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Des figures de l’opposition iranienne en exil ont pris position en faveur des frappes israéliennes au nom d’une insurrection populaire contre le régime. Des déclarations perçues comme irresponsables par une opinion publique marquée par les traumatismes de la guerre. Même dans l’hypothèse spéculative d’un projet de renversement du régime par une puissance étrangère, l’histoire témoigne des conséquences dramatiques de toute prétention extérieure à « libérer » un peuple.
Un aspect fondamental mais largement négligé dans les analyses immédiates de la guerre en Iran – justifiée par Israël au nom du « droit à l’autodéfense » et d’un objectif déclaré de changement de régime – concerne l’absence d’une opposition iranienne crédible, unifiée et porteuse d’un projet politique cohérent.
Aux yeux de la majorité des Iraniens, aucun des groupes d’opposition actuellement en exil ne semble en mesure de constituer une alternative viable dans l’hypothèse, hautement spéculative, où le projet de renversement du régime iranien par une puissance étrangère viendrait à se concrétiser. Une telle initiative soulève d’ailleurs de profondes interrogations sur sa légitimité : au nom de qui, et dans l’intérêt de qui, une telle opération de changement de régime serait-elle menée ?
Dès les premiers jours des frappes israéliennes, plusieurs figures de l’opposition iranienne en exil, notamment issues des cercles monarchistes liés à la famille Pahlavi, ont publiquement exprimé leur soutien à l’attaque israélienne, tout en appelant à une insurrection populaire contre le régime de la République islamique. Ce positionnement, perçu par une large partie de la population comme irresponsable, voire opportuniste, a renforcé la défiance à l’égard de cette opposition exilée. Parmi les prises de position les plus controversées figure celle de Yasamin Pahlavi, belle-fille de l’ancien shah d’Iran, connue pour sa rhétorique particulièrement virulente durant le mouvement Femme, Vie, Liberté, notamment à travers son slogan : « À bas les trois corrompus : les mollahs, les gauchistes et les Moudjahidine ». Dans les premiers jours des frappes israéliennes sur l’Iran, elle a publié sur les réseaux sociaux une image assortie d’un message de soutien explicite à l’armée israélienne, accompagné du hashtag « Frappe-les, Israël ».
Ce message, interprété comme un appel explicite aux bombardements, a suscité une vague d’indignation sur les réseaux sociaux iraniens, illustrant le décalage entre certaines figures de l’opposition et les préoccupations réelles de la population confrontée à la guerre. Reza Pahlavi, fils de l’ancien shah, a lui-même qualifié l’invasion israélienne de « positive » et l’a présentée comme une opportunité historique pour renverser la République islamique. Cette déclaration, faite lors d’une interview accordée à la BBC le 15 juin, a contribué à accentuer la méfiance déjà présente à son égard au sein de la population iranienne. Dans sa première prise de parole après les attaques, il avait déjà appelé les citoyens à descendre dans la rue pour provoquer la chute du régime.
De telles positions ont été largement perçues comme irresponsables, voire traitres, par une opinion publique marquée par les traumatismes de la guerre. Reza Pahlavi apparaît ainsi, aux yeux de nombreux Iraniens, comme un acteur politique prêt à sacrifier la stabilité et la sécurité du pays à des ambitions personnelles, sans pour autant proposer de projet politique structuré, ni de vision cohérente pour l’avenir de l’Iran. Son soutien explicite à une intervention étrangère, perçue comme une guerre imposée au peuple iranien, a renforcé l’idée d’une opposition déconnectée des réalités nationales et dépourvue de légitimité populaire.
Les prises de position favorables aux frappes israéliennes, émises principalement par des figures de l’opposition en exil, contrastent nettement avec celles exprimées tant par les activistes et intellectuels présents à l’intérieur du pays que par une partie des chercheurs et penseurs critiques en exil.
Depuis le 16 juin, plusieurs déclarations – notamment celle du Centre des écrivains d’Iran et celle signée par 340 militantes et militants féministes et pour l’égalité – ont condamné les attaques israéliennes, tout en réaffirmant leur opposition à la République islamique.
Ce positionnement dual refuse de choisir entre deux formes de domination et souligne que la guerre ne saurait être un instrument de libération. Ainsi, la déclaration du Centre des écrivains d’Iran affirme : « Pour les deux camps, Israël et la République islamique, la guerre constitue une ‘bénédiction’ dont ils tirent profit pour asseoir leur pouvoir respectif. […] Ni la force d’invasion étrangère, ni l’appareil répressif intérieur n’ont le droit de confisquer l’agency et la volonté du peuple dans la détermination de son propre destin. Il est du droit de toute nation de résister à une agression sur son territoire, tout comme il est de son droit de ne pas se soumettre à un pouvoir liberticide. Le silence de la communauté internationale face à cette agression, sous prétexte des aventures bellicistes et de la politique oppressive du régime iranien, ne fera qu’amplifier les dimensions de la catastrophe. Le Centre des écrivains d’Iran condamne fermement l’agression manifeste d’Israël contre le territoire iranien, et appelle les écrivains épris de liberté, les intellectuels, ainsi que les institutions solidaires en Iran et à travers le monde à assumer leur véritable rôle d’éveil et de conscientisation. Il leur revient de briser la polarisation dominante dans les médias afin de faire entendre la voix indépendante du peuple et de renforcer ses mouvements pour la liberté. »
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Au moment de la rédaction de cet article, à trois heures du matin, un tweet publié par Donald Trump exhortant les Iraniens à « quitter Téhéran le plus vite possible » a provoqué une vague de panique au sein de la population, y compris parmi certains opposants au régime qui, quelques jours plus tôt, affichaient encore une position ambiguë — voire favorable — vis-à-vis de l’intervention militaire israélienne.
Cette prise de conscience douloureuse rejoint le message de plusieurs déclarations publiées par des intellectuels et activistes iraniens, selon lesquelles ni les forces d’invasion étrangères, ni l’appareil répressif intérieur ne sont légitimes à confisquer la souveraineté du peuple iranien ou sa capacité à déterminer son propre destin. L’histoire récente – de l’Afghanistan à l’Irak, de la Syrie au Yémen, de la Palestine au Liban… – témoigne des conséquences dramatiques de toute prétention extérieure à « libérer » un peuple par la force. Aucun·e Iranien·ne lucide ne souhaite voir son pays devenir le prochain terrain d’expérimentation des logiques coloniales, impérialistes ou sécuritaires, sous couvert de changement de régime.
Dorna Javan
Politiste, Doctorante en science politique, Enseignent-vacataire