Mission a constaté que les RSF avait commis une multitude de crimes contre l’humanité pendant le siège d’El Fasher, notamment des meurtres, des actes de torture, des viols, de l’esclavage sexuel, des déplacements forcés et des persécutions pour des motifs ethniques, sexistes et politiques.

Les RSF ont utilisé la famine comme méthode de guerre et ont privé les civil·es d’objets indispensables à leur survie, ce qui pourrait constituer un crime contre l’humanité d’extermination. Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, a averti que « le risque de nouvelles violations et atrocités à grande échelle motivées par des considérations ethniques à El Fasher augmente de jour en jour ».

Le conflit entre les SAF et les RSF, qui a éclaté en avril 2023, a provoqué l’une des pires catastrophes humanitaires au monde. Plus de 150 000 personnes ont été tuées, plus de 14 millions ont été déplacées et plus de 25 millions sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, la famine étant confirmée dans plusieurs régions.

« Ce à quoi nous assistons à El Fasher n’est pas seulement une catastrophe humanitaire, mais une campagne délibérée de terreur contre les populations civiles », a déclaré Magdi El Na’im, directeur exécutif de SHRM. « Les RSF ont utilisé la famine comme arme de guerre, détruit systématiquement les infrastructures civiles et commis des atrocités à grande échelle, notamment des exécutions sommaires et des violences sexuelles. »

Appel à l’action

La communauté internationale a reçu des avertissements répétés concernant le risque d’atrocités de masse à El Fasher tout au long de l’année 2025. Malgré ces avertissements, les mesures concrètes prises pour prévenir la catastrophe actuelle ont été insuffisantes. La FIDH, l’ACJPS et SHRM appellent de toute urgence la communauté internationale à :
Exercer une pression diplomatique urgente sur toutes les parties afin qu’elles cessent immédiatement les hostilités à El Fasher et dans tout le Soudan. Les RSF doivent mettre fin à toutes les attaques contre les civil·es, les infrastructures civiles et les travailleur·ses humanitaires.
Garantir un passage sûr aux civil·es qui tentent de fuir El Fasher et d’autres zones de conflit. Toutes les voies d’évacuation doivent être ouvertes immédiatement et les civils doivent pouvoir se mettre en sécurité sans obstruction, détention ou violence.
Garantir un accès humanitaire sans entrave par toutes les voies transfrontalières possibles. Supprimer tous les obstacles bureaucratiques et permettre aux organisations humanitaires de fournir de la nourriture, de l’eau, des médicaments et d’autres fournitures essentielles aux populations piégées.
Convoquer une réunion urgente du Conseil de sécurité des Nations unies afin de faire appliquer la résolution 2736 (2024) existante, qui exige que les RSF lève le siège d’El Fasher ; inviter la Mission d’enquête internationale indépendante à informer les membres du Conseil ; adopter une résolution ferme pour faire face à l’escalade actuelle des atrocités à El Fasher, notamment en envisageant des sanctions supplémentaires ciblées contre les dirigeants de la RSF responsables d’atrocités et en imposant des mécanismes concrets de protection des civil·es au-delà des déclarations de préoccupation.
Renforcer la surveillance au sein des instances internationales et régionales chargées des droits humains, notamment en veillant à ce que la Commission africaine des drtois de l’Homme et des peuples (CADHP) et la Mission d’enquête des Nations unies disposent des ressources et du personnel nécessaires pour poursuivre leur travail essentiel de documentation des violations des droits humains. Le Soudan et les pays voisins doivent accorder un accès immédiat et sans restriction à la CADHP et à la Mission d’enquête des Nations unies afin de faciliter la conduite d’investigations approfondies.
Soutenir les enquêtes et les poursuites en cours de la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes relevant du droit international commis au Soudan. En outre, renouveler l’appel lancé au procureur de la CPI pour qu’il accélère et élargisse les enquêtes et délivre des mandats d’arrêt non seulement à l’encontre des dirigeants des RSF et des militaires, mais aussi à l’encontre de toutes les personnes dont il est prouvé qu’elles ont planifié, financé, armé ou soutenu de quelconque manière ces crimes.
Appliquer des sanctions ciblées contre les personnes et les entités responsables d’atrocités, y compris les dirigeants des RSF (notamment Mohamed Hamdan Dagalo et Abdul Rahim Dagalo), et celles qui permettent la poursuite des violences, en particulier les Émirats arabes unis (EAU), qui ont été maintes fois désignés comme la principale source d’armes et de soutien financier des RSF, en violation des embargos sur les armes décrétés par l’ONU.
Augmenter les fonds d’urgence pour permettre l’acheminement d’une aide vitale aux personnes piégées à El Fasher et aux civils qui fuient vers les zones environnantes. Soutenir les centres d’intervention d’urgence locaux et les organisations de la société civile qui travaillent sur le terrain pour protéger les droits humains, fournir des secours et documenter les atrocités.

Le soutien au peuple soudanais ne peut plus attendre. Une action internationale urgente, décisive et coordonnée est nécessaire dès maintenant pour protéger les civil·es, permettre l’accès humanitaire et garantir que les auteurs des crimes graves commis à El Fasher et dans tout le Soudan soient tenus responsables de leurs actes. L’impunité persistante pour les crimes antérieurs — à Geneina, Zalingei, El Gezira, Khartoum, East Gezira, Sennar, Blue Nile et dans d’autres régions — a créé les conditions propices à la commission de nouvelles atrocités de plus en plus graves, notamment à El Fasher et Bara. Toute nouvelle inaction sera interprétée comme un mandat implicite pour des massacres encore plus importants.

Signataires :

African Center for Justice and Peace Studies (ACJPS); Al-Haq;  Al Mezan Center for Human Rights; Association africaine des droits de l’Homme (Asadho); Association Nigérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (ANDDH); Association rwandaise pour la défense des droits de la personne et des libertés publiques (ADL); Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH); Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS); Centre for Democracy and Human Rights (CDD); DITSHWANELO – The Botswana Centre for Human Rights; Egyptian Initiative for Personal Rights; Ethiopian Human Rights Council (EHRCO); Foundation for Human Rights Initiative (FHRI); Groupe LOTUS; International Federation for Human Rights (FIDH); Kenya Human Rights Commission (KHRC); Lawyers for Human Rights (LHR); Legal and Human Rights Centre Tanzania (LHRC); Les mêmes droits pour tous (MDT Guinée); Ligue Bissao Guinéenne de droits de l’homme (LGDH); Ligue Burundaise des droits de l’homme Iteka; Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme (LCDH); Ligue des Droits de l’Homme (LDH); Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH); Ligue Ivoirienne des Droits de l’Homme (LIDHO); Ligue Senegalaise des Droits Humains ( LSDH); Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH); Maison des Droits de l’Homme du Cameroun (MDHC); Moroccan Association for Human Rights; Moroccan Human Rights Organization; Mouvement Ivoirien des Droits Humains (MIDH); Mozambique Human Rights Defenders Network (RMDDH); Observatoire Congolais des Droits de l’Homme (OCDH); Observatoire des droits de l’Homme au Rwanda (ODHR); Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH); Organisation Nationale des Droits de l’Homme Senegal (ONDH); Palestinian Center for Human Rights; Palestinian Human Rights Organisation; Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (Raddho); Riposte Internationale Algeria; Safeguarding Committee of the Algerian League for the Defense of Human Rights; Sudanese Human Rights Monitor (SHRM); Tunisian League for Human Rights; Zimbabwe Human Rights Association

Le 31 octobre 2025