Idées et Sociétés, International

Capitalisme contemporain, lutte hégémonique et restauration réactionnaire : clés pour une lecture critique du présent mondial

Gabriela Roffinelli

Professeure à la Faculté des sciences sociales – UBA

Co-coordinatrice du groupe de travail « Crise et économie mondiale » du CLACSO (conseil latino-américain des sciences sociales ndt)

Introduction

Le capitalisme contemporain traverse une crise structurelle d’ampleur mondiale, dont les multiples manifestations – financières, économiques, politiques, sociales et écologiques – constituent une crise civilisationnelle sans précédent. Ce scénario est le résultat de tendances de longue date qui s’intensifient depuis les années 1970 et ont fait un bond qualitatif après la crise financière de 2008. L’expansion du capital fictif, la consolidation de conglomérats technologiques monopolistiques, la réorganisation des chaînes de valeur mondiales et l’intensification des rivalités géopolitiques dessinent un panorama marqué par le désordre et l’incertitude.

Nous traversons également une période historique de lutte hégémonique mondiale. Ce processus implique, d’une part, le déclin relatif de l’hégémonie américaine et, d’autre part, l’émergence de la Chine en tant que puissance capable de disputer des positions centrales dans l’économie mondiale, l’innovation technologique, l’énergie, les infrastructures et la finance. L’ascension de la Chine déstabilise l’ordre international instauré après la Seconde Guerre mondiale sous la primauté américaine et ouvre une période de concurrence géopolitique entre les grandes puissances qui redéfinit la carte mondiale.

Cette crise ne s’exprime pas seulement en termes économiques ou géopolitiques. Elle se manifeste également par l’intensification des inégalités, la précarité de l’emploi et du logement, la détérioration de l’environnement, l’érosion de la légitimité démocratique, la montée des discours autoritaires et la consolidation des mouvements réactionnaires qui capitalisent sur le malaise social. Ce que l’on appelle « l’extrême droite mondiale » – de Trump aux États-Unis, Meloni en Italie, Le Pen en France, Vox en Espagne, Orbán en Hongrie, jusqu’à Bolsonaro au Brésil, Milei en Argentine et Kast au Chili – constitue une expression politique de ce moment historique, articulant un néolibéralisme extrême, un autoritarisme culturel et un discours antipolitique qui met à rude épreuve les limites des démocraties libérales.

Le capitalisme contemporain traverse une crise structurelle d’ampleur mondiale, dont les multiples manifestations – financières, économiques, politiques, sociales et écologiques – constituent une crise civilisationnelle sans précédent. Ce scénario est le résultat de tendances de longue date qui s’intensifient depuis les années 1970 et ont fait un bond qualitatif après la crise financière de 2008. L’expansion du capital fictif, la consolidation de conglomérats technologiques monopolistiques, la réorganisation des chaînes de valeur mondiales et l’intensification des rivalités géopolitiques dessinent un panorama marqué par le désordre et l’incertitude.

La conjoncture actuelle marque un tournant critique dans l’évolution historique du capitalisme, où les conflits économiques, technologiques et géopolitiques s’entremêlent avec des mutations politico-culturelles de grande envergure.

Capitalisme monopolistique et domination du capital fictif

La phase actuelle du capitalisme se caractérise par une profonde transformation structurelle que Samir Amin (2019a) conceptualise comme l’expansion des « monopoles généralisés ». Contrairement aux monopoles classiques, circonscrits à des secteurs délimités, ces conglomérats transnationaux opèrent dans de multiples branches d’activité (industrie manufacturière, finance, logistique, plateformes numériques, télécommunications), articulant la production, la circulation et la consommation dans un réseau mondial qui subordonne l’ensemble de l’appareil productif. Leur caractéristique distinctive n’est pas seulement leur taille, mais aussi leur capacité à intégrer diverses fonctions économiques sous un même commandement stratégique, formant ainsi une structure de pouvoir qui redéfinit le fonctionnement du capitalisme contemporain.

L’une des conséquences centrales de cette configuration est la subordination des petites et moyennes entreprises, ainsi que des grandes entreprises qui ne font pas partie du noyau oligopolistique, à des réseaux complexes de dépendance.

Ces unités de production agissent comme des sous-traitants ou des fournisseurs subordonnés, soumis aux décisions stratégiques des conglomérats dominants. 

Amin (2019a) soutient que les monopoles généralisés capturent une part croissante de la plus-value par le biais de la rente monopolistique, qui, dans les territoires périphériques, prend la forme d’une rente impérialiste. L’accumulation capitaliste mondiale se réorganise ainsi autour de la maximisation des rentes et non des bénéfices productifs, ce qui implique une concentration croissante des revenus et de la richesse entre les mains des élites ploutocratiques qui contrôlent les conglomérats mondiaux. Ce processus érode les conditions de reproduction tant du travail que des capitaux non monopolistiques, qui sont contraints d’opérer dans des conditions défavorables par rapport aux groupes oligopolistiques.

Toutefois, cette dynamique n’implique pas la disparition de la loi de la valeur ni la suspension de la concurrence. Au contraire, les monopoles reconfigurent la manière dont ces lois opèrent dans une économie mondialisée : les lois économiques n’agissent pas dans l’abstrait, mais sont médiatisées par des relations de pouvoir, des asymétries structurelles et des mécanismes de domination. 

Dans cette perspective, le capitalisme actuel fonctionne comme un système extractif mondial dans lequel les monopoles non seulement exploitent directement la main-d’œuvre, mais s’approprient également la richesse produite dans d’autres espaces, en particulier à la périphérie. Ce mécanisme reproduit et accentue les inégalités structurelles, consolidant ainsi les schémas de dépendance qui configurent le développement subordonné de vastes régions du monde.

Amin (2019a) souligne également que la caractéristique prédominante de ces conglomérats est leur financiarisation. Le centre de gravité de la décision économique se déplace de la production vers la redistribution financière des bénéfices. Ces sociétés tirent des revenus monopolistiques grâce à des investissements financiers qui ne créent pas de valeur, mais s’approprient une partie de la plus-value globale. 

À partir de ce processus se développe et s’étend le capital fictif, un concept formulé par Marx dans le livre III de Le Capital, qui fait référence aux actifs financiers (actions, obligations, dérivés) dont la valeur repose sur des attentes futures de plus-value et non sur la valeur déjà produite. Le capital fictif s’apprécie sur les marchés financiers, mais il ne représente pas une richesse effectivement générée, mais des droits d’appropriation sur une richesse future.

Dans la littérature marxiste contemporaine, des auteurs tels que Nakatani (2001), Carcanholo R. et Sabadini (2011) et Carcanholo M. (2016) soulignent que le phénomène central du capitalisme actuel n’est pas la financiarisation dans l’abstrait, mais la prédominance du capital fictif. Ces approches critiquent les interprétations qui présentent la financiarisation comme une séparation entre un « capital financier mauvais » et un « capital productif bon », soulignant que ces dichotomies dépolitisent l’analyse. 

Le capital fictif, bien que fondé sur des attentes spéculatives, est à la fois fictif et réel : fictif en raison de son décalage par rapport à la production immédiate, et réel parce qu’il opère dans le cadre des relations sociales d’accumulation capitaliste, conditionnant ainsi sa dynamique.

Cette prédominance du capital fictif a conduit certains auteurs à caractériser la phase actuelle comme un capitalisme spéculatif, dans lequel l’excédent n’est plus principalement destiné à l’investissement productif, mais à l’achat d’actifs financiers permettant de s’approprier la plus-value future. Cette dynamique implique que la contradiction principale du système ne se situe pas entre le capital et le travail au sens classique, mais entre la production et l’appropriation du surplus: la valorisation financière progresse grâce à des mécanismes qui ne génèrent pas de nouvelle valeur, mais qui exigent une appropriation croissante du surplus social. 

Dans ce contexte, l’endettement ‒ en particulier la dette souveraine ‒ devient un instrument central de l’accumulation fictive. Loin de réduire les passifs publics, les politiques d’austérité reproduisent et intensifient la dépendance de l’État à l’égard du capital financier, générant de nouvelles opportunités d’appropriation de revenus pour les monopoles mondiaux. Cela contribue à consolider une fraction dominante de la classe capitaliste basée sur des oligarchies financiarisées qui captent des revenus croissants au détriment des revenus du travail et du capital non monopolistique.

Enfin, depuis la crise de 2008, le capitalisme mondial traverse une crise prolongée marquée par la suraccumulation, la faible croissance et l’augmentation des inégalités. Cette crise, dont l’éclatement financier n’était pas fortuit, met en évidence les limites structurelles de la valorisation du capital et la tendance du système à transférer ses coûts vers les classes populaires et les peuples de la périphérie. Il en résulte un capitalisme de plus en plus instable, rentier et concentré, dont la dynamique expansive dépend de plus en plus de l’accumulation fictive et de l’aggravation des inégalités mondiales.

La dispute hégémonique mondiale : États-Unis, Chine et Amérique latine

L’ascension de la Chine constitue le principal défi structurel à l’hégémonie américaine depuis 1945. La Chine n’est pas simplement un concurrent commercial : elle déploie une stratégie globale qui combine planification étatique, innovation technologique, financement international, infrastructure mondiale (initiative « Belt and Road »), diplomatie économique et expansion culturelle. Du point de vue américain, cette ascension modifie l’équilibre mondial des pouvoirs et menace sa primauté dans des secteurs stratégiques.

Le rapport annuel 2025 au Congrès américain de la « Commission d’examen économique et de sécurité entre les États-Unis et la Chine » offre un diagnostic politique de cette rivalité. Bien qu’il se veuille une analyse technique, son contenu révèle une connaissance approfondie des problèmes de l’économie chinoise et la préoccupation croissante des États-Unis face à l’avancée chinoise dans des territoires considérés historiquement comme faisant partie de leur zone d’influence.

Malgré de graves tensions économiques, les dirigeants chinois ont continué, au cours de l’année dernière, à canaliser les ressources de l’État vers la fabrication de haute technologie, à développer des outils économiques évasifs et coercitifs, à exporter leurs problèmes à l’étranger en inondant les marchés mondiaux d’une offre excédentaire subventionnée par l’État qui fausse les prix mondiaux et affaiblit la concurrence, et à utiliser comme arme leur influence sur les goulets d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement. Pékin a intensifié ses activités déstabilisatrices dans la zone grise, a avancé dans ses préparatifs en vue d’un éventuel conflit militaire et a renforcé sa coordination avec des acteurs malveillants tels que la Russie et l’Iran. Pékin a également poursuivi ses efforts concertés pour établir une hégémonie économique et militaire régionale en Asie du Sud-Est et dans les îles du Pacifique, qui lui servira de tremplin pour projeter sa puissance vers son objectif à long terme : détrôner les États-Unis en tant que puissance dominante dans la région indo-pacifique et, à terme, dans le monde (Commission d’examen économique et sécuritaire entre les États-Unis et la Chine, 2025, p. 1).

Notre Amérique occupe une place centrale dans cette analyse. Nous passons ci-dessous en revue les points les plus marquants concernant les préoccupations américaines relatives à l’influence du géant asiatique dans la région :

1. Ports, logistique et routes maritimes : la dispute pour le contrôle des corridors stratégiques

Le rapport identifie la région comme un espace où la Chine étend sa présence grâce à des investissements dans les ports, les canaux, les infrastructures logistiques et les systèmes de transport. Ces investissements ne sont pas perçus comme purement économiques, mais comme des dispositifs géostratégiques utilisés par Pékin pour sécuriser les routes commerciales, projeter sa puissance maritime et consolider son insertion mondiale.

Cette interprétation omet toutefois que les politiques du Consensus de Washington ont favorisé la privatisation des ports et l’ouverture aux capitaux transnationaux, qui n’ont pas donné lieu à des projets d’intégration régionale ni à une modernisation logistique.

Le Brésil apparaît comme un cas emblématique. L’expansion du conglomérat chinois « China Merchants » dans le port de Paranaguá, l’un des principaux nœuds de l’agro-industrie sud-américaine, renforce l’intégration entre la production brésilienne et la demande chinoise. Pour les États-Unis, cette avancée comporte un double risque : elle renforce la capacité de la Chine à garantir sa sécurité alimentaire et lui permet de contrôler un corridor d’exportation essentiel. Le rapport ne s’inquiète pas du fait que cette relation reproduise des schémas de dépendance, le Brésil se consolidant en tant qu’exportateur de matières premières sans progresser dans une industrialisation qui ajoute de la valeur au niveau local. 

Au Panama, la Chine contrôle ou gère des terminaux portuaires aux deux extrémités du canal par l’intermédiaire de Hutchison Ports PPC et Panama Ports Company. Le rapport avertit que cette présence pourrait affecter le fonctionnement du commerce mondial et la mobilité navale américaine dans d’éventuels scénarios de tension. La lecture géopolitique américaine considère que l’infrastructure du canal fait partie de son architecture stratégique hémisphérique.

Le document mentionne également des investissements portuaires et logistiques au Pérou, en Colombie et en Équateur, où des entreprises chinoises participent à la construction ou à la modernisation de terminaux de fret, de routes et de corridors bio-océaniques reliant l’Atlantique au Pacifique, dont bénéficie la Chine et non, en priorité, les monopoles transnationaux liés à la triade États-Unis, Europe et Japon.

2. Télécommunications et surveillance numérique : la dispute autour de l’infrastructure cognitive

Un deuxième sujet de préoccupation est l’avancée de Huawei, ZTE et d’autres entreprises technologiques chinoises dans les télécommunications latino-américaines. La région a massivement adopté les équipements de ces entreprises, tant dans les réseaux 4G que dans les déploiements initiaux de la 5G. Du point de vue américain, cela constitue un risque de « portes dérobées » qui pourrait permettre à la Chine d’accéder à des données sensibles ou d’interrompre des services critiques. En réalité, la « menace » chinoise est, dans une large mesure, une menace concurrentielle pour le capital technologique occidental qui a monopolisé ces marchés pendant des décennies.

Le Mexique est cité comme un cas clé, où Huawei exploite des centres de données, développe des infrastructures 5G et participe à des systèmes de vidéosurveillance urbaine. Le document suggère que la portée de ces réseaux pourrait compromettre la cybersécurité des États-Unis, compte tenu du degré d’intégration transfrontalière entre les deux pays.

Cependant, le rapport ne mentionne pas que des entreprises américaines telles que Google, Amazon, Microsoft et Meta exploitent des infrastructures numériques au Mexique et dans toute l’Amérique latine, collectant des données massives sans contrôles démocratiques efficaces. Les préoccupations concernant la surveillance chinoise coexistent avec la naturalisation de la surveillance des entreprises américaines, qui a été documentée par des révélations telles que celles d’Edward Snowden. Le problème n’est pas la nationalité des entreprises technologiques, mais l’absence de souveraineté numérique et de cadres réglementaires protégeant les données des populations.

Au Salvador, la mise en place d’un système national de vidéosurveillance fourni par Huawei, dans le cadre du projet « villes sûres », est présentée comme la preuve que la Chine exporte des modèles sécuritaires associés à des régimes autoritaires. Le rapport suggère que cette technologie pourrait renforcer les dispositifs étatiques de surveillance de masse.

Depuis la crise de 2008, le capitalisme mondial traverse une crise prolongée marquée par la suraccumulation, la faible croissance et l’augmentation des inégalités. Cette crise, dont l’éclatement financier n’était pas fortuit, met en évidence les limites structurelles de la valorisation du capital et la tendance du système à transférer ses coûts vers les classes populaires et les peuples de la périphérie. Il en résulte un capitalisme de plus en plus instable, rentier et concentré, dont la dynamique expansive dépend de plus en plus de l’accumulation fictive et de l’aggravation des inégalités mondiales.

https://www.eldiarioar.com/opinion/agujero-mundo_129_11373701.html

Au Chili, où Huawei participe au réseau national de fibre optique et à des projets 5G, les États-Unis mettent en garde contre la possibilité que l’infrastructure numérique chilienne soit intégrée à long terme dans les écosystèmes technologiques chinois, limitant ainsi sa souveraineté numérique.

Cette critique ne mentionne pas que les États-Unis ont exporté des technologies de surveillance, des armes et des formations policières et militaires vers des régimes autoritaires latino-américains pendant des décennies, depuis les dictatures des années 1970 jusqu’aux gouvernements répressifs contemporains. La différence ne réside pas dans le fait que la Chine soit plus ou moins démocratique que les États-Unis, mais dans le fait que Washington perçoit l’expansion technologique chinoise comme une menace pour sa capacité de surveillance régionale. D’un point de vue critique, la prolifération des systèmes de surveillance, qu’ils soient chinois, américains ou d’origine quelconque, doit être remise en question en raison de son impact sur les droits humains et les libertés démocratiques.

3. Minéraux critiques et transition énergétique : la dispute pour le repositionnement du Cône Sud

Le lithium occupe une place privilégiée dans le débat géostratégique contemporain. Le rapport consacre une analyse détaillée au Triangle du lithium (Argentine, Bolivie et Chili) et souligne la forte présence des entreprises chinoises à toutes les étapes de la chaîne de production : extraction, raffinage et fabrication de batteries.

En Argentine, la Chine possède des actifs importants dans des projets tels que Caucharí-Olaroz et Tres Quebradas, et a porté la production à des niveaux records. Au Chili, sa participation dans l’entreprise SQM renforce sa position d’acteur dominant sur le marché mondial. En Bolivie, bien que les progrès aient été plus lents, Pékin participe à des projets d’industrialisation du lithium à Uyuni et Coipasa.

Les préoccupations américaines se concentrent sur un fait structurel : non seulement la Chine contrôle une partie des réserves latino-américaines, mais elle domine également plus de 70 % du raffinage mondial du lithium, faisant de la région un maillon clé pour sa sécurité énergétique.

Ce diagnostic révèle une asymétrie fondamentale dans l’économie politique de la transition énergétique. L’Amérique latine possède de vastes réserves de lithium, mais elle n’a pas la capacité industrielle de le transformer en batteries, en véhicules électriques ou en systèmes de stockage d’énergie. La Chine, en revanche, a stratégiquement contrôlé l’ensemble de la chaîne de valeur, du raffinage à la fabrication de pointe. Il en résulte que les pays latino-américains exportent du lithium brut ou semi-concentré, tandis que la valeur ajoutée – et les emplois hautement qualifiés – restent en Asie.

Outre le lithium, le rapport mentionne l’importance croissante des terres rares et souligne le rôle du Brésil en tant que fournisseur. Il s’inquiète du fait que même lorsque l’extraction a lieu sur des territoires alliés des États-Unis, le raffinage reste dépendant de la Chine.

4. Énergie, technologie et présence dans les secteurs stratégiques

Le rapport met également en garde contre la présence chinoise dans des secteurs énergétiques clés. Au Brésil, l’entreprise publique State Grid contrôle une partie importante de l’infrastructure électrique, y compris les lignes de transport qui relient les régions stratégiques du pays. Au Venezuela, la Chine a investi dans des projets pétroliers et a conditionné une partie de son financement à des accords énergétiques à long terme.

Le rapport conclut que l’Amérique latine est devenue un enjeu central dans le conflit entre la Chine et les États-Unis. Washington se sent menacé dans son influence dans la région et perçoit que les pays latino-américains diversifient leurs alliances, adoptent la technologie chinoise et établissent des partenariats énergétiques, miniers et portuaires qui échappent à son contrôle direct.

https://www.desdeabajo.info/actualidad/internacional/item/una-nueva-crisis-financiera-global.html

Restauration néolibérale et montée de l’extrême droite mondiale

Avec l’aggravation de la crise capitaliste et le déclin hégémonique face à la concurrence chinoise, un secteur clé de la classe dominante américaine a perçu des fissures dans les mécanismes de domination politique, basés sur la coercition économique des revendications sociales (les vieilles recettes du FMI : ajustement budgétaire, monétaire et réformes du travail, des retraites et de la fiscalité) (Piva, 2020). 

Dans ce contexte, l’élite dominante a choisi de s’impliquer plus directement dans la gestion de l’État (Foster, 2025) afin de rétablir les conditions de l’accumulation capitaliste. Comme le souligne Foster (2025) :

« Le plus effrayant pour la classe capitaliste américaine pendant la grande crise financière [2008] était que, alors que l’économie américaine, ainsi que celles de l’Europe et du Japon, étaient en profonde récession, l’économie chinoise avait à peine stagné avant de redémarrer pour atteindre une croissance proche des deux chiffres. À partir de ce moment, le pronostic était clair : l’hégémonie économique américaine dans l’économie mondiale s’estompait rapidement, au rythme de la progression apparemment imparable de la Chine, ce qui menaçait l’hégémonie du dollar et la puissance impériale du capital monopolistique financier américain « (Foster, 2025, p. 12).

Ce contexte de déclin hégémonique transforme à son tour la relation que les élites dominantes ont entretenue avec les forces d’extrême droite au cours des dernières décennies. Si des analystes tels qu’Amin (2019b) et Traverso (2020) soutiennent que ce lien est, à l’origine, essentiellement instrumental – en ce sens que les forces réactionnaires fonctionnent comme des outils politiques contingents –, la crise de 2008 et le conflit géopolitique qui a suivi marquent un tournant, en particulier dans le cas américain.

À partir de ce moment, les fractions hégémoniques du capital ont entrepris un processus de reconfiguration politique qui peut être retracé depuis l’émergence du Tea Party jusqu’à la consolidation du bloc MAGA autour du trumpisme. Cette stratégie a articulé la déréglementation des marchés avec la radicalisation du conservatisme politique, ce qui montre une tentative délibérée des élites d’assurer la reproduction du pouvoir et l’accumulation du capital face aux tensions de la crise structurelle du capitalisme mondial.

L’extrême droite actuelle des pays impérialistes ne doit pas être interprétée simplement comme une réaction anti-néolibérale, ni comme l’expression politique du mécontentement de ceux qui ont été lésés par la mondialisation. Au contraire, comme le souligne Slobodian (2023), malgré l’adoption d’une rhétorique « anti-système » et le recours occasionnel à des mesures protectionnistes – comme dans le cas de Donald Trump avec les droits de douane sur les importations –, elle représente en réalité un approfondissement du projet néolibéral du capital financier mondial. Il s’agit d’une offensive radicalisée – sur les plans économique, politique et étatique – qui vise à renforcer le pouvoir des classes dominantes et à pousser à l’extrême les logiques ultralibérales déjà en cours.

Dans ce contexte, l’administration actuelle de Donald Trump a mis en œuvre une politique étrangère ouvertement militariste et impérialiste, comme le montrent de manière dramatique l’agression contre le Venezuela et les récentes menaces contre la souveraineté colombienne. Cependant, malgré sa rhétorique singulière, cette stratégie ne diffère pas substantiellement de la ligne suivie par le Parti démocrate en matière de politique étrangère. Comme le souligne Foster (2025), le cœur de la stratégie trumpiste réside dans la contention de la montée en puissance de la Chine, identifiée comme une menace stratégique pour les intérêts du capital transnational.

La crise civilisationnelle du capitalisme ‒ qui combine destruction écologique, inégalités extrêmes, crise démocratique et polarisation politique ‒ exige de penser la résistance non seulement en termes défensifs, mais aussi comme une lutte stratégique pour d’autres projets historiques. Les alternatives possibles n’émergent pas spontanément de l’effondrement de l’ordre établi ; elles nécessitent une organisation, une imagination politique et une articulation renouvelée entre les mouvements sociaux, les projets transformateurs et les cadres régionaux d’intégration.

En ce sens, la relance des débats sur la planification démocratique, la transition énergétique juste, la souveraineté technologique, l’économie solidaire et les féminismes populaires constitue un terrain clé pour la construction d’horizons émancipateurs.

Dans le même temps, Trump développe, par le biais d’organismes tels que le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), une politique intérieure basée sur la déréglementation des activités des entreprises et a mis en place un programme réactionnaire, revanchard, raciste et misogyne visant à canaliser le malaise de larges secteurs de la classe moyenne inférieure américaine.

La nouvelle élite financière et technocratique occidentale, incarnée par des figures du réseau technologique, financier et énergétique telles que Peter Thiel, Elon Musk, Steve Bannon ou les frères David (†) et Charles Koch, et traversée par des conflits internes, promeut, par le biais de puissants think tanks, une synthèse idéologique particulière : d’une part, ils exaltent le libre marché comme moteur supposé de l’innovation et principe directeur de la vie sociale ; d’autre part, ils embrassent un ultraconservatisme régressif dans le domaine sociopolitique. 

Ce discours cache, en fin de compte, une opposition farouche à toute forme de réglementation de leurs opérations commerciales et de leur pouvoir structurel. Comme l’a ouvertement exprimé Thiel (2009) :

« Je ne crois plus que la liberté et la démocratie soient compatibles (…) la grande mission pour nous, les libertariens, est de trouver une échappatoire qui nous permette d’échapper à la politique sous toutes ses formes (…) la machine de la liberté rend le monde sûr pour le capitalisme [italiques ajoutés] (Thiel, 2009, par. 5) ».

Si en Europe et aux États-Unis, les mouvements d’extrême droite ont réussi à consolider leur présence institutionnelle ‒ comme le montrent les cas de Meloni en Italie, d’Orbán en Hongrie ou du trumpisme aux États-Unis ‒, en Amérique latine, où les capitalismes sont dépendants, le phénomène prend des traits spécifiques : une combinaison de néolibéralisme radical et d’autoritarisme étatique, comme en témoignent le bolsonarisme (Brésil) et les gouvernements de Bukele (El Salvador) et Milei (Argentine), entre autres. 

Parallèlement, dans le Sud global – de l’Inde aux Philippines, en passant par la Turquie et l’Égypte – on observe une convergence autoritaire qui dialogue de manière inquiétante avec nos réalités (Kandil, Finn, Gunes, Vanaik, Desai, 2019). Cette synchronisation mondiale des projets réactionnaires pose des défis sans précédent aux résistances populaires à travers le monde.

https://www.omfif.org/meetings/global-public-funds-navigating-beyond-the-volatile-macroeconomic-environment

Réflexions finales

Le panorama mondial analysé, caractérisé par l’avancée des monopoles généralisés, la centralité du capital fictif, la dispute hégémonique entre les États-Unis et la Chine et l’offensive réactionnaire à l’échelle mondiale, révèle un capitalisme contemporain traversé par des contradictions de plus en plus profondes. La combinaison d’une crise structurelle, d’un rentisme généralisé, de rivalités géopolitiques et de restaurations néolibérales radicalisées constitue un scénario d’instabilité chronique et de conflits croissants. 

Cependant, loin de fermer la porte à des alternatives, ce tableau historique ouvre également des conditions objectives et subjectives pour l’émergence de nouvelles formes de résistance, de contestation sociale et de construction politique.

Tout d’abord, la dynamique du capital fictif – centrée sur l’appropriation du surplus social par des moyens spéculatifs – reproduit des tensions qui sapent la légitimité de l’ordre néolibéral. Le décalage entre la valorisation financière et les conditions matérielles de vie, qui se traduit par la précarisation du travail, l’endettement massif, la crise du logement et la détérioration des services publics, alimente un malaise social qui ne peut être canalisé indéfiniment par les droites radicalisées. Loin de stabiliser le système, le caractère parasitaire du capital fictif expose ses limites structurelles et ouvre un espace à la critique et à l’action collective.

Deuxièmement, les asymétries de l’impérialisme contemporain créent un terrain fertile pour des résistances spécifiques dans la périphérie. L’appropriation monopolistique des ressources stratégiques – telles que les minéraux critiques, les infrastructures logistiques ou les systèmes numériques – relance les débats sur la souveraineté économique, l’autonomie technologique et le contrôle démocratique des biens communs. 

Dans ce contexte, des expériences de lutte pour la souveraineté énergétique, pour la gestion communautaire du territoire et pour des modèles alternatifs de développement axés sur la reproduction de la vie, qui s’opposent directement à la logique extractive du capital transnational, voient le jour.

D’autre part, la montée de l’extrême droite mondiale n’annule pas les résistances sociales, mais les réactive plutôt. Face à l’offensive réactionnaire – qui combine néolibéralisme extrême, autoritarisme étatique et guerres culturelles – on observe l’émergence de mouvements féministes, socio-environnementaux, antiracistes, syndicaux et communautaires qui articulent des critiques systémiques et des luttes pour des droits concrets. 

Dans notre Amérique, ces résistances s’expriment dans des luttes territoriales pour l’eau et les biens communs, dans des mouvements qui s’opposent à la violence patriarcale et étatique, dans les résistances indigènes contre l’extractivisme et dans des expériences d’économie populaire et autogérée qui préfigurent d’autres formes d’organisation du travail et de reproduction sociale. Ces pratiques ne se contentent pas de limiter les avancées du projet réactionnaire, elles préfigurent également des horizons alternatifs de sociabilité et de production.

Enfin, la crise civilisationnelle du capitalisme – qui combine destruction écologique, inégalités extrêmes, crise démocratique et polarisation politique – exige de penser la résistance non seulement en termes défensifs, mais aussi comme une lutte stratégique pour d’autres projets historiques. Les alternatives possibles n’émergent pas spontanément de l’effondrement de l’ordre actuel ; elles nécessitent une organisation, une imagination politique et une articulation renouvelée entre les mouvements sociaux, les projets transformateurs et les cadres régionaux d’intégration. 

En ce sens, la relance des débats sur la planification démocratique, la transition énergétique juste, la souveraineté technologique, l’économie solidaire et les féminismes populaires constitue un terrain clé pour la construction d’horizons émancipateurs.

En résumé, la phase actuelle du capitalisme, bien que marquée par de nouvelles formes de domination, ne met pas fin à l’évolution historique. Au contraire, ses contradictions internes, la crise de légitimité néolibérale, la dispute géopolitique mondiale et la persistance des luttes populaires ouvrent des possibilités pour la construction d’alternatives. Loin d’être un vestige du passé, la résistance devient une condition indispensable pour imaginer et produire des avenirs plus justes, plus démocratiques et plus durables.

Références bibliographiques

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  • Barret, Philip ; Chen, Sophia et Li, Nan (3 février 2021). La longue ombre du COVID-19 : répercussions sociales des pandémies. BLOG DU FMI. https://www.imf.org/es/Blogs/Articles/2021/02/03/blog-covid-long-shadow-social-repercussions-of-pandemics.
  • Carcanholo, Reynaldo et Nakatani, Paulo (2001). Capital spéculatif parasitaire contre capital financier. Dans Problèmes de développement, vol. 32, n° 124, Mexique, IIEc-UNAM, janvier-mars 2001
  • Carcanholo, Reynaldo et Sabadini, Mauricio (2011) Capital fictif et profits fictifs. Dans marxisme critique blog. https://marxismocritico.com/wp-content/uploads/2011/10/capital-ficticio-y-ganancias-ficticias.pdf
  • Carcanholo, Marcelo (29 septembre 2016). Le capital fictif et la crise actuelle. YouTube https://www.youtube.com/watch?v=x6HqvfQWqk8.
  • Foster, John Bellamy (1er avril 2025). La classe dominante américaine et le régime Trump. Dans Monthly Review | The U.S. Ruling Class and the Trump Regime
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  • Traverso, Enzo (2018) Les nouveaux visages de la droite. Buenos Aires : Siglo veintiuno editores.

Publication.  Revista Izquierda Traduction ML

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