Politique et Social

La France Insoumise une ligne de division qui s’affirme pour mars 2026.

De dérive en dérive … jusqu’où?

par Robert Duguet

Le député de la France Insoumise Louis Boyard n’a pas abandonné sa volonté de conquérir la mairie de Villeneuve Saint Georges aux élections municipales de mars 2026, ville cheminote du Val de Marne composée d’ une population à 60% issue de diverses diasporas et qui fut dirigée par le PCF durant 20 ans. Rappelons que la stratégie de son mouvement s’est opposée à l’unité possible des forces de gauche pour rassembler une majorité conduite par la FI. Cette brillante stratégie de division n’est pas sans rappeler la période « classe contre classe » de la IIIème Internationale stalinienne des années 1930 qui permit la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne en janvier 1933. Nous, qui sommes confrontés à une vague néo-fasciste mondiale et au parti de Marine le Pen en France, sommes interpeller. L’initiative de la liste Louis Boyard, moi contre tous, servait en fait de ballon d’essai à la stratégie plus globale de Jean Luc Mélenchon et de la direction de FI pour mars 2026, tremplin vers l’élection présidentielle de 2027. 

Mon article de Février 2025, publié sur plusieurs réseaux et que vous pouvez retrouver sur le site du Réseau Bastille à l’adresse suivante https://www.reseau-bastille.org/2025/02/03/villeneuve-saint-georges-france-insoumise-une-strategie-perdante/ titrait : « Villeneuve Saint Georges : France Insoumise, une stratégie perdante ». Toutefois depuis à partir de recherches complémentaires, je n’avais pas insisté sur un aspect important. « Dignité, fierté et solidarité » conduite par Louis Boyard avait pour deuxième de liste Fadwa Sadak, partisane de la députée européenne Rima Hassan, dont nous avons condamné les positions sur le Hamas, qualifié d’organisation de la résistance palestinienne. Fadwa Sadak dans son activité électorale se déplaçait vêtue de son keffieh, orné d’un dessin de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem. Cette « écharpe » comportait le slogan en arabe « Jérusalem est à nous ! » C’est à l’opposé des positions que la gauche française – la solution à deux Etats – a toujours défendue.

Après la présidentielle de 2017, Danièle Obono, députée du groupe des 17 parlementaires de la FI, déclarait « respect(er) la militante antiraciste » Houria Bouteldja, porte-parole du PIR (Parti des indigènes de la République). Interpellé par le président de la LICRA, Jean Luc Mélenchon était contraint de désavouer sa députée. Il confirmait « en totale opposition avec le PIR (Parti des indigènes de la République) depuis son origine ». Ajoutant dans une lettre à Mario Stasi, son président : « Je ne crois pas que l’action de cette organisation et de sa principale porte-parole participe à la lutte contre le racisme et pour l’égalité entre les êtres humains » Entre temps il y a eu la guerre de Poutine contre l’Ukraine et le génocide des gazaouis perpétré par le gouvernement fasciste de Netanyahou. La politique de la FI s’est radicalisée dans le sens de la couverture du Hamas.  

Wissam Xelka, militant de la France Insoumise et des Indigènes de la République.

Cette affaire rebondit : le 8 août le Journal du Dimanche publie l’interpellation de Wissam Xelka. Militant de la France Insoumise, mais aussi du parti des Indigènes de la République, il intervient à quelques jours des journées d’été de la FI, où la question de la politique du mouvement pour les élections de mars 2026 sera forcément au centre du débat. Lors de l’université d’été du média « Paroles d’Honneur », il appelle à « reconstruire une organisation communiste populaire, avec et à partir des classes musulmanes dominées ». Il vient d’initier une émission de « débat politique, pour un regard neuf sur l’actualité en faisant entendre la voix des quartiers et de l’immigration post-coloniale… Je sais que c’est une idée qui ne plaît pas aux droitards et à une partie de la gauche. L’islam est maintenant ancré en France… dans les quartiers, les mosquées jouent un rôle que les cellules du PCF jouaient dans les années 1950. Elles encadrent, elles rassurent, elles socialisent, elles protègent. » Il ajoute : « c’est à partir du peuple musulman de France qu’il faut penser la révolution en France … On ne construira rien sans les musulmans. L’islam populaire est devenu une forme de vie centrale, de liens et de dignité parmi les classes dominées » (1)

Le grand théoricien Wissam Xelka vient donc d’inventer le concept de « classes musulmanes dominées ». Il n’y a pas plus de classe musulmane qu’il n’y a de classe catholique. Dans leur apport positif à la civilisation les républiques bourgeoises ont sécularisé l’Etat, n’ont reconnu que la singularité du citoyen et renvoyé les appartenances privées, communautaires et religieuses au domaine de la vie privée. Lorsque ceux qui ont fondé le mouvement ouvrier moderne voient déjà en 1848 dans le Manifeste Communiste que les libéraux, par crainte des « classes dangereuses », atermoient pour appliquer jusqu’au bout le programme de sécularisation de la vie politique, et donc de séparation des Eglises et de l’Etat, le mouvement ouvrier en reprend les revendications démocratiques. Déjà, lors de la critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, face à la montée du réformisme électoral, les marxistes, s’ils défendent la neutralité laïque bienveillante de l’Etat, ne l’applique pas au mouvement ouvrier dans son expression politique : il combat dans la lutte des classes contre les œuvres sociales à l’époque de l’Eglise catholique, lorsque celles-ci pénètrent dans la sphère publique. L’islamisme politique est un poison réactionnaire, il combat la sécularisation de l’Etat et la démocratie aussi efficacement que l’Eglise l’a fait pendant 18 siècles, avant que la révolution ne lui mette l’épée dans les reins. 

En fait, le projet politique de Wissam Xelka, au nom duquel il interpelle la gauche, vise en fait à rapprocher davantage la France Insoumise des positions des Indigènes de la République. Agit-il comme poisson pilote de la direction de FI et de Jean Luc Mélenchon ? C’est possible compte tenu de la ligne communautariste qui se dessine à la tête de la FI pour les municipales contre le rassemblement à gauche.

Par ailleurs, il faut souligner cet engouement soudain pour les municipales alors que, depuis 2008, Jean Luc Mélenchon s’est toujours opposé à définir pour son mouvement une stratégie locale. J’ai milité dans une ville de l’Essonne, Crosne, où le départ de militants, d’élus locaux en raison de leur opposition à la politique de Hollande, a entrainé un mouvement d’adhésion au Parti de Gauche. La section locale avait recruté une moisson de nouveau militants, y compris le maire et une partie de l’équipe municipale. En quelques semaines le PG a été cassé par son équipe dirigeante et tout l’acquis politique local a fondu. Je dirais que l’Histoire aujourd’hui rattrape la direction de la FI. Le mouvement prépare un coup, et non une politique municipale, celui de l’aventure présidentielle de 2027. Il y a une vraie difficulté. Comme mouvement gazeux, que pèse la FI dans un scrutin municipal ? Je prends l’exemple de la ville de Perpignan : lors des élections municipales de 2020, la FI a présenté une liste associée au NPA et à Génération-S qui a fait 6% : on peut estimer le résultat de NPA à 1% et celui de Génération-S à 1%. Autrement dit il reste 4% pour FI. Comment un mouvement peut représenter 22% dans une présidentielle et devenir un groupuscule dans des élections communales ? Les institutions bonapartistes auxquelles s’accroche la direction de FI, quoiqu’il en coûte sur le terrain de l’abandon des principes socialistes en chargeant l’islamisme politique d’un contenu révolutionnaire qu’il ne peut pas avoir, conduira à l’éclatement final du mouvement « gazeux ». La gauche historique, celle qui a gouverné, a abandonné les couches les plus pauvres du prolétariat à leur sort (les « sans grades » disait Le Pen père et Hollande n’était guère mieux avec les « sans dents ») du fait de son adaptation aux exigences des néo-libéraux. Sans stratégie unitaire, sur un programme d’urgence sociale, les déclassés, les chômeurs des banlieues, les artisans ou agriculteurs ruinés recevront des offres de service des aventuriers de l’extrême droite. L’islamisme politique est une aventure.

Je n’imagine pas, à l’approche de nouvelles élections, que des hommes et des femmes de gauche puissent accepter une nouvelle omerta sur les questions internationales comme en mai 2022, alors même que la guerre aux portes de l’Europe avait commencé le 24 février de cette même année. L’équation se complique pour la FI avec la question ukrainienne dans sa phase actuelle. A la veille de la rencontre des deux gangsters Poutine et Trump en Alaska, le blog de Mélenchon bascule franchement dans l’ignominie : « Poutine a gagné la guerre parce que l’Ukraine ne peut la gagner sans un engagement des USA d’une ampleur qui n’est plus à l’ordre du jour…. L’Ukraine ne peut plus gagner. Non seulement pour les raisons militaires évoquées. Mais surtout parce que son système politique tient à un fil. Tout concourt à l’effondrement : avoir interdit les syndicats et les partis d’opposition, avoir maintenu Zelenski en place alors que son mandat présidentiel est fini, avoir tenté de sauver les corrompus qui pillent l’effort de guerre, les désertions massives, tout cela a brisé le lien unissant le système Zelenski à son peuple en guerre.» Ceci est un tissu de mensonges. Les syndicats, les partis continuent leur travail, certes dans les conditions d’une loi martiale. Mais même un gouvernement qui exproprierait le capital dans un pays subissant une agression impérialiste serait amené à limiter les libertés publiques, donc à promulguer une loi martiale. Les militants politiques ou syndicalistes pour une part font partie des forces armées, ils continuent à défendre leurs revendications contre le retour des oligarques tout en défendant leur chef de guerre. D’ailleurs Zélensky est revenu rapidement sur la remise en cause des libertés données aux associations chargées de combattre la corruption face à une forte mobilisation populaire. Servilement fidèle à la ligne du chef, le député FI Aurélien Taché a confirmé les positions de Mélenchon sur France Info, ajoutant qu’il était temps que Zélensky « passe la main ». Le député du POI lambertiste Legavre aboie de même comme un roquet de service. Monsieur Mélenchon piaffe d’impatience. Je ne dirais pas qu’il souhaite la victoire de la Russie, il fait mieux, il affirme la victoire de Poutine. Dans les rares interventions faites sur la guerre depuis plus de trois ans, je n’ai pas noté une empathie particulière du chef de la FI pour les drames humains, lot quotidien des populations civiles frappées. En supposant que l’Ukraine soit obligée de faire des concessions territoriales, Volodymyr Zélensky entrera dans l’Histoire comme le chef de guerre qui a évité l’annexion de son pays à l’Empire. 

Mélenchon le munichois (2) n’a plus rendez-vous avec l’Histoire !

France Insoumise, de dérive en dérive … jusqu’où ? 

Notes :

  1. Le Journal du dimanche 8 aout : https://www.lejdd.fr/Societe/former-des-cadres-communistes-musulmans-lappel-dun-militant-proche-de-lfi-pour-un-vrai-islamo-gauchisme-160874
  2. Le 29 septembre 1938, Neville Chamberlain capitule devant les nazis en signant les accords de Munich, abandonnant la République tchécoslovaque. A la descente de l’avion chaleureusement applaudi il déclare : nous avons sauvé la paix. En aparté il aurait déclaré : « Ah les cons ! s’ils savaient ! » L’Histoire bégaie !