Politique et Social

Service public de la petite enfance, essentiel pour la société toute entière

Un service public de la petite enfance est essentiel à la fois pour permettre la qualité de l’accueil des jeunes et celle des conditions de travail des personnels, l’autonomie des femmes et l’égalité entre les sexes, et aussi l’amélioration du financement de la protection sociale.
Par Christiane Marty, Daniel Rome, Stéphanie Treillet, Thérèse Villame

Sommaire :
Introduction
1- Situation actuelle
Inégalités et insuffisance dans l’accueil de la petite enfance
Dégradation de la qualité de l’accueil des enfants et des conditions de travail des salarié·es
2- Le droit à l’emploi, condition de l’autonomie des femmes
Un droit en butte à des attaques convergentes
Les conséquences pour les femmes des politiques néolibérales de l’emploi
Différents modèles d’emploi des femmes au niveau international
Différentes prises en charge des enfants au niveau international
3- Un enjeu pour toute la société
L’emploi des femmes, bénéfique pour la protection sociale, en particulier pour les retraites
Enjeu d’une prise en charge égalitaire de l’enfant par les deux parents
L’insuffisance de l’offre d’accueil des enfants est l’une des raisons de la baisse de natalité
L’importance de la socialisation précoce des jeunes enfants
4- Propositions
Créer un service public de la petite enfance est urgent, nécessaire et possible
Existence de marges de manœuvre
Un cercle vertueux
Quel service public de la petite enfance ?
Favoriser la prise en charge égalitaire des enfants par les parents
Instaurer le droit pour tout enfant de trouver un mode d’accueil
Mettre en place de véritables filières professionnelles qualifiées et revalorisées
Promouvoir l’éducation à l’égalité dès l’enfance et lutter contre les stéréotypes sexués
Conclusion

*-*

Introduction
La question d’un véritable service public de la petite enfance constitue un axe central de la lutte pour la défense et l’extension des services publics, face aux politiques néolibérales qui les remettent en cause. S’il existe actuellement en France des structures collectives publiques d’accueil de la petite enfance pour l’âge préscolaire, elles sont très inégalement réparties sur le territoire et surtout globalement très insuffisantes par rapport aux besoins. Cette question est indissociablement liée à l’objectif d’un véritable droit à l’emploi à temps plein pour toutes les femmes, droit lui-même en butte aux politiques de précarisation de l’emploi comme aux attaques des théories patriarcales réactionnaires. Elle est enfin inséparable d’une politique éducative ambitieuse, égalitaire et non-sexiste, qui mette en avant une socialisation précoce des jeunes enfants dans des conditions épanouissantes, avec des garanties et des conditions de travail satisfaisantes pour les professionnel·les.

Dans ce texte, nous souhaitons montrer qu’un service public de la petite enfance est essentiel à la fois pour permettre la qualité de l’accueil des jeunes et celle des conditions de travail des personnels, l’autonomie des femmes et l’égalité entre les sexes, et aussi l’amélioration du financement de la protection sociale.

1. Situation actuelle

Inégalités et insuffisance dans l’accueil de la petite enfance [1]

Les modes de garde
Ils sont dits formels lorsqu’ils sont assurés par les assistantes maternelles (AM) et les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) ce sont les différents types de crèches, privées ou publiques, les haltes-garderies, les microcrèches, ou les crèches familiales avec des assistantes maternelles rattachées à une structure d’accueil collectif. Sinon, ils sont assurés par la famille. 

En 2021, la garde assurée à titre principal [2] par les parents est toujours majoritaire, mais elle est en net recul depuis 2002 : cette évolution est en relation avec la hausse du taux d’emploi des mères [3]. Ce sont 56% des enfants de moins de 3 ans qui sont gardés en semaine principalement par leurs parents [4], très souvent la mère (voir plus loin). On relève aussi une part de 3% d’enfants confiés à leurs grands-parents ou à un autre membre de la famille, traduisant des solutions de « débrouille ». Plus précisément, un tiers des enfants de moins de 3 ans est gardé exclusivement par ses parents et un enfant sur deux est gardé à la fois par ses parents et confié à un mode d’accueil formel.

Pour 41% d’entre eux, les enfants de moins de 3 ans sont confiés à des modes de gardes formels : principalement à une assistance maternelle (20%), à un établissement d’accueil du jeune enfant EAJE, (18%), mais aussi à l’école (2%) ou via une garde à domicile (1%). La part des enfants confiés aux deux modes de gardes formels principaux (assistantes maternelles et EAJE) a presque doublé entre 2002 et 2021 [5]. S’il s’agit d’une progression continue en faveur des EAJE (+ 9 points) ; le recours à une assistante maternelle (+ 7 points), qui avait nettement crû au début des années 2000, tend depuis à se stabiliser du fait d’un problème de recrutement et de dévalorisation des salaires de la profession. Au sein des EAJE, l’accueil en crèche municipale ou départementale est le plus répandu (11% de l’ensemble des enfants de moins de 3 ans), devant les crèches parentales ou familiales (3%), les microcrèches ou minicrèches (2%), les crèches de personnel ou d’entreprise et les haltes-garderies (2%).

Le recours à un mode d’accueil augmente avec l’âge de l’enfant : ainsi seulement 17% des enfants de moins de 6 mois fréquentent un mode d’accueil, alors qu’ils sont 67% parmi les enfants de 24 à 30 mois. Les enfants de moins de 18 mois sont confiés à un accueil individuel pour 26% d’entre eux, contre 20% à un mode d’accueil collectif. Pour les enfants de plus de 18 mois, l’accueil collectif est au contraire plus fréquent que l’accueil individuel (36% contre 33%).

Le recours aux différents modes d’accueil est très lié à la situation d’emploi et de temps de travail des parents. Ainsi, les enfants de moins de trois ans des couples dont les deux parents travaillent sont à 88% confiés à un mode d’accueil, et à l’inverse, lorsqu’au moins l’un des parents ne travaille pas, 85% des enfants sont gardés par leurs parents. Au sein de ces ménages (familles monoparentales comprises), c’est à 90% la mère qui n’a pas d’emploi et s’occupe de l’enfant. De même, dans les foyers où les deux parents travaillent mais où l’un des deux travaille à 50% ou moins, 69% des enfants sont gardés par leurs parents, le plus souvent la mère.

Les modes d’accueil des enfants de moins de 3 ans varient également fortement selon la catégorie socioprofessionnelle, actuelle ou antérieure, de leurs parents. En 2021, seuls 25% des enfants dont la mère est cadre ou exerce une profession intellectuelle supérieure sont gardés principalement par leurs parents, contre 59% des enfants dont la mère est employée, 64% des enfants de mères ouvrières et jusqu’à 88% de ceux dont la mère n’a jamais eu d’emploi [6]. Une étude réalisée par la CNAF [7] (Caisse nationale des allocations familiales) en 2022 sur le périmètre des familles allocataires de la CAF confirme que les familles les plus modestes [8] recourent trois fois moins souvent que les autres à un mode d’accueil formel : 23% seulement des enfants de ces familles sont confiés à un mode d’accueil en 2022 contre 74% des enfants des familles aux revenus plus élevés ! Cette disparité est en partie liée au coût associé aux modes d’accueil formels et à la manière de les financer.

Des coûts inégalitaires
Le reste à charge pour les parents, une fois toutes les aides déduites, peut être plus élevé quand ils recourent à une assistante maternelle en comparaison avec un EAJE [9]. La différence de coûts entre les deux modes d’accueil résulte notamment de l’application de barèmes distincts [10]. Le tarif appliqué aux familles recourant à une crèche – y compris crèche familiale – est déterminé par un barème défini en fonction du temps d’accueil des enfants, des ressources des familles et de la taille de la fratrie. Le taux d’effort des familles est alors assez stable, compris entre 4,9% et 7,2% des revenus par exemple pour une famille ayant un seul enfant et où les deux parents travaillent. Dans le cadre du recours à une assistante maternelle, c’est le complément de libre choix du mode de garde (CMG) qui finance une partie du coût. Cette prestation forfaitaire et plafonnée, modulée par tranche de revenus des familles et selon le nombre d’enfants à charge, produit des effets de seuil et ne prend en compte que partiellement la durée de l’accueil et les ressources des familles. Le taux d’effort a alors tendance à décroître lorsque les revenus augmentent. Ainsi, un couple percevant un Smic consacre 12,6% de ses revenus pour supporter le coût d’une garde à temps plein, contre 5,2% pour un couple percevant six Smic. Par ailleurs, l’emploi d’une assistante maternelle nécessite d’avancer des sommes plus importantes avant de recevoir les allocations et de bénéficier des réductions d’impôts [11].

Un taux de couverture insuffisant et inégal
En 2022, environ 1,3 million de places ont été proposées aux enfants de moins de 3 ans qui étaient alors au nombre de 2 millions. Ce sont les assistantes maternelles qui assurent la grande part de l’offre en modes d’accueil formels mais cette part est en diminution depuis 2014 (-1,7% du nombre de places), du fait de la baisse du nombre de professionnelles. Les EAJE pour leur part représentent 39% de l’offre. La scolarisation des enfants à 2 ans représente pour sa part 5% des places disponibles, elle a diminué de 1600 places en 2022.Le taux de couverture par une offre d’accueil formel s’établit ainsi à 60,3 places pour 100 enfants de moins de 3 ans en 2022. Mais cela ne signifie pas que 60,3% de ces enfants trouvent un mode d’accueil : car un même enfant peut mobiliser deux places pour être gardé toute la journée (par exemple école le matin, assistante maternelle l’après-midi). La capacité d’accueil réelle est donc inférieure. L’offre des assistantes maternelles représente 31,5 places pour 100 enfants et celle des EAJE 23,3 places. L’école préélémentaire offre 3,3 places pour 100 enfants et la garde à domicile 2,2 places. Le taux de couverture progresse lentement… mais cet accroissement s’explique surtout par la baisse du nombre d’enfants de moins de 3 ans depuis 2011. Il est aussi lié à l’augmentation du nombre de places en microcrèche, financées par la prestation de la prestation d’accueil du jeune enfant, Paje, (+15 900 places en 2022 [12]), sachant toutefois que ce type d’EAJE reste très minoritaire (6% de l’offre d’accueil en 2022).

Enfin, il faut souligner que la capacité d’accueil est très inégale selon les départements. Elle varie de 12 places pour 100 enfants de moins de 3 ans en Guyane, à 85 places en Vendée. Entre 2021 et 2022 toutefois, le taux de couverture a progressé dans les zones les moins bien dotées, l’offre d’accueil dans ces zones a augmenté plus rapidement (+ 1,7 point) que celle dans les zones les mieux dotées (+ 0,3 point).

Composition familiale, emploi des parents, 
niveau de vie des enfants

Au 1er janvier 2024, on recense en France 2,1 millions d’enfants âgés de moins de 3 ans. Depuis 2011, en France hors Mayotte, le nombre d’enfants de moins de 3 ans a baissé de 415 000, soit -17%.
En 2023, la très grande majorité (85%) des enfants de moins de 3 ans vivent avec leurs deux parents. Les 15% restants vivent avec un seul de leurs parents, dont à 14% dans une famille monoparentale et 1% dans une famille recomposée.
Les taux d’emploi des mères varient en fonction du nombre d’enfants de moins de trois ans et de leur situation familiale. Ainsi, lorsqu’elles sont en couple, 53% des mères de famille nombreuse ont un emploi, contre 74% des mères ayant un enfant et 75% des mères ayant deux enfants. Par contre, pour les pères en couple, les taux d’emploi varient bien moins avec le nombre d’enfants (entre 85% et 92%). Pour les mères en couple, le taux d’emploi global est de 70%, mais il chute à 43% pour les mères monoparentales. Ce qui explique aussi la situation très précaire et le plus fort taux de pauvreté de ces dernières.
Peu de pères travaillent à temps partiel, et ce, quelle que soit la composition familiale (4 à 10%). En revanche, la part de mères à temps partiel est plus importante et elle croît avec le nombre d’enfants de moins de trois ans : respectivement 26%, 36% et 38% pour un, deux ou trois enfants.
En 2021, deux enfants de moins de 3 ans sur dix vivent dans un ménage pauvre (c’est-à-dire dont le niveau de vie est inférieur à 1158 euros par mois). C’est un constat très proche de celui fait pour l’ensemble des enfants de moins de 18 ans. Les enfants de moins de 3 ans vivant en famille monoparentale ont un taux de pauvreté de 43%, contre 16% pour ceux vivant avec deux parents. Le niveau de vie moyen des enfants vivant en famille recomposée est également inférieur à celui des enfants vivants en famille « traditionnelle », l’écart s’élevant à 21%. De plus, 32% des enfants sont touchés par la pauvreté lorsqu’ils vivent en famille recomposée, contre seulement 15% en famille « traditionnelle ». Cela s’explique notamment par le fait que les familles recomposées ont en moyenne plus d’enfants.Le risque de pauvreté des jeunes enfants dépend surtout de la situation de leurs parents vis-à-vis du marché du travail : la pauvreté touche les deux tiers des enfants vivant avec deux parents sans emploi et huit enfants sur dix quand ils vivent dans une famille monoparentale dont le parent est sans emploi.

La reconnaissance officielle des besoins en termes d’accueil de la petite enfance n’est pas nouvelle. Depuis vingt ans, les objectifs de création de places se succèdent mais, même minimalistes, ils ne sont pas réalisés. Ainsi la Convention d’objectif et gestion (COG) de la CNAF pour 2013-2017 prévoyait la création de 100 000 places de crèches… et seulement 32 500 ont été réalisées ! L’objectif suivant pour la période 2018-2022 prévoyait la création de 30 000 places et seulement la moitié ont été créées. L’objectif affiché en juin 2023 par la Première ministre Élisabeth Borne est de 100 000 nouvelles places d’ici 2027, pour « garantir l’accueil de chaque jeune enfant » et « apporter des solutions concrètes aux parents ». Rappelons que 56% des   millions d’enfants étant gardés principalement par leurs parents, assurer l’accueil de chaque enfant nécessite en réalité la création de plus d’un million de places !

Depuis le 1er janvier 2025, l’organisation de l’offre d’accueil des enfants de moins de 3 ans, qualifiée de service public de la petite enfance (SPPE), est officiellement transférée aux communes… mais en attente des moyens alloués à cette mission ! 

Dégradation de la qualité de l’accueil des enfants et des conditions de travail des salarié·es
La politique de développement de l’accueil de la petite enfance s’est faite en livrant ces activités au secteur privé. Elle s’est accompagnée d’une dégradation des conditions de travail, avec l’aggravation des possibilités d’accueil en surnombre qui aboutit régulièrement au non-respect des taux d’encadrement, et avec la diminution des qualifications requises. En 2023 et 2024, quatre livres consacrés aux crèches du secteur privé lucratif ont été publiés : Les Ogres, de Victor Castanet (Flammarion, 2024) ; J’ai mal à ma crèche, de Julie Marty Pichon (Eyrolles, 2024), Le Prix du berceau, de Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse (Seuil, 2023) ; Babyzness, de Bérangère Lepetit et Elsa Marnette (Robert Laffont, 2023). Ces livres ont présenté un constat assez effrayant de la situation. Ils dénoncent une priorité absolue donnée à la rentabilité dans les groupes de crèches privées qui se fait au détriment des enfants, et une dégradation des conditions de travail qui aggravent la pénurie de personnel. 

En avril 2023, c’est un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) intitulé « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches » qui établit lui aussi un bilan inquiétant. Demandé par Jean-Christophe Combeministre des Solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, ce rapport montre que la qualité de l’accueil de la petite enfance est très hétérogène, avec un certain nombre d’établissements où elle est très dégradée du fait notamment d’un personnel peu qualifié et de directions d’établissement qui n’ont pas vraiment de projet pédagogique autour de la petite enfance. 

Dans ce secteur comme dans d’autres, on constate une pénurie de professionnel·les qui résulte d’une perte d’attractivité de ces métiers, peu reconnus et avec des salaires souvent très bas. Le rapport dégage 39 recommandations pour améliorer sensiblement la qualité de ce secteur qui devrait répondre pleinement aux besoins des enfants. Ajoutons que, comme les EHPAD, un certain nombre d’établissements accueillant des jeunes enfants sont contrôlés par des multinationales pour qui le profit et les gains de productivité priment sur la qualité de l’accueil et le bien-être des enfants. 

Le rapport fait état des principaux constats suivants :

  • Une qualité d’accueil particulièrement hétérogène, avec des établissements de grande qualité, portés par une réflexion pédagogique approfondie, mais aussi des établissements de qualité très dégradée ;
  • Une intégration des connaissances sur le jeune enfant, notamment dans les projets éducatifs des établissements et les formations des professionnels, variable selon les établissements ;
  • Une prise en compte qui demeure encore insuffisante des besoins de l’enfant et des risques sur des points récurrents que les témoignages font apparaître : le respect des rythmes des enfants ; le niveau sonore ; le moment des repas ; la réponse aux pleurs ; le vocabulaire utilisé pour parler de l’enfant ou de ses parents ;
  • Une pénurie de professionnels de la petite enfance résultant de la perte d’attractivité de ces métiers, qui constitue tant un symptôme qu’un facteur aggravant de cette situation ;
  • Trop peu de temps de réflexion sur les pratiques, pour les professionnels comme pour les cadres ;
  • Une information aux parents insuffisante sur les risques de maltraitance et les voies de recours existant en cas de difficulté ;
  • Des dispositifs de contrôle des crèches qui doivent viser plus directement la qualité relationnelle et la prise en compte des besoins des enfants dans les établissements.

Le rapport présente des recommandations pour améliorer la qualité d’accueil de la petite enfance, pour lesquelles le ministre a demandé une « mise en œuvre aussi complète et rapide que possible ». Compte tenu des faibles budgets sociaux liés à la petite enfance, à l’éducation, à la santé et à l’accompagnement de la fin de vie, et compte tenu de l’expérience de non réalisation des engagements précédents, on peut craindre que ces résolutions ne soient pas suivies d’effet.

Face à la multiplication des scandales au sein des structures d’accueil, la commission des affaires sociales du Sénat a enquêté et a publié en mars 2025 un rapport d’information [13]. Celui-ci énonce à son tour des constats accablants concernant les contrôles insuffisants, le sous-effectif chronique des services de protection maternelle et infantile, « les dérives liées à la maximisation des profits et à la recherche de réduction des charges de fonctionnement par les groupes privés de crèches ». La situation exige des mesures immédiates et concrètes. Outre assurer la sécurité et le bien-être des jeunes enfants, il s’agit également de défendre le droit à l’emploi pour les femmes.

2. Le droit à l’emploi, condition de l’autonomie des femmes
La bataille pour le droit à l’emploi des femmes est un combat sans cesse recommencé. En effet, il faut réaffirmer, contre les théories fallacieuses de la « fin du travail », le caractère contradictoire de l’emploi salarié : il constitue certes, par l’exploitation et la subordination qui lui est inhérente, une situation d’aliénation ; mais dans le même temps, c’est le lieu où se construisent les possibilités d’une organisation et d’une lutte collective contre celle-ci. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence de plusieurs tribunaux, qui ont affirmé la présomption de salariat pour les personnels des plates-formes d’ubérisation, constitue une avancée importante, à l’encontre des tendances au détricotage du salariat par les différentes formules d’auto entrepreneuriat. Ce caractère contradictoire est valable pour toutes et tous. Pour les femmes de surcroît, l’accès à l’emploi salarié, indépendant de la sphère familiale où elles ont longtemps été cantonnées avec un travail invisibilisé et non rémunéré (dans l’agriculture, l’artisanat ou le petit commerce), constitue la condition incontournable de l’accès à l’autonomie. 

Rappelons que cette conquête est relativement récente : en France, en 2020, sur le marché du travail, 67,6% des femmes âgées de 15 à 64 ans sont actives au sens du BIT (en emploi ou au chômage), contre 74,5% des hommes de la même classe d’âge. Sur longue période, l’écart de taux d’activité entre les femmes et les hommes s’est considérablement réduit, passant de 31 points en 1975 à 7 points en 2020. La hausse de 15 points depuis 1975 de l’activité féminine, de génération en génération, a plus que compensé un allongement de la durée des études, plus marqué encore que pour les hommes, retardant davantage leur entrée sur le marché du travail [14]. Et on sait que ce n’est que depuis 1965 que les femmes mariées peuvent exercer un emploi et avoir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari. Outre l’accès à une vie sociale extérieure au foyer que procure un emploi, même pénible, l’indépendance financière est une condition pour l’émancipation des femmes, et aussi pour qu’elles puissent envisager de quitter un mari violent : l’absence de revenu individuel est en effet un des facteurs qui contribuent à les en dissuader [15]. Si en majorité, les divorces sont demandés par les femmes, les divorces ou séparations font encore basculer un nombre significatif de femmes dans la pauvreté [16], qui est aussi une caractéristique largement partagée par les familles monoparentales. 

Un droit en butte à des attaques convergentes
Le droit à l’emploi des femmes se trouve en effet attaqué par la convergence de plusieurs tendances, à l’œuvre depuis des années mais qui ont pris récemment une intensité inquiétante. Des courants réactionnaires, voire masculinistes, interviennent, souvent violemment, pour un retour à l’ordre patriarcal et au rôle traditionnel des femmes [17]. Ils sont renforcés dans leur entreprise par une montée des courants intégristes dans les différentes religions (même si par ailleurs la place des religions en général régresse dans toute la société et partout dans le monde), et par les réseaux sociaux qui démultiplient l’audience d’influenceuses comme les « tradwiwes », venues des États-Unis, qui vantent la vie de femmes au foyer soumises à leurs maris [18]. Plus subtilement, des tendances se développement dans des secteurs plus progressistes de la société, prônant la fin du travail et un revenu d’existence [19] au nom du refus de l’aliénation du travail, et pour les mères, des consignes incitant à l’accouchement à domicile, au « maternage de proximité », à l’allaitement – voire à un allaitement long –, au portage du bébé, etc. S’il ne s’agit pas de remettre en cause les choix de chacune et chacun dans la façon de vivre la parentalité, on peut néanmoins s’interroger sur des tendances aboutissant à remettre en cause l’autonomie des femmes et un vrai partage des tâches entre parents [20].

De façon convergente, les politiques néolibérales de flexibilisation de l’emploi et de remise en cause de la protection sociale (assurance-chômage, retraites) et des services publics, précarisent l’emploi des femmes et fragilisent leurs revenus.

Les conséquences pour les femmes des politiques néolibérales de l’emploi (temps partiel et précarité, enjeu d’une vraie RTT) 
En France, à la différence des pays d’Europe du Nord (Allemagne, Pays-Bas, Autriche, Suisse ou pays scandinaves) ou de la Grande-Bretagne, pays où le temps partiel était considéré comme un sas de sortie de l’inactivité pour les mères de famille, voire comme une situation permettant de concilier emploi et tâches familiales, les femmes sont entrées sur le marché du travail très majoritairement à temps plein, à partir des années 1960. Ce sont les politiques de l’emploi menées à partir du début des années 1980 qui ont ouvert la voie au développement du temps partiel, à la fois volontaire dans la fonction publique, et souvent imposé et décidé par l’employeur dans le secteur privé. L’emploi à temps partiel va s’étendre notamment sous l’impulsion des exonérations de cotisations sociales employeurs qui lui sont associées, pour aboutir à une proportion d’environ 30% des femmes salariées occupant un emploi à temps partiel à partir du milieu des années 1990. Ce temps partiel, souvent contraint comme on l’a dit, répond à la définition que formule le BIT du sous-emploi. Certains secteurs d’activité comme la grande distribution ou le nettoyage ne proposent quasiment plus que des emplois à temps partiel. Force est de constater que la résistance du mouvement syndical à cette régression n’a pas toujours été initialement à la hauteur, l’idéologie de la « conciliation » des rôles (réservée aux seules femmes) masquant la régression.

Rappelons par ailleurs que cette « conciliation » et ce « temps choisi » sont toujours restés largement fictifs, tant l’organisation du travail et la flexibilité des horaires imposent souvent des journées à rallonge avec des longues coupures. Même dans le cas du temps partiel choisi, celui de la fonction publique, il faut noter qu’il s’agit souvent pour les mères de jeunes enfants d’un « choix » fort contraint par l’absence de partage des tâches domestiques et parentales au sein du couple hétérosexuel, par l’absence ou l’insuffisance des modes de garde, ou par la culpabilisation qui peut encore peser sur elles (par exemple pour le mercredi). Des enquêtes sociologiques ont mis en évidence le fait qu’un passage à temps partiel génère souvent un recul dans le partage des tâches dans le cas où un minimum existait, les tâches domestiques accomplies par les femmes devenant désormais quasi-invisibles, tout comme leur travail à l’extérieur [21]. Les emplois à temps partiel au SMIC s’avèrent être la cause principale de la surreprésentation des femmes parmi les travailleurs et travailleuses pauvres, qui ne parviennent pas à vivre décemment de leur salaire. Qui dit temps partiel dit salaire partiel, retraite partielle, et bien souvent absence de formation et d’avancement. 

Influence des politiques publiques 
sur l’emploi des femmes

Il est intéressant de rappeler l’exemple de l’allocation parentale d’éducation (APE). Même si elle s’adresse en théorie aux deux parents, en pratique 98% de ses bénéficiaires sont des femmes. En 1994, l’APE qui ne concernait auparavant que les parents de trois enfants ou plus, a été étendue aux parents de deux enfants. Cette mesure a joué comme une incitation pour les femmes à se retirer de l’emploi pour s’occuper de leurs enfants et elle a eu un impact significatif : dans les trois ans qui ont suivi, le taux d’activité des mères éligibles à cette mesure a chuté de 16 points [22], en passant de 73% à 57%. Ces femmes ont ensuite rencontré de vraies difficultés à réintégrer le marché du travail. Ce retrait de l’activité concernait principalement des femmes déjà en situation de précarité et de sous-emploi, vivant dans de petites villes de provinces où les modes d’accueil étaient inexistants.

D’une façon générale, si le surchômage des femmes par rapport aux hommes a disparu depuis une dizaine d’années, il a été remplacé par une précarité de l’emploi plus fréquente, ou un chômage déguisé en inactivité et donc non comptabilisé. Par ailleurs, en dépit de la législation sur l’égalité salariale complétée plusieurs fois depuis la loi Roudy de 1983, la différence de salaires entre femmes et hommes, y compris à temps de travail égal et secteurs et qualification équivalente (donc la discrimination pure) ne diminue quasiment plus [22]. Les écarts de revenu salarial entre femmes et hommes sont encore plus marqués lorsqu’il y a des enfants : les mères ont des temps de travail mais aussi des salaires en équivalent temps plein nettement inférieurs aux pères, et les écarts croissent avec le nombre d’enfants [23].

Le combat pour une véritable réduction de la durée du travail, prescrite par la loi, collective, égalitaire, sans perte de salaire, avec interdiction du temps partiel imposé et de la flexibilisation des horaires, demeure donc toujours d’actualité. Si les lois Aubry sont dans l’ensemble vécues comme un acquis par les salarié·es, elles ont été mises en place au prix de concessions importantes au patronat sur ces différents plans, et pour cette raison n’ont pas permis le retour au plein-emploi à temps plein, même si elles ont permis de créer un nombre non-négligeable d’emplois [24]. Cela montre donc les potentialités d’une vraie RTT pour le droit à l’emploi des femmes. Or le Medef et les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de s’attaquer aux 35h depuis une vingtaine d’années, les deux lois travail ayant parachevé l’opération en ramenant les négociations sur la durée du travail au niveau des entreprises. 

Par ailleurs, si une réduction de la durée du travail est une condition nécessaire pour que le partage des tâches entre femmes et hommes devienne plus égalitaire, l’expérience des 35h a montré qu’elle est loin d’être suffisante. Les différentes enquêtes ont établi que, majoritairement, les hommes occupent leurs « jours RTT » pour du loisir ou des activités diverses comme la pratique d’un sport, et les femmes pour rattraper les tâches domestiques en retard ou s’occuper des enfants. On observe aussi le maintien d’une différenciation dans les activités parentales : aux hommes les sorties, les jeux, les activités culturelles, aux femmes le linge et les repas [25]. Ce noyau dur de l’inégalité dans l’organisation des temps sociaux renvoie à la nécessité d’une éducation non sexiste mettant l’accent de façon volontariste sur ces questions, très tôt dans la scolarité.

Différents modèles d’emploi des femmes au niveau international
Plusieurs modèles d’emploi des femmes, en corrélation avec des modèles familiaux et des systèmes de protection sociale différents coexistent en Europe et dans les pays industrialisés plus généralement.On distingue deux grands ensembles [26] : les pays du sud de l’Europe, auxquels il faut ajouter l’Irlande, les moins industrialisés et aux revenus par tête les plus faibles, et où le taux d’activité des femmes est faible – même s’il a connu une augmentation au cours des 20 dernières années –, où prédominent les modèles familiaux traditionnels (même si ceux-ci sont en recul), et où les taux de temps partiel des femmes sont très faibles ; et les pays du nord de l’Europe, les plus industrialisés et dont le revenu par tête est le plus élevé, où le temps partiel est bien plus fréquent pour l’emploi des femmes. On peut subdiviser cette catégorie en trois sous-groupes : les pays scandinaves, où les modèles familiaux sont relativement égalitaires, et les temps partiels (par ailleurs largement occupés aussi par des hommes) sont plus longs, mieux rémunérés et assortis de meilleures garanties ; les pays de l’« arc germanique » (Allemagne, Suisse, Pays-Bas, Autriche), où prédomine le modèle familial de l’« homme gagne-pain », où les taux d’activité des femmes restent faibles et stigmatisés en ce qui concerne les mères de jeunes enfants ; et les pays anglo-saxons (Grande-Bretagne, États-Unis), où les inégalités sociales sont très fortes, les taux d’activité des femmes élevés mais au prix de temps partiels très courts et très précaires, avec une prédominance des mécanismes concurrentiels dans le fonctionnement des marchés du travail, la protection sociale et les services.

Si la propagande du Medef, du gouvernement et des think tanks proches de la droite et de l’extrême droite martèlent que les durées de travail sont plus faibles en France qu’ailleurs [27], en réalité la durée moyenne du travail est plus faible dans un grand nombre d’autres pays si on prend en compte justement l’importance des temps partiels. L’institut Rexecode lui-même relève que « La France affiche une part de l’emploi salarié à temps plein relativement élevée, supérieure à celles de la plupart des pays d’Europe du nord, et donc un moindre recours relatif au travail à temps partiel. La durée annuelle effective moyenne du travail sur l’ensemble des salariés en France, tout en demeurant parmi les plus basses de l’UE, est supérieure à celle de l’Allemagne et des pays d’Europe du nord lorsque le travail à temps partiel est pris en compte [28] ».

Différentes prises en charge des enfants au niveau international
Comme on l’a vu, depuis le 1er janvier 2025, l’organisation de l’accueil des jeunes enfants est transférée aux communes, ce qui est qualifié de démarrage du service public. Il n’existe toujours pas de droit opposable à la garde des jeunes enfants, bien qu’Emmanuel Macron l’ait promis en 2022. La situation reste marquée par des grandes inégalités territoriales, une grande hétérogénéité et une insuffisance globale des modes de garde. Elle est cependant moins mauvaise que dans la plupart des autres pays industrialisés, pour deux raisons principales : l’existence en France de l’école dite « maternelle », c’est-à-dire préélémentaire, appartenant à l’éducation nationale, et le fait que, jusqu’à présent, l’emploi à temps plein des femmes ayant de jeunes enfants n’est pas stigmatisé comme dans certains paysÀ cet égard, les comparaisons internationales offrent un éclairage utile pour montrer à quel point l’insuffisance des modes d’accueil et le renvoi couramment admis à la sphère familiale de la garde des jeunes enfants – ce que préconise le rapport de la Cour des comptes (voir page 13) – constituent un obstacle au droit à l’emploi et à l’autonomie des femmes. 

Ainsi, en Allemagne, la pénurie de modes d’accueil préscolaires – même si de nombreuses places d’accueil ont été créées ces dernières années – et l’absence d’école primaire en général l’après-midi restent un obstacle à l’activité des mères de jeunes enfants, par ailleurs longtemps stigmatisée. Un reportage explique qu’en Suisse, la poursuite de leur activité par les salariées expatriées ou frontalières françaises, après la naissance d’un enfant, est apparue dans les entreprises comme contraires aux habitudes locales [29]. Enfin, plusieurs études comparant les modes d’accueil des jeunes enfants et l’emploi des mères en Europe ont montré une corrélation étroite entre les deux [30].

Comme le montre Hélène Périvier, même dans les pays scandinaves où des modes d’accueil collectifs et publics des jeunes enfants sont largement accessibles et où existe une sorte de droit opposable pour cette garde, cela n’empêche pas une ségrégation sectorielle des emplois très genrée. Cette situation est renforcée par le fait qu’existent dans ces pays des systèmes de congés parentaux longs, mieux rémunérés qu’ailleurs et en principe organisés pour une plus grande égalité entre les parents (jours non transférables réservés au père). Ainsi, même avec ces dispositifs jugés plus favorables, la naissance d’un enfant reste toujours défavorable à la carrière des femmes, d’autant que ce congé parental est obligatoire pour la première année et que l’accès aux crèches est impossible avant 10 mois ou un an. Malgré les différentes incitations, les pères prennent finalement très peu ces congés, comme on peut l’observer dans le cas de la Finlande [32].

3. Un enjeu pour toute la société

L’emploi des femmes bénéfique pour la protection sociale, en particulier pour les retraites
Avoir un emploi, de qualité, à temps complet, ne plus subir d’inégalités professionnelles sont, on l’a vu, des conditions indispensables pour l’autonomie financière des femmes et pour leur émancipation. Mais en même temps, l’emploi des femmes est très bénéfique pour l’ensemble de la société, notamment pour ce qui concerne la protection sociale. Une plus forte intégration des femmes dans la population active constitue en effet un levier efficace pour améliorer les recettes de cotisations de la Sécurité sociale, en particulier des caisses de retraite. Il est utile de préciser un peu cette question. 

Depuis 30 ans, pour justifier les réformes successives des retraites, les discours officiels alertent sur la dégradation du rapport entre le nombre des personnes actives et celui des retraité·es et expliquent qu’il faut augmenter l’effectif de la population active. Mais quel que soit le gouvernement en place, cet objectif s’est focalisé sur l’activité des séniors, et le fait que leur taux d’emploi en France est inférieur à celui des autres pays est présenté comme un argument décisif. C’est donc censé justifier les allongements réguliers de la durée de cotisation et le recul de l’âge de la retraite d’abord à 62 ans, puis à 64 ans. 

Le potentiel lié à la hausse de l’activité des femmes est, lui, continuellement occulté, y compris dans les rapports du Conseil d’orientation des retraites dont les projections n’intègrent jamais cette hypothèse ! Pourtant, si on reprend l’argument des comparaisons entre pays, la France ne se situe qu’au 21ème rang des 27 pays de l’Union européenne [32] en ce qui concerne le taux d’emploi des femmes ! Il y a donc une forte marge d’amélioration possible pour le niveau d’emploi des femmes par rapport aux autres pays… mais aussi par rapport aux hommes. En effet, la différence est importante entre les taux d’activité des femmes et des hommes. Elle atteint 8,1 points (84,5% contre 92,6% respectivement [33]) dans la tranche d’âge des 25-49 ans et elle est très liée au nombre d’enfants. Sans enfant, cette différence n’est que de 0,4 point, mais elle monte à 38,1 points entre les taux d’activité des femmes et des hommes qui ont 3 enfants dont un de moins de 3 ans !

Oublier ainsi l’activité des femmes pour ne cibler que celle des séniors est déconnecté de la réalité. Alors que de nombreux séniors arrivent à 60 ans, ou même avant, usés par le travail et aspirent à la retraite, alors que les employeurs continuent de se débarrasser d’eux, avoir un emploi reste à l’inverse le souhait de nombreuses femmes qui en sont privées. Elles se retirent de l’emploi, ou passent à temps partiel, notamment du fait des difficultés à trouver un mode d’accueil pour leur enfant, ou du fait de son coût. Les mères employées ou ouvrières sont plus souvent contraintes que les cadres de cesser leur activité pour les enfants [34], du fait de plus faibles salaires ou de conditions de travail plus contraignantes (horaires irréguliers, etc.). Il n’y a aucune justification à ce que les femmes soient moins intégrées à la population active que les hommes, ni à ce que l’emploi à temps partiel soit majoritairement féminin… si ce n’est un renoncement à l’objectif d’égalité. 

Le manque de modes d’accueil de la petite enfance est ainsi l’une des causes de la plus faible participation des femmes au marché du travail et de leur prédominance dans l’emploi à temps partiel, avec toutes les implications négatives ensuite sur leur situation. Mais c’est aussi l’une des explications identifiées de la baisse de la natalité (voir plus loin).

Enjeu d’une prise en charge égalitaire de l’enfant par les deux parents
De nombreuses études ont montré que les inégalités entre les femmes et les hommes se creusent à l’arrivée des enfants, résultant notamment de l’inégal partage des tâches dans la sphère privée [35]. Cinq ans après la naissance d’un enfant, on constate ainsi une augmentation de l’inégalité salariale : « les mères perdent environ 25% de leurs revenus salariaux par rapport à ce qui se serait produit sans cette arrivée. Au contraire, l’arrivée d’un enfant n’a quasiment aucun impact sur les hommes, hormis sur les mieux rémunérés d’entre eux… qui augmentent leur activité [36] ».

Cette inégalité entre les mères et les pères se double d’une inégalité amplifiée entre les femmes elles-mêmes. En effet, les pertes de salaire des femmes varient selon leur niveau initial de salaire horaire et elles sont le plus prononcées pour les bas salaires (jusqu’à 40% de perte). Les écarts sont ainsi importants entre les femmes les moins qualifiées, qui ont moins accès à un mode d’accueil pour leur enfant et qui prennent un congé parental long ce qui les éloigne du marché du travail, et les femmes plus qualifiées qui ont bien plus souvent accès à un mode d’accueil, collectif ou individuel, et qui prennent un congé moins long, moins défavorable à leur carrière. 

Un enjeu majeur, autant pour réduire les inégalités, y compris celles entre les femmes elles-mêmes, que pour concilier le bien-être des enfants et des parents est de promouvoir l’investissement égal des deux parents dans l’éducation des enfants dès leur naissance.

Une occasion de progrès gâchée
En 2018, un projet assez progressiste de directive européenne « vie privée – vie professionnelle » visait à améliorer la participation des femmes sur le marché du travail, et pour cela proposait notamment une meilleure indemnisation du congé parental et l’imposition du congé paternité à la naissance d’un enfant. Mais Emmanuel Macron, bien qu’il ait décrété l’égalité femmes-hommes « grande cause » de son quinquennat, a estimé que c’était « une belle idée mais elle peut coûter très cher et finir par être insoutenable [37] ». Face aux réticences de la France et de quelques autres pays membres, les ambitions initiales de la directive ont été très fortement revues à la baisse.

Le congé parental et le congé de paternité constituent pourtant un levier efficace pour promouvoir l’investissement des pères dans la prise en charge d’un enfant dès sa naissance. Les habitudes de répartition genrée des rôles s’installent en effet dès les premiers jours de l’arrivée d’un enfant. Hélène Périvier qui a produit plusieurs études sur les congés de paternité et parentaux constate que le congé parental est pris essentiellement par les mères (en 2019, moins de 1% des pères prennent le congé parental à temps plein) et que, trop long, il aboutit à éloigner les femmes, surtout les moins qualifiées, de l’emploi. Pour ces dernières en effet, le calcul est souvent simple entre poursuivre un travail peu rémunéré et devoir trouver et payer un mode de garde, ou bien se retirer de l’emploi en percevant la rémunération du congé parental. Nos propositions concernant la refonte du congé parental et du congé de paternité sont présentées dans la partie 4.

Un rapport irrecevable de la Cour des comptes
En décembre 2024, la Cour des comptes a publié un rapport sur la politique d’accueil du jeune enfant. Face à l’insuffisance de modes d’accueil pour les jeunes enfants, elle recommande de développer « la garde parentale, moins onéreuse pour les finances publiques » que la création de places d’accueil… et elle préconise d’allonger le congé de maternité pour réduire la demande d’accueil, alors que le congé de paternité, lui, n’est pas évoqué. Proposer d’allonger le congé de maternité en oubliant le congé de paternité va à l’opposé d’une politique pour l’égalité et pour l’investissement des hommes auprès des enfants dès leur naissance, alors qu’un tiers des pères ne prennent toujours pas leur congé de paternité. Une tribune a été publiée dans Le Monde en réaction à ce rapport [39].

L’insuffisance de l’offre d’accueil des enfants est l’une des raisons de la baisse de natalité
La France connait depuis quelques années une baisse de la natalité. Bien qu’elle garde encore l’indice de fécondité le plus élevé parmi les pays européens, le ralentissement des naissances donne lieu à de nombreux commentaires dans la presse et le débat public. Ainsi, la baisse de natalité est enrôlée pour dramatiser le vieillissement de la population et parler de mise en danger de notre système de retraites du fait de la diminution du nombre de cotisant·es. Remarquons que la contribution bénéfique de l’immigration, qui se traduit par une augmentation du nombre de personnes cotisantes, n’est que très rarement mentionnée, de même qu’est occulté le fait que les familles d’immigré·es et leurs descendant·es contribuent à augmenter la population car elles ont en moyenne un nombre plus élevé d’enfants, même si cette différence tend à diminuer.

La mortalité infantile augmente en France
La baisse de mortalité infantile est un indicateur clé de l’amélioration des conditions sociales et sanitaires d’un pays. Le taux de mortalité infantile diminue partout ailleurs en Europe, mais il augmente en France depuis dix ans. En 2024, il atteint 4,1 décès pour 1000 naissances [40], ce qui place la France parmi les derniers pays de l’Union européenne. Les raisons pour expliquer cette situation alarmante mentionnent, notamment, les fermetures de maternités, l’inadéquation de leur répartition sur le territoire, la pénurie de soignant·es et le recours à des intérimaires, ce qui participe à la dégradation des soins, le manque de lits en réanimation néonatale. Là encore, les inégalités sont fortes selon les territoires, la Seine Saint-Denis et les départements d’outre-mer étant les plus touchés. Dans ce secteur comme dans l’accueil de la petite enfance, malgré des alertes récurrentes de la part des professionnel·les, il n’y a pas de réponse politique à la hauteur.

Les considérations sur la baisse des naissances ouvrent droit la voie à des propositions de mesures pour relancer la natalité. Au début de 2024, le président Macron avait déjà annoncé lancer un « réarmement démographique » ! Or toute politique nataliste ne peut qu’empiéter sur le libre arbitre des femmes. La politique familiale devrait simplement viser à permettre aux femmes, et aux couples, de choisir librement d’avoir ou non des enfants, c’est-à-dire de ne pas laisser les contraintes matérielles décider à leur place. Pour cela, elle doit donner aux parents les moyens de satisfaire leur choix… et en particulier leur assurer la possibilité de trouver un mode d’accueil pour leur enfant.

En effet, l’insuffisance des structures d’accueil de la petite enfance est l’une des raisons identifiées qui expliquent la baisse de natalité, aux côtés des problèmes de logement et de la hausse des prix de l’immobilier, des revenus trop faibles des jeunes ménages, de l’éco-anxiété liée aux inquiétudes face à l’avenir, mais aussi – ce qui est très peu mis en avant – des inégalités importantes existant entre les femmes et les hommes et de la surcharge mentale des femmes. L’économiste Claudia Goldin, récompensée par le prix Nobel en 2023, a démontré que l’intégration des femmes au marché du travail et le partage des tâches domestiques entre les femmes et les hommes jouent un rôle majeur dans la décision d’avoir un enfant. Répondre aux besoins de places d’accueil des jeunes enfants pourra permettre de lever un des obstacles que rencontrent les couples dans leur projet d’avenir, même si ce ne doit être en aucun cas l’objectif.

Remarque sur la défense d’une politique nataliste par l’extrême droite
La relance de la natalité française est présentée par l’extrême droite comme indispensable pour assurer « la continuité de la Nation et la perpétuation de notre civilisation » et empêcher le fameux « grand remplacement » et « la submersion migratoire », toujours agités comme un épouvantail. En octobre 2022, une députée du RN affirmait « si nous ne relançons pas notre natalité, notre peuple disparaîtra ». Ce parti a inscrit dans son programme la mesure d’un prêt à taux zéro pour le logement à la naissance d’un troisième enfant… alors même que le logement est de plus en plus souvent un problème dès le premier enfant ! Le programme du RN ne contient aucune proposition pour des modes d’accueil de la petite enfance, considérant que c’est le rôle des mères de s’occuper des enfants…

L’importance de la socialisation précoce des jeunes enfants
Les recherches sur la façon dont se construisent les inégalités sociales dès l’enfance montrent qu’elles prennent racine dans la famille, en fonction bien sûr des inégalités de revenus et de conditions de vie, mais aussi de capital culturel, d’accès à la culture livresque, de pratique du langage, etc. [40]. Il apparaît que par rapport à cela, une socialisation précoce des jeunes enfants, que ce soit en crèche collective ou à l’école préélémentaire, contribue à atténuer ces inégalités de départ. Elle est favorable au développement émotionnel, psychologique et social des enfants, ainsi qu’aux progrès des apprentissages. Pourtant, on constate depuis plusieurs années un recul important de la scolarisation à 2 ans, ce qui constitue une régression majeure. Entre 2001 et 2012, elle a presque été divisée par trois, passant de 259 700 à 91 100 enfants, sans que le nombre de places en crèches compense cette baisse. Là aussi, les inégalités territoriales sont considérables [41].

Il importe ici de considérer non seulement la dimension quantitative mais aussi qualitative de l’offre d’accueil. Créer des centaines de milliers de places d’accueil dans ce contexte prend tout son sens. Toutefois derrière le mot de « place » se dessine un double enjeu : il s’agit bien sûr de générer de nombreuses places mais aussi d’assurer un accueil de qualité à chaque enfant, pour qu’il puisse trouver « sa » place, favorisée par une professionnalisation de qualité des accueillant·es. 

Le petit bébé est dépendant et vulnérable. Pour acquérir des repères et les premières bases de son identité, il s’appuie sur la relation avec les personnes qui prennent soin de lui et sauront répondre à ses demandes. Le tout-petit a ainsi tissé, dans sa relation à sa mère et à son père, ou à ses deux parents, des premiers repères sensitivomoteurs, psychoaffectifs qui constituent son premier sentiment de sécurité. Confronté dans son tout nouveau mode d’accueil à un entourage différent du milieu familial, il doit y trouver une continuité de repères, qui se co-construit entre les parents et les professionnel·les. Cela demande du temps et de la disponibilité afin d’installer les voies de passage vers une distanciation indispensable pour confier son enfant à une personne « inconnue ». 

Du côté des professionnel·les, s’occuper des enfants des autres ne s’improvise pas mais repose sur des cultures de métiers où s’est forgée la capacité à regarder, observer, décrire, interagir avec l’enfant et le resituer dans son contexte de vie. Il ne va pas de soi d’accompagner les charges émotionnelles des bébés qui vivent leurs premières angoisses de séparation. La commission des 1000 premiers jours, initiée en 2019, a confirmé que « la formation de haut niveau du personnel était prédictive d’une meilleure sensibilité des professionnels aux besoins des enfants, alors que les symptômes dépressifs sont plus fréquents chez des professionnels de crèche ayant une faible formation ». Être professionnel·le de la petite enfance est un métier d’exigence où l’on doit pouvoir faire un travail sur soi pour ne pas refuser de voir les difficultés du bébé. Et petit à petit, ce bébé qui a obtenu « une » place en crèche va y trouver « sa » place, entouré d’un personnel suffisamment nombreux et qualifié pour rester disponible à la relation avec l’enfant et à l’auto réflexion sur la pratique. De ce point de vue, la recherche internationale [42] indique que la qualité d’accueil est liée à un ensemble de critères prenant en compte : les niveaux de qualifications professionnelles, les taux d’encadrement [43], la taille restreinte des groupes d’enfants, le respect des rythmes spécifiques des tout-petits, le temps et la disponibilité accordés à l’enfant et sa famille, l’implication des parents, la sensibilité du personnel aux intérêts et aux besoins des enfants, la stabilité du personnel, l’adéquation des locaux, le sens que trouvent les personnels dans leur travail et leur accord avec les objectifs et les méthodes du travail, ainsi que des temps de réflexion réguliers sur les pratiques, qui favorisent une prise en compte de l’enfant et de sa famille dans une relation individualisée.

4. Propositions
La création d’un service public de la petite enfance constitue donc à la fois un enjeu crucial pour les jeunes enfants, pour les femmes – plus encore pour les mères de familles monoparentales – pour assurer leur droit à l’emploi et leur autonomie ; un moyen de progresser vers l’égalité ; une piste, pourtant jamais prise en compte, pour améliorer le financement de la protection sociale et en particulier des retraites ; mais aussi, même si ce n’est pas l’objectif, cela permettrait de supprimer un des obstacles expliquant la baisse de la natalité.

Créer un service public de la petite enfance est urgent, nécessaire et possible

Existence de marges de manœuvre budgétaires
Le financement des politiques pour assurer la transition sociale et écologique a fait l’objet de propositions concrètes de la part des partis de la gauche de transformation comme de plusieurs organisations du mouvement social. Les libéraux opposent systématiquement à ces propositions le déficit budgétaire et la dette, qualifiée de colossale, que l’on va laisser aux générations suivantes. Pour eux, la solution d’adapter les recettes aux dépenses nécessaires pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux est inenvisageable. Le Premier ministre l’a de nouveau exclu pour le budget 2026, et annonce la réduction de la dépense publique ! Il existe pourtant des marges de manœuvre, à la fois au niveau de la répartition de la valeur ajoutée entre travail et capital, et au niveau de la redistribution assurée par le système fiscal. 

Concernant la première, une note des Économistes atterrés [44] a établi en 2023 que depuis la décennie 1970, la part des salaires dans la valeur ajoutée brute des sociétés non financières a chuté de 4 à 5 points. La tendance à la hausse des revenus du capital distribués s’accompagne de la faiblesse des profits utilisés pour l’investissement. En 2024, les entreprises du CAC 40 ont encore généré plus de 130 milliards d’euros de profits [45].

Concernant le système fiscal, rappelons que son évolution depuis les années 1980 se caractérise par un allègement de la fiscalité sur les ménages les plus riches et sur les grandes entreprises, allègement qui a été mis en œuvre par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche. Aujourd’hui, comme le montre Gabriel Zucman [46], les 500 plus grandes fortunes françaises (plus de 100 millions d’euros de patrimoine) paient, tous prélèvements inclus (TVA, impôt sur les sociétés, cotisations, etc…), deux fois moins d’impôts, relativement à leurs revenus, que les autres catégories de la population. Le patrimoine de ces très riches connait ainsi une croissance spectaculaire : il est passé de 200 milliards en 2010 (environ 10% du PIB) à plus de 1200 milliards en 2024 (près de 50% du PIB) ! Outre les mettre réellement à contribution, il serait possible d’agir pour s’attaquer à l’évasion fiscale, qui fait perdre 130 milliards d’euros d’impôt par an. Ces mesures de justice fiscale permettraient de dégager des sommes importantes pour le service public.

En 2021, le gouvernement a débloqué des fonds importants pour amortir le choc économique et social dû à la crise du covid. En mars 2025, le Président a annoncé que le budget de la défense passera à 3% du PIB, soit une augmentation d’un peu moins de 300 milliards. Ce qui montre, si besoin était, qu’il n’y a pas d’impossibilité de financer des dépenses lorsqu’il y a la volonté politique. 

Un cercle vertueux
Construire un service public de la petite enfance, avec des places d’accueil en nombre suffisant – et plus largement, développer aussi des services de proximité et d’aide à la dépendance des personnes âgées – répond aux besoins sociaux tout en créant de nombreux emplois. Précisons que ces emplois ont vocation à s’adresser aux femmes comme aux hommes. De nouvelles personnes occupant un emploi et percevant un revenu, ce sont de nouvelles demandes, et donc opportunités d’emplois, qui émergent dans les secteurs de la restauration, la culture, les loisirs, etc. Les nouveaux revenus donnent lieu à des cotisations sociales et des recettes fiscales supplémentaires. C’est un cercle vertueux qui s’enclenche autour du développement de l’emploi et de la réorientation de l’activité économique vers la prise en charge des besoins sociaux et environnementaux.

Quel service public de la petite enfance ?

Favoriser la prise en charge égalitaire des enfants par les parents
Le partage des tâches entre les deux parents sera favorisé par un congé parental court, partagé et bien indemnisé, comme présenté précédemment. Son indemnisation serait calculée en proportion du salaire passé, de manière à ne pas désinciter les pères (en Suède, l’indemnisation correspond à 80% du salaire, souvent complétée à 100% par l’entreprise). Les propositions sont les suivantes :

  • Allonger le congé paternité, voire le rendre égal au congé maternité comme l’a fait l’Espagne en 2021 en accordant à chacun des parents 16 semaines de congé, non transférables (depuis, les études ont montré que les Espagnols prennent massivement ce congé, initiant un réel changement culturel). Rendre ce congé obligatoire, comme l’est en grande partie le congé maternité, cette disposition permettant d’éviter une éventuelle pression patronale pour y renoncer [47].
  • Transformer le congé parental, qui devra être plus court pour ne pas compliquer le retour à l’emploi comme constaté actuellement, bien rémunéré pour ne pas en dissuader les pères, et conditionné à un partage égal entre les deux parents sans possibilité de transfert.
  • Défendre et développer l’école préélémentaire, à l’opposé donc de la tendance actuelle à la fermeture de classes.
  • Lancer une campagne d’information et de sensibilisation pour en finir avec l’association du congé parental aux mères.

Il est temps en effet d’envoyer le message suivant : la paternité n’est pas seulement un droit, c’est aussi un devoir, notamment celui de prendre en charge l’enfant au même titre que la mère dès les premières semaines de l’enfant. Le rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (Igas) présenté précédemment en arrive à la même conclusion [48]. Pour que l’égalité femmes-hommes puisse se développer, il est impératif que les pères fassent leur part et assument leurs responsabilités. Cela sera rendu possible par le développement des dispositifs d’accueil de la petite enfance.

Instaurer le droit pour tout enfant de trouver un mode d’accueil 
Le progrès serait d’instaurer un droit pour tout enfant de trouver, à un coût abordable, un mode d’accueil avant l’âge de scolarisation. Ce droit serait assuré dans le cadre d’un service public de la petite enfance – et non de structures privées privilégiant le profit – regroupant tous les modes d’accueil : crèches, haltes garderies, assistantes maternelles, avec une priorité aux crèches publiques à but non lucratif. Les structures collectives offrent en effet des conditions d’accueil favorables à l’épanouissement des enfants pour peu que les critères favorisant la qualité soient remplis, et elles permettent une intégration plus facile pour les enfants dont la langue d’origine n’est pas le français. Rappelons qu’il s’agit environ d’un million de places à créer.

Le service public de la petite enfance doit être à la hauteur d’une politique d’accueil ambitieuse, basée sur l’universalisme – un accueil pour tous les enfants sans distinction – ; l’accessibilité sur l’ensemble du territoire quel que soit l’endroit où l’on habite ; la gratuité, comme l’est l’école, bénéficiant dans un premier temps aux familles vivant sous le seuil de pauvreté puis généralisation progressive ; la qualité selon les critères évoqués précédemment.

Mettre en place de véritables filières professionnelles qualifiées et revalorisées
Il est urgent d’agir face au constat alarmant sur la dégradation du secteur d’accueil de la petite enfance et sur les difficiles conditions de travail. Le collectif Pas de bébés à la consigne se mobilise depuis 2009 pour assurer « l’attractivité des métiers de la petite enfance, pour garantir la qualité d’accueil et stopper les souffrances et la pénurie dans les crèches et dans l’accueil individuel. » Ce collectif propose ainsi : 

  • Un plan pour la formation initiale et continue des professionnel·les de ce secteur (13 000 à 15 000 personnes diplômées par an sur les 5 prochaines années).
  • La reconnaissance des assistant·es maternel·les comme professionnel·les de la petite enfance avec un accès garanti à une formation continue de qualité. 
  • Le passage à 60% du taux de personnels hautement qualifiés (auxiliaires de puériculture, éducateur et éducatrices de jeunes enfants, puériculteurs et puéricultrices, …) dans les structures.
  • Une revalorisation salariale supérieure aux 100-150 euros mensuels qui ont été évoqués par le gouvernement.
  • Une personne d’encadrement pour cinq enfants dès 2027 et une pour quatre enfants en 2030.
  • Concernant l’accueil des tout-petits à l’école préélémentaire, il convient d’adapter des conditions particulières d’accueil aux besoins de jeunes enfants de 2 à 3 ans : activités, espaces, rythmes et équipements adaptés à leur âge, professionnel·les formé·es spécifiquement aux enjeux de la toute petite enfance en favorisant un socle de formations communes entre enseignant·es de TPS (toutes petites sections) et éducateurs et éducatrices de jeunes enfants (EJE) ; taux d’encadrement d’un enseignant et d’un ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles) à temps plein pour 15 enfants maximum.

Promouvoir l’éducation à l’égalité dès l’enfance et la lutte contre les stéréotypes sexués
Par ailleurs, l’instauration d’une égalité parentale est conditionnée par la promotion d’une véritable éducation à l’égalité dès l’enfance et par la lutte contre les stéréotypes sexués. À cet égard, la mise en place effective à tous les niveaux de la scolarité publique du programme « Éduquer au respect, à la vie affective et à la sexualité » (EVARS) constitue un enjeu central, face aux attaques des réseaux intégristes et de l’extrême-droite, mais aussi face au risque de recul du gouvernement et de sa non-application de fait, comme cela s’est déjà produit dans le passé.

Conclusion
Alors qu’Emmanuel Macron avait déclaré l’égalité entre les femmes et les hommes « grande cause nationale », on ne peut que constater une quasi-stagnation de la situation en ce qui concerne les inégalités de salaires et de retraite, les violences envers les femmes, et même une dégradation en ce qui concerne les conditions d’accueil des jeunes enfants – outre un nombre de places toujours très insuffisant – et les conditions de travail des personnels de ces services. Malgré les engagements faits dans la période du Covid, il n’y a pas eu la revalorisation salariale promise pour les métiers de la « première ligne », parmi lesquels de nombreux métiers à dominante féminine qui continuent d’être très mal rémunérés, pénibles et peu reconnus.

S’il est possible aujourd’hui de financer la forte hausse de budget de la défense présentée en 2025 comme indispensable, il est possible aussi, et tout aussi crucial, de répondre à l’urgence sociale et écologique, d’investir dans la santé, l’éducation, le logement, et d’agir enfin pour l’égalité. C’est une question de volonté politique.

Nous remercions le collectif Pas de bébés à la consigne pour sa relecture attentive et sa contribution.

[1] Sauf indication contraire, toutes les données de ce paragraphe sont issues des deux références suivantes : 
Rapport Drees, Modes de garde et d’accueil et scolarisation des enfants âgés de moins de 6 ans, édition février 2024,
https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sources-outils-et-enquetes/lenquete-modes-de-garde-et-daccueil-des-jeunes-enfants – ER1257MAJ.pdf
Rapport Onape (Observatoire national de la petite enfance), édition 2024. Au travers de l’étude de huit dispositifs, les auteurs et autrices de ce rapport croisent des enseignements transversaux qui permettent de mettre l’accent sur le bien-être et le développement de l’enfant. La note de la DREES est un des huit dispositifs exploités dans le rapport Onape.
[2] Mode de garde à titre principal : mode de garde exclusif utilisé, ou dans lequel un enfant passe le plus de temps. Un même enfant pouvant bénéficier de plusieurs modes de garde, par exemple par un de ses parents ou une personne de la famille le matin et chez une assistante maternelle l’après-midi, que l’on appelle mode de garde secondaire.
[3] Selon l’enquête Emploi en continu de l’Insee, le taux d’emploi des mères d’au moins un enfant de moins de 3 ans est passé de 55% en 2003 à 63% en 2020.
[4] Les enfants dont les parents sont en congé de maternité ou de paternité sont inclus dans le champ. En les excluant du champ, la part d’enfants gardés principalement par leurs parents en journée, en semaine, est de 53%.
[5] Drees.
[6] Drees.
[7] Données administratives de la CNAF, complétées par des données recueillies auprès des EAJE financés par la prestation de service unique (PSU) – données 2022.
[8] Ressources sous le seuil de bas revenu (calcul Insee) : 60% du revenu médian avant impôt, soit 1167 €/mois par unité de consommation.
[9] Drees.
[10] Onape.
[11] Même si dans le cadre du prélèvement à la source, le crédit d’impôt octroyé pour frais de garde de jeunes enfants fait partie du mécanisme dit de « l’avance de réduction et crédit d’impôt ». Ainsi, le crédit d’impôt accordé à l’été pour les dépenses payées en N-1 donne désormais lieu au versement d’un acompte de 60% du montant de ce crédit d’impôt en janvier N+1.
[12] Onape.
[13] Rapport d’information pour un contrôle des crèches au service de la qualité de l’accueil des enfants, Commission des affaires sociales du sénat, 19 mars 2025.
[14] Femmes et hommes, l’égalité en question, Insee Références, Édition 2022. 
[15] Rapport d’information, n°3809, déposé par la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur son colloque consacré à la lutte contre les violences économiques dans le couple, n°3809, déposé le mardi 26 janvier 2021. La violence économique fait partie des violences dans le couple. Elle peut s’installer de manière insidieuse et progressive, par exemple avec une gestion exclusive par l’homme du compte joint, un contrôle des dépenses, et ce, en particulier si la femme n’a pas de revenu propre.
[16] Lors d’une séparation, les femmes basculent plus souvent dans la pauvreté que leur conjoint. Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes, No 103. 
[17] « Le masculinisme gagne du terrain car le féminisme est populaire et audible », estime la sociologue Mélissa Blais.
https://www.francetvinfo.fr/societe/violences-faites-aux-femmes/le-masculinisme-gagne-du-terrain-car-le-feminisme-est-populaire-et-audible-estime-la-sociologue-melissa-blais_7025672.html 
[18] « Tradwife » : le mouvement qui prône un retour au modèle des femmes au foyer des années 50 ». 
https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/dans-la-peau-de-l-info/tradwife-le-mouvement-qui-prone-un-retour-au-modele-des-femmes-au-foyer-des-annees-50_6288969.html
[19] Delphine Gardey et Rachel Silvera, « Le revenu universel : une chance ou un piège pour les femmes ? » Travail Genre et Sociétés, 2018/2 n°40, La Découverte, pp.151 à 156 ; Rachel Silvera, « Le revenu universel : quels risques pour les femmes ? », id. pp.163 à 168 ; Anne Eydoux et Rachel Silvera, « De l’allocation universelle au salaire maternel, il n’y a qu’un pas… à ne pas franchir », in Thomas Coutrot et Christophe Ramaux (dir.), Le bel avenir du contrat de travail, 2000, Paris, Syros,
https://www.bastamag.net/IMG/pdf/silvera-eydoux.pdf
[20] Cf. Reporterre, « Une maternité plus « naturelle »… mais mamans sous pression »,
https://reporterre.net/Une-maternite-plus-naturelle-mais-mamans-sous-pression
[21] « Les femmes et le travail à temps partiel : Entretien avec Danièle Kergoat », Anne-Marie GrangerCahiers du féminisme1985, n°31 pp. 4-7.
[22] Drees, Études et résultats n°37, novembre 1999. 
[23] L’écart total est de 23,5 % en 2022, la discrimination pure est estimée à 4,5%.
[24] L’inégalité de salaires entre les femmes et les hommes en équivalent temps plein est respectivement de 13,6%, 20,4% et 28,2% avec un, deux ou trois enfants. Insee focus n°349, mars 2025.
[25] Entre 300 000 et 500 000 emplois en équivalent temps plein. Michel Husson, « Réduction du temps de travail et emploi : une nouvelle évaluation », La Revue de l’IRES n°38 – 2002/1.
[26] « Paternité : organisation des temps professionnels et familiaux deux ans après la naissance d’un enfant ». Les dossiers de la DREES, N° 126, 23/01/2025 
https://www.drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2025-01/DD%20Paternage_MEL.pdf
[27] La typologie des « États-providence » élaborée par Esping-Andersen distingue trois modèles dans les différents pays industrialisés : un « modèle continental conservateur », un « modèle libéral-anglosaxon » et un « modèle scandinave social-démocrate ». G. Esping-Andersen, 1990 : Three Worlds of Welfare Capitalism, Polity Press, Cambridge. Le troisième est plus favorable à l’activité des femmes que les deux premiers, qui laissent plus de place soit à la famille patriarcale, soit aux mécanismes de marché.
[28] Cf. entre autres Denis Olivennes, La France doit travailler plus, et Olivier Babeau, L’ère de la flemme.
[29] « La durée effective du travail en France et en Europe en 2022 », Document de travail de Rexecode,
https://www.rexecode.fr/competitivite-croissance/documents-de-travail/la-duree-effective-du-travail-en-france-et-en-europe-en-2022
[30] Courrier international, « Vu de Genève. Comment les mères françaises bousculent les entreprises suisses »,
https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-geneve-comment-les-meres-francaises-bousculent-les-entreprises-suisses
[31] Notamment Hélène Périvier, « Emploi des mères et garde des jeunes enfants en Europe », Revue de l’OFCE, juillet 2004.
[32] Heini Martiskainen, « Égalité dans la famille : l’exemple des politiques de congés paternels en Finlande, Miroir aux alouettes ou instrument de changement social ? », Informations sociales, 2009/1 n° 151 ; « Genre et pouvoir en Europe », CNAF.
[33] Insee, Taux d’emploi selon le sexe et l’âge dans l’Union européenne en 2023.
https://www.insee.fr/fr/statistiques/2412084#tableau-figure1
[34] Insee, Emploi, chômage, revenus du travail, Édition 2024. Les chiffres cités ici concernent les taux d’activité dans la tranche d’âge des 25-49 ans, plus pertinente dans ce contexte, ils diffèrent donc un peu de ceux cités précédemment qui concernent les 15-64 ans.
[35] Drees, « L’articulation entre vies familiale et professionnelle repose toujours fortement sur les mères », Études et résultats, mars 2024.
[36] Cette partie est développée dans Christiane Marty, L’enjeu féministe des retraites, La Dispute, 2023.
[37] Pierre Pora, Lionel Wilner, « Les trajectoires professionnelles des femmes les moins bien rémunérées sont les plus affectées par l’arrivée d’un enfant », Insee Analyses n°48, 2019.
[38] Déclaration du Président devant le Parlement européen à Strasbourg, le 17 avril 2018.
[39] « L’emploi des femmes n’est pas une variable d’ajustement pour le budget de l’État » publiée par Le Monde le 16 janvier 2025, par Ingrid Darroman, Christiane Marty, Céline Piques, Suzy Rojtman, Stéphanie Treillet.
[40] Insee Première n°2033, janvier 2025.
[41] « Maternelle : inégalités sociales », Entretien avec B. Lahire,
https://snuipp.fr/research_columns/maternelle-inegalites-sociales et B. Lahire (dir.), Enfances de classe, Seuil, 2019.
[42] OCDE, « Petite enfance, grands défis », Rapport 2017 et « L’école avant trois ans : la solution pour lutter contre les inégalités ? », Les Pros de la petite enfance.
[43] À ce sujet, voir l’ouvrage Modes d’accueil pour la petite enfance. Qu’en dit la recherche Internationale ? par Agnès Florin Éditions Eres.
http://www.editionseres.com/resultat.php?Id=2045
[44] Un consensus scientifique établit que les taux d’encadrement en accueil collectif devraient se situer entre un adulte pour trois à un pour cinq enfants (données exposées lors des auditions de la Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur le modèle économique des crèches et la qualité de l’accueil des jeunes enfants), et la commission des 1000 premiers jours avait proposé que le ratio des professionnels·les les plus qualifié·es soit de 70% de l’effectif auprès des enfants.
[45] « La répartition de la valeur ajoutée », Thomas Dallery, Jean Marie Harribey, Esther Jeffers, Dany Lang, Stéphanie Treillet, juin 2023.
[46] Les Échos du 6 mars 2025.
[47] G. Zucman, professeur à la London school of economics. 
[48] Hélène Périvier, « Pourquoi rendre le congé de paternité obligatoire ? », OFCE, 2018. Si seul le congé maternité est obligatoire, le message envoyé est très clair : c’est aux mères d’assumer seules l’obligation d’être parent, avec les conséquences possibles en termes d’épuisement, de burn-out maternel et de déclassement professionnel.
[49] IGAS, Évaluation du congé de paternité, 2018.