Idées et Sociétés, Politique et Social

Golem par lui-même.

Dernièrement encore, à propos d’un meeting anti-fasciste, sont revenues des accusations contre les camarades de Golem et du RAAR. L’instrumentalisation de la tragédie palestinienne permet de libérer la parole antisémite, parfois sous couvert d’un antisionisme à spectre flou. Le mieux est sans doute de donner la parole aux fondateurs de Golem. Cette interview a été publiée sur le site du PCF.

GOLEM est né lors de la marche contre lantisémitisme du 12 novembre 2023. Pourquoi ?

            GOLEM est  suite à l’initiative de militants juifs et juives qui ressentaient le besoin de manifester contre l’antisémitisme suite à l’explosion des actes antisémites en France depuis le 7 octobre et qui se sentaient abandonnés par leurs organisations et leur famille politique. Manifester contre l’antisémitisme était une nécessité vitale pour les Juifs afin d’enrayer la montée exponentielle de la haine antisémite et c’était également une nécessité vitale pour la gauche qui se doit de mener le combat contre l’antisémitisme et tous les racismes si elle ne veut pas perdre ses valeurs et sa boussole politique. Malheureusement, depuis plusieurs années, la gauche s’est désinvestit du combat contre l’antisémitisme. C’est donc la droite qui a organisé une manifestation  contre l’antisémitisme le 12 novembre à l’initiative de la présidente de l’assemblée nationale Yael Braun Pivet et du président du Sénat Gerard Larcher. Plus grave encore, Marine Le Pen a rapidement annoncé que le rassemblement national participerait à cette manifestation. Cette tentative de récupération a été immédiatement dénoncée par le président du CRIF, Yonathan Arfi, qui déclare ne pas souhaiter que « que des personnes qui sont héritières d’un parti fondé par des anciens collaborateurs soient présentes ». À l’inverse, Jean Luc Mélenchon a rapidement appelé à ne pas participer à cette manifestation contre l’antisémitisme et déclare même que ceux qui vont y participer sont des soutiens de la politique du gouvernement israélien et des massacres à Gaza. On constatait déjà la mise en concurrence, aussi bien par la droite que par la gauche, de la lutte contre l’antisémitisme avec la solidarité envers le peuple palestinien. 

Dans ce contexte, que pouvions nous faire en tant que militant juif de gauche ? Pour nous, il était impensable de ne pas manifester contre l’antisémitisme mais il était impossible de laisser l’extrême droite s’approprier la lutte contre l’antisémitisme et se présenter comme l’allié des Juifs. C’est pourquoi nous avons décidé d’aller à la manifestation du 12 novembre pour dégager le Rassemblement National en rappelant qu’il restait, de par son histoire mais également de par son idéologie et son programme politique actuel, un parti profondément antisémite. Nous voulions aussi réaffirmé qu’on ne pourrait jamais combattre l’antisémitisme avec des racistes et des xénophobes. L’action de GOLEM du 12 novembre était donc une action antifasciste dirigée contre le rassemblement national mais qui permettait également de pointer du doigt l’abandon de la gauche qui nous laissait seul face à l’extrême droite en refusant de nous soutenir dans le combat contre l’antisémitisme. Cette manifestation aurait dû être organisée par le camp antiraciste. L’acte fondateur de Golem porte ainsi en lui ce qui constitue la singularité et l’intérêt de notre collectif : 

  • l’affirmation de l’inconditionnalité de la lutte contre l’antisémitisme d’où qu’il vienne et peu importe le contexte.
  • le refus absolu de l’instrumentalisation de cette lutte par l’extrême droite.
  • l’interpellation de la gauche pour qu’elle retrouve le chemin du combat contre l’antisémitisme, de l’antiracisme et de l’antifascisme.
  • Lextrême-droite tente de récupérer le combat contre lantisémitisme. A quelle fin selon vous ?

            Rappelons déjà que toute l’extrême droite ne cherche pas à récupérer le combat contre l’antisémitisme. La majorité des groupuscules d’extrême droite  et de leurs militants continue de se revendiquer ouvertement antisémite comme l’action française ou le GUD qui se déclare même antisioniste et utilise un slogan qui s’est depuis populariser à gauche : « À Paris comme à Gaza, Intifada ». C’est principalement le Rassemblement National qui poursuit depuis les années 2000 une stratégie de « dédiabolisation » dont la pierre angulaire est justement la dissimulation de l’antisémitisme. Louis Alliot l’expliquait clairement dans un entretien avec l’historienne Valérie Igounet : « La dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme. En distribuant des tracts dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais, ce n’était pas l’immigration, ni l’islam…C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela…À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste ». 

            La tentative de récupération du combat contre l’antisémitisme par l’extrême droite répond à plusieurs objectifs : 

  1. Elle vise à faire oublier que le Front National a été fondé par des militants collaborationnistes et des anciens membres de la Waffen SS comme Pierre Bousquet ou Léon Gautier ou du moins d’expliquer que le RN a rompu avec cet héritage politique. 
  2. Elle sert également à camoufler les liens étroits entretenus par le Rassemblement National avec des groupuscules néo-nazis comme le GUD et avec des militants suprémacistes blancs ouvertement antisémites et négationnistes que l’on retrouve régulièrement parmi les assistants parlementaires des députés RN. 
  3. L’instrumentalisation de l’antisémitisme est aussi un moyen de légitimer l’agenda politique raciste et xénophobe du RN qui utilise les Juifs comme prétexte pour s’attaquer aux étrangers, aux Noirs et aux musulmans, pour distiller la haine de l’autre et affirmer leur refus de l’altérité. 
  4. Elle permet de masquer l’antisémitisme présent dans le programme politique du RN et dans la vision du monde complotiste et antisémite qu’il véhicule. En effet, le Rassemblement national considère l’identité blanche chrétienne comme une citadelle assiégée par des forces qui voudraient la dissoudre grâce au métissage, à l’immigration et au féminisme. Cette dissolution de l’identité blanche chrétienne serait organisée par un petit groupe d’individu ayant infiltré les gouvernements et les organisations internationales pour mettre en place « le Grand remplacement » de la race blanche par des immigrés noirs et arabes et pour promouvoir des lobby LBGTQ afin de détruire la la famille traditionnelle patriarcale. Au delà de la paranoïa identitaire raciste et xénophobe du RN, c’est cette idée qu’un petit groupe d’individus comploteraient dans l’ombre et organiseraient les mouvements de l’histoire en fonction de leurs intérêts qui est directement héritée du Protocole des Sages de Sion et est éminemment et antisémites. Pendant, la crise du Covid, on avait vu apparaître la question codée « Qui ? » pour désigner les Juifs comme les responsables de la pandémie. Ce procédé est habituel et derrière les coupables pointés du doigt par le RN, les mondialistes, les cosmopolites, se cachent toujours la figure du Juif. 
  5. Enfin les ambiguïtés de la gauche sur l’antisémitisme ouvrent un boulevard au RN pour se présenter comme un « bouclier » des Juifs et pour attaquer le mouvement social sur cette question. L’abandon de la lutte contre l’antisémitisme par la gauche a ainsi accéléré la « dédiabolisation » du RN et a permis la diabolisation de la gauche.
  • GOLEM critique linstrumentalisation par lextrême-droite de la lutte contre lantisémitisme. Mais vous pointez en même temps une dérive dans cette critique. Laquelle ?

            La critique de l’instrumentalisation de l’antisémitisme tend à remplacer la lutte contre l’antisémitisme au sein d’une partie de la gauche et l’a enfermée dans une forme de déni de l’expérience vécue par les Juifs. Elle est progressivement devenue un moyen de faire taire les Juifs victimes d’antisémitisme et les militants antiracistes luttant contre l’antisémitisme avec deux arguments récurrents. Dénoncer l’antisémitisme présent au sein des organisations du mouvement social permettrait à l’État et à l’extrême droite de les attaquer politiquement ou juridiquement et cela reviendrait donc à trahir ses camarades et diviser la lutte. Cet argument a été utilisé pendant des décennies pour empêcher les femmes de dénoncer le sexisme et les violences sexuelles au sein des organisations du mouvement social. On retrouve le même mécanisme avec la dénonciation de l’antisémitisme. GOLEM a été accusé d’être en collusion avec la préfecture de police ou avec le ministère de l’intérieur pour avoir dénoncé les propos et les actes antisémites de militants de gauche. On remarque dans cette accusation une dimension complotiste antisémite qui attribue à un collectif antiraciste juif un pouvoir considérable et une influence au sein des plus hautes sphères de l’État. 

            L’autre argument qui est opposé à la dénonciation de l’antisémitisme consiste à dire que ce n’est pas le moment opportun étant donné la souffrance du peuple palestinien. La dénonciation de l’antisémitisme est alors immédiatement assimilée à un soutien à la politique criminelle du gouvernement israélien. Cet argument est une nouvelle fois antisémite car il rend les Juifs collectivement responsables des crimes du gouvernement israélien et insinue que les agressions antisémites serait justifiées à ce titre. Par ailleurs, on remarque une incapacité au sein de la gauche française à penser la question de l’antisémitisme sans la relier immédiatement à celle du conflit israélo-palestinien et un refus d’analyser les spécificités et l’histoire de l’antisémitisme en France. Cette incapacité entraîne une mise en opposition entre la lutte contre l’antisémitisme et le soutien au peuple palestinien or ces deux luttes doivent s’articuler et la solidarité internationale n’est pas compatible avec l’antisémitisme. 

            Dans certains cas, on constate que la critique de l’instrumentalisation de l’antisémitisme peut entraîner des discours complotistes. Par exemple, lorsque Jean Luc Mélenchon considère que l’accusation d’antisémitisme est un « rayon paralysant » qui viserait uniquement à l’empêcher d’arriver au pouvoir, allant jusqu’à affirmer dans un entretien sur la chaîne YouTube de Dany et Raz que l’accusation d’antisémitisme est une stratégie planifiée par les services secrets américains contre les leader de la gauche dans le monde entier. 

            Plus grave encore, on a vu se multiplier depuis le 7 octobre des accusations « d’auto-sémitisme » selon lesquelles les personnes juives mettraient en scène leur agression, se victimiseraient pour pouvoir faire progresser leur agenda politique. Un vieil homme tabassé à la sortie d’une synagogue à Paris, la profanation du mur des justes du mémorial de la Shoah, la tentative d’attentat à la synagogue de la Grande-Motte, des croix gammées inscrites sur la porte d’une femme juive ont tous été décrit par certains comme des actes « d’auto-sémitismes » et même parfois comme un complot sioniste pour justifier les crimes de l’armée israélienne. Cette théorie complotiste rejoint celle expliquant que les massacres commis par le Hamas le 7 octobre ont été effectué par l’armée israélienne elle-même et que le 7 octobre serait également un acte d’autosémitisme pour justifier par la suite les massacres à Gaza. Ces accusations « d’auto-sémitisme » ne sont pas nouvelles et étaient déjà présentes dans les discours négationnistes de Roger Garaudy qui affirmait que la Shoah était une invention du peuple juif pour légitimer la création de l’État d’Israël. 

            Par conséquent, si la critique de l’instrumentalisation de l’antisémitisme est nécessaire, lorsqu’elle se suffit à elle même, elle devient une forme de déni de l’antisémitisme, une paresse intellectuelle, et une justification pratique à l’abandon de la lutte contre l’antisémitisme. 

            Si GOLEM critique l’instrumentalisation de l’antisémitisme, nous considérons également que la lutte contre l’antisémitisme est inconditionnelle. Elle doit être menée en dépit des instrumentalisations possibles par l’extrême droite dans sa stratégie de « dédiabolisation » ou par le gouvernement dans sa tentative de répression du mouvement social et du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien. Nous considérons que la meilleure stratégie pour lutter contre l’instrumentalisation de l’antisémitisme est de faire en sorte que la gauche réinvestisse la lutte contre l’antisémitisme. Nous refusons de passer sous silence les propos et les actes antisémites sous prétexte que cela pourrait nuire à la solidarité internationale dans le contexte de la Guerre à Gaza ou à la lutte antifasciste pendant les élections législatives de 2024. De la même manière, nous refusons de détourner le regard lorsque des actes et des propos antisémites sont commis par des membres de notre famille politique et par des « camarades ». Nous soutiendrons systématiquement toutes les personnes victimes de racisme ou d’antisémitisme sans nous préoccuper de savoir dans quel contexte ces actes ont été commis ou par qui ils ont été commis. Quand une personne est agressée parce que juive, les antiracistes se doivent de la soutenir. 

  • Utilisez vous le terme « sioniste », terme qui circule beaucoup à gauche aujourdhui et qui semble devenu des plus confus ? Que pensez vous de ce terme ? On dit quil existe aujourdhui dans certains secteurs de la gauche, dans certains secteurs de lantiracisme, une injonction à lantisionisme, adressée aux militantes et militants juifs. Pouvez vous nous en dire plus ?

            GOLEM ne se revendique pas sioniste. Il existe au sein de notre collectif une pluralité d’opinion sur cette question et ce n’est pas notre champ d’action. Nous sommes un collectif antiraciste contre l’antisémitisme. Nous refusons que la parole d’une personne juive soit conditionnée à son positionnement vis à vis de l’existence d’Israël (sioniste, antisioniste ou asioniste). Nous rappelons par ailleurs que l’on peut être sioniste tout en critiquant radicalement la société et les politiques Israéliennes. 

            Nous dénonçons l’usage antisémite du terme « sioniste » qui peut exister au sein de la gauche et du mouvement de solidarité avec la Palestine. Certains militants et organisations politiques utilisent de manière interchangeable les termes « Juif », « sioniste », « israélien », « colon » et « génocidaires » quand bien même ces termes recoupent des réalités politiques complètement différentes. Le terme « sioniste » devient ainsi un qualificatif infamant pour diaboliser des personnes juives et justifier leur agression physique ou verbale sans se soucier de leurs opinions politiques ou de leur positionnement sur le conflit israélo-palestinien. En effet, et on a pu le constater largement au sein des universités, toutes personnes juives est considérées comme sionistes et complices des crimes du gouvernement israélien tant qu’elle n’a pas fourni la preuve, non pas uniquement de son opposition aux massacres à Gaza ou à la colonisation, mais de son refus de l’existence d’Israël. Ainsi, lorsqu’une banderole est déployée devant la Sorbonne Nouvelle avec le slogan « Sionistes, hors de nos facs », il est évident pour les étudiants juifs que ce sont eux qu’on vise. 

            On constate que des personnalités politiques sont qualifiés de « sionistes » et se voit attribuer faussement des positions politiques similaires sur la Guerre à Gaza en dépit de leurs discours et de leurs positionnements réels. Ainsi, Jérome Guedj, Yael Braun Pivet, Meyer Habib, Raphael Glucksmann, Eric Zemmour sont considérés de manière indistincte comme des sionistes et des soutiens du « génocide » quand bien même ils ont des positions radicalement divergentes sur la politique du gouvernement israélien. Finalement ces personnalités politiques n’ont qu’un seul point commun, elles sont juives. On pourrait arguer qu’elles sont toutes en faveur de l’existence de l’État d’Israël mais force est de constater que personne n’accuse Jean Luc Mélenchon ou Mathilde Panot d’être sioniste. Pourtant, dans son programme, la France Insoumise se prononce pour une solution politique à deux États en conformité avec le droit international et elle donc défend le droit à l’existence de l’État d’Israël. Ainsi, le terme sioniste n’est pas utilisé pour désigner un positionnement politique mais bien pour désigner les « Juifs ». 

            Cette utilisation n’est pas nouvelle à gauche et remonte à l’antisémitisme d’État en URSS, au procès Slansky et au développement de la « sionologie ». Théorie complotiste du Département de propagande du Parti communiste de l’Union Soviétique et du KGB qui utilise le terme « sioniste » pour désigner les Juifs soviétiques accusés de mener un complot bourgeois en collusion avec les États-Unis contre l’URSS. Si on remonte plus loin, on retrouve une nouvelle fois des stéréotypes antisémites avec l’accusation de dissimulation et de double allégeance. Les Juifs seraient des traitres de l’intérieur qui derrière un positionnement politique de façade, auraient infiltré les organisations politiques et les gouvernements pour faire avancer un agenda politique secret et les intérêts cachés du peuple juif. Peu importe ce qu’ils peuvent dire, peu importe leurs discours et leurs actes, qu’ils soient de gauche ou de droite, puisqu’en dernière instance, ils sont fidèles à Israël, à Sion, ce sont des sionistes, des Juifs et leur identité juive devient la seule vérité de leur positionnement politique et de leur culpabilité. 

            Il est aujourd’hui nécessaire de rappeler que si le gouvernement israélien mène une politique d’extrême droite en Israël et au Proche-Orient, ce n’est pas parce qu’il est Juif ou sioniste mais parce qu’il est d’extrême-droite. Il est nécessaire de rappeler que ceux et celles qui soutiennent cette politique et ce gouvernement ne le font pas parce qu’ils sont Juifs ou sionistes mais parce qu’ils sont d’extrême-droite. Il est nécessaire de rappeler que les principaux opposants du gouvernent Netanhyaou sont des israéliens sionistes qui voient leur pays s’enfoncer dans l’abîme et manifestent chaque semaine, parfois à plus de 700 000, depuis des mois pour réclamer un cessez-le feu immédiat et la libération des otages sans conditions. Il est nécessaire de rappeler que les principaux soutiens de Netanhyaou ne se trouvent pas parmi les sionistes ou parmi les Juifs mais parmi les partis et les militants d’extrême-droite : chez les partisans de Marine Le Pen en France, de Javier Milel en Argentine, de Viktor Orban en Hongrie, de Bolsonaro au Brésil, de Trump aux États-Unis. 

  • Pensez vous quil existe un antisémitisme à gauche ? Comment le faire reculer ? – Comment pensez-vous larticulation entre la question de lantisémitisme en France et la question du conflit israélo-palestinien ? Ces sujets sont-ils totalement liées, indépendant, partiellement liés ?

            La gauche n’est pas immunisée contre les rapports de domination. L’exemple le plus frappant est évidemment le sexisme et on constate que des rapports de domination genrés et les violences sexuelles sont présents au sein des organisations de gauche quand bien même ces organisations sont parties prenantes du mouvement féministe et de la lutte contre le sexisme. De la même manière, on retrouve au sein de la gauche des discours et des actes antisémites et l’argument « je suis de gauche donc je ne peux pas être antisémite » n’a aucune valeur. Reconnaitre que les rapports de domination structurent nos imaginaires et nos rapports sociaux au delà de nos appartenances partisanes et de nos idéologies politiques serait déjà un premier pas pour faire reculer l’antisémitisme à gauche. Il faut sortir du déni et de la paresse intellectuelle qui consiste à dire que l’antisémitisme ne serait présent qu’au sein de l’extrême droite, serait un vestige « résiduel » du passé ou serait uniquement produit par la politique israélienne. 

            Maintenant, la question qui se pose est également de savoir si la gauche produit un discours antisémite et force est de constater que c’est aujourd’hui à nouveau le cas. En ce sens, nous avons régressé 150 ans en arrière, avant l’affaire Dreyfus. Rappelons que Jaurès était violemment anti-dreyfusard et tenait des propos antisémites avant de se ranger dans le camp dreyfusard à partir de 1898. Le rejet de l’antisémitisme devient alors un marqueur de la gauche après des années de perméabilité à une réthorique antisémite selon laquelle « l’action juive » ne serait qu’un « cas particulièrement aigu de l’action capitaliste », pour reprendre les termes de Jaurès lui-même en 1890. Les courants anarchistes étaient eux aussi perméable à l’antisémitisme, la preuve en est avec Proudhon qui écrivait dans ses Carnets que le juif est « l’ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie ou l’exterminer ». L’Affaire Dreyfus marque donc une rupture entre la gauche française et l’antisémitisme qui s’est maintenue tant bien que mal.

            Pour revenir à la gauche actuelle, nous avons désormais la France Insoumise, une des organisations les plus influentes de la gauche française, qui produit un discours antisémite. Ce discours antisémite est présent en particulier dans les propos de son leader Jean Luc Mélenchon qui réactualise l’accusation du peuple juif déicide en expliquant dans une interview sur BFMTV le 15 juillet 2020 que Jésus a été mis sur la croix par ses propres compatriotes. Il affirmait le 28 octobre 2021 sur BFMTV qu’Eric Zemmour n’était pas antisémite car « il reproduit beaucoup de scénarios culturels, on ne change rien à la tradition, on ne bouge pas, oh mon dieu la créolisation quelle horreur, des traditions qui sont beaucoup liées au judaïsme ». Notons au passage que pour Jean Luc Mélenchon, faire l’apologie de Pétain et expliqué qu’il a sauvé des Juifs, comme le fait Eric Zemmour, n’est pas antisémite. Mais le problème est plus profond car ce qu’il explique, c’est finalement que Zemmour appartient à l’extrême droite raciste parce qu’il est Juif et en conformité avec les valeurs de la tradition juive. Il écrit dans une note de blog que Jérome Guedj « s’agite autour du piquet où le retient la laisse de ses adhésions » ce qui l’aurait conduit à « renier les principes les plus constants de la gauche du judaïsme en France » et aurait « permis de voir s’épanouir des dérives communautaristes » allant jusqu’à « la proposition de former une milice communautaire en lien avec un ministère israélien ». On comprend en creux que c’est l’adhésion à la communauté juive qui est mise en cause, d’autant plus quand on sait que Jérome Guedj s’est toujours opposé à la politique du gouvernement de Netanyahu. Mélenchon sous entend que c’est parce que Jérome Guedj est Juif qu’il n’arriverait pas à choisir son camp et à rester fidèle à l’héritage politique de la gauche et est même prêt à former une milice au service d’Israël, une cinquième colonne. Il réactualise ainsi l’accusation de double allégeance des Juifs au coeur de l’antisémitisme moderne. 

            La dérive de Mélenchon ne semble pas avoir de limite. Pendant les universités d’été de la France Insoumise, il occulte le caractère raciale de la Shoah en affirmant qu’il s’agissait du « massacre d’une population désignée à cause de sa religion » niant ainsi que les nazis visaient les Juifs en raison de leur appartenance ethnique et non en raison de leur croyance religieuse. Des catholiques et des athées ont été exterminés parce que nés Juifs. Mélenchon relativise la Shoah et nie sa dimension raciste pour pouvoir s’engouffrer allègrement dans un jeu de concurrence victimaire et mémorielle en expliquant que les crimes du gouvernement israélien sont pire que ceux du régime nazi. Il ajoute en effet qu’Israël commettrait à Gaza un « génocide ethniciste », c’est à dire « à une population qui à un endroit doit être rayé de la carte ». Rappelons que le négationnisme n’a jamais été l’apanage de l’extrême droite mais a aussi été diffusé par des auteurs de gauche autour de la maison d’édition de la Vieille Taupe dans les années 1970 et 1980 puis avec Roger Garaudy, député communiste dans les années 1950 puis proche de l’écologie radicale. Ce dernier publie un livre en 1995 dans lequel il soutient la thèse négationniste d’un complot sioniste qui aurait inventé la Shoah pour justifier l’expansionnisme israélien. Aujourd’hui, certains militants de gauche n’hésitent pas à expliquer que les Juifs reproduisent ce que les nazis leur ont fait subir pendant la Shoah, multipliant les comparaisons historiques hasardeuses entre les camps de la mort et la bande de Gaza. Quelles sont les conséquences de ce parallélisme ? C’est d’une part la mise en place d’une concurrence mémorielle où la Shoah viendrait s’opposer la Nakba et où la négation de l’histoire et de la souffrance d’un peuple serait la condition de la reconnaissance de celui d’un autre. La mémoire de la Shoah est ainsi uniquement considérée comme un moyen de légitimer les crimes actuels du gouvernement israélien. On se rapproche dangereusement des thèses négationnistes de Garaudy. D’autre part la Shoah s’en retrouve légitimée à postériori. En effet, il n’est plus rare sur les campus d’entendre des étudiants expliqués que « Hitler aurait dû finir le boulot pour éviter le génocide des Palestiniens ». Vladimir Jankélévitch avait analysé ce phénomène dès 1971 : « Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort ». Les massacres à Gaza sont ainsi vus comme la preuve du danger ontologique incarné par les Juifs et contre lequel les antisémites ont toujours prétendu se défendre. 

            L’antisémitisme a en effet souvent revêtu le masque de la critique sociale et d’un discours de protection de l’humanité face à un danger qui la menace. Contrairement à d’autres formes de racisme qui expliquent que certains peuples seraient naturellement inférieurs et doivent être opprimés et exploités parce qu’inférieur et au nom d’une mission civilisatrice, l’antisémitisme repose sur l’idée que les Juifs sont une minorité privilégiée, qu’elle aurait un pouvoir démesuré à travers son contrôle des outils de pouvoir, des médias, des banques, des organisations internationales, des gouvernements. C’est cette accusation de domination juive, ce fantasme d’un pouvoir juif qui contrôlerait les peuples qui est à la source des différentes vagues d’antisémitisme. Les Juifs seraient responsables de tous les malheurs de l’humanité. Ils sont ainsi accusés d’être un peuple déicide responsable de la mort du Christ, d’empoisonner les puits, de tuer les enfants, de propager la peste, d’être responsables des famines. Par la suite, ils seront accusés d’être responsable du capitalisme, d’être responsable du communisme, de trahir la nation française avec l’Affaire Dreyfus ou au contraire d’être trop proches du pouvoir. Le tort change en fonction de la personne qui formule l’accusation mais ce qui importe c’est de rendre les Juifs responsables de tous les maux et dysfonctionnements de la société. Le Juif devient ainsi un bouc émissaire qui permet de trouver une réponse à tous les problèmes sociaux et politiques sans avoir à analyser leur cause matérielle. 

            Au XIXème siècle, les Juifs étaient considérés comme l’incarnation du capitalisme par la gauche d’où la critique du « socialisme des imbéciles » par Bébel. Aujourd’hui, on pourrait dire que l’antisémitisme à gauche prend la forme de « l’anticolonialisme des imbéciles » et consiste à rendre les Juifs collectivement responsables des crimes du gouvernement israélien et à légitimer ainsi, consciemment ou inconsciemment, les crimes antisémites envers les Juifs. Houria Bouteldja, figure majeure du mouvement antiraciste et du mouvement de solidarité avec la Palestine en France, explique ainsi que « derrière l’hostilité envers les Juifs, il y a la critique de la pyramide raciale, de l’État-nation et de l’impérialisme. Derrière chacune de nos régressions, il y a une dimension révolutionnaire ». S’attaquer aux Juifs comporterait une « dimension révolutionnaire » car les Juifs seraient l’incarnation de la blanchité, du colonialisme, du racisme et de l’impérialisme. L’antisémitisme est une régression, nous dit-elle, mais il faut bien comprendre que les Juifs en sont responsables et qu’ils l’ont finalement bien cherché. Par ailleurs, les principales victimes d’antisémitismes, ceux qui sont les plus à plaindre seraient…les antisémites eux mêmes qui se laissent aller à cette régression et cèdent à la barbarie. Qu’entendre d’autre lorsqu’elle expliquait « Mohamed Merah c’est moi ». Le député de la France Insoumise Aymeric Caron ne disait pas autre chose lorsqu’il expliquait en 2014 sur le plateau de « On n’est pas couché » que l’assassinat d’Ilan Halimi n’était pas un fait divers pertinent pour parler d’antisémitisme en raison de la souffrance provoquée par l’armée israélienne qui pousse des gens à agir en solidarité avec le peuple palestinien. Le député de la France Insoumise Thomas Portes est allé encore plus loin puisqu’il a littéralement diffusé une fake news selon laquelle un étudiant juif à Lyon serait un criminel de guerre ayant commis des atrocités à Gaza, forçant ce dernier à abandonner ses études et à être placé sous protection policière. « L’anticolonialisme des imbéciles » c’est la justification permanente de l’antisémitisme en France au nom des crimes de l’État d’Israël, c’est la justification des actes antisémites en raison du comportement supposé des Juifs de France, de leur culpabilité permanente, ontologique que les antisémites ressassent inlassablement depuis la mort du Christ.

            Houria Bouteldja et ses épigones de Parole d’Honneur, de l’UJFP et de Tsedek expliquent également que l’antisémitisme est une forme de vengeance des racisés contre les Juifs qui seraient devenus les « enfants chéris de la république ». L’antisémitisme serait ainsi le produit de ce qu’ils appellent le « philosémitisme d’État », c’est à dire des faveurs qu’auraient accordé l’État français aux Juifs et qui auraient pour manifestation la centralité de la Shoah dans les politiques mémorielles et le soutien à Israël de l’État français. Rappelons que la mémoire de la Shoah a longtemps été occulté et que ce sont les rescapés des camps eux mêmes qui se sont emparés de ce sujet pour le faire émerger,  de leur propre initiative, sa prise en compte ne s’est pas faite naturellement. C’est un acquis social et politique qui renforce l’ensemble du camp antiraciste et sur lesquels on peut s’appuyer pour renforcer la mémoire de l’esclavage et de la colonisation plutôt que de les mettre en opposition. La reconnaissance de la mémoire de la Shoah n’a jamais empêché la reconnaissance d’autres crimes contre l’humanité et les mettre en opposition relève une nouvelle fois d’une logique de mise en concurrence des racisés, des souffrances et des mémoires. Quant à identifier le soutien à Israël du gouvernement français comme la source de l’antisémitisme en France, c’est encore une fois rendre les Juifs collectivement responsables des actions d’un État dont ils ne sont pas ressortissants et d’un gouvernement qu’ils n’ont pas choisi et pour lesquels ils n’ont pas voté. Il s’agit finalement de la même logique que la droite française qui considérait les musulmans collectivement responsables du terrorisme islamiste. Ce procédé d’inversion des responsabilités qui visent à rendre les victimes responsables de leur propre oppression est un discours raciste classique. Je ne suis pas antisémite, c’est eux qui sont Juifs. La théorie du « philosémitisme d’État » reprend également des stéréotypes antisémites comme le prétendu « privilège juif » ou de la « proximité des Juifs et du pouvoir ». 

            Par ailleurs, ce discours selon lequel il existerait un traitement de faveur des Juifs de la part de l’État français ne résiste pas à l’examen du traitement de l’antisémitisme par le gouvernement. La protection des lieux de culte par la police n’a pas été un cadeau offert par l’État aux Juifs mais le résultat d’un rapport de force entre l’État et les organisations juives suite à la multiplication des actes antisémites et des attaques des synagogues dans les années 2000. C’est encore une fois un acquis politique fruit d’une mobilisation collective et qui pourrait servir pour construire des luttes communes pour demander également une meilleure protection des mosquées qui sont de plus en plus souvent attaquées. En l’absence d’une mobilisation forte de la communauté juive, la réponse des pouvoirs publics et de la justice face à l’antisémitisme est la plupart du temps faible et inadaptée. La France est ainsi le pays d’Europe où le plus de Juifs sont tués parce que Juifs et on se rappelle de la difficulté à faire retenir le motif antisémite des meurtres de Sébastien Selam en 2003, d’Ilan Halimi en 2006, de Sarah Halimi en 2017, de Mireille Knoll en 2018. Pour au moins deux de ces meurtres, celui d’Ilan Halimi et celui de Sarah Halimi, l’absence de compréhension du motif antisémite et de la volonté de tuer des Juifs a empêché une intervention plus efficace de la police qui aurait peut être pu sauver les victimes. Les pouvoirs publics ont souvent été indulgent face aux principaux vecteurs de l’antisémitisme en France comme le site Égalité et Réconciliation qui était pendant longtemps le site politique le plus consulté en France et continue d’attirer des millions de visiteurs mensuels. En ce qui concerne les politiques mémorielles, Macron qualifiait Pétain de « grand soldat » pour la commémoration de la Guerre de 14-18 en 2018 et citait Charles Maurras devant les députés macronistes en 2020. Maurras était inscrit sur la liste des commémoration de France mémoire en 2018 et Maurice Barrès sur cette même liste en 2023. On constate l’absence de réaction face à la recrudescence de l’antisémitisme dans les établissements scolaires qui a progressivement poussé les enfants juifs hors des écoles publiques vers les écoles privées. Et, cette année encore, on note l’absence de moyen pour endiguer l’explosion des actes antisémites dans la société française à tel point que les assises de lutte contre l’antisémitisme, qui constituait déjà un plan de communication sans substance, ont été purement et simplement abandonné avec la dissolution de l’assemblée nationale. Dure de voir dans tout ces éléments un traitement de faveur accordé à la communauté juive. Finalement, la théorie du « Philosémitisme d’État » ne fonctionne que si on nie la réalité de l’antisémitisme et de l’expérience vécue par les Juifs de France. Il existe donc un lien direct entre la théorie du « Philosémitisme d’État » et le refus de reconnaitre le caractère antisémite des meurtres d’Ilan Halimi ou l’antisémitisme de Mohamed Merah, les accusations d’autosémitisme et l’affirmation de Jean Luc Mélenchon selon laquelle l’antisémitisme serait résiduel en France. Le déni de l’antisémitisme est la conséquence et la condition de la théorie du « Philosémitisme d’État ». 

            On assiste également à une repopularisation des discours tenus par Dieudonné ou Soral dont les idées ont été massivement réintroduites au sein de la gauche depuis le 7 octobre. Cette soralisation de la gauche est notamment visible à travers le député David Guiraud qui expliquait s’être formé sur la question palestinienne sur le site Égalité et Réconciliation d’Alain Soral. Ce dernier avait utilisé en décembre le « dogwhistle »  des « dragons célestes », très répandu dans la fachosphère pour parler des Juifs et diffusé des théories complotistes sans être censuré. Houria Bouteldja a également fait l’éloge de Soral dans un de ces livres Les Beaufs et les Barbares : « Il faut reconnaitre à Alain Soral le mérite d’avoir su toucher simultanément les âmes de deux groupes aux intérêts contradictoires et d’avoir envisagé avant tout le monde une politique des beaufs et des barbares. Il est le premier à avoir vu, le premier à avoir senti. Le premier à avoir théorisé et prospéré sur une idée contre-intuitive ». 

            La soralisation d’une partie de la gauche française tient aussi dans la centralité qu’elle donne à l’antisionisme qui semble écraser toutes les autres luttes comme l’indique deux slogans/concepts de plus en plus populaire : « La Palestine nous libère » et « La preuve par la Palestine ». « La Palestine nous libère » est l’idée selon laquelle l’émancipation des Palestiniens émancipera l’humanité. On comprend bien avec cette idée que les Palestiniens sont réduits à un symbole de la lutte pour l’émancipation et que la réalité de leur quotidien et de leur existence passe finalement au second plan. D’autre part, si la Palestine a le pouvoir de libérer l’humanité, ça ne peut être que parce que le mal qui les opprime est global et opprime l’ensemble de l’humanité. Le sionisme est ainsi vu comme un phénomène mondial qui asservit les peuples et dont il faudrait se libérer, non seulement en Palestine, mais partout dans le monde. On entend même parfois qu’il existerait un « Israël global ». Comment ne pas y voir une énième variation des Protocoles des Sages de Sion et du complot juif international qui asservirait les peuples. Cette logique complotiste confine à l’absurde lorsque Andréas Malm, intellectuel organique de l’écologie radicale, explique que la destruction d’Israël est décisive dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi pour Malm, la destruction d’Israël pourrait sauver l’humanité mais aussi la planète. Si on pousse cette logique jusqu’au bout, on ne peut qu’aboutir à la conclusion que l’antisémitisme et la haine des Juifs est une réaction révolutionnaire face au mal qu’ils incarnent et dont il faudrait se libérer. « La Palestine nous libère » revient finalement à dire « Les Juifs nous asservissent ». 

            Le corolaire de ce postulat est l’idée de « la preuve par la Palestine ». Il n’existe que deux camps : pour ou contre l’existence d’Israël. Tout le reste n’est que futilité. Ainsi, tous ceux et celles qui se sont exprimés en faveur de la destruction d’Israël, tous ceux et celles qui s’affirment antisionistes ont fourni la preuve qu’ils étaient du « bon côté de l’histoire » et tous les autres sont de fait du mauvais côté, c’est à dire celui des ennemis de l’humanité et de la planète. Cette affirmation permet de rendre acceptable des figures politiques de droite et d’extrême droite, des antisémites, des négationnistes, des complotistes et de créer des alliances contre nature entre des organisations de gauche et des mouvements réactionnaires en France comme Urgence Palestine. Cela permet également, dans un réflexe campiste qui a une longue histoire à gauche, de fermer les yeux sur toutes les dérives des mouvements terroristes, islamistes et réactionnaires luttant contre Israël. C’est la raison pour laquelle se sont multipliées le 7 octobre des déclarations de soutien au Hamas de la part de militants de gauche mais aussi d’organisation comme le NPA ou Solidaires Étudiant-e-s. C’est la raison pour laquelle des terroristes islamistes d’extrême droites comme Yahya Sinouar, Ismaël Haniyeh, Hassan Nasrallah sont considérés comme des martyrs de la résistance par une partie de la gauche. Enfin, faire de l’antisionisme le seul marqueur politique valable, faire de la destruction d’israël une priorité absolue, affaiblit tous les combats de la gauche. La preuve la plus éclatante de ce recul a été l’oubli par une partie du mouvement féministe de la nécessité de croire la parole des victimes de violences sexuelles. Le déni des viols du 7 octobre, la difficulté à entendre le témoignage des femmes israéliennes, la demande systématique de preuves ne peuvent qu’affaiblir le mouvement féministe. C’est la parole de toutes les femmes qui est ainsi remise en cause et sur laquelle on fait peser le soupçon du mensonge. De la même manière, lorsqu’on tolère des propos antisémites sous prétexte que leur dénonciation pourrait être instrumentalisée, on affaiblit le combat contre le racisme. Quand on explique que c’est la justice qui permet de savoir qui est antisémite et qui ne l’est pas, on affaiblit forcément l’analyse du racisme structurel et la dénonciation du racisme au sein de la police et de toutes les institutions de l’État. Quand on explique que le capitalisme est produit par un petit groupe d’individus qui complotent dans l’ombre et tiennent les manettes, on affaiblit la lutte des classes, on empêche l’analyse matérielle des rapports de productions entre le capital et le travail.

            À partir de cette analyse, on peut dégager plusieurs points sur lesquels travailler pour faire reculer l’antisémitisme à gauche et dans la société française en général : 

  1. Il faut que les organisations de gauche reconnaissent l’existence de l’antisémitisme dans la société française et prennent en compte le vécu et l’expérience des Juifs de France lorsqu’ils témoignent de la haine dont ils sont la cible. 
  2. Il faut se renseigner sur l’histoire de l’antisémitisme à gauche, sur le « socialisme des imbéciles » dans les organisations socialistes et anarchistes au XIXème siècle, sur l’antisémitisme en URSS et dans les courants staliniens, sur les négationnistes de gauche autour de La Vieille Taupe et de Roger Garaudy, sur l’aveuglement face à Soral et Dieudonné dans les années 2000. 
  3. Il faut adopter une approche matérialiste de l’antisémitisme en rejetant l’argument selon lequel une personne se réclamant de la gauche ne peut pas être antisémite. L’antisémitisme structure l’imaginaire et les rapports sociaux et politiques en France et transcende les positionnements idéologiques comme tous les autres rapports de domination. 
  4. Il faut se former sur l’histoire de l’antisémitisme et les différentes formes qu’il a pris au cours du temps. 
  5. Il faut lutter contre l’antisémitisme d’où qu’il vienne et quelle qu’en soit la cible, sans conditionner le soutien aux personnes victimes d’antisémitisme à leur positionnement politique ou à l’identité de leurs agresseurs. 
  6. Il faut arrêter de substituer la lutte contre l’instrumentalisation de l’antisémitisme à la lutte contre l’antisémitisme et arrêter de justifier l’absence de solidarité avec les personnes juives par la peur d’une répression du mouvement social par l’État. 
  7. Il faut arrêter de mettre en concurrence de la lutte contre l’antisémitisme avec la lutte contre l’islamophobie ou avec la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme. Elles sont indissociables. 
  8. Il faut arrêter la mise en concurrence des mémoires, des victimes et des souffrances et affirmer qu’elles ne s’opposent pas les unes aux autres et qu’il faut les reconnaitre chacune dans leur singularité. 
  9. Il faut arrêter de conditionner la légitimité politique des militants juifs à leur positionnement sur le sionisme et l’antisionisme et redevenir un espace où les Juifs peuvent militer sans subir d’injonction géopolitique. 
  10. Il faut arrêter avec la théorie du « Philosémitisme d’État » et considérer que toutes les organisations qui l’utilisent comme analyse de l’antisémitisme ne sont pas des alliés dans la lutte antiraciste. 
  11. Il faut arrêter de considérer que l’antisémitisme est causé par Israël ou par les Juifs mais analyser qui sont les vecteurs en France d’un discours et d’un imaginaire antisémite, quel forme prend ces discours afin de trouver une stratégie pour les combattre. 
  • Comment articulez vous lutte contre lantisémitisme et lutte contre le racisme ?

            Nous constatons que la lutte contre l’antisémitisme constitue un angle mort des luttes antiracistes et c’est pourquoi nous ressentons le besoin de rappeler son existence à ceux qui préfèrent l’oublier. Il ne s’agit pas de séparer la lutte contre l’antisémitisme des autres luttes antiracistes. La lutte contre l’antisémitisme doit faire partie intégrante de la lutte contre tous les racismes qui, pour être combattus efficacement, doivent aussi être compris dans leurs singularités et leurs manifestations respectives. 

            Les luttes antiracistes ne sont pas divisibles et on ne peut donc pas lutter contre l’antisémitisme avec des racistes. La lutte contre l’antisémitisme ne doit jamais servir de prétexte pour s’attaquer aux musulmans et aux étrangers. En ce sens, nous rejetons la théorie du nouvel antisémitisme qui au lieu d’essayer d’analyser les causes de l’antisémitisme et ceux qui diffusent un imaginaire antisémite, se focalise uniquement sur l’identité des auteurs des crimes antisémites. La théorie du nouvel antisémitisme est avant tout une théorie raciste qui fait des musulmans et des étrangers les seuls antisémites légitimes et participe à la « dédiabolisation » de l’extrême droite. 

            L’articulation de la lutte contre l’antisémitisme avec la lutte contre tous les racismes passent par des combats communs, des manifestations communes contre les lois xénophobes et racistes, contre les violences policières, contre les discriminations à l’emploi, au logement, à l’éducation, contre l’antisémitisme et contre l’extrême droite. Les Juifs sont racisés et ils ont donc des intérêts politiques communs avec toutes les autres victimes de racisme. Certains types de racisme prennent des formes similaires et il est intéressant de voir les parallèle entre l’islamophobie et l’antisémitisme, en particulier à travers les discours complotiste qui les accompagne. Comme l’avait si bien énoncé Franz Fanon, quand on s’attaque aux Musulman, au Rom, aux Noirs, on s’attaque aussi aux Juifs et inversement. Il faut aussi sortir des logiques de concurrence victimaire et mémorielles et construire des ponts entre les différentes communautés, apprendre à connaître la culture, l’histoire et le vécu des autres, recréer du lien social et accepter l’altérité. 

  • « Golem reconnaît les faits nationaux israélien comme palestiniens ». Quentendez-vous par là ?

            Golem considère que les peuples israéliens et palestiniens existent de fait et qu’il ont le droit à l’autodétermination, à la paix, à la sécurité et au respect de tous leurs droits fondamentaux. Nous rejetons catégoriquement tous les discours qui nient la légitimité des Israéliens ou des Palestiniens à l’autodétermination.