C’était il y a longtemps
Les tambours de guerre du FNL vietnamien annonçaient une incroyable nouvelle: les envahisseurs n’étaient pas invincibles. Partout, ou presque, les campus s’enflammaient, l’insubordination ouvrière se répandait comme une traînée de poudre, le vieux monde était bousculé, Paris, Mexico, Berlin, Berkeley, Turin et Prague ne faisaient plus qu’un.
La jeunesse, celle des facs et celle des usines, secouait la vieille société, les hiérar- chies, les pouvoirs de droit divin, la propriété inaliénable, le patriarcat, les bureaucraties prédatrices et liberticides. Les murs prenaient la parole et les barricades ouvraient des voies insoupçonnées.
Désordre climatique dans le monde de Yalta, le cycle des saisons en fut perturbé. Le printemps fut tchécoslovaque et, en France, Mai dura jusqu’en juin. En Italie, Mai fut rampant et l’automne chaud. Dans les années qui suivirent, tout avait semblé possible à Santiago et à Lisbonne qui s’était couvert d’œillets.
Le fond de l’air était rouge et le souffle long de la révolution mit à mal la propriété privée des moyens de production, la morale établie, les rapports sociaux sexués, les divisions ethniques et les partis uniques. Il y eut de la contestation et de la subversion, des grèves et des conseils ouvriers, des expropriations et de l’autogestion, des livrets militaires brûlés, des batailles pour les droits civiques, des combats pour l’égalité et la libération des femmes, l’émergence nouvelle de l’écologie et, à une échelle inconnue jusque-là, d’un raz-de-marée féministe. Les libertés inabouties ou trahies étaient à portée de main et la chienlit éclaboussait les pères fouettards et les gardes-chiourmes.
Le monde pouvait changer de base: il apparaissait désormais possible de se réapproprier le contrôle des mécanismes de la vie en société. La démocratie pouvait être sans bornes et ne plus s’arrêter ni à la porte des entreprises ni aux frontières pas plus que dans les quartiers et les relations entre les peuples.
C’est aujourd’hui
Le monde a changé. Le printemps fut bri- sé à Prague et à Santiago, étouffé à Lisbonne. Un silence de mort est retombé sur la place Tienanmen. Mais le Mur de la prison «soviétique» s’est effondré libérant à la fois un espace pour la liberté et un continent entier aux prédateurs. L’emprise des multinationales sur le monde ne connaît plus guère de limites. Les impérialismes ont désormais de nombreux visages. De même que la barbarie. La planète brûle des prédations que la civilisation capitaliste lui inflige. Le monde est lourd du péril de la guerre de tous contre tous. Le fond de l’air est sombre, parfois même brun. Les fascismes du 21e siècle ne portent pas que des chemises noires.
Demain est pourtant déjà commencé
Cela fait plus d’un demi-siècle que d’au- cuns avaient annoncé que la «civilisation était à un carrefour». Il fallait choisir un itinéraire qui passait par des politiques démocratiques qui mettent au service du plus grand nombre ce que permettaient les progrès sociaux, culturels, scientifiques, technologiques et humains. Les chars russes, ceux qui pensaient que le bilan était «globalement positif », ceux qui se sont adaptés et accommodés et bien sûr ceux qui étaient partisans de la liberté du renard dans le poulailler en ont décidé autrement.
La civilisation est désormais au bord du gouffre : les forces du capital, celles des impérialismes et des sous-impérialismes, celles des barbaries et celles des fascismes sont à l’offensive sur la planète. Une planète qui brûle.
Quant aux forces émancipatrices, elles ont souvent fait, en partie, ce qu’elles ont pu mais elles se sont également souvent égarées dans diverses impasses dont les noms figurent sur les cartes comme autant d’obstacles à éviter : « campisme », « avant-gardisme », « substitutisme », « étatisme », « sec- tarisme», «autoritarisme», «relativisme» et bien d’autres encore.
Alors oui, il faut en sortir. D’où l’idée d’une revue
Une de plus, direz-vous. C’est vrai. Cependant son titre se veut un clin d’œil à l’Association internationale des travailleurs de Marx et Bakounine et un appel à la mise en place d’un outil international et internationaliste de réflexion, de partage et d’échanges.
Le projet que vous avez sous les yeux paressait dans divers tiroirs. Il attendait un déclic. Celui-ci est venu d’outre-Atlantique avec le texte «Pour une gauche démocratique et internationaliste» rédigé par Ben Gidley, Daniel Mang et Daniel Randall, que nous avons été plusieurs à signer en répondant ainsi à leur appel et que nous publions en page 5 de ce numéro 00. C’est un texte qui met les pieds dans le plat et qui appelle au renouvellement des pratiques et des idées afin de rester fidèles à ce pour quoi nous combattons depuis des décennies: nous sommes attaché·es à une vision et à une pratique révolutionnaire où la démocratie, l’auto-organisation, l’autogouvernement – sous toutes leurs formes – sont au cœur du projet. Non la démocratie comme abstraction mais la démocratie comme ob- jectif. Non l’internationalisme comme abstraction mais l’internationalisme comme pra- tique.
L’ambition est claire: faire renaître la capacité à discuter et à élaborer ensemble pour que s’ouvre – à la lumière de nos expériences multiples qui se sont souvent frottées les unes aux autres – une large dis- cussion pour faire de la révolution une uto- pie concrète, pour permettre des synthèses,
pour conserver et transmettre la mémoire des luttes, des expériences, des révolutions, pour contribuer à la socialisation des opprimé·es et des exploité·es.
Alors oui, une revue mondiale qui mette en place les conditions d’un échange mondial et qui donne accès «au plus grand nombre » à l’archipel des articles et des textes participant de cette recherche d’une issue à la crise du projet émancipateur.
Une revue pour explorer l’internationalisme et la démocratie
Sa «base politique» sera articulée autour des thématiques suivantes: émancipation du travail, autogouvernement, autodétermination, autogestion, auto-organisation, féminisme et genre, révolution, renversement/ dépassement du capitalisme, alternatives, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, démocratie socialiste, reconversion industrielle pour une production socialement utile et écologiquement soutenable, refus du campisme et lutte contre tous les impéria- lismes et sous-impérialismes…
Une revue singulière composée de «cahiers» comportant des textes et articles piochés sur les sites et revues du monde, une sorte de plateforme, de hub où se croiseront les réflexions, selon un dispositif à construire et sans autres lignes directrices que de permettre l’échange et la lecture.
Une revue qui ne fera volontairement aucune concurrence aux publications papier ou internet existantes, bien au contraire, qui agira pour les mettre en synergie.
Une revue qui évitera les polémiques de seconde zone ou les textes étroitement po- liticiens.
Un projet ouvert en construction permanente.