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Make Europe White Again

Nous publions les premières réactions au National-Security-Stratégie. Sans forcément partager les options politiques des rédacteurs, nous publions ce texte qui dévoile les intentions profondes de Trump et de son équipe vis à vis de l’Europe notamment.

Le texte de la NSS en traduction française est en fin d’article. ML

Trump veut rendre l’Europe blanche à nouveau

8 décembre 2025 ZAKI LAÏDI

La nouvelle stratégie de sécurité nationale américaine marque une rupture décisive avec les valeurs universalistes qui ont guidé la politique étrangère américaine depuis 1945. Sa position nativiste et antilibérale devrait dissiper toute illusion européenne restante sur l’état actuel de l’alliance transatlantique.

PARIS – Depuis son retour à la Maison Blanche, la vision du monde du président américain Donald Trump – en particulier celle de l’Europe – a souvent été difficile à discerner au milieu de son incohérence et de ses déclarations grandiloquentes caractéristiques. Sa  nouvelle stratégie de sécurité nationale (NSS) met toutefois en lumière les principes qui sous-tendent son programme de politique étrangère.

En esquissant un cadre explicitement nationaliste et nativiste, la NSS marque une rupture nette avec l’approche multilatérale qui a guidé la politique américaine depuis 1945. Son mépris pour les valeurs libérales devrait dissiper toute illusion persistante sur l’état actuel de l’alliance transatlantique, en indiquant clairement que Trump ne soutiendra l’Europe que si elle adhère pleinement à son idéologie MAGA (Make America Great Again) – ou plutôt à sa variante européenne : Make Europe White Again.

Alors que le leadership américain était autrefois défini par l’universalisme idéologique, la NSS adopte une posture résolument provincialiste. Comme l’a déclaré le secrétaire à la Guerre de Trump, Pete Hegseth, le Pentagone ne sera plus « distrait par la construction de la démocratie, l’interventionnisme, les guerres indéfinies, les changements de régime, le changement climatique, le « wokeness » ou la construction de nations inefficaces ».

De nombreux gouvernements du Sud applaudiront sans aucun doute ce changement. Certains adversaires des États-Unis l’ont déjà fait. Pour la Russie, qui a qualifié la NSS de Trump de « conforme à notre vision », la guerre en Ukraine semble soudainement beaucoup plus prometteuse.

Trump aime se présenter comme un défenseur des libertés individuelles, en particulier de la liberté d’expression. Mais la NSS raconte une autre histoire, annonçant son intention de s’opposer aux « restrictions antidémocratiques imposées par l’élite sur les libertés fondamentales en Europe, dans l’anglosphère et dans le reste du monde démocratique, en particulier parmi nos alliés ».

Comme le montre la NSS, les attentes de Trump vis-à-vis de l’Europe divergent fortement de la conception que les Européens ont eux-mêmes des relations transatlantiques. Alors que les dirigeants européens souhaitent préserver le parapluie sécuritaire américain sans souscrire au projet idéologique de Trump, celui-ci exige qu’ils adhèrent à un ordre mondial conforme à la doctrine MAGA, sans offrir grand-chose en retour.

 

En substance, Trump propose de remplacer la solidarité stratégique entre les États-Unis et l’Europe – un arrangement auquel il ne croit plus – par une alliance civilisationnelle reposant sur trois conditions essentielles.

La première est d’exiger que l’Union européenne démantèle les cadres réglementaires qui, selon Trump, portent atteinte à la liberté d’expression et nuisent aux intérêts américains. Le vice-président JD Vance a avancé le même argument lors de la Conférence sur la sécurité de Munich en février, affirmant que la véritable menace qui pèse sur l’Europe provient « d’intérêts anciens et bien établis qui se cachent derrière des mots hideux de l’ère soviétique tels que désinformation et mésinformation » afin d’imposer une « censure numérique » aux voix populistes.

Mais les sanctions de l’UE à l’encontre des géants technologiques américains tels que Google, Apple, Facebook et Amazon n’ont rien à voir avec la censure politique. Et la récente amende de 140 millions de dollars infligée à X (anciennement Twitter), qui a provoqué la colère des responsables et de Trump, concernait des violations de la transparence et de la protection des consommateurs : la politique trompeuse de vérification des utilisateurs de la plateforme, son incapacité à fournir les données publicitaires requises et ses efforts pour bloquer l’accès des chercheurs. En présentant cela comme de la censure, Trump ne fait que répéter les affirmations du propriétaire de X, Elon Musk, qui n’a pas caché son soutien à «l’abolition» de l’UE.

La deuxième condition est que l’UE revoie ses politiques d’immigration et d’asile, que la NSS présente comme une menace pour la civilisation occidentale. Les partis d’extrême droite européens, largement définis par leur opposition à l’immigration, ont rapidement saisi cette opportunité idéologique, le leader d’extrême droite français Éric Zemmour proclamant que « Trump est le seul à défendre la civilisation européenne ».

La troisième condition posée par Trump est que l’Europe cesse de considérer la protection militaire américaine comme acquise. Selon lui, les gouvernements européens comptent depuis longtemps sur l’OTAN pour garantir la sécurité des États-Unis, tout en utilisant l’UE pour nuire aux intérêts économiques américains.

Le secrétaire d’État adjoint américain Christopher Landau a insisté sur ce point dans un récent message publié sur X. « Lorsque ces pays portent leur casquette OTAN », a-t-il écrit, ils louent l’unité transatlantique. Mais lorsqu’ils « portent leur casquette de l’UE », ils poursuivent des objectifs « totalement contraires aux intérêts et à la sécurité des États-Unis », notamment « la censure, le suicide économique/le fanatisme climatique, l’ouverture des frontières, le mépris de la souveraineté nationale/la promotion de la gouvernance multilatérale et de la fiscalité, et le soutien à Cuba communiste ».

Un passage particulièrement frappant de la NSS avertit que « d’ici quelques décennies au plus tard », certains membres de l’OTAN « deviendront majoritairement non européens ». Le document note qu’il s’agit d’une « question ouverte » de savoir si les populations futures « considéreront leur place dans le monde, ou leur alliance avec les États-Unis, de la même manière que ceux qui ont signé la charte de l’OTAN ».

Cette formulation reflète la conviction de longue date de Trump selon laquelle l’immigration rendra les pays européens « moins européens », comme si l’identité de l’Europe reposait sur la pureté ethnique. Ce profond malentendu souligne le fossé culturel et politique qui se creuse entre l’Europe et les États-Unis.

La NSS de Trump indique également très clairement que l’Europe ne doit pas s’attendre à un soutien important des États-Unis en faveur de l’Ukraine. Se considérant « en désaccord avec les responsables européens qui ont des attentes irréalistes concernant la guerre », l’administration vise à « rétablir les conditions d’une stabilité stratégique sur le continent eurasien » et à « atténuer le risque de conflit entre la Russie et les États européens ». Dans cette vision, les États-Unis ne sont pas le partenaire de l’Europe contre la Russie, mais un médiateur entre les deux parties.

Dans l’ensemble, ces positions devraient alarmer les dirigeants européens. Face à une administration hostile, ils doivent reconnaître que l’ère de la protection automatique américaine est révolue et affronter de front la vulnérabilité stratégique du continent. Comme Charles de Gaulle l’avait averti il y a plusieurs décennies, l’Europe ne peut pas dépendre éternellement des États-Unis. Pour survivre, elle doit se réveiller de sa torpeur géopolitique et reprendre le contrôle de son propre destin.

ZAKI LAÏDI

Écrit pour PS (Project Syndicate) depuis 2012 

Traduction ML

Zaki Laïdi, ancien conseiller spécial du haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (2020-24), est professeur à Sciences Po.