19 septembre 2025. ADRIANA ABDENUR
L’extrême droite se nourrit du désespoir économique, de l’insécurité et de l’exclusion. Pour la priver de ses ressources, ceux qui veulent préserver la démocratie doivent proposer un contre-discours axé sur la dignité et l’appartenance, ainsi qu’un programme politique conçu pour favoriser l’inclusion économique et la résilience climatique.

RIO DE JANEIRO – De l’Allemagne aux États-Unis en passant par le Brésil et au-delà, l’extrême droite gagne du terrain. Si les détails varient d’un pays à l’autre, le schéma est étonnamment cohérent : l’extrême droite prospère lorsque les économies ne parviennent pas à assurer le bien-être, l’équité et la sécurité.
Ce n’est pas une observation nouvelle. Antonio Gramsci, Karl Polanyi et d’autres penseurs du XXe siècle ont diagnostiqué le fascisme comme une réponse réactionnaire à l’instabilité capitaliste et aux mouvements progressistes qui avaient émergé pour contrer ses excès. Dans The Great Transformation, Polanyi a fait valoir que le « déracinement » des marchés des relations sociales avait créé un terrain fertile dans lequel l’autoritarisme pouvait s’enraciner.
À notre époque, Nancy Fraser, de la New School for Social Research, a décrit comment le néolibéralisme érode la solidarité sociale, alimentant le populisme exclusif. D’autres analystes soulignent que l’austérité et la précarité rendent les citoyens vulnérables aux discours simplistes qui désignent des boucs émissaires.
Ainsi, l’histoire montre comment le chômage de masse, l’inflation et la baisse du niveau de vie peuvent favoriser l’extrémisme, en particulier lorsqu’ils s’accompagnent d’institutions faibles, d’une polarisation politique ou de discours exploitant les griefs et les peurs. Tout comme la Grande Dépression a ouvert la voie au fascisme en Europe, la crise financière mondiale de 2008 a créé les conditions d’un retour du nationalisme à travers le monde.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une nouvelle itération du même cycle. Bien que l’Allemagne ait initialement fait preuve de résilience pendant la pandémie de COVID-19, la crise énergétique déclenchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie l’a particulièrement touchée. Comme l’ont montré les économistes Isabella M. Weber et Tom Krebs, la hausse des coûts énergétiques s’est répercutée sur l’ensemble de l’économie, la fixation des prix par les entreprises amplifiant les pressions inflationnistes. Alors que les ménages étaient en difficulté, le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland a vu sa popularité monter en flèche.
Aux États-Unis, des décennies de désindustrialisation, de stagnation des salaires et d’augmentation des inégalités ont érodé l’idée que chaque génération fera mieux que la précédente. L’Inflation Reduction Act de l’ancien président Joe Bidenétait une initiative ambitieuse visant à relancer la politique industrielle et à stimuler la fabrication écologique, mais son héritage s’est avéré éphémère. Donald Trump a exploité le mécontentement suscité par la hausse des prix après la pandémie et a remporté les élections de 2024 en utilisant comme arme l’aliénation et le ressentiment, en désignant comme boucs émissaires les immigrants, la mondialisation et les « élites urbaines ».
Le Brésil illustre une autre dynamique. Des millions de personnes sont sorties de la pauvreté sous le gouvernement du Parti des travailleurs du président Luiz Inácio Lula da Silva dans les années 2000, mais beaucoup ont vu ces acquis s’inverser, tandis que d’autres ressentent de l’amertume d’être exclus des programmes sociaux. La révolution numérique rend le travail plus précaire. Lula a tenté de restaurer certains des acquis perdus depuis son retour au pouvoir en 2023, mais il est confronté à un Congrès dominé par l’extrême droite et ses alliés.
Même si Jair Bolsonaro a été condamné pour tentative de coup d’État, d’autres dirigeants d’extrême droite au Brésil promettent également un retour à l’ordre, à la stabilité et à la foi religieuse. Leur rhétorique met l’accent sur l’esprit d’entreprise et l’autonomie. Bien que séduisante sur le plan émotionnel, l’idée selon laquelle les individus sont responsables de la pauvreté ignore cyniquement les obstacles structurels qui bloquent la mobilité socio-économique.
Les chocs internationaux – ruptures de la chaîne d’approvisionnement pendant la pandémie, volatilité des marchés énergétiques, conflits prolongés, effets inflationnistes du changement climatique – ont également alimenté la montée des forces d’extrême droite. Ces problèmes exigent une coopération transfrontalière, mais les extrémistes les exploitent pour attaquer le multilatéralisme, le présentant comme un « complot mondialiste ». Les droits de douane punitifs de Trump incarnent cette réponse, présentant le commerce mondial comme une lutte à somme nulle dans laquelle les étrangers sont les ennemis des travailleurs américains.
Ces discours simplistes unissent les mouvements d’extrême droite plus que n’importe quel ensemble de politiques communes. Chacun repose sur une opposition fondamentale entre « nous » et « eux ». Comme le note la sociologue brésilienne Esther Solano, ces discours séduisent ceux qui se sentent abandonnés, en faisant des immigrants, des minorités, des féministes, des militants pour le climat et d’autres groupes des ennemis. Dans un monde binaire de gagnants et de perdants, la complexité disparaît dans les mythes d’une pureté culturelle et d’une grandeur nationale révolues.
Pour contrer ces discours, il faut plus qu’une réfutation raisonnée. Si les racines de l’ascension de l’extrême droite sont en grande partie économiques, il sera impossible de la vaincre sans une nouvelle vision économique.
Cela signifie, pour commencer, s’attaquer à l’inflation à sa source. La récente vague d’inflation était moins liée à une demande excessive qu’à des chocs d’offre, à la spéculation et à des fragilités structurelles. Pourtant, l’orthodoxie économique a continué à privilégier les hausses de taux d’intérêt et l’austérité, pénalisant les travailleurs et les plus vulnérables. Les gouvernements doivent plutôt utiliser des outils fiscaux – soutien au revenu, allégements fiscaux sur les produits de première nécessité, renforcement des services publics – pour protéger les ménages, tout en investissant dans les capacités nationales en matière d’énergies renouvelables, de sécurité alimentaire et de production durable. Il faut lutter de front contre la spéculation des entreprises en appliquant les lois antitrust, en renforçant les règles de transparence et en sanctionnant les pratiques abusives en matière de prix.
Une deuxième priorité consiste à investir massivement (et stratégiquement) dans les infrastructures publiques. Des transports au logement, en passant par la santé et l’éducation, le domaine public doit être reconstruit. La propriété publique ou la réglementation des secteurs clés garantirait la fiabilité, l’équité et la résilience climatique des services. Mais l’investissement seul ne suffit pas. Les institutions doivent être rendues plus transparentes, responsables et participatives, afin de restaurer la confiance dans le fait que les gouvernements servent l’intérêt général.
Troisièmement, nous avons besoin d’une transition véritablement juste vers une économie à faible émission de carbone. Une politique industrielle verte peut créer des emplois et revitaliser les régions laissées pour compte tout en décarbonisant l’activité économique. Mais si elle est trop laissée au marché, la transition verte risque d’aggraver les inégalités. La transition énergétique doit donner du pouvoir aux travailleurs, et non les abandonner. Les emplois verts doivent être des emplois de qualité : sûrs, bien rémunérés, syndiqués et ancrés dans les communautés. À cette fin, la politique industrielle devrait se concentrer sur les énergies propres, la régénération des écosystèmes et les secteurs des soins.
Quatrièmement, nous devons restaurer la confiance dans les institutions. Cela signifie apporter des améliorations tangibles dans des domaines tels que le logement abordable, les soins de santé publics et les infrastructures résilientes. Cela signifie également démocratiser la prise de décision. Des mécanismes tels que la budgétisation participative, les assemblées citoyennes et les initiatives communautaires en faveur du climat peuvent permettre aux citoyens non seulement d’être témoins du changement, mais aussi de le façonner.
Enfin, pour contrer les discours simplistes de l’extrême droite, il faut élaborer de nouveaux discours audacieux. Un message de renouveau culturel et politique doit accompagner la réforme économique. Là où l’extrême droite offre la peur, la division et des boucs émissaires, les forces démocratiques doivent offrir la solidarité, la dignité et l’espoir, en s’appuyant sur un discours qui met l’accent sur le bien-être collectif, célèbre la diversité et donne le sentiment que le progrès est possible et réel.
L’extrême droite se nourrit du désespoir, de l’insécurité et de l’exclusion. Bricoler les contours du néolibéralisme ne permettra pas d’apporter la sécurité, la dignité et le sentiment d’appartenance nécessaires pour l’affamer. Pour cela, nous avons besoin d’un nouveau modèle économique, fondé sur la durabilité, la justice et la solidarité.
ADRIANA ABDENUR in Project Syndicate Politics
Écrit pour PS depuis 2019
Adriana Abdenur est coprésidente du Fonds mondial pour une nouvelle économie (GFNE).
