Alors que le président Donald Trump réfléchit publiquement (le 18 juin lors d’une conférence de presse) à la décision de rejoindre Israël pour frapper directement l’Iran, certains analystes ont suggéré que les objectifs de guerre non déclarés d’Israël pourraient inclure l’effondrement du gouvernement de Téhéran.
Trump, pour sa part, a durci son discours, exigeant cette semaine la « CAPITULATION INCONDITIONNELLE » de Téhéran, sans préciser ce que cela signifierait. Il a affirmé dans un message publié sur les réseaux sociaux que les Etats-Unis connaissaient la localisation du dirigeant iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, mais qu’ils ne cherchaient pas à l’assassiner, « du moins pas pour l’instant ».
Les Etats-Unis n’ont pas publiquement appelé à un changement de régime dans le conflit actuel, mais il y a plus de 70 ans, ils ont joué un rôle clé dans le renversement du gouvernement de Téhéran, même si le contexte historique était très différent.
« La plupart des Américains l’ont oublié. Tout comme les Britanniques, qui ont participé au coup d’Etat. Mais cela plane en arrière-plan de la politique iranienne», a déclaré Roham Alvandi, historien à la London School of Economics [1].
Dans le contexte de la guerre froide et de la frustration de la Grande-Bretagne d’avoir perdu son accès au pétrole, la CIA a coordonné en 1953 une opération clandestine avec les Britanniques afin de renverser le Premier ministre démocratiquement élu du pays, Mohammad Mossadegh.
A sa place, Washington a aidé à réinstaller l’exilé Shah Mohammad Reza Pahlavi, un autocrate favorable aux intérêts occidentaux et farouchement anticommuniste. Son règne a duré jusqu’à la révolution iranienne de 1979, mais selon Roham Alvandi, ce coup d’Etat reste une « pierre angulaire » du nationalisme iranien moderne.
Qu’est-ce qui a conduit au coup d’Etat en Iran ?
Lorsque Mossadegh a été élu à la tête du pays en 1951 sur un programme nationaliste visant à prendre le contrôle des ressources pétrolières du pays, Washington s’est trouvé confronté à un dilemme. Les Etats-Unis pouvaient soutenir les aspirations nationalistes du nouveau gouvernement ou se ranger du côté des Britanniques, qui étaient consternés par la menace que le nouveau dirigeant iranien faisait peser sur la lucrative Anglo-Iranian Oil Co. (plus tard connue sous le nom de BP).
Le contexte général était crucial. A l’époque, Washington était profondément perturbé par la « propagation du communisme » après la Seconde Guerre mondiale, et les Britanniques, dont l’influence dans la région s’affaiblissait à mesure que leur empire déclinait, affirmaient que la montée en puissance de Mossadegh était le prélude à une influence soviétique encore plus grande en Iran.
La perspective du communisme en Iran était un anathème pour Washington, et en particulier pour le président Dwight D. Eisenhower, qui avait pris ses fonctions en 1953 [qui gardera son mandat jusqu’en 1961].
« En fin de compte, ils se sont rangés du côté de leurs alliés britanniques dans le contexte de la guerre froide, car ils craignaient que si la crise pétrolière en Iran n’était pas résolue, les communistes iraniens ou l’Union soviétique pourraient prendre le pouvoir », a déclare Roham Alvandi.
Que s’est-il passé en 1953 ?
Kermit Roosevelt Jr., l’agent de la CIA chargé d’orchestrer le coup d’État, a reçu l’autorisation de ses supérieurs le 25 juin, plusieurs mois après avoir été approché par des diplomates britanniques au sujet de cette possibilité. Le 19 juillet, il est arrivé en Iran via l’Irak, où il a rencontré des agents iraniens, communiqué avec le shah en exil et organisé le soutien des officiers de l’armée et des manifestants dans les rues.
« Les Etats-Unis n’ont rien bombardé, il s’agissait d’une opération de renseignement prolongée menée par la CIA », a déclaré Siavush Randjbar-Daemi, historien à l’université de St Andrews, qui a mené des recherches approfondies sur le coup d’Etat de 1953. Selon Randjbar-Daemi, le coup d’Etat a couronné les opérations secrètes de la CIA, qui incluaient l’impression de fausses propagandes du PC iranien [Tudeh – Parti des masses d’Iran] afin de présenter le parti comme plus virulemment anti-islamique qu’il ne l’était en réalité.
Le 19 août, les rebelles ont pris le contrôle des studios de Radio Téhéran et ont déclaré prématurément à la radio que le gouvernement de Mossadegh était tombé cet après-midi-là, alors que ce n’était pas encore le cas. « Après cette annonce à la radio, tout était fini », a déclaré Randjbar-Daemi. « Ce fut l’une des fausses nouvelles les plus efficaces de l’histoire récente mondiale. »
Lorsqu’il est apparu certain que le coup d’Etat avait réussi, Kermit Roosevelt Jr. a écrit à ses supérieurs dans un télégramme que le shah « reviendrait bientôt triomphant à Téhéran. Amitiés et baisers de toute l’équipe ».
En 2013, un document interne déclassifié de la CIA a confirmé publiquement l’implication des Etats-Unis : « Le coup d’Etat militaire qui a renversé [Mossadegh] et son cabinet du Front national a été mené sous la direction de la CIA dans le cadre de la politique étrangère américaine, conçu et approuvé au plus haut niveau du gouvernement », pouvait-on lire.
Quelles ont été les conséquences de 1953 ?
Pahlavi est revenu au pouvoir en 1953 en tant que monarque iranien, régnant pendant plus de deux décennies en tant qu’autocrate favorable à l’Occident. Cette période a coïncidé avec une croissance économique rapide et un développement urbain pour une grande partie de la population iranienne, mais elle a également été marquée par une répression politique féroce menée par la redoutable agence de renseignement du shah, la SAVAK. [A cela s’ajoutaient les migrations forcées de couches paysannes vers des centres urbains, sous l’effet de ladite révolution verte. Ces couches paupérisées ont été accueillies dans de nombreux centres urbains par le réseau des mosquées. – réd.]
Selon Roham Alvandi, la collaboration du Shah avec les Britanniques et les Américains pour renverser un gouvernement nationaliste populaire a « mortellement blessé » la légitimité de sa monarchie.
« Le shah s’est efforcé pendant les 20 années qui ont suivi d’incarner le nationalisme iranien [2], de se présenter comme le champion de l’Iran, mais il n’a jamais pu effacer de la mémoire collective le souvenir de Mossadegh et de 1953 », dit Roham Alvandi.
Son rival politique de longue date le plus influent, le chef religieux Ruhollah Khomeini, le présentait comme une marionnette de l’Occident.
L’industrialisation de l’Iran basée sur le pétrole a entraîné un boom économique, mais aussi une corruption endémique. Lorsque l’économie a commencé à se détériorer en 1977, les fissures dans son autorité n’ont fait que s’agrandir. Après des mois de troubles révolutionnaires, Reza Pahlavi a quitté l’Iran en janvier 1979. Peu après, le pays est devenu la République islamique d’Iran, dirigée par Khomeini.
Selon Roham Alvandi, le souvenir de 1953 et l’image sinistre du shah ont jeté une ombre longue et servent d’avertissement à tous les opposants nationaux qui pourraient envisager de soutenir les adversaires étrangers de l’Iran. « Les Iraniens ont la mémoire longue, et autant ils détestent la République islamique, autant ils éprouvent une aversion viscérale pour quiconque est perçu comme collaborant avec une puissance étrangère pour nuire à l’Iran et aux Iraniens », affirme-t-il.
[1] Roham Alvandi a mis en place en 2024 la Iranian History Initiative à London School of Economics qui se consacre à l’étude de l’histoire moderne de l’Iran. Il a publié divers ouvrages dont Nixon, Kissinger, and the Shah: The United States and Iran in the Cold War (Oxford University Press, 2014). (Réd.)
[2] Dans une article de mise en perspective historique sur le thème de la place historique de l’Iran et l’armement nucléaire – publié dans le Financial Times du 18 juin 2025 –, Roham Alvandi écrit : « Les rêves nucléaires de l’Iran et les cauchemars nucléaires de l’Occident ne sont pas nés avec la République islamique en 1979. C’est le shah d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi, qui a considérablement accéléré le programme nucléaire civil du pays en 1974, après que la crise énergétique mondiale eut fait flamber les prix du pétrole. À l’époque comme aujourd’hui, Washington craignait fortement qu’un Iran nucléaire ne déclenche une vague de prolifération nucléaire au Moyen-Orient, mettant en danger Israël. […] Les futurs dirigeants iraniens, comme leurs prédécesseurs, seront parfaitement conscients qu’un Iran fort et puissant ne sera jamais bien accueilli en Israël ou à Washington. A moins que l’Iran ne soit prêt à accepter un statut réduit dans la région… » (Réd.)
Leo Sands
Article publié dans le Washington Post le 19 juin 2025 ; traduction rédaction A l’Encontre
https://alencontre.org/divers/iran-rappel-historique-le-coup-detat-de-1953-et-la-memoire-collective.html
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