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Un sommet européen sur la  » Remigration »

Ce week-end, la ville de Gallarate pourrait être envahie par des centaines d’extrémistes de droite venus de toute l’Europe. Le 17 mai, le « Remigration Summit 2025 » se tiendra en effet dans un lieu encore inconnu qui ne sera communiqué que quelques heures avant l’événement. Selon le site officiel, il s’agit de la « première rencontre officielle sur la remigration » et sur sa « poursuite politique, culturelle et sociale ».
En revanche, des rassemblements sont prévus à Milan, Gallarate et Busto Arsizio. Dans la capitale lombarde, il y aura une grande contre-manifestation organisée par plus de quarante associations, ONG et partis de gauche.
L’enjeu est d’ailleurs de taille : comme expliqué dans d’autres articles, la « remigration » est le nouveau mot d’ordre de l’extrême droite mondiale.

La montée de l’extrême droite mondiale

Ce terme a été inventé au début des années 2010 dans les milieux identitaires français, qui se sont approprié un terme neutre utilisé en sciences sociales en en bouleversant complètement le sens.
Dans son sens extrémiste, la « remigration » désigne la déportation forcée des migrants (sans grande distinction entre réguliers et irréguliers) et la privation des droits civils pour les citoyens européens « non assimilés », c’est-à-dire ceux qui ne sont ni blancs ni chrétiens.
Bien qu’il ne s’agisse pas en soi d’un concept complotiste, la « remigration » est étroitement liée à la théorie raciste et antisémite du « grand remplacement », selon laquelle l’immigration serait une immense conspiration des « mondialistes » (un mot codé pour désigner les « juifs ») visant à remplacer « ethniquement » les populations européennes « autochtones », c’est-à-dire blanches et chrétiennes.
En tout cas, derrière l’organisation du « Remigration Summit », il y a toute la galaxie identitaire européenne. Le contact en Italie, c’est Andrea Ballarati, un ancien militant de Gioventù Nazionale (la branche jeunesse de Fratelli d’Italia) qui a fondé le petit groupe de Côme Azione Identità Tradizione.
Le principal promoteur est l’Autrichien Martin Sellner. Âgé de 36 ans, il est depuis longtemps l’un des visages des réseaux sociaux de la nouvelle extrême droite européenne : il a une apparence soignée, se donne des airs intellectuels, parle plusieurs langues et utilise un langage codé pour échapper aux accusations de racisme.
C’est justement pour ça – et pour sa capacité à endoctriner « les jeunes hommes blancs européens en colère » – qu’il est vu comme un « élément dangereux » par plusieurs services de sécurité européens.
Sa carrière politique a commencé en 2012 avec le lancement du mouvement Identitäre Bewegung Österreich (IBÖ), inspiré par les identitaires français. Comme eux, Sellner prêche une forme de racisme différentialiste qui vise à séparer strictement la « culture européenne » supérieure (entendue comme « race blanche ») de toutes les autres.
Il se fait connaître en dehors de l’Autriche vers 2016, quand il collabore avec plusieurs figures de l’alt-right américaine (il se mariera quelques années plus tard avec l’une d’entre elles, Brittany Pettibone). En 2017, il est à la tête de la mission ratée « Defend Europe », qui visait à entraver le travail des ONG de sauvetage en Méditerranée centrale.
En 2019, on apprend que Brenton Tarrant, le tueur nazi de Christchurch, a donné 1 500 euros à l’IBÖ et était en contact avec Sellner ; depuis, les plateformes bannissent régulièrement l’Autrichien et plusieurs pays lui refusent l’entrée, dont la Suisse et le Royaume-Uni.
Malgré ça – ou peut-être justement à cause des interdictions – la renommée de l’identitaire continue de grandir et dépasse largement le cercle des identitaires.
En novembre 2023, il est l’un des principaux participants à la réunion secrète entre des extrémistes et des membres du parti Alternative für Deutschland. Selon l’enquête du journal Correctiv, c’est lui qui présente le plan d’expulsion de deux millions de personnes (y compris celles qui ont un passeport allemand) hors d’Allemagne.

Les influenceurs de la remigration

La dernière évolution de Sellner, c’est justement celle de théoricien de la remigration et de fédérateur des « patriotes » européens.
Dans une vidéo promotionnelle, l’Autrichien a déclaré que le sommet ne serait pas une « tour d’ivoire » (même s’il sera bien surveillé et protégé pour éviter les infiltrations ou les manifestations), mais plutôt « un lieu où les intellectuels rencontrent les politiciens et où les influenceurs entrent en contact avec les militants ».
En effet, parmi les intervenants confirmés jusqu’à présent, on trouve des figures de l’avant-garde intellectuelle, médiatique et numérique de la droite radicale européenne.
L’un d’eux est le Belge Dries Van Langenhove, 31 ans, ancien député du parti flamand Vlaams Belang, qui a été condamné l’année dernière à un an de prison pour avoir enfreint les lois contre le racisme et le négationnisme.
Les propos incriminés avaient été tenus dans un reportage télévisé de la VRT sur le mouvement de jeunesse Schild & Vrieden, fondé par Van Langenhove lui-même. Le reportage montrait clairement le double visage du groupe : un visage public, présentable et modéré, et un visage privé, farouchement antisémite et néonazi.
Dans des chats privés, on trouvait plein d’éloges à Anders Behring Breivik, vu comme un vrai modèle à suivre. L’intensité de la glorification du terroriste norvégien était telle que le professeur Jan Blommaert avait décrit Schild & Vrieden comme une « Breivik-Jugend » – une « jeunesse breivikienne », sur le modèle de la Hitler-Jugend.
Une autre intervenante de poids est Eva Vlaardingerbroek, une influenceuse néerlandaise de 28 ans suivie par plus d’un million de personnes sur X.
La « fille écuyère de l’extrême droite » (comme elle se décrit fièrement dans sa biographie sur la plateforme d’Elon Musk) a fait ses premiers pas au sein du parti Forum pour la démocratie (FvD) dirigé par Thierry Baudet, un extrémiste et complotiste qui a tenté d’importer le trumpisme en Europe.
Après avoir quitté la politique, Vlaardingerbroek a appliqué la mentalité paranoïaque de Baudet à l’opinion en ligne, relançant toutes sortes de théories du complot – du « Grand Reset » à l’« idéologie du genre », en passant par d’autres thèses homophobes, transphobes et antiféministes.
Sa popularité en ligne a explosé en 2022, en même temps que les manifestations des éleveurs néerlandais, soutenues par l’extrême droite européenne contre le Green Deal. Vlaardingerbroek a ensuite commencé à apparaître régulièrement dans des podcasts extrémistes américains, où elle a été interviewée par l’ancien présentateur de Fox News Tucker Carlson, réussissant ainsi à percer dans le monde MAGA.
La consécration est arrivée en mai 2024 : l’influenceuse a été l’une des oratrices d’honneur de la CPAC qui s’est tenue en Hongrie. À cette occasion, elle a expliqué que « le grand remplacement n’est plus une théorie mais une réalité », car « les Européens blancs sont remplacés de plus en plus rapidement ». Si ça continue comme ça, a-t-elle conclu, « ce sera la fin de notre civilisation ».
Un autre conférencier obsédé par le « grand remplacement » est le Portugais Afonso Gonçalves, fondateur du mouvement identitaire Reconquista et très proche du parti d’extrême droite Chega.
Gonçalves combine le militantisme de rue – fait de provocations et d’actions perturbatrices lors des marches des fiertés – avec une présence agressive et effrontée sur les réseaux sociaux. Entre autres, il a partagé sur X des citations de Benito Mussolini et s’est vanté d’être « ultranationaliste, raciste et xénophobe ».
Son cheval de bataille, c’est clairement la misogynie : Gonçalves a écrit que les femmes sont souvent des « putes » ou des « cafards », qu’elles ne devraient pas avoir le droit de vote et qu’elles devraient payer « les dommages causés à la famille » en cas de divorce (causé à 80 % par les femmes, selon lui).
Il a aussi qualifié l’avortement de « crime contre l’humanité » et demandé la peine de mort pour les femmes qui recourent à l’interruption volontaire de grossesse.
Enfin, le dernier nom à signaler est celui du Français Jean-Yves Le Gallou, ancien député européen du Front National, fondateur de l’association Polémia et intellectuel organique de la Nouvelle Droite et de la « fasciosphère ».
C’est à Le Gallou qu’on doit la diffusion de la « réinformation », un concept et une pratique de « guérilla culturelle » en vogue dans les milieux radicaux français depuis la fin des années 90 jusqu’à aujourd’hui.
Comme il l’a expliqué lui-même dans une interview il y a plusieurs années, la « réinformation » a trois caractéristiques clés : la « dé-occultation », c’est-à-dire « faire connaître un fait qui est caché » par les « médias du régime » ; la présentation « polyvalente » (c’est-à-dire sous l’angle de l’extrême droite) d’un événement ; et la « hiérarchisation correcte des informations ».
Selon la définition donnée par Le Monde, la « réinformation » sert donc à « saper la crédibilité des médias traditionnels en les accusant de mentir systématiquement, pour ensuite faire passer ses propres idées ».

L’Italie, un pays sûr pour les extrémistes

La présence de jeunes influenceurs et de théoriciens de longue date comme Le Gallou montre bien que les organisateurs du sommet veulent surtout une chose : normaliser la remigration au niveau médiatique, idéologique et programmatique.
Lors d’une réunion publique qui s’est tenue le 2 mai dernier sur X, et rapportée par Domani, il a été explicitement déclaré que la conférence « est importante car elle nous place à l’avant-garde, légitime la remigration et rend ce terme encore plus connu et puissant en Europe ».
L’objectif, ont poursuivi les participants, est de

arriver à mettre en œuvre des politiques de remigration. On ne veut pas juste rester dans la théorie : on veut créer un plan d’action pour intégrer le concept de remigration dans les politiques européennes. On essaie d’influencer nos partis nationaux.

Cette opération est d’ailleurs déjà bien avancée.
La remigration, a souligné Sellner dans la vidéo promotionnelle déjà mentionnée, « est partie de la marge » et a rapidement intégré les programmes du Parti de la liberté autrichien et de l’AfD, qui, il y a quelques mois, a distribué des tracts à connotation néonazie.
Donald Trump l’a également mentionnée pendant la campagne électorale présidentielle américaine. « En tant que président, je mettrai immédiatement fin à l’invasion de l’Amérique par les migrants », avait-il écrit le 23 septembre 2024 sur Truth Social, « et je renverrai chez eux les clandestins de Kamala [Harris], une opération également connue sous le nom de remigration ».
En Italie, le terme est entré dans le débat politique au début de l’année 2025.
Le premier à l’avoir introduit est Alessandro Corbetta, chef du groupe de la Ligue au conseil régional de Lombardie. « Il est essentiel de commencer à discuter sérieusement de la remigration », a-t-il écrit sur Facebook le 2 janvier 2025, « c’est-à-dire le rapatriement des clandestins et des criminels dans leur pays d’origine, mais aussi des étrangers qui choisissent délibérément de ne pas s’intégrer ».
Après lui, c’était au tour d’Andrea Delmastro, sous-secrétaire à la Justice de Fratelli d’Italia, qui a repris un éditorial du journal La Verità célébrant la « remigration ».
Puis ce fut le tour du conseiller lombard de la Ligue, Riccardo Pase, qui, dans une carte sur ses profils sociaux, a appelé à expulser « ceux qui ne veulent pas s’intégrer ». Les jeunes de la section milanaise de la Ligue se sont joints au chœur et, dans une vidéo, ont demandé la « remigration » de « tous ceux qui décident de ne pas épouser les valeurs italiennes, identitaires et culturelles de notre pays civilisé » (un peu comme les membres de la Ligue il y a quelques années).
Quelques jours plus tard, le député de la Ligue Rossano Sasso a déclaré à la Chambre qu’« il faut augmenter les rapatriements, il faut soutenir les forces de l’ordre et il faut dire à certains délinquants que la seule solution pour eux est la re-mi-gra-zio-ne ».
Fin janvier, CasaPound a aussi rejoint le mouvement de remigration, en lançant une campagne spéciale dans toute l’Italie. Il est important de souligner que les néofascistes ont suivi  un parti qui est au pouvoir, contrairement à ce qui se passait il y a une dizaine d’années à l’époque du fascioleghismo.
Ce n’est donc pas un hasard si la Ligue défend et soutient le sommet du 17 mai.
Matteo Salvini a dit qu’il ne savait rien de la conférence, ajoutant cependant – avec son habituel déni – que « s’ils n’interdisent pas les rassemblements de l’extrême gauche, je ne vois pas pourquoi ils devraient interdire d’autres initiatives ».
Le conseiller Alessandro Corbetta a été beaucoup plus explicite dans son soutien. « La gauche tente une fois de plus de diaboliser un événement dont on sait peu de choses, en lui donnant une image extrémiste et en évoquant même des dangers nazis », a-t-il écrit sur X. « En réalité, il s’agit d’une conférence où l’on discute de remigration, un concept que je partage pleinement ».
Ce soutien a donné aux organisateurs la certitude de pouvoir agir librement sur le plan politique. « C’est mieux pour nous de le faire en Italie », a-t-on dit lors de la réunion sur X, « en Angleterre, ils sont très restrictifs avec les patriotes, on n’a même pas le droit d’entrer ».

Article de Leonardo Bianchi

publié par Valigia Blu traduction Deepl revue ML.