Le texte de Delphine Horvilleur est « Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire« . Vous le trouverez dans la publication précédente, il est repris du site Tenou’a. ML
Chère Delphine Horvilleur,
Je vous remercie pour votre récente prise de position contre les massacres à Gaza, publiée sur le site Tenou’a. Cette déclaration arrive après une longue période où beaucoup d’entre nous attendions qu’une voix comme la vôtre — respectée et influente au sein de la communauté juive française — s’élève clairement contre la politique menée par le gouvernement de Benjamin Netanyahou.
Ce silence prolongé de nombreuses personnalités juives a souvent été perçu comme une forme de complicité face aux crimes commis par l’armée israélienne. Votre intervention, bien que tardive à nos yeux, témoigne d’une conscience morale que je sais sincère, vous lisant régulièrement et connaissant vos engagements. Je ne saurais donc la qualifier d’opportuniste ou d’insincère, comme certains ont pu le faire.
Je vous crois lorsque vous évoquez la crainte que votre silence ait pu alimenter « l’ennemi qui cherche à nous détruire ». C’est là, hélas, l’un des drames de notre époque : être enfermé, souvent malgré soi, dans des logiques de blocs identitaires, quand il nous faudrait d’abord nous reconnaître comme membres d’une même communauté humaine, unie par des valeurs partagées de justice et de paix.
En affirmant qu’« il n’y a pas d’avenir pour le peuple israélien sans avenir pour le peuple palestinien », vous exprimez une vérité essentielle et courageuse. Une vérité politique, contrairement à ce que pense Rima Hassan.
J’espère donc que, comme Johann Sfar et Anne Sinclair, d’autres voix continueront à s’élever à vos côtés pour dénoncer la politique actuelle de l’État d’Israël. J’espère aussi que vous conviendrez que les paroles ne suffisent plus et qu’il est temps d’exercer une réelle pression diplomatique et économique sur l’État d’Israël pour l’amener à abandonner ses pratiques criminelles. L’Europe, qui dispose de leviers considérables, ne peut plus se contenter de déclarations et de regrets : elle a le devoir d’agir concrètement en soutenant les forces israéliennes qui s’opposent au gouvernement actuel et à ses composantes extrémistes.
L’histoire nous l’enseigne sans ambiguïté : seules des sanctions internationales ont permis de venir à bout de l’Apartheid en Afrique du Sud. Ce sont les mêmes sanctions que l’Europe exerce aujourd’hui contre Vladimir Poutine, visé comme Netanyahou par des accusations de crimes contre l’humanité, et contre la Russie coupable d’invasion de l’Ukraine, ce que Israël s’apprête à faire à Gaza.
Pourquoi ce deux poids, deux mesures dont nous commençons à payer le prix en termes d’érosion de notre crédibilité internationale et de notre autorité morale ? Comme l’écrivait Josep Borrell, ancien Haut représentant de l’UE le 29 avril dans une tribune au Monde, « La mauvaise conscience de certains pays européens vis-à-vis de l’Holocauste, transformée en « raison d’État » justifiant un soutien inconditionnel à Israël, risque de nous rendre complices de crimes contre l’humanité. Une horreur ne saurait en justifier une autre. »
Le deuxième chantier que nous souhaiterions ouvrir avec vous concerne la distinction essentielle à établir entre la critique légitime de la politique israélienne et l’antisémitisme. En sortant aujourd’hui de votre silence pour dénoncer les massacres à Gaza, vous rejoignez de nombreuses voix qui ont été injustement qualifiées d’antisémites pour avoir simplement dénoncé des violations du droit international.
Vous aviez partagé il y a quelques semaines un post citant Philippe Val qui affirmait que la formule suivante qualifiait le nouvel antisémitisme : « Je n’ai pas de problème avec les juifs mais seulement avec l’État d’Israël ». Or nous sommes des millions de musulmans, d’arabo-berbères, de juifs, dont vous faites désormais partie, et de citoyens heurtés par le drame palestinien à avoir de sérieuses objections contre la politique de l’État d’Israël. Cela fait-il de nous des antisémites ?
Je suis d’autant plus à l’aise avec cette affirmation que je viens du Maghreb, une région où la coexistence entre juifs et musulmans a été longtemps exemplaire, portée par une culture millénaire partagée : musicale, culinaire, linguistique, etc. Une région où les pogroms ont été l’exception, contrairement à l’Europe de l’Est, où ils étaient la règle. Une région où les communautés juives et musulmanes se sont protégées mutuellement, y compris durant les heures sombres du régime de Vichy.
Comme je crois en votre sincérité, j’aimerais que vous reconnaissiez également la nôtre — notre attachement profond à nos concitoyens juifs qui partagent avec nous les valeurs humanistes de respect du droit, de dignité et de liberté pour tous. Ces frères et sœurs juifs qui ont été nombreux à se soulever contre le colonialisme français en Algérie, au péril très souvent de leur vie, comme d’autres s’insurgent actuellement contre la politique coloniale d’Israël.
Chère Delphine Horvilleur, faisons en sorte que les victimes du 7 octobre en Israël et de Gaza ne soient pas mortes en vain. Nous qui partageons les mêmes valeurs de justice et d’humanité — qu’importent nos origines ou nos croyances — avons le devoir de nous rassembler.
Il est urgent d’unir nos voix pour exiger un cessez-le-feu immédiat à Gaza et la libération de tous les otages. Ensuite, nous devrons œuvrer ensemble pour qu’une paix juste et durable, garantissant la sécurité et la dignité des deux peuples, soit instaurée. Cette paix contribuera également à apaiser les tensions intercommunautaires en France, à l’heure où les menaces extrémistes assombrissent notre horizon commun.
Avec ma profonde considération.
Farid Yaker, président du Forum France-Algérie
https://blogs.mediapart.fr/fyaker/blog/130525/lettre-delphine-horvilleur