
Le maître du Kremlin s’apprête à recevoir des mains du maître de la Maison-Blanche la reconnaissance de jure de sa mainmise sur la Crimée. Il va également se voir reconnaître le contrôle militaire sur de larges portions du territoire de l’Ukraine.
Quel soulagement pour les apôtres d’une paix négociée sur le dos du peuple ukrainien. Nous avons déjà beaucoup glosé dans les colonnes de cette revue sur les bonimenteurs et les boni-menteurs de la paix : les pacifistes sincères, les pacifistes moins sincères, les thuriféraires de Moscou d’hier et d’aujourd’hui, les sourds qui ne veulent pas écouter ce que veulent les Ukainien·es, les russophiles stipendiés ou intoxiqués, les adeptes de l’anti-impérialisme des imbéciles ou encore les munichois.
Ils ont tous de bonnes raisons pour exiger la paix – qui pourrait d’ailleurs exiger autre chose que la paix ? Les uns veulent le beurre plutôt que les canons, les autres une conférence des frontières et l’exigence de la neutralité de l’Ukraine, d’autres encore, se font les « interprètes » des russophones d’Ukraine pour demander un référendum dans des territoires occupés par une armée étrangère, d’autres encore pensent que l’abandon de quelques arpents de terre par l’Ukraine est peu cher payé pour leur propre tranquillité. Ils seront sans doute – paradoxe apparent – d’accord avec Trump quand il affirme que la guerre contre l’Ukraine, « ce n’est pas sa guerre ».
Il en est certains, à gauche, en France, qui ne pourront que se réjouir d’avoir eu, lors de l’occupation de la péninsule criméenne par la Russie, en 2014, ce cri du cœur de voir celle-ci échapper à l’OTAN.
Comme le rappelle un Tatar de Crimée cité par Justine Brabant dans les colonnes de Mediapart, « reconnaître l’occupation comme légitime [créerait] un précédent où la force l’emporte sur le droit ». C’est, ajoute-t-il, « valider tacitement l’idée que l’on peut venir et prendre ce qui n’est pas à soi. Un monde où la porte est ouverte à ceux qui redessinent les frontières par la force, et où les frontières deviennent des accords temporaires ». Comme l’écrivent Kateryna Denisova et Yuliia Taradiuk, dans l’article que publie Mediapart en collaboration avec The Kyiv Independent, « reconnaître l’occupation russe comme légitime est un tournant ».
Le dossier que nous publions ici vient rappeler que si depuis que la Crimée a « échappé au contrôle de l’OTAN » en 2014, Moscou a depuis lors activement remodelé la composition ethnique de la péninsule en y amenant près de un million de Russes et en forçant Ukrainiens et Tatars de Crimée – le peuple autochtone – à partir et en persécutant ceux qui restaient.
Serait-ce la paix des agresseurs et des tyrans qu’une certaine gauche s’apprête à soutenir ? Serait-ce la paix de ceux qui se partagent le monde qu’elle s’apprête à soutenir ? Serait-ce la paix des impérialismes complices et rivaux qu’elle s’apprête à soutenir ?
La paix, certes, nous la voulons. Mais une paix sans territoires occupés, une paix sans écrasement des libertés démocratiques, une paix sans négation du droit à l’autodétermination des nations, une paix sans pillage des ressources. La paix, certes, mais une paix qui protège l’Ukraine démocratique (malgré ses défauts), une paix qui n’abandonne pas le peuple russe et les peuples de la Fédération de Russie au talon de fer de Poutine et de ses oligarques.
La solidarité internationaliste est à ce prix.
Publié dans Soutien à l’Ukraine résistante (Volume 38)
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