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Quand la gauche indienne abandonne ses principes anti-guerre : une critique des partis communistes indiens

 Un militant pakistanais cherche désespérément une gauche indienne contre la guerre.

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Friday 9 May 2025, by AKHTAR Aasim Sajjad

Les principaux partis communistes indiens—autrefois défenseurs acharnés de l’anti-impérialisme et de la paix—ont abandonné leur position traditionnelle anti-guerre pour soutenir les actions militaires du gouvernement Modi contre le Pakistan. Cette capitulation face au nationalisme d’État représente non seulement un changement tactique, mais aussi une profonde crise idéologique pour la gauche sous-continentale. Alors que les tensions s’intensifient avec des incursions de drones dans l’espace aérien pakistanais et l’alignement croissant entre les forces hindutva et sionistes, ce moment exige un examen lucide de la façon dont les mouvements progressistes peuvent maintenir des positions de principe contre le militarisme et la xénophobie à une époque de nationalisme de droite ressurgissant.

Comme par le passé, la situation de quasi-guerre qui évolue dans le sous-continent a déclenché des appels, tant en Inde qu’au Pakistan, à abandonner toutes les différences politiques internes au nom de “l’unité nationale”. Parmi les exemples les plus notables de ce que cela signifie en pratique figurent les déclarations publiques émises par les deux principaux partis de gauche indiens, le Parti communiste indien (PCI) et le Parti communiste indien-marxiste (PCI-M), suite aux frappes indiennes à l’intérieur du Pakistan le 7 mai.

Les deux partis ont imité le discours du régime Modi sur le Pakistan qui abriterait des “terroristes” et sur la légitimité de cibler les “infrastructures” (comprendre : civils) responsables des attaques de Pahalgam du 22 avril. Ces déclarations ne critiquent pas la politique de l’État indien et ne mentionnent que superficiellement la nécessité de solutions diplomatiques pour éviter la guerre.

D’autres partis d’opposition indiens, y compris le Congrès, ont exprimé des positions similaires. Mais les partis communistes parlementaires, avec une longue histoire de remise en question du nationalisme d’État tout en étant principalement anti-guerre, semblent entrer en territoire inconnu.

N’oublions pas que le PCI et le PCI-M sont tous deux restés largement critiques du soutien du gouvernement indien aux crimes de guerre sionistes contre les Palestiniens depuis octobre 2023. Ils ont à plusieurs reprises exigé que l’Inde réadopte sa politique historique de soutien à l’autodétermination palestinienne, refusant d’être entraînés dans le discours dominant qui déhistoricise le militantisme palestinien et condamne collectivement le Hamas comme une organisation “terroriste”.

Le PCI et le PCI-M menacent leur propre credo politique.

Même si la gauche indienne, par ailleurs robuste, a été moins disposée à défier l’État indien sur la question de l’autodétermination du Cachemire, elle a à divers moments reconnu les racines organiques du militantisme au Cachemire occupé plutôt que de rejeter toute la responsabilité sur la proverbiale “main étrangère”. Mais en adoptant les positions qu’ils ont prises vis-à-vis du conflit naissant avec le Pakistan, le PCI et le PCI-M menacent leur propre credo politique.

Ce n’est pas une mince affaire, surtout du point de vue de la gauche pakistanaise, beaucoup plus petite et en difficulté. S’opposer au militarisme d’État dans ce pays peut être une entreprise périlleuse, comme en témoigne la répression subie par les forces progressistes. Mais malgré la propagande dans les médias officiels et en ligne, les progressistes de gauche n’ont pas abandonné leurs positions de principe.

Ce n’est pas seulement en Inde qu’il devient plus difficile pour ce qu’on peut appeler plus largement la gauche anti-guerre de survivre, et encore moins de prospérer. L’hindutva n’est pas la seule idéologie extrême à avoir pris racine à travers des institutions “démocratiques”. Nous vivons tous dans des environnements politiques dominés par une droite de plus en plus xénophobe, soutenue par des établissements militaro-industrialo-médiatiques bien ancrés. Mais c’est précisément pourquoi se rendre au sentiment majoritaire est anathème pour quiconque s’engage dans une perspective à long terme de justice, d’égalitarisme et de paix durable.

Le PCI-M aurait dû tirer les leçons de sa propre défaite historique dans ce qui était autrefois son bastion du Bengale occidental en 2011. Après avoir gouverné l’un des plus grands États indiens pendant plus de trois décennies, sa chute a été déclenchée par une décision symbolique en 2007 de déposséder des milliers de paysans à Nandigram afin de créer une zone spéciale d’exportation. La paysannerie était le fondement de la politique du PCI-M, mais en acquiesçant aux logiques alors dominantes de la mondialisation néolibérale, le parti a tourné le dos à sa base sociale et signé son propre arrêt de mort.

Au cours des deux décennies qui ont suivi, le PCI-M n’a pas pu récupérer le terrain perdu au Bengale occidental, bien qu’il ait conservé le pouvoir gouvernemental au Kerala. La gauche socialiste au Pakistan n’est pas actuellement équipée pour prendre le pouvoir d’État, donc le communisme parlementaire en Inde représente encore une sorte d’inspiration. Mais en soutenant sans équivoque le régime Modi dans ses velléités guerrières, le PCI-M et le PCI ont considérablement réduit leur attrait.

Au moment de la rédaction de cet article, l’Inde a encore aggravé les tensions en faisant voler des drones dans les principales villes pakistanaises, déclenchant la panique et créant davantage d’espace pour les éléments bellicistes dans le courant politique et intellectuel pakistanais. Les drones seraient importés d’Israël, symbole de la synergie croissante entre le sionisme et l’hindutva. C’est sûrement ce lien que les progressistes indiens devraient chercher à remettre en question.

À tout le moins, ceux de la gauche dans le sous-continent et au-delà doivent cesser d’utiliser sans critique le langage du “terrorisme” à la demande de l’État, piétinant ainsi les véritables histoires d’oppression structurelle qui expliquent tant de conflits dans notre région et dans le monde. Dans le brouillard de l’hystérie de guerre et de la désinformation, cette clarté est indispensable.

L’auteur enseigne à l’Université Quaid-i-Azam, Islamabad.


Aasim Sajjad Akhtar

https://www.dawn.com/news/1909601/anti-war-left

Traduit pour l’ESSF par Adam Novak