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Personne n’a autant renforcé l’extrême droite ukrainienne que Poutine

Entretien n°2 ( le premier est sur le site à la date du 31/05)

Par Andriy Movchan Victor Osprey

Andriy Mouchan est un militant anarchiste réfugié qui vit en Catalogne et se penche donc plus volontiers sur la perception du conflit dans la péninsule ibérique. Mais il existe des similarités qui se retrouvent dans l’appel européen « pour la paix » dont Podemos et LFI sont signataires. Cet entretien a été réalisé avant l’Opération Spiderweb qui pourrait faire évoluer les équilibres et certaines perceptions. ML

Publié le 1er juin 2025

Plus de trois ans après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la gauche internationale reste divisée sur la guerre. Les gauchistes (militants de gauche) ukrainiens sont naturellement déçus par cette situation, mais ils ne sont pas surpris compte tenu du manque de connaissances sur l’Ukraine et sur l’espace post-soviétique parmi les gauchistes occidentaux et du Sud.

Plutôt que de tendre la main aux gauchistes ukrainiens (ainsi qu’à ceux de Russie et d’autres pays post-soviétiques), beaucoup ont choisi d’accepter la propagande d’État de la Fédération de Russie, qui affirme que le président Vladimir Poutine n’avait d’autre choix que d’envahir l’Ukraine pour défendre la Russie contre un voisin agressif envahi par les néonazis. La vérité, cependant, comme le souligne le gauchiste ukrainien Andriy Movchan, est que « personne n’a fait plus que Poutine pour promouvoir et renforcer le nationalisme ukrainien et les mouvements d’extrême droite ».

Movchan est un ancien militant de plusieurs groupes de gauche en Ukraine, qui vit aujourd’hui en Catalogne où il se consacre à des questions liées au militantisme médiatique, à l’art et au journalisme. Dans la deuxième partie de son entretien approfondi avec Victor Osprey pour LINKS International Journal of Socialist Renewal, Movchan se penche sur l’état actuel du conflit entre la Russie et l’Ukraine, le rôle de l’extrême droite dans les deux pays et les défis auxquels sont confrontées les forces de gauche ukrainiennes pour construire une solidarité internationale avec leurs luttes.

La première partie de l’interview portait sur l’influence des penseurs progressistes et de l’Union soviétique sur la conscience nationale ukrainienne, les débats tendus entre les bolcheviks sur l’indépendance de l’Ukraine, la manière dont l’histoire du chauvinisme grand-russe envers l’Ukraine nous aide à comprendre la nature de la guerre actuelle, et la question épineuse de la discrimination linguistique. (Publié sur Réseau Bastille le 31 mai 2025).

Quelle est la situation actuelle de la guerre ? La Russie gagne-t-elle lentement du terrain et s’enfonce-t-elle plus profondément en Ukraine, ou les forces ukrainiennes ont-elles stabilisé la situation et avancé le long des lignes de front ? Quel est le moral des Ukrainiens, en particulier celui des soldats conscrits, par rapport à la vague de volontaires de 2022 ?

Au printemps 2025, les deux armées sont extrêmement décimées et souffrent de problèmes d’effectifs et d’un moral en berne. Cependant, malgré la supériorité de l’ennemi, les Ukrainiens continuent de résister héroïquement et de tenir le front. La société ukrainienne est extrêmement épuisée. Personne ne rêve plus de victoire. Personne ne rêve plus des frontières de 1991. La question la plus douloureuse pour la société est la conscription forcée, qui s’accompagne de graves violations des droits humains. Il ne reste presque plus personne prêt à se rendre volontairement au front. Même les dirigeants de l’État ont été contraints de tenir compte de ces sentiments et de fixer des objectifs plus réalistes. Aujourd’hui, la position de l’Ukraine est de geler le conflit le long de la ligne de front actuelle, avec des garanties de sécurité et sans reconnaître les annexions de la Russie. La plupart de la société est d’accord avec ces conditions. La Russie, qui veut toujours « achever » l’Ukraine, n’est pas d’accord.

D’autre part, la taille de la population russe – 140 millions d’habitants – lui permet de ne pas impliquer les masses dans la guerre et de se battre principalement avec des mercenaires. La société russe ne montre aucun signe d’épuisement. Cependant, l’armée russe est épuisée. Les entrepôts sont à court d’équipement militaire soviétique. Les blessés sont envoyés au combat. L’armée d’occupation subit des pertes énormes. Même les blogueurs militaires russes affirment qu’il ne sera pas possible de continuer à se battre très longtemps.

Comment caractériseriez-vous politiquement le gouvernement ukrainien du président Volodymyr Zelensky ? Si des élections avaient lieu, Zelensky serait-il susceptible de gagner ?

Le gouvernement Zelensky est un gouvernement populiste néolibéral. Le président actuel a remporté les élections de 2019 avec 73 % des voix. Il s’agissait en grande partie d’un vote protestataire contre la politique conservatrice de droite de l’ancien président Petro Porochenko. Cependant, Porochenko a laissé derrière lui un appareil d’État déjà fortement influencé par la politique de droite, ce qui a eu un impact majeur sur la politique de Zelensky.

Zelensky n’était certainement pas un nationaliste par conviction. Mais il est devenu nationaliste à la suite de l’invasion russe. Il faut comprendre que les tendances nationalistes sont inhérentes à toute société confrontée à une guerre existentielle. De même, dans ces circonstances, les États ont tendance à devenir autoritaires. On peut dire qu’en Ukraine, malheureusement, ces tendances progressent.

Après trois ans de guerre, dans un contexte de conscription militaire impopulaire, de scandales de corruption à tous les niveaux du gouvernement et d’inégalités flagrantes, le soutien à Zelensky est en forte baisse, tant parmi les civils que parmi les militaires. Je pense qu’il lui sera difficile de remporter les prochaines élections.

Dans quelle mesure l’extrême droite a-t-elle gagné en influence en Ukraine depuis 2014, et en particulier depuis l’invasion de 2022 ? Quelle est l’étendue de son influence ? Dans quelle mesure est-elle exagérée par la propagande russe ?

En 2014, l’extrême droite a été utilisée par l’opposition de centre-droit comme la partie la plus déterminée du mouvement de protestation contre le gouvernement. Elle est devenue le moteur des manifestations, même si le Maïdan [soulèvement]lui-même était composé d’un large éventail de participants.

Lorsque la Russie a lancé son invasion par procuration du Donbass en avril 2014, l’armée ukrainienne n’était pas préparée à l’affrontement. L’extrême droite a fini par former la base des unités les plus motivées, qui ont ensuite été intégrées à l’armée. Il est naturel qu’en temps de guerre, le rôle des nationalistes augmente considérablement et que ceux-ci soient les combattants les plus déterminés. Cela s’est vérifié des deux côtés dans le Donbass.

Depuis 2014, la montée de l’extrême droite n’a pas eu d’impact majeur sur la politique électorale, mais elle a considérablement compliqué la situation dans les rues, où ses partisans jouissent souvent de l’impunité de l’État. Quand quelqu’un dit qu’il n’y a pas de problème avec l’extrême droite en Ukraine, c’est tout simplement faux. Ma propre expérience, ayant dû quitter l’Ukraine après avoir été attaqué à plusieurs reprises dans la rue par ces radicaux d’extrême droite en raison de mes opinions de gauche, le confirme.

Les nationalistes ont également acquis des positions importantes dans l’armée. Là encore, c’est naturel. Il serait surprenant que les soldats les plus compétents dans une guerre pour la survie nationale soient des libéraux ou des sociaux-démocrates.

Mais qualifier l’Ukraine d’« État néonazi » est une grande exagération. Il est clair que la propagande russe alimente le mythe d’une Ukraine « néonazie », qui, malheureusement, fait recette auprès de la gauche occidentale. Oui, nous avons certains problèmes internes. Mais en quoi cela regarde-t-il la Russie ? Est-ce une excuse pour bombarder nos villes et les rayer de la carte afin de les « libérer » ? Nos problèmes avec les groupes d’extrême droite ne sont pas une raison pour conquérir notre pays. Même si l’Ukraine était vingt fois plus réactionnaire qu’elle ne l’est en réalité, cela ne donnerait toujours pas le droit à la Russie d’envahir notre territoire.

En réalité, personne n’a fait plus que [le président russe Vladimir] Poutine pour promouvoir et renforcer le nationalisme ukrainien et les mouvements d’extrême droite. S’il n’avait pas déclenché deux guerres – en 2014 et en 2022 – l’extrême droite ukrainienne serait aujourd’hui un phénomène relativement marginal.

Que pouvez-vous nous dire de l’influence de l’extrême droite en Russie, y compris dans l’armée ?

À première vue, le mouvement d’extrême droite peut sembler peu visible en Russie. L’État russe ne tolère aucun mouvement ni aucun parti indépendant de lui.

Dans le même temps, l’État russe lui-même a embrassé l’idéologie radicale de l’expansion nationaliste impériale et de l’annexionnisme, qui était jusqu’à récemment considérée comme l’apanage de forces marginales. Ce que Poutine dit et fait aujourd’hui incarne les programmes de la partie la plus folle des ultranationalistes russes. Tous ces écrivains, officiers militaires à la retraite, philosophes et journalistes qui ont promu l’idée d’une « reconquista » russe dans leurs livres, leurs blogs et leurs manifestations patriotiques ont soudainement découvert que l’État mettait en œuvre leur programme. Ces personnes se sont retrouvées au centre de l’invasion russe, à la fois comme soldats et comme serviteurs médiatiques de la croisade militariste contre l’Ukraine.

Il convient également de noter que depuis 1991, une couche importante de la population et des mouvements s’est formée en Russie pour qui l’effondrement de l’Union soviétique a été une tragédie personnelle. Pour eux, il s’agissait d’une humiliation nationale. Contrairement aux Ukrainiens, aux Géorgiens, aux Kazakhs et aux autres nationalités, ces Russes percevaient l’ensemble de l’Union soviétique comme leur État national, et pas seulement la partie russe. Pour eux, l’Union soviétique était un espace unique russophone qui aurait été « artificiellement » divisé. Et ils rêvaient de vengeance.

Souvent, ces personnes se considèrent comme des « communistes », bien que leur rêve premier ne soit pas l’égalité sociale, mais l’irrédentisme territorial. Les ressortissants d’autres pays doivent comprendre que ces « communistes » russes sont plus susceptibles d’être d’extrême droite, même s’ils se cachent derrière un drapeau rouge. Nous les appelons les « rouges-bruns ».

Cependant, les néonazis traditionnels ont également gagné en importance en Russie pendant la guerre. Il existe au moins deux unités néonazies clairement distinctes dans l’armée russe : Rusich et Española. De plus, la persécution des migrants et les violences raciales se sont intensifiées dans le pays. Un vaste réseau de groupes d’extrême droite, Russkaya Obshchina, s’est formé sous l’égide de l’État. Il persécute les migrants et intimide les populations autochtones.

Qu’en est-il du traitement des minorités, telles que les Hongrois, les Roms, les Tatars et les Juifs, en Ukraine ?

La situation des différentes minorités varie considérablement. Les Tatars de Crimée, par exemple, bénéficient du soutien total de l’État et de la société. En revanche, les Hongrois sont quelque peu méfiés en raison de l’attitude amicale du gouvernement hongrois actuel envers la Russie. Dans le même temps, les Hongrois ont réussi à obtenir certains droits grâce à la pression politique exercée par leur « patrie historique », qui est membre de l’Union européenne.

Quant aux Juifs, il y a parfois des incidents antisémites, mais ils se produisent surtout dans la vie quotidienne et ne sont pas plus nombreux que dans d’autres pays d’Europe de l’Est. Les plaintes des communautés juives concernent plus souvent la politique de commémoration, lorsque des figures du mouvement nationaliste associées à la persécution des Juifs dans la première moitié du XXe siècle sont incluses dans le panthéon national.

La situation est la plus difficile pour les Roms, qui sont confrontés à une xénophobie persistante dans la société. Avant la guerre, l’extrême droite a attaqué à plusieurs reprises des campements roms, sachant que ces attaques ne seraient pas fortement condamnées par l’opinion publique.

La situation des Tatars de Crimée est-elle restée la même ou s’est-elle détériorée depuis que la Russie a annexé la péninsule en 2014 ? Les Tatars et les Ukrainiens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Crimée, souhaitent-ils vivement que la péninsule soit restituée à l’Ukraine ?

Les Tatars de Crimée constituent le secteur le plus pro-ukrainien de la péninsule. Le traumatisme causé par la déportation de leur peuple par Joseph Staline en 1944 est toujours vivant. Ils sont reconnaissants à l’Ukraine indépendante de leur avoir permis de retourner sur leurs terres historiques.

Les Tatars de Crimée se sont massivement opposés à l’annexion de la Russie. Des milliers de Tatars ont quitté la Crimée pour l’Ukraine contrôlée par le gouvernement, où siège leur organe politique, le Mejlis. Certains Tatars combattent dans les forces armées ukrainiennes. Dans le même temps, les Tatars de Crimée sont constamment réprimés par les autorités d’occupation russes. La plupart des prisonniers politiques criméens détenus dans les prisons russes sont des Tatars.

Je pense qu’il est peu probable que les Tatars souhaitent que l’Ukraine s’empare de la Crimée par des moyens militaires, car cela impliquerait des combats destructeurs dans la péninsule. Ils préféreraient une solution diplomatique. Le reste de la population de Crimée est en grande majorité d’origine russe et favorable à l’annexion.

Actuellement, en Ukraine, on estime que le retour de la Crimée est pratiquement impossible, mais seule une minorité soutient la reconnaissance de l’annexion de la péninsule par la Russie comme légitime.

Étant donné que la Russie et les États-Unis veulent les ressources de l’Ukraine, telles que les terres rares, et ne s’intéressent guère à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Ukraine, sans parler des réformes sociales progressistes, l’Ukraine devrait-elle chercher des alliés ailleurs, que ce soit dans l’Union européenne ou dans les pays du Sud ?

Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis, l’Ukraine est contrainte de s’appuyer davantage sur l’Europe. L’Europe reste le seul allié constant de l’Ukraine dans sa lutte contre l’agresseur. Cependant, le potentiel militaire de l’Europe est bien inférieur à celui des États-Unis. L’Ukraine ne peut pas simplement ignorer les États-Unis, car elle dépend de manière existentielle des technologies militaires et de la diplomatie américaines.

En ce qui concerne les relations de l’Ukraine avec les pays du Sud, je pense que de nombreuses erreurs ont été commises. L’Ukraine a commencé sa résistance en espérant que les pays les plus riches et les plus puissants du monde seraient de son côté et qu’elle pouvait donc se passer du soutien des autres. C’était une illusion. Beaucoup de choses dépendent des pays du Sud, notamment la diplomatie, l’efficacité des sanctions contre la Russie, le marché des munitions, le problème des mercenaires pour l’armée russe et des dizaines d’autres questions importantes.

Il y a environ un an, les dirigeants ukrainiens ont compris qu’ils devaient établir des relations diplomatiques avec les pays du Sud : engager le dialogue avec les pays arabes, se rendre en Afrique du Sud, envoyer de l’aide humanitaire en Palestine, etc. Cependant, nous devons également comprendre les capacités limitées de ces pays. Qu’ont fait les pays du Sud pour aider la Palestine contre Israël ? Presque rien. Pourquoi alors espérer qu’ils aideront efficacement l’Ukraine ?

Vous soutenez Solidarity Collectives, un groupe d’anarchistes et d’anti-autoritaires ukrainiens qui ont pris les armes pour résister à l’invasion russe. Tout en essayant d’agir de manière aussi indépendante que possible de l’État, ils n’ont pas réussi à devenir une alternative à l’armée ukrainienne régulière et se sont au contraire largement intégrés à celle-ci. Pouvez-vous expliquer leur point de vue, comment celui-ci a évolué ou non depuis l’invasion, et leur rôle aujourd’hui ?

Malheureusement, la gauche ukrainienne est une petite force qui a dû exister dans des circonstances extrêmement difficiles. Après 2014, de nombreux militants, dont moi-même, ont quitté l’Ukraine en raison de problèmes avec l’extrême droite. Beaucoup d’autres vivent en exil interne en Ukraine. Mais il y a aussi ceux qui poursuivent leurs activités publiques malgré les difficultés, principalement des anarchistes, de petits groupes socialistes et des syndicats.

Les militants de ces mouvements ont constitué la majorité des volontaires de gauche qui sont allés défendre l’Ukraine contre l’invasion. La petite taille de la gauche ukrainienne l’empêchait objectivement de devenir une force indépendante dans la résistance armée. Mais malgré toutes les contradictions, les militants de gauche qui sont partis à la guerre sont convaincus que la victoire de l’invasion russe aurait été la plus grande injustice pour le peuple ukrainien.

Aux yeux de la gauche dogmatique occidentale, défendre un pays dominé par des idéologues réactionnaires et doté d’une gauche extrêmement faible semble pour le moins contradictoire. Cependant, ces points de vue ne sont pas matérialistes.

En tant que matérialistes, nous devons comprendre que le recul réactionnaire est un schéma historique qui a suivi les échecs du « socialisme réel ». Si nous regardons n’importe quel pays d’Europe de l’Est, nous ne trouverons aucun pays où les mouvements socialistes (et encore moins révolutionnaires) sont forts et populaires. À ce moment historique, c’est tout simplement impossible. Il serait étrange de s’attendre à ce que l’Ukraine fasse exception.

Mais le fait qu’un pays se trouve dans une phase réactionnaire donne-t-il le droit à quelqu’un de l’occuper ? Bien sûr que non. La réaction ne dure pas éternellement. Si l’Ukraine défend son droit à l’existence, elle défendra également son potentiel à changer dans le futur pour le mieux, vers une Ukraine progressiste.

Que pensez-vous de ceux qui, au sein de la gauche ukrainienne, ont un point de vue différent, celui du défaitisme révolutionnaire des deux côtés, comme le Front des travailleurs d’Ukraine?

En tant que dissident ukrainien, je ne condamne pas ceux qui ont d’autres positions, en particulier celle du défaitisme révolutionnaire. Je comprends qu’il faut un certain courage pour adopter une telle position en Ukraine. J’essaie d’éviter les critiques publiques, car je ne suis pas moi-même en guerre et je n’ai pas le droit moral d’appeler les autres à résister. Je comprends également que de telles critiques peuvent mettre d’autres personnes dans une position vulnérable à la répression (ce qui est courant dans tout pays confronté à une menace existentielle).

Néanmoins, je n’apprécie vraiment pas que la position des défaitistes révolutionnaires ukrainiens soit célébrée par la gauche occidentale ou russe. S’opposer à l’État agresseur et soutenir sa défaite est la seule position correcte pour la gauche russe. Comme le dit le dicton : « Si la Russie cesse de se battre, cela signifiera la fin de la guerre ; si l’Ukraine cesse de se battre, cela signifiera la fin de l’Ukraine ».

Il est regrettable que le chauvinisme envers l’Ukraine, inhérent à la plupart de la gauche russe depuis l’époque de Staline, ne lui permette pas d’adopter cette position défaitiste, même s’il existe d’agréables exceptions à cette règle.

Reste-t-il quelque chose de l’ancien Parti communiste ukrainien (CPU), aujourd’hui interdit, formé après la dissolution de l’Union soviétique, que ce soit sur le territoire ukrainien ou russe ?

L’histoire du CPU semble terminée, car son soutien à l’agression russe signifie qu’il est peu probable qu’il retrouve un jour sa position en Ukraine. Il n’existera pas non plus dans les territoires occupés, car ses membres rejoignent les rangs du Parti communiste de la Fédération de Russie.

La Russie tente d’éradiquer tout ce qui est ukrainien des territoires occupés, ce qui signifie que même le Parti communiste ne peut y être ukrainien. En fin de compte, il ne peut pas non plus être communiste, car toute tentative de protestation contre les autorités d’occupation se solde par des arrestations. La fonction de ces « communistes » se limite à légitimer l’invasion et l’occupation.

Quel est le rôle des militants anti-guerre, antimilitaristes et de gauche en Russie même pour saper l’effort de guerre russe et mettre fin aux ambitions annexionnistes de la Russie en Ukraine ? Par exemple, vous avez écrit en faveur du marxiste russe emprisonné Boris Kagarlitsky, malgré vos désaccords avec son analyse dans le passé.

La Russie est une dictature. Il est donc difficile de parler de l’existence d’un mouvement anti-guerre dans ce pays. Il existe des individus qui s’opposent à la guerre. Mais ils n’ont pas la possibilité d’exprimer leur désaccord dans le cadre légal. Ils n’ont aucune influence sur les actions de Poutine.

Certaines de ces personnes ont sacrifié leur liberté pour dénoncer la guerre. Cela mérite un profond respect. Boris Kagarlitsky est l’une d’entre elles. En 2014, il a pris la position honteuse de soutenir l’impérialisme russe. Mais sa position en 2022 a radicalement changé.

De manière générale, deux tendances se sont dégagées parmi les gauchistes russes opposés à la guerre : les patriotes et les défaitistes. Les patriotes accordent le même poids aux parties en conflit et appellent à la paix par le biais de concessions de l’Ukraine. Les défaitistes insistent sur la culpabilité incontestable de l’agresseur et réclament le retrait des troupes russes.

Comment la gauche espagnole perçoit-elle la guerre en Ukraine ? Existe-t-il une distinction entre, d’une part, la gauche plus « unitaire » comme le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), le Parti communiste espagnol (PCE) et Podemos, et, d’autre part, les partis indépendantistes de gauche comme la Candidature d’unité populaire catalane (CUP) ou le parti basque EH Bildu ?

Malheureusement, en Europe du Sud, la gauche a toujours été attirée par le stalinisme et l’anti-américanisme comme principaux critères politiques. C’est pourquoi la question de l’invasion russe est perçue par la gauche, et en particulier par les radicaux de gauche, comme extrêmement clivante.

Le PSOE au pouvoir a toujours préconisé de fournir des armes à l’Ukraine pour repousser l’agression russe et soutient l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Ses collègues de la coalition Sumar [qui est au gouvernement avec le PSOE] soutiennent également l’Ukraine, bien qu’ils critiquent la fourniture d’armes.

Podemos, en revanche, s’oppose radicalement à l’aide militaire à l’Ukraine. Il en va de même pour les séparatistes radicaux de gauche basques et catalans. En réalité, ils souhaitent la défaite de l’Ukraine. 

À première vue, ils devraient être solidaires de la lutte de l’Ukraine contre le chauvinisme assimilationniste. Cependant, ils partent du principe primitif selon lequel « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » et espèrent que la défaite de l’Ukraine leur ouvrira une fenêtre d’opportunité pour obtenir leur indépendance.

De nombreux Russes en exil ont participé à des manifestations contre la guerre aux côtés des Ukrainiens. Dans quelle mesure cela s’est-il produit en Espagne ?

Il existe d’importantes communautés de Russes à Barcelone, Madrid et Valence, qui se sont exilées après le début de la guerre. Cependant, elles ne sont pas très actives sur le plan politique. La plupart des militants russes, des journalistes d’opposition et des intellectuels ont afflué vers l’Allemagne et les pays baltes. Les personnes moins politisées sont venues en Espagne et sont principalement occupées à refaire leur vie.

Malheureusement, les relations entre les Ukrainiens et les Russes opposés à la guerre sont extrêmement difficiles. Les Ukrainiens évitent souvent tout contact avec les Russes en raison du traumatisme de la guerre. Ils exigent que les Russes soutiennent plus activement l’Ukraine et leur reprochent souvent d’être collectivement responsables. Tout cela n’est pas propice à la coopération.

Quelles ressources recommanderiez-vous pour mieux comprendre l’Ukraine contemporaine d’un point de vue socialiste ?

Je recommande la lecture des traductions en anglais des articles publiés dans le magazine ukrainien Spilne (Commons). D’excellents articles ont été écrits au début de la guerre par ses auteurs et rédacteurs, tels que Taras Bilous, un intellectuel de gauche qui a rejoint la résistance armée dès les premiers jours.

Je recommande également la lecture des politologues russes de gauche, tels qu’Ilya Matveev et Ilya Budraitskis, qui brossent un tableau clair de la Russie de Poutine.

Mais plus encore, je conseillerais aux observateurs étrangers de comprendre le contexte historique de l’Ukraine et de lire des ouvrages tels que National Bolshevism : Stalinist mass culture and the formation of modern Russian national identity, 1931-1956 de David Brandenberger, The Affirmative Action Empire: Nations and Nationalism in the Soviet Union, 1923–1939 de Terry Martin, et « You, Stalin, are the traitor ». The End of Left-wing Solidarity. The Comintern and Communist Parties in the Second World War 1939-1941 de Bernhard Bayerlein.

Le plus grand problème que j’ai constaté chez la gauche occidentale est son ignorance du reste du monde, combinée à une étrange conviction qu’elle sait tout mieux que quiconque. Je souhaite vraiment surmonter cela.

Traduction Deepl revue ML