Par Dmitry Pozhidaev dans LINKS
Publié le 27 novembre 2025

Fin novembre, le monde s’est réveillé avec une « initiative de paix » soudaine et, pour beaucoup, malvenue du président américain Donald Trump : un projet en 28 points qui a fuité et circulait entre les interlocuteurs américains, ukrainiens et russes, comme cadre pour mettre fin à la guerre. Le document n’est pas un texte officiel et pourrait changer considérablement, mais sa logique fondamentale est suffisamment claire pour être analysée.
Pour l’essentiel, le projet de proposition prévoit de geler le front à peu près là où il se trouve actuellement et de consolider le contrôle russe sur la Crimée et une grande partie du Donbass ; de neutraliser l’Ukraine en constitutionnalisant son renoncement à l’OTAN et en obtenant des engagements parallèles que l’OTAN n’admettra jamais l’Ukraine ; de remplacer l’adhésion à l’alliance par une garantie de sécurité à l’américaine soumise à certaines conditions ; associerait un assouplissement progressif des sanctions contre la Russie à une coopération économique (énergie, exploitation minière, haute technologie) et affecterait les avoirs russes gelés à la reconstruction ; et encadrerait l’ensemble par un organisme de contrôle sur mesure présidé par Trump. Tout le reste dépend de ces piliers : plafonnement des effectifs militaires, élections rapides et amnisties générales, gestion de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia par l’AIEA et calendrier de mise en œuvre.
Les réactions ont été très variées. Les dirigeants de l’Union européenne ont publiquement considéré le projet comme un point de départ qui « nécessitera des efforts », signalant des lignes rouges sur les frontières, les limites des forces et toute clause qui lierait les processus de l’UE ou de l’OTAN. Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy l’a qualifié de défi sans précédent à la dignité de l’Ukraine, tout en indiquant sa volonté de s’engager avec Washington.
Le président russe Vladimir Poutine, en revanche, a déclaré qu’il pourrait servir de base « en principe » à un règlement. Le marxiste russe Boris Kagarlitsky a fait remarquer depuis sa prison que le projet est vague sur la plupart des points, mais très précis sur les questions financières. Dans sa forme actuelle, il ressemble à un modèle dans lequel l’Ukraine apparaît comme la perdante, la Russie comme le perdant, et les États-Unis comme le seul bénéficiaire évident. Même ainsi, toute mesure qui mettrait fin aux tueries serait une mesure qui vaut la peine d’être prise.
Pourquoi Lénine ? Pourquoi maintenant ?
Invoquer Vladimir Lénine n’est pas une question de nostalgie ; c’est un moyen d’éviter que l’analyse ne se réduise à des dichotomies morales ou à un fanatisme pour les grandes puissances. Ses polémiques en temps de guerre, succinctement résumées dans un essai relativement peu connu de 1916 intitulé Une caricature du marxisme et de l’économisme impérialiste, fournissent un ensemble d’outils compacts pour réfléchir aux conflits modernes.
Il nous oblige à nous concentrer sur deux disciplines que le débat contemporain continue d’esquiver : premièrement, considérer la guerre comme la continuation de la politique de classe, et non comme un météore soudain ; et deuxièmement, maintenir simultanément deux plans, la lutte interimpérialiste pour la redivision et la lutte de libération nationale des peuples opprimés. Cette double focalisation est précisément ce que la guerre en Ukraine brouille et ce que toute « paix » négociée de l’extérieur menace d’aplanir.
Lénine est également pertinent parce qu’il a traité les guerres dans le cadre de l’impérialisme, et non comme des affrontements isolés entre drapeaux. Cette prémisse est largement occultée par les commentaires dominants et ouvertement débattue au sein de la gauche, qui reconnaît la dimension impérialiste même si elle est en désaccord sur le poids à lui accorder par rapport à la lutte de libération nationale de l’Ukraine (voir, par exemple, l’échange entre Alex Callinicos et Gilbert Achcar).
Enfin, Lénine relie l’analyse à la stratégie : juger chaque belligérant en fonction de ce que sa victoire ou sa défaite signifie pour les travailleurs, et lutter contre l’opportunisme au sein du mouvement ouvrier tout en s’opposant à la guerre impérialiste.
Les quatre critères de Lénine pour les guerres modernes
1. La guerre comme continuation de la politique de classe
Clausewitz appelait la guerre « la continuation de la politique par d’autres moyens ». Lénine conserve la phrase et changele sujet de la politique : il ne s’agit pas d’un « État » abstrait, mais d’une classe dirigeante poursuivant sa stratégie d’accumulation. La tâche consiste donc à reconstituer la politique de classe d’avant-guerre de chaque camp — son modèle de profit, ses dépendances extérieures, ses ambitions régionales et ses crises intérieures —, puis à interpréter le déclenchement de la guerre comme le passage d’instruments pacifiques à des instruments violents pour poursuivre ces mêmes objectifs. Les slogans officiels sur la défense, la civilisation ou la démocratie sont des preuves, pas des explications.
2. Deux plans dans une seule guerre
D’un côté, des États capitalistes rivaux (ou des blocs) se battent pour redessiner les hiérarchies d’extraction et de contrôle : une guerre interimpérialiste pour le redécoupage. D’un autre côté, un peuple dominé se bat pour obtenir ou préserver sa souveraineté : une guerre de libération nationale. Le test de Lénine consiste à identifier la relation qui existe entre les différents acteurs, puis à refuser de réduire les deux plans à un « conflit entre États » neutre. Soutenir le droit d’une nation opprimée à résister ne nécessite pas d’approuver politiquement ses dirigeants bourgeois, et reconnaître une lutte interimpérialiste n’efface pas l’action ou les droits des dominés.
3. Juger chaque belligérant en fonction des résultats pour la classe, et non de la loyauté à un camp
Les socialistes ne choisissent pas leur camp comme le font les chancelleries. Ils se posent la question suivante pour chaque belligérant séparément : quelle est la position de sa classe dirigeante dans le système mondial ? Que signifierait sa victoire ou sa défaite pour la capacité des travailleurs et des opprimés — au niveau local, régional, international — à s’organiser, à obtenir des droits, à rompre leurs dépendances, etc. ? Une victoire prédatrice qui consolide le chauvinisme et la répression doit être combattue ; une défaite qui ouvre la voie à des luttes démocratiques et syndicales peut être saluée, même si elle ne profite à aucun gouvernement que vous appréciez. À l’inverse, une victoire « amicale » qui enferme un pays dans une nouvelle dépendance ou une servitude pour dettes n’est pas un gain socialiste. Le critère est l’autonomisation stratégique de la classe ouvrière, et non le score diplomatique.
4. Combattre l’opportunisme au sein du mouvement ouvrier dans le cadre de la lutte contre la guerre
L’anti-impérialisme n’est pas réel s’il se limite à critiquer la propagande de l’ennemi. Le dernier test de Lénine est tourné vers l’intérieur : rompre avec le social-chauvinisme (soutenir la guerre de « notre » bourgeoisie sous des prétextes progressistes) et avec les échappatoires centristes (condamner la guerre en paroles tout en suivant la politique de la classe dirigeante dans la pratique). Appliquez la même discipline partout : dans les États agresseurs, opposez-vous aux annexions et au chauvinisme ; dans les États envahis, défendez le droit de résister tout en résistant aux attaques en temps de guerre contre les droits des travailleurs et des minorités ; dans les États centraux, rejetez à la fois le libéralisme croisé et les apologies des impérialismes rivaux, et combattez la militarisation et l’austérité imposées chez vous. Il n’y a pas de politique anti-guerre durable sans lutte interne sur la ligne du mouvement lui-même.
Pris ensemble, ces quatre critères forment une méthode, et non un mantra. Ils imposent une analyse des politiques de classe antérieures, insistent sur la nécessité de garder deux plans à l’esprit, remplacent le campisme par un jugement fondé sur les résultats et associent le travail anti-guerre à la lutte contre l’opportunisme. C’est pourquoi ils restent utilisables pour évaluer tout « plan de paix » proposé aujourd’hui par les grandes puissances.
La paix de Trump à travers le prisme de Lénine
Le troisième critère de Lénine – juger chaque belligérant en fonction des résultats obtenus par les classes – affine le programme. En examinant l’actuelle « initiative de paix », Lénine remarquerait immédiatement que les principaux bénéficiaires sont les impérialistes américains et russes, qui se partagent les richesses naturelles et le territoire de l’Ukraine au détriment de la population. Il interpréterait également l’appel à la « coopération » entre les États-Unis et la Russie dans les domaines de l’énergie et des mines comme la signature d’un impérialisme subordonné du côté russe, un retour au modèle d’avant 2014 dans lequel les grandes entreprises occidentales étaient invitées à participer à l’exploitation des hydrocarbures et des matières premières à des conditions privilégiées (partenariats Rosneft-Exxon, participation de BP dans Rosneft, consortiums de Sakhaline).
Dans le même temps, il verrait également clair dans l’impérialisme européen : prolonger la guerre sans plan de victoire clair et crédible ne fait que saigner les travailleurs ukrainiens, tandis que les élites ukrainiennes se positionnent pour profiter des flux d’aide, des contrats et des rentes du secteur énergétique, comme le suggère l’enquête très médiatisée sur les pots-de-vin de l’« opération Midas » d’Energoatom .
Il n’attribuerait pas la crise de mobilisation de l’Ukraine à un prétendu manque d’identité nationale, et encore moins à la fiction selon laquelle les Ukrainiens seraient une « nation artificielle », comme l’affirme Poutine ; il mettrait plutôt en avant la méfiance de classe, c’est-à-dire la crainte raisonnable des travailleurs de voir leurs sacrifices appropriés par le capital ukrainien. Pressé de classer les impérialismes en jeu, il refuserait de se prêter au jeu.
Pour reprendre la célèbre boutade de Joseph Staline lors du XIVe Congrès du Parti en 1925 sur les déviations « à droite » et « à gauche », « les deux sont pires », dans ce triangle, les trois sont pires : les impérialismes américain et russe qui négocient les ressources et le territoire de l’Ukraine, et une stratégie européenne ancrée dans le « soutien à l’Ukraine aussi longtemps qu’il le faudra », avec un objectif final maximaliste (retrait complet, réparations, poursuites judiciaires) mais sans voie crédible pour y parvenir et financée par le sang ukrainien et une dépendance accrue vis-à-vis de l’UE.
Lénine interpréterait également la clause sur les avoirs gelés comme une rivalité interimpérialiste ouverte : environ 210 milliards d’euros de fonds publics russes sont immobilisés dans l’UE, mais le projet de loi divulgué prévoit de canaliser 100 milliards de dollars de ces avoirs vers des instruments de reconstruction dirigés par les États-Unis, ces derniers prenant une part des bénéfices et une autre tranche étant placée dans un instrument d’investissement conjoint entre les États-Unis et la Russie, supervisé par un « Conseil de paix » spécialement créé et présidé par Trump. Selon les termes de Lénine, c’est le cœur qui muscule le cœur : Bruxelles supporte le risque juridique de l’immobilisation tandis que Washington se positionne pour gérer et monétiser le pot.
Si l’on s’en tient strictement aux critères de Lénine, le projet d’« initiative de paix » fonctionne comme un accord interimpérialiste qui subordonne la souveraineté de l’Ukraine aux intérêts du centre. Une partition imposée par la Russie marquerait la défaite du droit à l’existence d’une nation opprimée ; pourtant, une « victoire » sous la direction actuelle de l’Ukraine, dans ces conditions, se traduirait probablement par une tutelle plus profonde de l’OTAN et une restructuration dictée par la dette. Un résultat tolérable, selon les termes de Lénine, serait un arrêt forcé des tueries qui ne reconnaîtrait ni les annexions ni les plébiscites d’occupation, et qui éviterait de transformer la dépendance de l’Ukraine en un règlement permanent. Tout autre résultat serait une paix qui sanctifie la défaite.
La question nationale ukrainienne, sans hagiographie
Une lecture léniniste commence par nommer la structure sans créer de mythe : vis-à-vis de la Russie, l’Ukraine est une nation opprimée dont le droit d’exister a été nié, en paroles et en actes, et dont le territoire a été saisi sous le prétexte de « l’unité historique ». Ce diagnostic ne nécessite pas de retoucher le passé ou de canoniser le présent. Il rétablit simplement l’asymétrie fondamentale que toute analyse sérieuse doit garder à l’esprit.
La couche soviétique complique cette asymétrie, mais ne l’efface pas. L’Ukraine était l’un des principaux centres du développement soviétique : elle a bénéficié d’énormes investissements industriels, est devenue le siège de secteurs de pointe (aérospatiale, armement, instituts de recherche), a favorisé une riche culture nationale et a même occupé un siège officiel aux Nations unies.
Sur le plan économique, le tableau est contrasté, précisément comme le détestent les idéologues : par sa contribution au produit national brut de l’ensemble de l’Union, l’Ukraine fonctionnait comme un donateur net (tout comme la Russie), tandis que dans les flux fiscaux étroits, elle était un modeste bénéficiaire net ; elle bénéficiait également d’investissements ciblés et d’une énergie bon marché. Sur le plan politique, cependant, le pouvoir décisionnel était centralisé à Moscou, la véritable souveraineté était hors de question et la langue ukrainienne était subordonnée dans l’administration supérieure et la communication à l’échelle de l’Union. Ces deux vérités coexistent : progrès matériel dans un cadre de subordination nationale.
Depuis 1991, la Russie fonctionne comme un empire semi-périphérique : dépendante du centre en matière de finance et de technologie, mais exerçant une domination régionale sur son « étranger proche ». Vis-à-vis de l’Ukraine, cela s’est traduit par un levier d’influence grâce à des liens énergétiques, monétaires et sécuritaires, des annexions territoriales périodiques et, aujourd’hui, une guerre totale encadrée par un déni ouvert de la nation ukrainienne. Le statut semi-périphérique n’atténue pas la relation ; vis-à-vis de l’Ukraine, la Russie est l’oppresseur.
Cela ne signifie pas pour autant que les relations internes en Ukraine soient harmonieuses. En Crimée et dans le Donbass, les griefs légitimes concernant les politiques de Kiev, les lois linguistiques et l’orientation post-Maïdan étaient antérieurs à 2014 et auraient dû être traités comme une question minoritaire/nationale au sein de l’Ukraine. Les règles relatives à la langue et à l’éducation ukrainiennes accordent aux langues officielles de l’UE une protection qui ne s’étend pas de manière équivalente au russe, et les interdictions culturelles en temps de guerre ont creusé ce fossé ; il en résulte un rétrécissement de facto de la sphère publique pour la langue et l’identité russes.
Mais les référendums organisés sous occupation et dans les pseudo-républiques par Moscou sont des instruments impériaux fondés sur ces griefs. Par un ironique revirement de l’histoire, les bolcheviks ont précisément fait valoir cet argument à propos de l’Ukraine à Brest-Litovsk en 1918 : l’« autodétermination » mise en scène sous les baïonnettes étrangères par des autorités fantômes n’est qu’une annexion déguisée. Reconnaître les injustices internes ne transforme pas l’Ukraine d’opprimée en oppresseur lorsqu’une puissance plus grande la démembre.
Aujourd’hui, la question nationale clarifie les enjeux plutôt que de dicter les tactiques. Vis-à-vis de la Russie, l’Ukraine reste le côté opprimé d’une relation asymétrique ; reconnaître les injustices internes et les griefs régionaux ne change rien à cette réalité, pas plus qu’il ne légitime les partitions orchestrées sous l’occupation. La conclusion analytique est simple : garder à l’esprit l’asymétrie et l’honnêteté de l’histoire ; traiter les annexions et les plébiscites mis en scène comme des instruments impériaux ; et examiner tout accord potentiel à l’aune de ce qu’il signifie pour l’égalité politique des citoyens et la durabilité d’un État commun.
Les implications pratiques de ce cadre ne se concrétisent qu’une fois les armes tues.
Après l’accord : l’anti-opportunisme en pratique
Un cessez-le-feu négocié ne mettra pas fin à la lutte des classes ; il changera simplement le terrain sur lequel elle se déroule. Le dernier test de Lénine fait des prochaines étapes des questions organisationnelles plutôt que rhétoriques.
Ukraine
D’un point de vue léniniste, les priorités à court terme souvent identifiées par les socialistes ukrainiens comprennent la reconstruction de syndicats indépendants et d’organisations sur le lieu de travail ; le démantèlement des mesures d’exception qui ont affaibli la négociation collective ; la conception d’une reconstruction favorisant les contrats ouverts, le contrôle public ou des travailleurs dans les secteurs stratégiques et la valeur ajoutée locale ; la résistance à la conditionnalité de la dette en faisant pression pour obtenir des subventions, des réductions de dette et des budgets sociaux protégés ; la fourniture d’un soutien juridique pour les droits du travail, les soldats démobilisés et les personnes déplacées à l’intérieur du pays ; et le soutien aux médias indépendants et à l’organisation interrégionale.
Cela impliquerait également de lutter contre le néonazisme et le nationalisme ethnique partout où ils se manifestent, de défendre les droits des minorités et les droits linguistiques comme condition préalable à l’unité de classe, et de dénoncer systématiquement le caractère néocolonial des accords conclus par les États-Unis sur les minerais ukrainiens (voir la critique socialiste ukrainienne de l’accord minéralier entre les États-Unis et l’Ukraine), tout en développant des liens concrets avec les travailleurs russes et les militants anti-guerre (déclarations syndicales communes, soutien aux prisonniers, fonds de sécurité, liens entre les secteurs) sur la base du simple principe que le chauvinisme de part et d’autre affaiblit les travailleurs des deux côtés.
Russie
D’un point de vue léniniste, briser le social-chauvinisme dans la pratique signifierait s’opposer aux annexions et au chauvinisme grand-russe, soutenir l’organisation anti-guerre et offrir un soutien juridique aux conscrits, aux réfractaires et aux prisonniers politiques. La solidarité prolétarienne implique ici de se défaire du réflexe « Big Brother » et de traiter les travailleurs ukrainiens comme des égaux ; les liens pratiques avec les syndicats ukrainiens peuvent être sectoriels et axés sur les problèmes plutôt que paternalistes, comme l’ont récemment soutenu les socialistes russes Alexey Sakhnin et Liza Smirnova.
Tout discours sur la démobilisation ou les « dividendes de la paix » est plus crédible s’il s’accompagne de la libération des prisonniers politiques, comme l’ont demandé dans leur lettre ouverte du 4 juillet 2025 onze dissidents russes emprisonnés (dont Kagarlitsky), de mesures visibles de retrait et de protection des minorités, tandis que la conversion de l’économie de guerre sous le contrôle des travailleurs pourrait orienter l’agenda d’après-guerre vers des acquis sociaux plutôt que vers la restauration impériale.
États centraux
Dans les États centraux, l’accent léniniste est mis sur la démilitarisation et la dérentierisation au niveau national, plutôt que sur un ensemble générique de « mesures progressistes ». Dans la pratique, cela pourrait signifier considérer les profits et les verrouillages de guerre comme le problème central et privilégier les mesures qui réorientent les capacités de l’armement vers des usages civils, maintiennent la transparence des marchés publics et privilégient les subventions plutôt que l’endettement. L’aide à l’Ukraine s’accompagnerait de clauses relatives au travail et à la passation de marchés ouverts plutôt que de privilèges pour les investisseurs, ainsi que de partage de technologies/options publiques qui réduisent la dépendance à long terme au lieu de verrouillages des fournisseurs.
Sur le plan intérieur, un accord de paix serait l’occasion de réduire les pouvoirs d’urgence et la surveillance, et d’associer toute dépense résiduelle en matière de sécurité à des dépenses sociales correspondantes afin que la logique des « emplois issus de la militarisation » ne se renforce pas discrètement. Il ne s’agit pas là d’un plan directeur, mais simplement d’une distinction entre le « soutien » qui alimente le complexe militaro-industriel et le soutien qui préserve l’espace démocratique, la force de travail et la marge de manœuvre budgétaire pour la majorité.
Discipline commune
Dans tous les contextes, certaines règles semblent fondamentales : pas de reconnaissance de jure des annexions ; pas de reconnaissance des référendums organisés sous occupation ; pas de clauses secrètes sur les bases, les minerais ou la dette ; pas d’amnésie commode sur les crimes de guerre. Dans la mesure du possible, traduisez les positions politiques en capacités organisationnelles (augmentation du nombre d’adhérents, réseaux sectoriels, liens syndicaux transfrontaliers) afin qu’après tout accord, les travailleurs soient plus à même d’agir indépendamment de toutes les classes dirigeantes impliquées, et non moins.
Conclusion : la complexité contre la propagande
Lire une paix à la Trump à travers la méthode de Lénine permet de résister à l’aplatissement exigé par la propagande. Elle permet de garder deux plans à l’esprit : un accord interimpérialiste sur la hiérarchie et l’accès, et une lutte de libération nationale contre un oppresseur régional. Elle remplace la loyauté envers un camp par un test de classe : quel résultat élargit la capacité des travailleurs et des opprimés à agir demain ? Et elle lie toute position anti-guerre à une lutte interne contre l’opportunisme, afin que le mouvement syndical ne soit pas entraîné dans le sillage d’un accord conclu par une classe dirigeante.
Le résultat n’est pas glamour, mais il est utilisable : s’opposer aux annexions et au blanchiment des plébiscites organisés sous occupation ; refuser une « paix » qui échange l’aide contre des ressources, des contrats et la servitude de la dette ; ne tolérer qu’une trêve forcée qui mette fin aux tueries sans sanctifier la carte ; et utiliser tout répit pour reconstruire une organisation indépendante, restaurer les droits du travail, protéger les minorités et bloquer de nouvelles dépendances. Si cette position ne tient pas sur une pancarte, c’est justement le but. Une analyse digne de son sujet devrait protéger la complexité contre le risque d’être sacrifiée au profit du scénario de quelqu’un d’autre.
Dans la Russie d’aujourd’hui, l’héritage de Lénine est officiellement gênant. Le discours dominant réhabilite la cohésion impériale et ridiculise la politique nationale de Lénine, la qualifiant de « bombe à retardement » pour l’État. Poutine a accusé à plusieurs reprises Lénine d’avoir « inventé » ou créé « artificiellement » l’Ukraine. Pourtant, l’opinion publique raconte une autre histoire. L’hostilité de l’élite à l’égard de la politique nationale de Lénine explique en partie son impopularité officielle, mais parmi le public, un sondage Levada de 2024 montre que 67 % des personnes interrogées ont une opinion positive de son rôle et que 45 % d’entre elles, un record, sont favorables au maintien de sa dépouille dans le mausolée, le soutien le plus élevé étant enregistré chez les 18-24 ans.
Le fossé entre la diabolisation par l’élite et la mémoire populaire n’est pas un programme, mais une ressource, un rappel que les éléments d’une politique anti-impérialiste fondée sur des principes existent toujours sous le discours officiel de l’État.
Traduction ML
