Idées et Sociétés, International

Pour une politique de sécurité de gauche. Exemple danois pour une discussion constructive.

Le réalignement entre les États-Unis et la Russie fait resurgir une menace sécuritaire que l’Europe occidentale n’avait pas connue depuis les années 1930 et 1940. Jakob Ruggaard et Per Clausen, membres de l’Alliance rouge-verte du Danemark, disent que la gauche doit tirer les leçons de l’histoire qu’elle a défendue. Ça veut dire que les démocraties libres et les États providence doivent pouvoir se défendre contre les fascistes et les États voyous, à l’Est comme à l’Ouest. Ils proposent les grandes lignes d’une nouvelle politique de sécurité socialiste.


On est à l’aube d’un nouvel ordre mondial. Et si on ne se ressaisit pas, on risque aussi d’entrer dans une nouvelle ère autoritaire. Où des dirigeants antidémocratiques s’entendent pour ignorer ouvertement les droits, les institutions et les principes, tout en se partageant le monde entre eux et leurs amis oligarques.
Ça demande de nouvelles réponses politiques de la gauche.

Dans cette nouvelle ère qui s’ouvre, personne ne peut se soustraire à l’obligation d’apporter des réponses claires, concises et concrètes sur la manière dont nous pouvons sauver le droit international, la justice et la solidarité, ainsi que défendre nos sociétés démocratiques et égalitaires fondées sur le bien-être. Surtout pas nous, à gauche.
Car si nous ne voulons pas que le monde tombe trop facilement entre les mains d’États voyous autoritaires, il faut une gauche forte, capable d’apporter des réponses offensives en matière de politique de sécurité et d’élaborer une stratégie claire pour gagner l’avenir.


Un monde sans justice ?

Le monde est à un tournant. Une rupture. Et les atrocités crient vengeance.
L’Israël de Netanyahou utilise la faim comme une arme contre la population civile de Gaza. La nourriture et l’aide d’urgence de base ne peuvent pas entrer. Pendant ce temps, le gouvernement d’ Israël prépare une invasion à grande échelle, qui poursuivrait les meurtres et chasserait encore plus de Palestiniens déjà durement touchés à Gaza.
En Ukraine, Poutine et son régime dictatorial tentent de s’emparer du territoire ukrainien et d’asservir et d’opprimer la population. Parce qu’ils ont des ambitions impérialistes et panrusse. En totale violation du droit, de la justice et de l’équité.
Donald Trump a placé les États-Unis du côté des dictateurs dans ces deux conflits. Il envoie des armes et une aide militaire pour des milliards de dollars, aidant ainsi Netanyahu à tuer des Palestiniens, à bloquer l’aide d’urgence et à les chasser de leurs maisons à Gaza.
Et il utilise la dépendance aiguë des Ukrainiens à l’égard des armes et des renseignements américains pour les pousser à céder leur territoire à Poutine et à céder les richesses de leur sous-sol à Trump lui-même. Pendant ce temps, les États-Unis – avec des pays comme Israël, la Corée du Nord et la Russie – votent contre la condamnation de l’invasion russe de l’Ukraine à l’ONU.
Avec Trump, on a affaire à un vulgaire voleur qui soutient l’oppression des peuples et des territoires par les forces d’extrême droite, en conflit ouvert avec le droit international et la justice humaine, et en alliance avec des États voyous. Peut-être parce qu’il a lui-même des ambitions territoriales et veut s’emparer du Groenland, contre la volonté de ses habitants.
Ce sont malheureusement des tragédies familières, mais elles ont des conséquences profondes.
D’abord, ça veut dire que les institutions internationales, le droit et la justice sont sous pression comme rarement auparavant. On voit un groupe élargi de régimes autoritaires et dangereux en pleine expansion. Et on voit les États-Unis se positionner politiquement et idéologiquement de leur côté, en opposition ouverte à nos démocraties et à nos sociétés de bien-être, que Trump, Vance, leurs amis oligarques milliardaires et leur mouvement MAGA considèrent ouvertement comme des ennemis à combattre, à menacer et à soumettre. Parce que nos réglementations menacent les intérêts des riches. Parce que nos sociétés de bien-être sont une épine dans leur pied.
Deuxièmement, la réalité à laquelle nous sommes confrontés signifie que nous ne pouvons plus compter sérieusement sur l’aide des États-Unis pour défendre les pays européens (pas même les petits pays de l’OTAN) si le conflit avec la Russie s’intensifie. On a vu avec quelle obséquiosité Trump agit envers Poutine, qu’il considère probablement presque comme un ami et une source d’inspiration (et un allié idéologique du MAGA dans la lutte contre les États providence, la liberté et la démocratie).
Tout ça a des conséquences profondes, qui nécessitent une révision à 360 degrés de notre politique de sécurité au sens large. Pour tous les partis et tous les pays. Pour nous, socialistes, aussi.
Les conséquences de l’évolution actuelle du monde sont effrayantes. Et beaucoup de gens passent actuellement leur temps à « se déconnecter » ou à suivre passivement, légèrement ébranlés, l’actualité internationale, qui devient chaque jour plus folle. L’époque dans laquelle nous vivons est devenue plus incertaine et plus dure. Les populations occupées en Ukraine et à Gaza en paient le prix ultime. Nous ressentons tous cette incertitude.
En même temps, les événements violents actuels devraient nous aider à voir plus clairement ce qui est vraiment en jeu et à développer la politique de sécurité socialiste moderne et claire dont on a besoin.


Politique de sécurité socialiste

La gauche a depuis longtemps de nombreuses idées importantes en matière de politique de sécurité, sur lesquelles on peut construire notre future politique de sécurité.


On a mis en garde contre le fait que la soumission du Danemark aux intérêts américains rend le Danemark et le monde moins sûrs.
Nous avons travaillé sans relâche pour une union de défense nordique, qui n’a fait que gagner en importance et en actualité.
Nous avons refusé de participer aux guerres d’agression impérialistes des États-Unis et aux opérations militaires menées par les intérêts coloniaux européens.
Nous avons critiqué une industrie de l’armement amorale et hypercapitaliste, qui tire des profits vertigineux de l’équipement des États les plus oppressifs et les plus violents du monde en armes, en systèmes d’armement et en technologies de surveillance.

On a :


A toujours insisté sur le droit international et la justice, les droits humains, les conventions, les institutions internationales et la solidarité avec les peuples opprimés.
A lutté pour étendre l’État-providence et notre sécurité aux travailleurs danois, ce qui rend le Danemark moins vulnérable aux forces d’extrême droite.
A défendu les services publics et la DR contre les attaques de la droite et a lutté contre la désinformation, les géants de la technologie et les médias appartenant à des oligarques.


Et la gauche a été en première ligne dans la lutte contre le fascisme, lorsque le Danemark a été occupé par les nazis et que les autorités danoises ont décidé de laisser les Allemands occuper notre pays sans résistance militaire.
On a de quoi être fiers de tout ça. Ce sont des domaines politiques importants où on a eu raison, et ça constitue une force énorme pour l’avenir.
Mais, si on est honnêtes et qu’on regarde en nous-mêmes, on n’a pas suffisamment formulé une politique de sécurité socialiste cohérente qui tire toutes les conséquences de ces idées. Cela est devenu super clair avec les grands changements de notre époque.


Une vraie indépendance

Le plus frappant, c’est que la véritable indépendance vis-à-vis des États-Unis, que la gauche revendique depuis de nombreuses années, ne peut être obtenue dans le monde réel qu’au prix d’un renforcement marqué de nos capacités de défense et d’une coopération étroite en matière de politique de défense avec les pays démocratiques avec lesquels nous partageons le plus d’intérêts et de valeurs.
Pour qu’une coopération nordique en matière de défense ait un sens, les pays nordiques doivent avoir ensemble la force de peser collectivement dans les cercles de coopération européens, à l’OTAN, à l’UE et bilatéralement avec les pays alliés. Cela exige, entre autres, que nous disposions collectivement d’une défense moderne, efficace et qui fonctionne bien. Et le Danemark doit bien sûr assumer sa part de manière solidaire.
Cela nécessite des investissements pour restaurer notre défense. Surtout après que les soi-disant partis responsables aient été responsables pendant des décennies de coupes budgétaires et de mauvaises priorités dans le domaine de la défense, nous empêchant de nous défendre contre les menaces et nous orientant vers une armée destinée à suivre les États-Unis dans des guerres illégales et destructrices. Ces décisions ont été catastrophiques. Il est nécessaire et juste de donner la priorité aux investissements qui peuvent corriger cette erreur.
Car il n’y a rien de socialiste à se battre pour maintenir une capacité de défense faible au Danemark, qui nous place en réalité dans une relation de dépendance vassale vis-à-vis des États-Unis et nous empêche de formuler une politique étrangère et de sécurité indépendante et critique dans la période cruciale qui s’annonce.
Il n’y a rien de socialiste non plus à se battre pour l’un des pays les plus prospères au monde, qui, grâce aux idées socialistes et à la lutte acharnée des travailleurs, a créé la plus grande sécurité et la plus grande liberté pour la classe ouvrière au monde et (malgré ses erreurs et ses lacunes) certaines des démocraties les plus efficaces au monde, mais en même temps à se montrer politiquement nu ou faible en matière de défense et de sécurité à un moment où le fascisme frappe vraiment à la porte.
Au contraire. Le socialisme, c’est lutter pour un monde pacifique, lutter pour le droit international et lutter solidairement contre les expéditions conquérantes des forces autoritaires.
Les forces politiques et les pays qui peuvent de manière la plus réaliste et la plus cohérente mener la lutte pour le droit international, la solidarité internationale, les institutions internationales, le bien-être, l’égalité, la sécurité et la démocratie ne doivent pas rester faibles et sans défense dans le monde plus brutal auquel nous sommes confrontés.
On doit avoir le pouvoir et l’influence nécessaires pour lutter pour nos valeurs et nos idéaux. Car, qu’on le veuille ou non, on ne peut plus considérer ces valeurs comme acquises. La réponse ne peut donc pas être de se retirer complètement du débat, de fermer les yeux et de « donner un coup de tronçonneuse » à notre défense défaillante, comme le suggèrent récemment deux auteurs dans Solidaritet.dk.
Oui, on doit bien sûr œuvrer pour un monde pacifique, fondé sur le dialogue, la détente et le désarmement militaire mutuel, comme on l’écrit dans le programme de l’Alliance rouge-verte. Mais on ne le fait pas en laissant le Danemark sans défense à une époque où le fascisme, les forces autoritaires et l’impérialisme progressent comme rarement auparavant.
Quand on entend le bruit des bottes à l’horizon et que les pays démocratiques sont menacés par des puissances dictatoriales, on doit pouvoir se défendre et aider solidairement. C’est la réponse socialiste.


Des réponses socialistes offensives


La politique de défense du gouvernement danois est super problématique. Elle se soumet naïvement aux États-Unis, même après tout ce qu’on a vu.
Le ministre danois de la Défense, Troels Lund Poulsen, veut acheter des armes et des systèmes d’armement américains. C’est naïf et irréfléchi. La nouvelle loi du gouvernement sur le PET vise à surveiller en masse les Danois et devrait vraisemblablement fonctionner avec la technologie Palantir. Oui, vous avez bien lu. Alors que les États-Unis se montrent prédateurs envers le Groenland, le gouvernement veut donner à Palantir, une entreprise de surveillance entachée de scandales, l’accès à la surveillance de masse des Danois. Une menace énorme pour la sécurité avec Donald Trump à la Maison Blanche.
Ce ne sont là que deux exemples parmi d’autres qui montrent que le gouvernement refuse de tirer les conséquences du fait que les États-Unis agissent comme un ennemi. C’est une erreur et c’est dangereux.
On ne doit pas renforcer notre dépendance vis-à-vis des États-Unis alors qu’on sait tout ce qu’on sait. On doit faire le contraire : mettre en place une indépendance stratégique globale et planifiée. Cela nécessitera des investissements, mais ils nous permettront d’acheter notre liberté.
Dans le même temps, la politique de défense de droite du gouvernement exprime un optimisme profond et infondé vis-à-vis du marché. C’est presque de la naïveté envers l’industrie de l’armement.
Sans aucune exigence réelle en matière de contrôle des exportations ni aucune pression politique contre les profits excessifs et les dividendes de plusieurs milliards versés aux actionnaires, ils jettent – sans aucune critique – des milliards à une industrie qui ne peut pas équiper l’Ukraine et l’Europe, car elle vend une grande partie de son matériel à Israël, au Qatar et à l’Arabie saoudite. Cela doit cesser. Il faut reprendre le contrôle sur le chaos destructeur du marché.


Nous, les socialistes, devons élaborer une nouvelle politique offensive qui nous permette à la fois de défendre les démocraties, les États providence et les sociétés sociales contre les dictateurs, le droit international et la justice contre les tyrans d’extrême droite. Car nous ne devons pas laisser notre pays à la merci de la première superpuissance qui jette un regard avide sur notre territoire ou nos ressources naturelles.
Voici les principaux points d’une nouvelle politique de sécurité offensive :


La défense doit être synonyme de défense. Rejet et lutte contre toute guerre d’agression impérialiste.
Contrôle clair des exportations d’armes : pas d’armes aux États voyous, mais des armes à l’Ukraine.
Nationalisation de la production d’armes.
De bons salaires et de bonnes conditions de travail pour ceux qui travaillent dans le secteur de la défense et sont prêts à payer le prix ultime.
Aucun investissement dans la sécurité ne doit se faire au détriment du bien-être ou de la transition écologique.
On doit investir dans la sécurité au sens large : préparation, sécurité climatique, transition verte, indépendance technologique, énergétique et stratégique vis-à-vis des États voyous, y compris les États-Unis.
La production d’armes doit rester locale si possible : les investissements doivent de préférence aller au Danemark ou à la région nordique.
On doit investir massivement dans la diplomatie et œuvrer de manière déterminée en faveur du dialogue, des accords de désarmement mutuel, de la détente et de la paix.
On doit créer plus de sécurité sur le marché du travail, une société sociale plus forte, une société (et un monde) plus égalitaire – c’est l’un des remparts les plus importants contre l’enracinement des forces d’extrême droite au Danemark.


La tâche de la gauche


Insister sur une politique de sécurité socialiste pour une nouvelle ère n’est ni l’expression d’une « manœuvre antidémocratique » ni un « virage à droite ».
Au contraire, c’est une façon de prendre au sérieux les grandes avancées en matière de politique de sécurité que la gauche a défendues tout au long de son histoire. Il faut continuer à construire sur l’héritage et les expériences historiques des socialistes. On ne doit plus jamais se retrouver dans une situation comme celle du 9 avril, où des forces autoritaires peuvent nous briser sans combat ni résistance. [Le 9 avril 1940, les forces nazies ont lancé l’opération Weserübung et envahi le Danemark et la Norvège. Le Danemark s’est rendu en seulement six heures, le gouvernement danois estimant que la supériorité militaire allemande était trop grande pour justifier une résistance plus longue. AN]
Et malheureusement, l’aide et la résistance contre les dictateurs deviennent plus importantes et se rapprochent dans le monde, comme on le voit aujourd’hui.
On a un monde à gagner. Contre le fascisme, la dictature, les méthodes d’intimidation, l’impérialisme et les États voyous. On ne gagnera pas si on ne peut pas se défendre et défendre nos proches.


Jakob L. Ruggaard est membre de l’Alliance rouge-verte (DK).
Per Clausen est membre du Parlement européen pour l’Alliance rouge-verte.

P.S.

https://solidaritet.dk/en-ny-verdensorden-kraever-en-ny-socialistisk-sikkerhedspolitik

Traduction Deepl revue ML