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Accord Argentine-États-Unis, la contrepartie du plan de sauvetage.

par Eduardo Lucita, du collectif EDI – Economistas de Izquierda, tiré de La Arena

L’Argentine s’oriente vers la formation d’une alliance stratégique avec les États-Unis, auxquels elle est inconditionnellement subordonnée, ce qui approfondira les asymétries existantes et conditionnera tout gouvernement qui succédera à l’actuel.

Près d’un siècle plus tard, sous la présidence de Milei, l’Argentine lie une fois de plus son destin à celui d’une puissance en déclin comme ce fut le cas au début des années 1930, lorsque le président Julio Argentino Roca signa le traité Roca-Runciman avec la Grande-Bretagne, puissance en déclin à cette époque. La même chose se produit aujourd’hui avec la déclaration conjointe sur le « commerce et les investissements réciproques » entre l’Argentine et les États-Unis, la puissance en déclin de cette époque, qui se retire dans son arrière-cour pour se protéger de la montée en puissance de la Chine.

Plus qu’un simple cadre général

La déclaration dont nous avons pris connaissance par le biais d’une déclaration unilatérale des États-Unis constitue un « cadre général » sans plus de détails (les accords seront annoncés par étapes). Toutefois, son texte permet de déduire qu’il s’agit d’une relation entre gouvernements, qui redéfinit le rôle de l’État, en cherchant à fournir des garanties aux investisseurs américains, en leur ouvrant nos marchés et en leur garantissant, dans le même temps, un libre accès au flux d’informations numériques.

En bref : l’Argentine accordera un traitement préférentiel à de nombreuses exportations américaines de produits industriels (notamment les produits pharmaceutiques, chimiques, technologiques, les machines et les automobiles), à l’importation de bovins vivants et à une large gamme de produits agricoles et zootechniques. Pour atteindre cet objectif, les barrières non tarifaires seront supprimées et nos normes seront alignées sur les critères et les réglementations techniques américains, y compris un nouveau régime de propriété intellectuelle. En échange, les États-Unis supprimeraient les droits de douane sur « certaines ressources non disponibles et certains produits non brevetés destinés à des applications pharmaceutiques ». Comme on le verra, cet accord n’est pas vraiment réciproque.

« Reprendre » l’Amérique latine

La déclaration commune constitue le dernier maillon (du moins jusqu’à présent) d’une chaîne de décisions qui comprennent le sauvetage sans précédent du Trésor américain (en intervenant directement sur notre marché des devises), le swap de 20 milliards de dollars (déjà activé), la possibilité d’un crédit contingent du même montant soutenu par un poolde banques (dirigé par JP Morgan) et la création d’un fonds auquel participeraient le Trésor américain et des organisations multilatérales, qui interviendrait en cas de risque de défaut de paiement de la dette argentine.

Cette série d’événements n’est pas seulement le résultat de la décision du président Trump de protéger son principal allié dans la région et de bloquer l’ascension de la Chine, mais aussi une partie de la stratégie américaine envers son « arrière-cour », qu’elle avait négligée pendant des décennies après les échecs de l’Alliance pour le progrès (1961) et de l’ALCA(1994) (en réalité, cet accord a été annoncé conjointement avec les trois autres pays de la région). Le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, l’a déclaré sans ambages : « Nous revendiquons l’Amérique latine par notre leadership économique ; il n’y aura pas de balles ». Bien sûr, il n’a rien dit sur le déploiement naval au large des côtes vénézuéliennes.

Un nouvel ordre commercial mondial

Sous la présidence de Trump, les États-Unis sont en train de redessiner le commerce mondial, abandonnant les règles de l’OMC et les accords négociés entre les pays au profit d’une approche d’ « imposition négociée ». Dans ce modèle, les droits de douane ne se contentent pas de modeler le commerce international en fonction des intérêts des États-Unis, mais servent également d’arme contre certaines mesures politiques (par exemple, comme sanction contre l’emprisonnement de Bolsonaro au Brésil). Tout peut être provisoire, circonstanciel et arbitraire, créant un état de chaos que Trump gère pour ensuite négocier.

Il s’agirait d’un nouvel ordre fondé sur le commerce et les investissements, dont l’orientation serait déterminée par la nécessité de réduire l’énorme déficit commercial et courant des États-Unis. L’enjeu est la nécessité d’augmenter les exportations et de canaliser les investissements vers des domaines considérés comme stratégiques par les États-Unis.

L’Argentine occuperait une position subordonnée dans ce nouvel ordre. Le sauvetage était nécessaire pour garantir la stabilité économique du gouvernement Milei, comme première étape essentielle vers l’ouverture de la possibilité d’une intégration partielle entre les économies des deux pays. C’est le principe fondamental de la déclaration commune. Les nouvelles technologies rendent cette intégration possible, car l’Argentine possède des ressources stratégiques (minéraux critiques, terres rares) dont les États-Unis ont besoin.

C’est là qu’interviennent les réformes du travail et de la fiscalité (demandées par le FMI et l’élite entrepreneuriale), visant à réduire les coûts et à alléger la charge fiscale sur les entreprises, ainsi que la modification de la loi sur les glaciers (demandée par les gouverneurs de plusieurs provinces) afin de redéfinir la zone « périglaciaire », permettant ainsi des investissements actuellement bloqués par des contraintes environnementales. Comme on le sait, en Argentine, les ressources en hydrocarbures et en minéraux relèvent de la compétence des provinces, mais la protection de l’environnement est régie par une loi nationale.

En résumé, cette déclaration commune constitue un cadre général, caractérisé par le secret des négociations, sans aucune consultation des secteurs concernés. Elle serait le prologue d’une alliance stratégique à consolider, qui tend à renforcer une relation dont l’asymétrie s’accentuera et qui favorisera la désindustrialisation du pays avec les conséquences sociales prévisibles. Il sera nécessaire d’examiner attentivement les détails pour déterminer si ces accords doivent ou non être soumis au Congrès national.

Comme pour la réforme du travail, il est nécessaire de demander la plus large mobilisation possible pour rejeter cet accord de soumission et de subordination à l’empire qui conditionnera tout gouvernement qui succédera à l’actuel.

Traduction via RC deep.