Mardi 18 novembre 2025 / DE : MUHAMMAD SHEHADA publié dans PTAG.

L’Agence Média Palestine propose une traduction de cette analyse de Muhammad Shehada, écrivain et analyste politique originaire de Gaza, chercheur invité au Conseil européen des relations étrangères, pour le magazine +972.
Tiré d’Agence médias Palestine.
Alors que Trump salue la « paix », Israël met en place un nouveau régime caractérisé par des frontières fortifiées, un pouvoir par procuration et un désespoir orchestré, avec l’expulsion comme objectif final.
Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, l’administration Trump salue le début d’un nouveau chapitre à Gaza. « Après tant d’années de guerre incessante et de danger permanent, aujourd’hui, le ciel est calme, les armes sont silencieuses, les sirènes se sont tues et le soleil se lève sur une Terre Sainte enfin en paix », a déclaré le président lors de son discours à la Knesset au début du mois. Mais les faits sur le terrain révèlent une réalité bien plus sombre et mettent en lumière le nouveau plan d’Israël visant à soumettre définitivement l’enclave.
Avec la « ligne jaune », Israël a divisé la bande de Gaza en deux : Gaza Ouest, qui couvre 42 % de l’enclave, où le Hamas reste au pouvoir et où plus de 2 millions de personnes sont entassées ; et Gaza Est, qui couvre 58 % du territoire, qui a été entièrement dépeuplée de civils et est contrôlée par l’armée israélienne et quatre gangs auxiliaires.
Dans le plan Trump, cette ligne était censée être un repère temporaire, la première étape du retrait progressif d’Israël de la bande de Gaza, une force internationale de stabilisation prenant le contrôle sur le terrain. Au lieu de cela, les forces israéliennes s’installent, renforçant la division par des travaux de terrassement, des fortifications et des barrières qui suggèrent une démarche de pérennisation.
L’ouest de Gaza commence à ressembler au sud du Liban, que l’armée israélienne continue de bombarder régulièrement depuis la signature d’un cessez-le-feu avec le Hezbollah en novembre dernier. Depuis le début de la trêve à Gaza, les frappes aériennes, les attaques de drones et les tirs de mitrailleuses israéliens continuent de s’abattre quotidiennement sur la population, généralement sous le prétexte non fondé de « déjouer une attaque imminente », de riposter à des agressions présumées contre des soldats israéliens ou de cibler des individus qui s’approchent de la ligne jaune. À ce jour, ces attaques ont tué plus de 200 Palestiniens, dont des dizaines d’enfants.
Israël continue de restreindre l’aide à l’ouest de Gaza, avec une moyenne d’environ 95 camions entrant par jour pendant les 20 premiers jours du cessez-le-feu, bien en dessous des 600 par jour stipulés dans l’accord entre Israël et le Hamas. La plupart des habitants ont perdu leur maison, mais Israël continue d’empêcher l’entrée de tentes, de caravanes, de logements préfabriqués et d’autres produits de première nécessité, alors que l’hiver approche.
L’est de Gaza, autrefois le grenier de l’enclave, est aujourd’hui un désert désolé. Des collègues et des amis qui vivent à proximité décrivent le bruit constant des explosions et des démolitions : les soldats israéliens et les entrepreneurs privés des colons continuent de raser systématiquement tous les bâtiments restants, à l’exception des petits camps destinés aux gangs vivant sous la protection de l’armée israélienne et approvisionnés en armes, en argent, en véhicules et autres produits de luxe.
Israël n’a pas l’intention de quitter l’est de Gaza de sitôt. L’armée a renforcé la ligne jaune avec des blocs de béton, engloutissant ainsi de vastes portions de l’ouest de Gaza, et le ministre de la Défense, Israel Katz, s’est ouvertement vanté d’avoir autorisé à tirer sur toute personne s’approchant de la barrière, même si ce n’est que pour tenter de rejoindre son domicile. Selon certaines informations, Israël prévoit également d’étendre la ligne jaune plus à l’ouest de Gaza, mais l’administration Trump semble retarder cette initiative pour l’instant.
Lors d’une conférence de presse la semaine dernière, l’envoyé spécial de Trump, Jared Kushner, a annoncé que la reconstruction ne concernerait que les zones actuellement sous le contrôle total de l’armée israélienne, tandis que le reste de Gaza resterait en ruines jusqu’à ce que le Hamas désarme complètement et mette fin à son règne.
Ces divisions de plus en plus marquées entre l’est et l’ouest de Gaza laissent présager ce que le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer, a appelé « la solution à deux États… au sein même de Gaza ». Israël autoriserait une reconstruction symbolique dans les zones de Rafah contrôlées par ses milices, tandis que le reste de l’est de Gaza deviendrait probablement une zone tampon rasée et un dépotoir pour Israël. Dans ce scénario, l’ouest de Gaza resterait dans un état perpétuel de guerre, de ruines et de privations.
Il ne s’agit pas d’une reconstruction d’après-guerre, mais plutôt d’un désespoir orchestré, imposé par des murs, la menace constante de la violence militaire et des réseaux de collaborateurs. Gaza est en train d’être refaite, non pas pour le bien de sa population, mais pour consolider le contrôle permanent d’Israël et faire avancer son objectif de longue date : chasser les Palestiniens de la bande de Gaza.
Le Hamas réaffirme son contrôle
De son côté, le Hamas tente de réaffirmer son contrôle dans l’ouest de Gaza afin de renverser l’effondrement social provoqué par Israël au cours de deux années de génocide. Dès l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, le Hamas a lancé une campagne de répression sécuritaire afin de poursuivre les criminels et de désarmer les clans et les milices soutenus par Israël.
Cette campagne a culminé avec l’exécution publique de huit collaborateurs présumés et de violents affrontements avec le clan Daghmoush, une démonstration de force calculée visant à intimider les groupes rivaux. La stratégie semble avoir porté ses fruits : plusieurs familles ont rapidement remis leurs armes au Hamas sans opposer de résistance.
Avec cette campagne, le Hamas vise également à faire savoir, tant au niveau national qu’international, qu’il n’a pas été vaincu malgré ses pertes importantes pendant la guerre, et qu’il ne peut être écarté des débats sur l’avenir de Gaza. Dans le même temps, le groupe tente de rétablir un semblant d’ordre civil et de se venger des membres de gangs et des criminels qui ont profité du chaos de la guerre pour piller et s’en prendre aux civils. Cela s’inscrit également dans le cadre d’un effort visant à retrouver sa légitimité après avoir perdu une grande partie de son soutien populaire à la suite des destructions massives subies par Gaza.
Pendant ce temps, le Premier ministre Benjamin Netanyahu s’est efforcé de persuader Trump d’autoriser Israël à reprendre le génocide, en exploitant des incidents isolés à Rafah pour justifier une nouvelle action militaire. Dans un cas, deux soldats israéliens auraient été tués après avoir roulé sur des munitions non explosées ; dans un autre, des soldats ont été attaqués par ce qui semblait être une petite cellule du Hamas qui n’était pas au courant du cessez-le-feu et n’avait aucun lien avec la chaîne de commandement du groupe.
Netanyahu a également instrumentalisé la répression sécuritaire du Hamas, la présentant comme une série de meurtres contre des civils, et a accusé le groupe de refuser de restituer les corps des otages ou de désarmer, tout cela dans le but de persuader Washington de donner son feu vert à une nouvelle offensive à Gaza sous prétexte de faire pression sur le Hamas.
Le président américain, encore euphorique après la vague exceptionnelle de couverture médiatique positive autour du cessez-le-feu à Gaza, a jusqu’à présent réussi à contenir Israël, mais on ne sait pas combien de temps cela durera. Le président du Comité des chefs d’état-major est le prochain à devoir surveiller Netanyahu, après les visites de Trump, du vice-président J.D. Vance et du secrétaire d’État Marco Rubio.
Pour l’instant, le président est déterminé à préserver le cessez-le-feu, même si ce n’est que de manière symbolique, afin d’éviter de donner l’impression d’avoir échoué ou d’avoir été berné par Netanyahu. Mais le Premier ministre israélien fait le pari qu’avec le temps, Trump sera distrait par le prochain événement majeur, se désintéressera de Gaza et lui laissera à nouveau les mains libres.
« La nouvelle Rafah »
Mais s’il ne peut pas revenir à une offensive à grande échelle, le plan de secours d’Israël consiste à persuader la Maison Blanche de limiter la reconstruction à la partie orientale de Gaza contrôlée par Israël, en commençant par Rafah, commodément située le long de la frontière avec l’Égypte, où plus de 150 000 Gazaouis ont déjà fui (la reconstruction dans le nord, dans des zones telles que Beit Lahiya, est notablement absente de ces plans). Selon les médias israéliens, la ville reconstruite – qui comprendrait « des écoles, des cliniques, des bâtiments publics et des infrastructures civiles » – serait entourée d’une vaste zone tampon, constituant en fait une « zone de mort ».
À terme, Israël pourrait autoriser, voire encourager, les Palestiniens à s’installer dans les zones reconstruites de Rafah, qui constitueraient une « zone de sécurité » à Gaza où les civils pourraient fuir le Hamas – une idée que les voix pro-israéliennes dans les médias américains tentent de vendre. Comme le Hamas ne peut être totalement éliminé de Gaza, comme l’a récemment admis Amit Segal, chroniqueur politique israélien et allié de Netanyahu, le seul « avenir » pour les Palestiniens de l’enclave se trouvera dans l’est démilitarisé sous contrôle israélien.
« Une nouvelle Rafah… ce serait la Gaza modérée », a déclaré Segal à Ezra Klein du New York Times. « Et l’autre Gaza serait ce qui se trouve dans les ruines de la ville de Gaza et les camps de réfugiés dans le centre de Gaza. »
Actuellement, les seuls habitants palestiniens de Rafah sont les membres de la milice de Yasser Abu Shabab, un groupe lié à Daech, armé, financé et protégé par Israël. Il semble très improbable que beaucoup de Palestiniens acceptent de vivre sous le joug d’un seigneur de guerre, trafiquant de drogue condamné et collaborateur qui, à la demande d’Israël, pille systématiquement les réserves alimentaires et impose la famine à Gaza. De plus, toute personne qui traverse la frontière vers la partie est de Gaza contrôlée par Israël risque d’être considérée comme un collaborateur, comme cela est arrivé à Moumen Al-Natour, un éminent militant anti-Hamas qui a fui la récente répression du Hamas pour se réfugier sur le territoire d’Abu Shabab et qui a ensuite été renié par sa famille.
Même si certains Gazaouis désespérés acceptent de déménager à Rafah, Israël ne les laissera certainement pas passer en masse de la partie occidentale à la partie orientale de Gaza, sous prétexte d’empêcher l’infiltration du Hamas parmi la foule. Le plan des « bulles de sécurité » – présenté pour la première fois par le ministre de la Défense de l’époque, Yoav Gallant, en juin 2024 – qui prévoyait la création de 24 camps fermés vers lesquels la population de Gaza serait progressivement transférée, fournit un modèle : l’armée israélienne inspecterait et contrôlerait chaque personne autorisée à passer à l’est de Gaza, ce qui entraînerait inévitablement un processus bureaucratique long et intrusif, basé sur l’intelligence artificielle, qui exposerait les demandeurs au chantage des agences de sécurité israéliennes, qui pourraient exiger leur collaboration en échange de leur entrée.
Israël a clairement fait savoir que toute personne qui franchirait cette « zone stérile » à Rafah ne serait pas autorisée à revenir de l’autre côté de Gaza, transformant ainsi Rafah en un « camp de concentration », comme l’a déclaré l’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert. De nombreux Palestiniens éviteraient donc d’entrer dans l’est de Gaza, craignant que si Israël reprend le génocide avec la même intensité, ils soient poussés vers l’Égypte. En effet, alors même qu’elle élabore des plans pour permettre la reconstruction à Rafah, l’armée israélienne continue de démolir et de faire sauter les maisons et les bâtiments qui restent dans cette zone.
En fin de compte, la « nouvelle Rafah » d’Israël servirait de village Potemkine, une façade extérieure destinée à faire croire au monde que la situation est meilleure qu’elle ne l’est en réalité, n’offrant qu’un abri de base et une sécurité légèrement supérieure aux Palestiniens qui s’y réfugient. Et sans reconstruction complète ni perspective politique, ce plan semble ressembler à ce que le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, avait promis en mai : « Les citoyens de Gaza seront concentrés dans le sud. Ils seront totalement désespérés, comprenant qu’il n’y a aucun espoir et rien à attendre à Gaza, et chercheront à se réinstaller pour commencer une nouvelle vie ailleurs. »
Le désarmement comme piège
Que la reconstruction se poursuive ou non dans l’est de Gaza, Israël la présentera de plus en plus comme une zone « sans terrorisme » et « déradicalisée » et continuera à bombarder l’autre côté sous prétexte de désarmer et de renverser le Hamas.
Le groupe islamiste a déjà accepté de remettre Gaza à un comité technocratique administratif et d’autoriser le déploiement dans l’enclave d’une nouvelle force de sécurité palestinienne formée par l’Égypte et la Jordanie, ainsi que d’une mission de protection internationale. Netanyahu a toutefois catégoriquement rejeté l’entrée de 5 500 policiers palestiniens à Gaza, refusé d’autoriser les forces de stabilisation turques ou qataries à entrer dans la bande de Gaza et fait obstruction à la création du comité administratif.
De même, le désarmement est un domaine ambigu qui fournit à Israël un prétexte quasi illimité pour empêcher la reconstruction dans l’ouest de Gaza et maintenir son contrôle militaire. Le Hamas a indiqué qu’il accepterait de démanteler ses armes offensives (telles que les roquettes) et a déjà accepté de renoncer au reste de son armement défensif léger (y compris les armes à feu et les missiles antichars) dans le cadre d’un accord de paix, plutôt que comme condition préalable.
Le Hamas est également ouvert à un processus similaire à celui mis en place en Irlande du Nord, dans le cadre duquel il enfermerait ses armes défensives dans des entrepôts et s’engagerait à cesser complètement les hostilités pendant une ou deux décennies, ou jusqu’à la fin de l’occupation illégale par Israël. Dans ce cas, les armes légères restantes serviraient en quelque sorte d’assurance pour garantir qu’Israël ne reniera pas ses promesses de se retirer de Gaza et de mettre fin au génocide.
Les gouvernements britannique et égyptien, ainsi que l’Arabie saoudite et d’autres puissances régionales, font actuellement pression pour que soit adopté le modèle de désarmement de l’Irlande du Nord, signe qu’ils reconnaissent le caractère sensible et complexe de la question du désarmement.
L’insistance d’Israël sur un désarmement complet et immédiat est un piège délibérément irréalisable qui exige la capitulation totale des Palestiniens. Même si les dirigeants du Hamas à Doha étaient contraints d’accepter cette capitulation, bon nombre de leurs propres membres et d’autres groupes militants à Gaza ne manqueraient pas de désobéir. Cela ressemblerait à l’accord de désarmement conclu en Colombie, où de nombreux militants des FARC ont fait défection et créé de nouvelles milices ou rejoint des gangs.
Et tant que l’armée israélienne restera à Gaza, sans véritable perspective de mettre fin au siège et au régime d’apartheid imposés par Israël, certains acteurs seront toujours incités à prendre les armes. Israël pourra alors invoquer ces groupes dissidents ou ces militants isolés pour justifier la poursuite des bombardements et de l’occupation de Gaza.
Israël a passé plus de 740 jours, dépensé près de 100 milliards de dollars et perdu environ 470 soldats à réduire Gaza en poussière. Comme Netanyahu s’en est vanté en mai, Israël a « détruit de plus en plus de maisons [à Gaza, et les Palestiniens] n’ont nulle part où retourner », ajoutant : « Le seul résultat évident sera que les Gazaouis choisiront d’émigrer hors de la bande de Gaza. »
Même après avoir échoué à expulser massivement la population par une attaque militaire directe, les dirigeants israéliens poursuivent désormais le même objectif par l’épuisement et le désespoir orchestré, utilisant les décombres, le siège et les bombardements périodiques comme instruments de redessinage démographique. La perspective d’un nettoyage ethnique n’a pas disparu avec le cessez-le-feu ; elle s’est simplement transformée en une nouvelle politique, déguisée et normalisée par une planification bureaucratique.
Traduction : JB pour l’Agence Média palestine
Source : +972 Magazine
