International

Kiyv. Solidarité syndicale.

Rencontre avec deux syndicats de cheminot.es ukrainiens.

Le Réseau syndical international de solidarité et de luttes

Le document de la fédération des syndicats SUD-Rail [Solidaires], avec les photos

Les 21 et 22 juin, le Réseau syndical international de solidarité et de luttes organisait une rencontre, à Kyiv, avec des représentantes et représentants de plusieurs syndicats indépendants d’Ukraine :

– SOYEZ COMME NOUS SOMMES, syndicat d’infirmières d’Ukraine.

ACTION DIRECTE, syndicat d’étudiants et étudiants en Ukraine.

– L’union régionale KVPU de Kryvyi Rih.

Le Syndicat indépendant des cheminots de la région de Kryvyi Rih, affilié à la KVPU.

– Le Syndicat indépendant des cheminots de Kyiv, affilié à la KVPU.

Outre l’Union syndicale SOLIDAIRES, était aussi présente INITIATIVE DES TRAVAILLEURS, organisation syndicale interprofessionnelle nationale de Pologne..

Ce fut l’occasion, notamment, de recueillir les témoignages des animateurs des deux syndicats du secteur ferroviaire : Oleksandr Skiba, de Kyiv, et VyacheslaGrigorievich,de Kryvyi Rih. En voilà les enseignements, à travers quelques informations générales d’une part, une interview du camarade Kryvyi Rih d’autre part.

Le contexte

La guerre

Depuis l’invasion du territoire par l’armée russe et la guerre menée par celle-ci, 23 cheminots sont morts sur le lieu de travail ; environ 600 cheminots et cheminotes sont morts sur le front ou à la suite de bombardements de villes. L’agression armée russe, ce sont aussi les alertes qui empêchent de dormir la nuit, les alertes qui empêchent de sortir la journée,  ; même si cela finit par être « banalisé » (autant que cela se puisse !), ce n’est pas sans conséquence sur l’état global de la population. Les camarades notent que ces derniers temps, les attaques russes contre des infrastructures sont de plus en plus nombreuses.

Conditions de travail

Le temps de travail est passé à 60 heures par semaine. Ceci entraîne des conséquences sur les conditions de travail, les accidents du travail, la santé des cheminots et cheminotes. D’autant que les infrastructures et le matériel sont anciens ; là aussi, la situation de guerre pèse : les modernisations prévues ne sont plus la priorité. A titre d’exemple, la plupart des locomotives datent des années 1950 et présentent des risques en matière de sécurité, pour les cheminot⸳es, les usager⸳es, la population.

Cynisme patronal

La population est soumise à des obligations de sécurité durant les alertes ; pour une partie des cheminot⸳es, dont l’activité est directement lié à la sécurité des circulations et des usager⸳es, il n’est pas possible, par exemple, de quitter le poste de travail pour se rendre aux abris. Des cheminot⸳es ont ainsi été tué⸳es, sur le lieu de travail (conduite ou accompagnement de train, poste d’aiguillage, etc.) par les bombardements de l’armée russe ; la direction refuse de payer les indemnités liés au décès, renvoyant la responsabilité sur les travailleurs et travailleuses décédé⸳es ! Par ailleurs, durant les alertes, les cheminot⸳es ne sont pas payés… Ce problème n’est pas propre au secteur ferroviaire. Yuriy Samoilov, du Syndicat indépendant des mineurs d’Ukraine (KVPU), lors de la série de réunions organisées par le Réseau syndical international de solidarité et de luttes, nous avait raconté les luttes menées par les mineurs de Kryvyi Rih contre ces pratiques scandaleuses.

Luttes syndicales

Lors de la rencontre des 21 et 22 juin, Fedorenko Vyacheslav Grigorievich, du syndicat indépendant des cheminots de Kryvyi Rih (affilié à la KVPU), a insisté sur la défense juridique des travailleurs et des travailleuses dans le contexte actuel. L’agression militaire russe et la guerre sur le territoire ukrainien depuis plus de trois ans ont des conséquences directes sur ce plan-là aussi : de par le rôle stratégique du chemin de fer, « seulement » 10% des cheminot⸳es sur le front, les patrons menacent de licenciement ceux qui luttent pour leurs droits, sachant que « licenciement » signifie « envoi au front » ; par ailleurs, les droits de grève et de manifestation sont suspendus … ce qui n’empêche pas qu’il y ait des luttes syndicales nombreuses, y compris sous cette forme[1].

Le soutien, sous toutes les formes possibles, aux travailleurs et travailleuses qui sont sur le front est une priorité des syndicats : « c’est grâce à eux si nous pouvons encore organiser des réunions comme celle-ci ; et c’est valable pour plein d’autres choses » a rappelé un des syndicalistes présents à Kyiv.

Dans la période, la défense juridique est une activité essentielle du syndicat. Notre camarade de Kryvyi Rih insiste sur un point : « c’est le syndicat qui assure ce soutien juridique, pas des cabinets extérieurs aux travailleurs et travailleuses ». Le patronat, lui, dispose de très nombreux avocats et aussi d’appui « au plus haut niveau » qui lui permettent, en multipliant les recours, de faire casser par des instances nationales des décisions prises par des juges locaux.

Les femmes dans les chemins de fer

Comme dans toute l’Ukraine en guerre, la place des femmes est importante. Selon nos camarades de Kyiv et de Kryvyi Rih, il y a actuellement environ 50% de femmes dans les chemins de fer, avec des inégalités de représentativité selon les fonctions.

Le soutien international

Aussi modeste ou insuffisant soit-il, il est … vital. Nos camarades expliquent que ce qui est ainsi fourni évite des morts : médicaments, gilets pare-balles, jumelles, etc., ce type de matériel est transmis aux syndicalistes qui sont sur le front et renforce le soutien syndical aux travailleurs et travailleuses engagé⸳es en première ligne ; « grâce au syndicat, au front, ceux et celles qui sont syndiqué⸳es sont un peu mieux loti⸳es et aussi mieux protégé⸳es ! » Les réponses aux demandes ponctuelles, comme les jumelles récemment financées par la fédération des syndicats SUD-Rail, entrent dans ce cadre aussi, comme l’ont rappelé Vyacheslav et Oleksandr.

Les trois convois organisés par le Réseau syndical international de solidarité et de luttes en 2022 et 2023 ont été des actions directes de solidarité, à destination de plusieurs structures syndicales indépendantes ; les collectes organisées par l’intersyndicale française, remises à la FPU et à la KVPU, ont également contribué à une concrète solidarité internationale. La solidarité syndicale internationale pèse aussi dans le rapport de force avec les patrons.

Interview de Vyacheslav Grigorievich

Peux-tu te présenter à nos lecteurs et lectrices ?

Je m’appelle Fedorenko Vyacheslav Grigorievich, je travaille depuis l’âge de 17 ans dans les chemins de fer. J’ai commencé comme ouvrier de maintenance du matériel roulant, puis j’ai été assistant conducteur de locomotive électrique, avant de devenir conducteur de locomotive électrique à l’âge de 22 ans. J’ai deux diplômes universitaires, l’un en technique et l’autre en droit. J’occupe actuellement le poste électif de président de la section syndicale primaire du syndicat libre des cheminots d’Ukraine du dépôt de locomotives de Kryvyi Rih et je suis vice-président du syndicat libre des cheminots d’Ukraine de la ligne ferroviaire du Dniepr. Je m’occupe de la défense des droits du travail et des membres du syndicat devant les tribunaux.

Quand, comment et pourquoi avez-vous fondé votre syndicat ?

L’organisation syndicale que je dirige a été fondée en 2018. Les raisons qui ont motivé la création de cette organisation syndicale de base sont les suivantes :

1) L’inefficacité de l’organisation syndicale déjà existante dans l’entreprise, qui adoptait une position pro-direction.

2) La restriction des droits et des garanties des cheminot⸳es, en particulier les modifications apportées en 2017 à la législation, en conséquence desquelles les cheminot⸳es ont perdu le droit de prendre leur retraite à 55 ans.

3) La volonté de créer une organisation syndicale efficace, adaptée aux réalités actuelles.

Quelles sont les luttes sociales les plus importantes que vous avez organisées ?

En 2018, il y a eu l’organisation d’une « grève » dans la région de Kryvyi Rih – les travailleurs et travailleuses ont parfaitement respecté leurs instructions de service, que l’employeur lui-même avait imposées. En conséquence, 44 grandes entreprises ont été paralysées ; les chemins de fer sont les artères de l’économie.

Quelle est la situation et quels sont les problèmes que connaissent les cheminot⸳es ?

Parmi les problèmes généraux les plus courants, figurent la non-conformité du lieu de travail aux exigences de la législation sur la sécurité et la santé au travail, les mauvaises conditions de travail, les violations de la législation sur la rémunération et les bas salaires.

Quelles sont les revendications de votre syndicat ?

L’amélioration de la situation des travailleurs et travailleuses, et le respect par l’employeur des exigences législatives en matière de rémunération et de sécurité et santé au travail.

Dans un pays en guerre et avec la loi martiale comment défendre les travailleurs et travailleuses ?

Aujourd’hui, la seule protection accessible aux travailleurs et travailleuses est la protection judiciaire, car en temps de guerre, les grèves et les manifestations sont interdites.

De nombreux cheminots sont mobilisés dans les forces armées ukrainiennes dont des membres du syndicat. Quelles relations avez-vous avec eux ? Que fait le syndicat pour les aider ?

Afin de préserver la vie et la santé des cheminots mobilisés, notre syndicat communique avec d’autres syndicats et des organisations étrangers afin d’acheminer l’aide humanitaire de manière ciblée. Le syndicat défend également les droits socio-économiques des travailleurs mobilisés devant les tribunaux.

On parle beaucoup de la reconstruction de l’Ukraine après la guerre. Comment vois-tu celle-ci et quel rôle doit avoir ton syndicat dans la reconstruction, dans l’Ukraine de demain ?

Dans le cadre de la reconstruction future du pays, je vois le syndicat continuer à défendre les droits sociaux et économiques des travailleurs e travailleuses. Avec le développement et l’expansion du syndicat, je pense qu’il sera nécessaire de représenter les intérêts des travailleurs et travailleuses au sein du pouvoir législatif, car les lois doivent être adoptées dans le but d’améliorer la situation des travailleurs et travailleuses.

[1] Voir les nombreuses informations publiées sur le site du Réseau syndical international de solidarité et de luttes.