Par Robert Duguet
20 août 2025

François Bayrou, en juin 2025 et Pierre Mendès France en 1969.
Présentation :
Bayrou a eu l’outrecuidance de se comparer à Pierre Mendès France : un article très fouillé publié récemment par le journal Médiapart le 27 aout 2025 et signé Romaric Godin remet les pendules à l’heure. Entre ces deux hommes politiques de la bourgeoisie il y a des différences pour le moins importantes. Mendès a marqué son opposition jusqu’à la fin de sa vie aux institutions du « coup d’Etat permanent » de la Vème République et sur la question laïque était dans l’héritage de Jean Zay, ministre de l’Education Nationale du gouvernement de Front Populaire, exécuté par la milice le 20 juin 1944. Néanmoins il reste un point sur lequel il faut intervenir à la veille de la liquidation de Bayrou, c’est le dossier chargé qui le poursuit de puis longtemps, celui de la laïcité et de la tentative en 1993 de compléter la loi Falloux. Qui a écrit dessus ? A ma connaissance je n’ai rien lu sur ce point.
Rappelons le 16 janvier 1994.
1850 : en pleine restauration bonapartiste et quelques mois après les journées de juin 1848, l’Eglise catholique réclame au travers de la loi Falloux son tribut pour son soutien efficace au prince Louis Napoléon Bonaparte. 1993 : neuf mois après une défaite électorale de la gauche, qui n’est explicable que par la soumission de la gauche aux réformes exigées par la vague néo-libérale, la démocratie chrétienne de droite et les réseaux UNAPEL de l’enseignement privé catholique, réclament eux aussi du nouveau gouvernement de cohabitation Mitterand-Balladur leur salaire de mars. Bayrou tente avec la loi Bourg-Broc, à travers un texte de loi proposé à l’Assemblée Nationale par deux députés démocrates-chrétiens, de répondre aux exigences de la hiérarchie catholique. Quel était le contenu de cette loi : la loi Falloux s’inscrivait dans le cadre de la montée au pouvoir du prince Louis Napoléon Bonaparte, à savoir de la religion comme « gendarmerie des consciences », pour reprendre une formule de Karl Marx, en ceci qu’elle plaçait les instituteurs publics sous la botte des conseils paroissiaux. Toutefois sur l’aide à la construction d’écoles confessionnelles catholiques nouvelles, celle-ci était limitée à 10% des couts. 144 ans après la honteuse loi antilaïque du vicomte de Falloux, Bayrou cherchait à aller au-delà des 10%.
Mitterand avait ouvert la crise en refusant de signer : non que tout à coup il fut devenu laïque, il ne l’a jamais été, mais il ne souhaitait pas en matière d’aide à l’enseignement confessionnel aller au-delà de la logique de la loi Debré. Un appel d’une centaine d’organisations appelle à monter à Paris le 16 janvier 1994, réalisant la plus gigantesque manifestation de rue sans doute depuis la grève générale de 1968. Le centre de la capitale était littéralement bloqué. Un million de participants sous un froid glacial et des cafés bondés pour boire des boissons chaudes avant de reprendre le cours de sa manifestation. Charles Pasqua avait même proposé de proposer les Champs Elysées pour que le flot des manifestants pisse s’écouler normalement, mais les organisateurs ont reculé sans doute par crainte de ne plus maitriser la manifestation à deux pas de l’Elysée.
La réponse de 1994 à la majorité fragile de Balladur fut à la hauteur de la protestation républicaine de Victor Hugo de 1850 : le député réclamait au nom des droits du citoyen l’égalité devant le savoir et élevait une protestation, tirant toute sa force oratoire du poing des insurgés de 1848, contre ceux qui voulaient faire « des ratures dans le cerveau de l’Humanité ». Un peuple renouait avec son génie, celui de la Révolution Française.
Néanmoins cette manifestation n’a pas trouvé de réponses dans la représentation politique classique de la gauche parlementaire. Ce qui avait fait l’unité du CNAL (Comité National d’Action Laïque), l’exigence de l’abrogation des lois antilaïques Debré-Guermeur, a été cassé par un gouvernement socialiste et communiste à travers la loi Savary en 1984. Toutes les majorités depuis 1981 ont appliqué en matière de laïcité de l’Etat et de l’école le principe bonapartiste de réconciliation du trône et de l’autel, et donc l’aide public à l’enseignement catholique.
Sous la Vème République c’est toujours le même scénario : un texte de loi soulève une tempête sociale, nous descendons dans la rue. Les gouvernements atermoient, reculent, et depuis quelques temps ne reculent plus. La réforme honnie par la majorité finit par s’appliquer. Bayrou prend une vraie, savoureuse et succulente branlée en 1994. Le sénateur du PCF Ouzoulias a fait récemment un travail sur les établissements religieux qui reçoivent aujourd’hui des subventions de certaines collectivités régionales, départementales ou locales au-delà du cadre de la loi Debré : c’est édifiant. Par exemple Madame Valérie Pécresse, conseillère régionale, a fait allouer des fonds à des établissements catholiques en Ile de France, dont le célèbre collège et lycée Stanislas, au-delà de ce que la loi Debré autorise.
Nous sommes à l’heure où le gouvernement impérial de Poutine fait bénir les canons, les avions, les drones par le patriarche orthodoxe Tikhon et ses adjoints, lui-même étant aussi officier du FSB. A l’heure où celui de Trump s’appuie sur le fondamentalisme religieux américain. L’insurrection contre le Capitole du 6 janvier 2021 a été soutenu par ce courant politico-religieux puissant. En juillet 2024, Trump s’adresse aux fondamentalistes chrétiens pour solliciter leurs votes et déclare : « Dans quatre ans, vous n’aurez plus à voter. Nous aurons tellement bien travaillé que vous n’aurez pas à voter, mes beaux chrétiens ». A l’heure où en qualité de chef d’Etat, Macron s’est rendu à la Conférence des évêques de France, au collège des Bernardins à Paris, le lundi 9 avril 2018 pour déclarer :« Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il vous importe à vous comme à moi de le réparer. »
Malgré tout nous allons cette année en décembre fêter le 120ème anniversaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Mais le 10 septembre en appelant au blocage du pays, nous allons rendre Bayrou « à la solitude de la prière, à l’instar de ses prédécesseurs, les apôtres ! » (1)
Note :
(1)Karl Marx tiré du texte sur la politique de la Commune quant aux relations entre l’Etat et la religion.