Gin Vola
Qu’est-ce que StopRearmEurope ?
Ce réseau a publié un court appel à la mobilisation contre un plan qui volerait l’argent destiné aux politiques sociales et à la construction de la paix pour favoriser l’industrie militaire et les guerres. Aucune mention des guerres en cours sur le continent comme à l’extérieur n’est faite. La liste des organisations signataires, publiée dans le site du réseau, montre que, en plus de quelques partis politiques (des membres d’European Left, comme le PTB), il s’agit d’ONG, collectifs et associations pacifistes, dont la majorité se démarquent par leur refus de soutenir l’Ukraine dans sa guerre de résistance contre l’invasion russe. L’ENAAT, par exemple, publie régulièrement des dossiers parlant d’une guerre de l’OTAN contre la Russie, et niant le droit à la défense armée des ukrainien.nes : selon la tradition gandhienne, le gouvernement ukrainien aurait dû appeler les ukrainien.nes à la résistance non violente face à l’armée russe.
Deux éléments en particulier sont frappants lorsqu’on regarde la liste des adhérents :
1) l’absence d’organisations d’Europe du nord et de l’Est (à l’exception de deux signataires nordiques). Il est évident que, en l’état actuel, il est difficile pour les européens de l’Est d’adhérer à un tel réseau. Cela contribue donc à isoler la gauche d’Europe de l’est et à fracturer l’internationalisme européen en opposant les intérêts des populations occidentales et orientales : cette fracture, c’est exactement ce que souhaitent les impérialismes russe et états-unien.
2) la majorité écrasante d’organisations italiennes : partis politiques, ONG, centres de recherche, associations culturelles catholiques ou laïques, collectifs et comités locaux souvent installés dans les mêmes villes. Or il est fondamental d’avoir à l’esprit qu’aujourd’hui, l’Italie est le pays où la propagande pro-poutinienne est de loin la plus forte en Europe occidentale, y compris à gauche. Pour preuve, les sondages depuis 2022 montrent qu’à peine 1 italien sur 5 pense que la Russie est l’unique responsable de la guerre en Ukraine. Ainsi, depuis le début de l’invasion à grande échelle, le soutien des italiens à l’Ukraine est descendu de 57% à 32%. En Europe, seule l’opinion publique roumaine est plus pro-russe que l’opinion publique italienne, celle-ci se trouvant à la fois à l’extrême-droite (notamment au sein de la Ligue) et à gauche de l’échiquier politique. On peut décider de ne pas croire aux sondages : il suffit alors de regarder les journaux et la télévision italiens pour s’en convaincre.
La gauche italienne dans StopRearm : du campisme à la propagande pro-poutinienne
La majorité des partis de gauche italiens ont adopté, depuis 2022, une position campiste ou pacifiste ; certains, cependant, contribuent à répandre les arguments de la propagande poutinienne. C’est le cas de Rifondazione Comunista (PRC). Le 5 mai, son secrétaire intervenait à une conférence d’European Left « pour la paix et contre l’austérité » organisée par le PCF, en affirmant que « les coût de la guerre contre la Russie seront payés par les peuples européens. (…) Les partis socialistes, les libéraux, le centre sont obsédés par la guerre contre Poutine. Tout cela renforce l’extrême droite ». Bien évidemment, il ne mentionnait jamais la guerre menée par le régime d’extrême droite russe, car d’après lui, « nous avons besoin d’une sécurité commune avec la Russie ».
Quant aux associations, Attac Italie se démarque aussi pour son campisme et son refus de soutenir la résistance ukrainienne. L’éditorial qui lance la campagne contre le réarmement explique qu’il faut « essayer de soigner des fractures, comme celle qui a mené tant d’organisations de gauche et antifascistes, surtout mais pas seulement en Europe de l’Est, à soutenir l’envoi d’armes européennes en Ukraine au nom du droit de résistance. On ne peut ignorer que, en Europe orientale et balte, la peur d’être les prochaines victimes d’une invasion crée un terreau fertile à l’inculture politique dominante, qui prétend garantir la sécurité par les armes ».
C’est également la position de Sinistra Italiana et d’ARCI (qui compte de nombreux adhérents et constitue un indéniable outil de propagande, mais dont les capacités de mobilisation politique sont moindres), qui s’opposent à la livraison d’armes et prônent depuis 2022 une solution diplomatique, par des négociations – qui vraisemblablement devraient être menées par les grandes puissances européennes, puisque les ukrainien.nes sont toujours absent.es de toutes les prises de parole sur le sujet.
StopRearmEurope est donc une initiative qui puise presque exclusivement dans la tradition du pacifisme italien, pacifisme qui n’a jamais eu le courage de faire un bilan critique de ses multiples échecs et qui, refusant de se pencher sur la guerre en Ukraine d’un point de vue internationaliste, accepte les pires arguments venant de Russie (conflit inter-impérialiste, Ukraine terre de nazis, les peuples d’Europe de l’est sont dépourvus de culture politique…).
Ce n’est pas un hasard si, lors de la manifestation qui a eu lieu à Rome le 10 mai dans le cadre de StopReamEurope (quelques centaines de participant.es), la guerre russe contre l’Ukraine était complètement passée sous silence : la gauche radicale italienne est majoritairement hostile à l’Ukraine. Dans plusieurs milieux antifascistes italiens, la propagande pro-poutinienne a d’ailleurs réussi à s’installer depuis 2014. Ainsi à plusieurs reprises, en 2022 comme en 2025, des personnes portant des drapeaux ukrainiens ont subi des agressions lors de fêtes antifascistes locales, où des collectifs exposaient en revanche le Ruban de Saint Georges, « symbole officiel de la gloire militaire russe » d’après une loi russe de 2022.
Le Mouvement 5 Étoiles (M5S)
Un parti politique signataire saute particulièrement aux yeux, car il dispose d’un retentissement important et d’une capacité de mobilisation non négligeable : le M5S, dont le passé dans la coalition de gouvernement avec la Ligue de Salvini devrait suffire pour se convaincre qu’il ne se positionne pas à gauche et qu’il n’est pas un allié fiable dans la lutte contre l’extrême droite. Or les liens de ce parti avec l’oligarchie et le gouvernement russes sont officiels, par l’intermédiaire de l’ambassade russe à Rome ainsi que de voyages en Russie de représentants du parti, entre autres comme invités au congrès de Russie Unie (le parti de Poutine). Il n’est pas anodin de remarquer que ce sont en particulier ceux qui, aux yeux de l’opinion publique, apparaissaient comme « l’aile gauche » des 5étoiles qui se sont chargés d’établir ces liens. Rien d’étonnant donc à ce que le M5S vote constamment, au parlement italien comme au parlement européen, contre la livraison d’armes à l’Ukraine et contre les sanctions à la Russie. Ce parti est sans aucun doute parmi les principaux responsables de la propagande poutinienne en Italie, qui s’appuie sur de nombreux outils liés directement ou indirectement au M5S (sites web, think tank, canaux télégram, journaux, intellectuels qui organisent des meetings en défense de la Russie…).
Là encore, il faut remarquer que l’entrée du M5S dans le groupe de la GUE en tant que membre observateur a contribué à fracturer la gauche européenne, entre les partis favorables au soutien à l’Ukraine et ceux qui s’y opposent. Durant la législature précédente, le M5S faisait en revanche partie du groupe européen d’extrême-droite EFD2, avec UKIP et l’AfD.
Or la question se pose de comment mener une campagne « contre la guerre » sans jamais mentionner ni s’opposer à un régime qui mène des guerres impérialistes depuis trois décennies… Car tous les sujets évoqués dans le mince appel de StopRearmEurope (le militarisme, l’écocide, le racisme, la casse des services publics…) sont au cœur du régime poutinien et de la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine, et il ne suffira pas de manifester contre l’augmentation du budget militaire européen pour y répondre.
StopRearmEurope en France
Les signataires français sont peu nombreux par rapport au 260 signataires italiens : l’Association EuropeSolidaireSansFrontières, Nos révolutions (site web lié à une petite ONG), Égalité, ATTAC. La question s’est posée de s’appuyer sur les organisations qui nous sont proches pour porter notre position anti-impérialiste et décoloniale. Il est cependant évident qu’une position pro-ukrainienne serait ultra-minoritaire et sans un véritable espace pour déployer nos positions internationalistes et en soutien des résistance anti-impérialistes. Preuve en est qu’ATTAC France n’a pas pu prendre la parole à la réunion en visio qui a eu lieu le 5 mai, où d’ailleurs la guerre d’invasion russe n’a jamais été évoquée – mais où certains dirigeants d’organisations italiennes ont tout de même pu exprimer leur mépris vis-à-vis des pays de l’Est…
Ce cadre pourrait certes évoluer dans les prochains temps… Mais en l’état actuel, StopRearmEurope semble être une initiative italienne, qui donnera lieu à des manifestations pacifistes en Italie sur les bases décrites ci-dessus. Toute adhésion ne sert aujourd’hui qu’à cautionner des mouvements pro-poutiniens ainsi que le pacifisme inconséquent de la gauche italienne, qui au lieu de demander le retrait des troupes russes d’Ukraine, réalise un saut logique épouvantable et demande le désarmement de la résistance ukrainienne, en croyant que par un coup de baguette magique cela apportera la paix…