Médias, Politique et Social

Message du CSE central Hachette pour dénoncer la ligne éditoriale proche de l’extrême droite de la sphère Bolloré (CNews, JDD, Europe 1, Fayard)

Les salariés du groupe Hachette dénoncent la publication d’un livre pro Poutine. Plusieurs associations dont le RESU étaient intervenues contre sa présentation au Salon du Livre de Paris. La dérive pro poutinienne des organes de presse détenus par l’extrême droite n’est plus supportable .

De manière plus générale,  les élus du comité social et économique (CSE) central de Hachette Livre prennent position contre l’idéologie de « la sphère Bolloré ». ML

Chères toutes, chers tous,

Les élus du CSE Central dénoncent la publication, chez Fayard, de l’ouvrage Bannie de Xenia Fedorova, journaliste pro-Poutine et ex-présidente de la chaîne Russia Today France, interdite de diffusion dans l’Union européenne depuis 2022. Après avoir décidé de publier le leader d’extrême droite Jordan Bardella, les éditions Fayard franchissent une ligne rouge avec la publication de cette personnalité désignée par les experts comme la « cheffe de la propagande française du Kremlin ».

Sous le prétexte de la liberté d’expression, valeur libérale édictée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789, reprise par l’extrême droite, les médias Bolloré et Fayard donnent la parole à une journaliste soi-disant bannie alors qu’elle anime une chronique hebdomadaire sur CNews. En la publiant, Fayard se fait le porte-voix du pouvoir autoritaire russe qui emprisonne ses opposants et est soupçonné d’avoir causé la mort de certains (A. Navalny et A. Politkovskaïa, entre autres).

Rappelons que la liberté d’expression n’est pas absolue. L’article 11 de la DDHC précise : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Cette limite qui peut être posée à la liberté d’expression a été confirmée de manière constante par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme.

La mise à disposition, dans nos locaux, du JDNews, journal d’opinion donnant une part très large aux opinions de l’extrême droite, nous rappelle chaque semaine qui nous dirige, et nous fait honte. Les salariés d’Hachette Livre ne supportent plus d’être associés au groupe Bolloré, alors que les valeurs fondatrices d’Hachette sont à l’opposé des idées désormais promues.

Les élus alertent depuis plusieurs mois la direction d’Hachette Livre sur le risque industriel et social qui pèse sur nos activités – rupture de contrat en diffusion/distribution, boycott par des libraires, des enseignants, des lecteurs, départ ou non recrutement d’auteurs, départ ou non recrutement de salariés –, du fait de la ligne éditoriale proche de l’extrême droite de la sphère Bolloré (CNews, JDD, Europe 1, Fayard). En vain.

Vous trouverez ci-dessous un article du Monde, relatant l’appui constaté des médias Bolloré au pouvoir russe autoritaire de M. Poutine, ainsi qu’à Donald Trump et à son vice-président J.- D. Vance et son effarant discours de Munich.

Pour rappel, D. Trump, aux États-Unis, cherche à remettre en cause l’État de droit. Ses partisans travaillent à faire bannir des bibliothèques et des établissements scolaires les livres aux idées humanistes, de tolérance ou défendant les droits des femmes (dont certains publiés par notre filiale aux États-Unis).

Les élus constatent que l’actionnaire de contrôle de Louis Hachette Group, auquel Hachette Livre appartient désormais, soutient des personnes et des idées qui sont en contradiction avec celles d’Hachette Livre telles qu’exprimées dans le dernier rapport RSE : « En tant que leader, conscient de sa responsabilité, Hachette Livre amplifie et structure ses initiatives sur les enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux. La RSE est au cœur de la stratégie du groupe, qui est déterminé à imaginer des modèles de développement plus écologiques et inclusifs. »

Le rapport RSE d’Hachette Livre indique également : « Grâce à ses éditeurs et ses marques engagées, Hachette Livre assume pleinement le rôle sociétal qui est le sien, celui de contribuer au monde de l’éducation, de la culture et de la démocratie, et de rendre ses contenus accessibles au plus grand nombre. » Nous le faisons dans le plus grand pluralisme, ce qui ne peut plus se concevoir lorsque la ligne de l’extrémisme est franchie.

Indignez-vous, résistez, dites-nous ce que vous pensez de la gouvernance d’Hachette Livre, de la nouvelle ligne éditoriale de Fayard, témoignez de ce que vous entendez (réflexions de libraires, d’enseignants, d’auteurs, fournisseurs, etc.) à cehachette@sfr.fr.
Votre message restera anonyme.

Les élus du CSE Central.

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https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/03/08/les-medias-du-groupe-bollore-ne- craignent-plus-de-defendre-la-russie_6577365_823448.html

Les médias du milliardaire Vincent Bolloré défendent désormais ouvertement la Russie

Depuis que Donald Trump tend la main à Moscou sur le conflit ukrainien et que son vice- président, J. D. Vance, proclame que la « liberté d’expression » serait menacée en Europe, radio, télés et journaux d’extrême droite soutiennent aussi Vladimir Poutine.

Par Ariane Chemin et Ivanne Trippenbach

Publié le 08 mars 2025 à 17h00, modifié le 09 mars 2025 à 03h14

Temps de Lecture 5 min.

Le courriel a été adressé à une liste de diffusion française le 18 février. Expéditeur : la maison Fayard, bastion du nouveau groupe d’édition du milliardaire conservateur Vincent Bolloré.

« Bonjour, alors que les déclarations récentes de Donald Trump et de J. D. Vance dénoncent un recul de la liberté d’expression en Europe, Xenia Fedorova (…) offre un témoignage inédit », écrit le directeur de la communication, Yenad Mlaraha, pour vanter Bannie (306 pages, 21,90 euros), le livre de l’ex-présidente de Russia Today, chaîne russe diffusant la propagande du Kremlin etinterdite sur le sol européen depuis 2022. « Peut-on encore tout dire en Europe ? », ajoute l’ex- conseiller en communication (2022-2023) de Marlène Schiappa. Avant de rejoindre Fayard, Yenad Mlaraha avait été recruté dans l’équipe de « Touche pas à mon poste ! » (« TPMP »), l’émission de Cyril Hanouna.

Le communiqué de Fayard a été envoyé quatre jours après le discours tenu le 14 février
à Munich par le vice-président des Etats-Unis, J. D. Vance, qui a à la fois soutenu l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le parti d’extrême droite allemand, et accusé les dirigeants européens de « détruire la démocratie » – sans un mot sur la dictature et la censure pratiquées par Vladimir Poutine, avec qui Donald Trump lançait des pourparlers.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, personne en France n’osait guère afficher ses sympathies pour le président russe. Le rapprochement inédit avec Moscou opéré par l’administration Trump a fait sauter ce tabou en quelques jours. Les bouches s’ouvrent, les masques tombent, comme si la caution du président et du vice-président américains avait levé les inhibitions de l’extrême droite française.

« Escroquerie européenne »

Le 21 février, le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, se rend à Washington décliner la doxa trumpiste sur la chaîne pro-Trump Newsmax. Il y plaide la cause de C8, la chaîne de Vincent Bolloré, qui a perdu sa fréquence après avoir été sanctionnée trente-cinq fois pour les infractions commises dans l’émission de Cyril Hanouna. Et colle aux vues de l’équipe Trump sur la guerre en Ukraine, préférant la « négociation » au soutien militaire à Kiev.

Invitée, comme lui, au grand show des conservateurs, la Conservative Political Action Conference (CPAC), à Washington, Sarah Knafo, égérie française du trumpisme, attendait dans les loges le milliardaire Elon Musk, qui a fait de son réseau X une arme politique. A l’en croire, le patron de Tesla l’aurait encouragée : « Défendez le free speech. »

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Défendre une « liberté d’expression » pour leur seul usage, tout en écartant des journalistes indépendants, en procédant à des purges, en intimidant les adversaires « progressistes »… Dès mi-février, Vincent Bolloré s’adosse à l’offensive idéologique de J. D. Vance et donne le « la » dans son puissant groupe. Du Journal du dimanche (JDD) à Europe 1 en passant par CNews, la vision trumpiste est distillée chaque jour – quitte à réhabiliter le régime de Moscou.

Le 3 mars, sur CNews, l’animateur Pascal Praud affirme dans un édito défaitiste qu’il faut cesser le combat : « La Russie a gagné la guerre et nous, Européens, l’avons perdue, avec l’Ukraine » – éclipsant l’échec de l’armée russe à conquérir Kiev en trois jours, comme Vladimir Poutine l’avait planifié. Le 4 mars : « Il ne s’agit pas de défendre Trump, mais de le comprendre », insiste- t-il, avant de déduire : « L’escroquerie européenne éclate au grand jour. »

« Discours belliqueux » de Macron

L’Europe, voilà l’ennemie désignée dans la bollosphère. Philippe de Villiers, désormais tête d’affiche de CNews, glisse sur Europe 1 que, s’il devenait président, Cyril Hanouna « ser[ait] son J. D. Vance ». Il déroule dans Le JDD la thèse complotiste déjà exposée en 2019 dans un livre publié chez Fayard : l’Union européenne serait une pure création des Etats-Unis et Jean Monnet (1888-1979, l’un des « pères » de l’Europe) un agent au service des intérêts américains.

Sur CNews, devant la journaliste Laurence Ferrari, le philosophe Michel Onfray soutient, le 1er mars, contre toute vérité historique, que Monnet « a été payé par la CIA ». Curieuse accusation venant de voix qui s’alignent sur les positions de Washington et de Moscou.

Au même micro de Laurence Ferrari, Jordan Bardella ose, le 6 mars, après s’être fait inviter
au rendez-vous du monde MAGA (« Make America Great Again ») à Washington : « Emmanuel Macron est en France sans être de France. » Les nationalistes français accordent leur patriotisme au trumpisme. Le 5 mars au soir, de retour dans un « TPMP » désormais diffusé en ligne, Cyril Hanouna martèle que le chef de l’Etat se tient du côté des bellicistes, alors qu’il vient de tenter de négocier avec Trump : « Moi il me fait peur Emmanuel Macron. Il a fait un discours extrêmement belliqueux. Il n’a pas compris qu’il va falloir qu’il discute avec Donald Trump. »

Le 6, Pascal Praud accable le président de la République et l’oppose au dirigeant russe, qui n’apparaît plus comme l’agresseur : « Donald Trump disait que Poutine est prêt pour la paix quand Emmanuel Macron affirmait qu’il était prêt pour la guerre. » Qu’importe que le ministre des armées, Sébastien Lecornu, rappelle qu’« il n’y a pas un agent de la DGSE [direction générale de la sécurité extérieure], pas un officier d’état-major en France qui considère que la Russie n’est pas une menace ». Pour la galaxie CNews-JDD-Europe 1, la Russie n’en est pas une, ou alors pas la plus importante, en dépit des ingérences électorales, des opérations de hacking et des campagnes de désinformation du régime russe déstabilisant les sociétés occidentales.

Plutôt Poutine que l’islamisme

J. D. Vance disait à Munich : « Ce qui m’inquiète, ce n’est pas la Russie, c’est la menace de l’intérieur, le recul de l’Europe » supposé sur ses valeurs. Dans son talk-show, Pascal Praud reprend cette rhétorique pour dire que « la Russie est une menace infiniment moindre que l’islam radical ». Plutôt Poutine que l’islamisme : c’est en effet ce qu’a expliqué, deux jours plus tôt, François Fillon (condamné en appel en 2022 à dix ans d’inéligibilité dans son affaire d’emplois fictifs) dans un entretien avec son biographe, le directeur de la rédaction du magazine d’extrême droite Valeurs actuelles, Tugdual Denis. « La Russie qui, après trois ans de guerre,

piétine en Ukraine, est une menace infiniment moindre », juge l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy, réactivant les positions de la droite française vieilles d’une décennie, au pic de la lutte contre l’organisation Etat islamique. Avant de s’en prendre… au président ukrainien, Volodymyr Zelensky : « Il a sa part de responsabilité dans le déclenchement de la guerre et il refuse aujourd’hui d’arrêter une guerre qu’il ne peut pas gagner. »

Autrefois proche de Poutine, amitié scellée autour d’un billard à la résidence de Sotchi du président russe, il y a quinze ans, François Fillon siégeait jusqu’en 2022 au conseil d’administration de deux groupes russes de pétrochimie et d’hydrocarbures. Devant lacommission d’enquête parlementaire sur les ingérences étrangères, il critiquait en 2023 les sanctions européennes contre la Russie et jugeait « manichéen » le récit de la guerre en Ukraine par la presse occidentale. Dans Valeurs actuelles, il considère qu’il faut « remercier » Vincent Bolloré « d’avoir ouvert un front contre la domination des pseudo-progressistes » et « de faire vivre des médias de droite ».

Cet hebdomadaire n’appartient pas au groupe Bolloré, mais son directeur, Tugdual Denis, sait se signaler au milliardaire breton. Quelques jours plus tôt, l’éditorialiste a posté par erreur, sur la story d’un de ses comptes publics, un début de message qui n’a pas échappé à la rédaction de Valeurs actuelles : selon elle, il était en réalité destiné à Vincent Bolloré. Une photo du magazine ciblant le quotidien Le Monde était accompagnée de ces mots : « Bonjour Vincent, j’espère que vous allez bien. Comme j’en ai l’habitude, je me permets, de temps en temps, de vous pa… » Il est aisé de compléter le message tronqué : de partager les numéros susceptibles de plaire au magnat des médias d’opinion réactionnaire français.

Ariane Chemin et Ivanne Trippenbach