Idées et Sociétés, International

Le fascisme trumpiste : le vent tourne

Kevin B. Anderson 27 décembre 2025.


Pour celles et ceux qui ont vécu la dérive autoritaire de Richard Nixon, la période qui a suivi sa réélection triomphale en novembre 1972 a été effrayante. (Et ce fut un véritable raz-de-marée, avec 60% des voix.) Nixon a rapidement lancé le bombardement brutal du Vietnam pendant la période de Noël et préparé d’autres représailles contre ses « ennemis » dans son propre pays. Bien qu’affaiblis à l’époque, les jeunes du mouvement antiguerre à la guerre constituaient toujours la plus grande partie des 100 000 personnes qui ont manifesté contre son investiture en janvier 1973. Mais, alors même que Nixon semblait être au sommet de sa gloire, le vent avait commencé à tourner. Quelques semaines plus tard, l’American Indian Movement a lancé son occupation historique de Wounded Knee [1]. En mai, le Parti démocrate avait retrouvé une partie de son courage et les audiences du Sénat sur le Watergate étaient en cours. La suite de l’histoire est bien connue.

Aujourd’hui, le vent tourne pour les fascistes trumpistes, bien qu’ils contrôlent (contrairement à Nixon) les trois niveaux du pouvoir du gouvernement et malgré leurs tentatives massives de transformer l’État et la société américaine. En novembre dernier, la victoire électorale de Zohran Mamdani à New York, ainsi que d’autres victoires des progressistes, à Seattle et ailleurs, ont montré non seulement une opposition croissante au trumpisme, mais aussi sa radicalisation. Les manifestations « No Kings » (Pas de rois) d’octobre ont rassemblé plus de cinq millions de personnes dans les rues. Les raids contre les immigré·es dans les régions de Los Angeles et de Chicago se sont heurtés à une vive opposition citoyenne dans les rues, ralentissant et même faisant dérailler les efforts de rafles massives, dans des actions qui rappellent les luttes légendaires contre la loi sur les esclaves fugitifs des années 1850. En décembre 2025, alors que les défaites électorales se multipliaient, notamment celle d’un candidat cubain de droite à Miami, les résultats de Trump dans les sondages ont chuté en raison de la forte détérioration des chiffres de l’emploi publiés par le Bureau of Labor Statistics.

Qu’est-ce qui a mal tourné pour les fascistes trumpistes ?

Selon les mots de Martin Niemöller,
« Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes
Je n’ai rien dit
Je n’étais pas communiste.
Lorsqu’ils sont venus chercher les sociaux-démocrates
Je n’ai rien dit
Je n’étais pas social-démocrate.
Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes
Je n’ai rien dit
Je n’étais pas syndicaliste.
Lorsqu’ils sont venus chercher les catholiques
Je n’ai rien dit
Je n’étais pas catholique.
Lorsqu’ils sont venus chercher les Juifs
Je n’ai rien dit
Je n’étais pas Juif.
Puis ils sont venus me chercher
Et il ne restait plus personne pour protester ». 
[Traduction de l’allemand, version française la plus courante]

Niemöller décrivait ce que l’on appelle parfois la « tactique du salami » : diviser ses adversaires en les éliminant un par un, en commençant par les plus détestés.

Mais cela n’a pas été le cas avec le trumpisme en 2025. Les fascistes trumpistes s’en sont pris à tout le monde, partout, en même temps.

Ils s’en sont pris aux personnes transgenres dès le premier jour, mais ont également attaqué les grands groupes LGBTQ et même d’éminentes féministes libérales. Ils ont refusé leurs pensions aux anciens combattants transgenres. Ce type de répression a également eu lieu dans des institutions prétendument libérales, comme lorsque l’université de Pennsylvanie a cédé à la pression trumpiste en imposant des restrictions sévères aux personnes transgenres dans ses programmes sportifs. Mais les manifestations de la Pride en juin ont attiré un très large public, y compris dans de nombreuses petites villes.

Sous la houlette du milliardaire excentrique Elon Musk, DOGE [2] s’en est pris violemment aux agences fédérales, non seulement aux programmes sociaux ou aux fonctions diplomatiques, mais aussi à l’appareil policier et sécuritaire. L’administration a également décrété de manière péremptoire qu’elle mettait fin à la représentation syndicale d’un million de fonctionnaires fédéraux. D’autres trumpistes ont même tenté de poursuivre en justice l’ancien directeur du FBI, entre autres. La classe ouvrière a reculé devant Musk, le pire cauchemar de tout·e employé·e. La nature raciste et sexiste de ces attaques était également visible dans le fait qu’un grand nombre de fonctionnaires fédéraux sont des femmes, parmi lesquelles beaucoup de femmes de couleur. Comme l’a observé Erica Green à la fin de l’été : « Les dernières statistiques sur l’emploi montrent qu’à l’échelle nationale, les femmes noires ont perdu 319 000 emplois dans les secteurs public et privé entre février et juillet de cette année, seul groupe démographique féminin important à avoir subi des pertes d’emploi significatives au cours de cette période de cinq mois » (« Black Women Most Affected by Trump Cuts », New York Times, 1er septembre 2025). Une vive réaction s’en est suivie, comme en témoignent notamment les résultats des élections dans la région de Washington et ailleurs.

Les fascistes trumpistes ont tenté de fermer la frontière avec le Mexique, prétendant qu’ils ciblaient les « criminels étrangers » violents, tout en arrêtant au hasard des personnes à la peau mate à travers le pays, interpellant tout le monde, des lycéen·nes aux femmes enceintes en passant par les grand-mères. Beaucoup étaient en fait des citoyen·nes, tandis que d’innombrables autres citoyen·nes et résident·es ont manifesté leur solidarité dans les rues.

Dans les universités, les partisan·es de Trump ont poursuivi les discours et les organisations pro-palestiniens encore plus qu’au cours de l’administration Biden, utilisant davantage l’arme des accusations d’antisémitisme. Ils n’ont pas attendu la consolidation de cette forme de répression avant de s’attaquer à des groupes plus puissants ; ils ont rapidement également ciblé les structures plus établies de diversité, d’équité et d’inclusion, et ont même mis en péril le financement des chercheurs/chercheuses scientifiques détenant d’importants contrats avec le ministère de la Défense. Le financement de la recherche scientifique est tombé à son plus bas niveau depuis des décennies, tandis que celui des sciences humaines et sociales a chuté encore plus bas. Presque immédiatement, certaines administrations universitaires ont capitulé sans combattre, comme celle de Columbia, qui, entre autres scandales, a supprimé l’autonomie de son département d’études sur le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et l’Afrique. En décembre, le président de l’université Northwestern, Henry Bienen, qui a commencé sa carrière universitaire en tant que spécialiste de l’Afrique avec une expertise sur la Tanzanie, a fait mieux que Columbia. Dans son accord avec les fascistes trumpistes, Bienen a honteusement révoqué un accord conclu en 2024 avec des manifestant·es pro-palestinien·nes qui prévoyait des bourses pour les étudiant·es palestinien·nes et la création d’un comité consultatif qui aurait notamment discuté du désinvestissement de l’apartheid israélien. Il l’a fait malgré un vote de 595 voix contre 8 de l’assemblée des professeur·es rejetant cette capitulation.

La plupart des universités situées dans des régions relativement libérales du pays ont tenté des compromis peu satisfaisants – restreindre les manifestations en faveur de la Palestine, supprimer ou renommer le programme « Diversité, équité et inclusion » (DEI) – qui n’ont pas abouti à une capitulation totale. Harvard a adopté une position légèrement plus ferme que la plupart des autres universités, mais son degré de volonté de compromis reste flou. Dans le même temps, les étudiant·es ont montré peu de signes d’acceptation du programme trumpiste. Les enseignant·es non plus, comme le montre le procès intenté à l’université de Californie (UCLA) par l’association des enseignant·es plutôt que par les lâches administrateurs /administratrices. À l’UCLA, le caractère artificiel des accusations d’antisémitisme trumpiste a même conduit à la démission d’un nombre important de procureur·es du ministère de la Justice, qui ne font généralement pas partie du camp progressiste. Dans de nombreuses universités, la défense de la liberté académique continue d’inclure la Palestine et les droits des transgenres, deux questions que les libéraux centristes veulent nous voir minimiser, voire abandonner.

Pendant ce temps, dans le Sud et dans certains États plus conservateurs, la répression universitaire a été encore plus omniprésente. Des professeur·es ont été licencié·es pour avoir discuté des droits des transgenres, de la Palestine ou du socialisme, voire pour avoir fait des remarques sur Charlie Kirk, le leader de droite assassiné. Certaines universités surveillent les programmes de cours et suppriment ceux qu’elles accusent de promouvoir la DEI ou le « wokisme ». À l’université du Texas, autrefois une université de recherche phare, l’administration pro-Trumpiste tente de priver les enseignant·es des formes d’autonomie qui caractérisent les universités depuis leur création. Cependant, le licenciement pur et simple de professeur·es titulaires ne se limite pas aux États conservateurs du Sud. On peut le constater avec le licenciement, malgré les objections du corps enseignant, de la professeure Sang Hea Kil de l’université d’État de San José pour avoir participé à une manifestation en faveur de la Palestine. Pour faire valoir son point de vue, Kil collabore avec Tom Alter, un historien licencié pour ses conférences socialistes à l’université d’État du Texas, dans le cadre d’une campagne commune pour leur réintégration et, plus généralement, pour la liberté académique.

La plupart des grandes entreprises et des cabinets d’avocat·es ont facilement accepté d’abandonner ou de réduire les programmes DEI, qui n’étaient de toute façon pas très développés. Les Trumpistes ont tenté de faire appel au sentiment majoritaire (« discrimination anti-blanc·hes », etc.), mais elles et ils ont en même temps provoqué la colère de nombreuses personnes de couleur et de nombreux jeunes qui ne sont pas près d’oublier.

Au sein de l’armée, les trumpistes ont sommairement licencié des officiers noirs et des femmes ayant longtemps servi, ils ont supprimé toute référence au général Colin Powell des sites web et restauré les monuments et symboles confédérés. Ils ont également retiré des ouvrages sur les études afro-américaines des bibliothèques des académies militaires en réponse à l’attaque trumpiste contre les programmes DEI. Dans les parcs nationaux et les monuments, les représentations de l’esclavage ont également été supprimées. Ces mesures ont indigné de nombreux anciens combattants, qui s’expriment ouvertement, alors que beaucoup de ceux qui sont encore en service ne peuvent pas le faire.

Les trumpistes ont intimidé plusieurs grandes chaînes de télévision et attaqué des humoristes populaires comme Jimmy Kimmel et Rob Reiner, alors que ce dernier venait d’être brutalement assassiné. Le tollé a été immense et certaines chaînes ont dû faire marche arrière. Pendant ce temps, des milliardaires trumpiste, comme la famille Ellison, rachètent de grands groupes médiatiques, notamment la célèbre chaîne CBS News, réputée pour avoir tenu tête à McCarthy et Nixon dans le passé. La nouvelle rédactrice en chef de CBS News, Bari Weiss, qui se décrit elle-même comme une « fanatique sioniste », a déjà bloqué un reportage de 60 Minutes dans lequel des migrant·es racontaient leur expulsion et les tortures subies dans la tristement célèbre prison de Cecot au Salvador.

Les fascistes trumpistes ont annulé ou sérieusement compromis plus d’un siècle de protections sanitaires et environnementales. Les mesures les plus néfastes à court terme sont celles de Robert Kennedy Jr, opposant à la vaccination, qui causeront plus de mort·es que toutes les autres mesures prises par les trumpistes. En matière d’environnement, les trumpistes sabrent tout ce qu’ils peuvent, allant jusqu’à tenter d’abolir les parcs éoliens. Ils ont également démantelé l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), qui comprend l’agence chargée de surveiller et de prévoir les ouragans.

Un tel bouleversement, une telle destructivité et une telle brutalité, qui ne se limitent pas à quelques secteurs, mais qui se manifestent simultanément dans de nombreux domaines, constituent un excès qui a même inquiété certain·es partisan·es de Trump. Bien que rien de tout cela ne laisse présager une situation similaire à celle qu’a connue Nixon, contraint de démissionner dix-huit mois après le début de son deuxième mandat, il est clair que l’opinion publique s’est retournée contre Trump, comme le montrent les élections et les nombreux sondages d’opinion qui indiquent que son soutien est inférieur à 40%.

Trois épisodes historiques de répression étatique violente, à l’américaine
La crainte d’une troisième « peur rouge » ou d’une deuxième « rédemption », nom donné par ses auteurs à la violente résurgence de la suprématie blanche dans le Sud dans les années 1870, est grande. Mais sommes-nous vraiment à l’aube d’un événement aussi décisif ? Quelles sont les chances que les fascistes trumpistes parviennent à faire passer leur programme de plus en plus impopulaire, soit par la force, soit en changeant radicalement l’opinion publique en leur faveur ? Puisqu’ils ne semblent pas y parvenir, peuvent-ils instaurer une répression véritablement violente et massive à l’échelle de la société ? Un regard rétrospectif sur l’histoire pourrait nous éclairer à ce sujet.

À cet égard, il peut être instructif de jeter un coup d’œil aux trois épisodes les plus graves de répression politique que les États-Unis aient connus à ce jour. Il convient de noter que chacun d’entre eux s’est produit à la suite d’une crise véritablement grave impliquant la guerre et la révolution. Je dirais que, aussi grave que soit la situation à laquelle nous sommes confrontés en 2026, la probabilité d’une répression d’une telle ampleur n’est pas aussi grande qu’on le suppose souvent.

(1) À partir des années 1870, des milices blanches et des politiciens de tout le Sud ont infligé une violence extrême aux Noir·es et à leurs partisan·es, assassinant des milliers de personnes et faisant reculer la Reconstruction. Ce faisant, ils ont érigé un mur violent de ségrégation raciale et de privation du droit de vote qui a perduré pendant près d’un siècle. Mais il s’agissait là d’une contre-révolution qui a suivi la seule véritable révolution sociale que les États-Unis aient jamais connue, la guerre civile et la reconstruction, au cours de laquelle quatre millions d’esclaves ont obtenu leur liberté physique et, pendant un certain temps, leur liberté politique. Comme cette révolution n’est pas allée jusqu’à distribuer des terres aux anciens esclaves, ce que le capital du Nord et certains libéraux hésitaient également à soutenir, les nouvelles libertés démocratiques de l’époque se sont retrouvées dépourvues de toute base économique solide. En quelques années, les réactionnaires ont sauté sur l’occasion, aidés par l’acquiescement du capital nordiste et du Parti républicain dans le compromis infâme de 1877.

(2) En 1919-1920, une véritable vague de peur rouge s’est abattue sur les socialistes et les Wobblies [3], ainsi que sur le Parti communiste naissant, tout en désignant l’immigration comme source du radicalisme. La peur du communisme a commencé pendant la Première Guerre mondiale, dans un contexte de ferveur patriotique généralisée qui marginalisait les voix anti-guerre et de gauche. Mais elle est également apparue au lendemain de la révolution russe de 1917, considérée comme une menace mondiale par le capital et ses États à travers le monde, y compris les États-Unis.

(3] La deuxième vague de peur rouge, le maccarthysme, a rencontré une forte résistance jusqu’à ce que deux événements géopolitiques majeurs, la révolution chinoise d’octobre 1949 et le début de la guerre de Corée en juin 1950, mettent les dissident·es et la gauche en position défensive. Sans la guerre totale et la « perte » de la Chine, le maccarthysme aurait probablement eu des effets moins marqués.

Qu’en est-il des États-Unis aujourd’hui ? Bien qu’aucune révolution sociale ne se soit produite au cours des quinze dernières années, nous avons assisté à des menaces contre l’ordre social mondial qui ont commencé avec la Grande Récession de 2008, les révolutions arabes et le mouvement Occupy en 2011, puis se sont poursuivies avec les campagnes de Sanders, le mouvement #MeToo et le mouvement Black Lives Matter en 2020. Bien qu’ils n’aient pas été totalement cataclysmiques, ces événements ont été suffisamment radicaux et larges pour effrayer les deux principales ailes de la base électorale de Trump : (a) principalement la classe moyenne inférieure, désabusée, composée principalement de Blanc·hes, dont beaucoup sont profondément racistes et certain·es issu·es de la classe ouvrière, qui se sentent menacé·es par l’immigration et la montée en puissance des personnes de couleur, tout cela dans un contexte de baisse ou de stagnation du niveau de vie ; et (b) une nouvelle ploutocratie méprisante qui rejette même la fiscalité ou les réglementations les plus modérées.

Le premier groupe n’est en aucun cas incurablement trumpiste, même si la persistance de son soutien pendant toute une décennie a été vraiment remarquable, ne descendant jamais en dessous de 35% dans les sondages nationaux, même après la tentative de coup d’État du 6 janvier 2021 et l’énorme révulsion contre Trump qui a suivi. Le trumpisme n’est pas non plus le fait d’une seule personne ; il s’agit plutôt d’un mouvement profond d’opinion et de pratique, comme l’a récemment fait valoir David Norman Smith. Dans le même temps, comme l’a fait remarquer Bill Fletcher au printemps dernier à propos de notre réponse pour l’avenir [4], « les membres de base de nos syndicats doivent être convaincu·es de la nature du danger qui nous menace ». Nous devons donc dialoguer avec au moins certains éléments de cette base trumpiste, tout en essayant de briser le pessimisme profond dans lequel sont tombés de nombreux secteurs plus progressistes de la classe ouvrière.

Le virage rapide vers la droite de la nouvelle ploutocratie, en réponse aux affronts et aux menaces modérées qui pèsent sur son hégémonie, est un phénomène plus récent, comme en témoigne l’évolution d’Elon Musk, qui est passé de libéral modéré à l’époque d’Obama à fasciste trumpiste ou, plus récemment, le ralliement du fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, à Trump à la fin de l’année 2024. Comme l’a déclaré Naomi Klein au printemps dernier, les milliardaires de la technologie, autrefois salués comme des héros y compris par de nombreux progressistes, sont tellement arrogants qu’ils « se prennent vraiment pour des dieux ». La manière dont le Washington Post et le Los Angeles Times ont refusé de publier leurs éditoriaux libéraux habituels soutenant Kamala Harris en 2024, sur ordre direct de dernière minute de leurs propriétaires milliardaires, Jeff Bezos et Patrick Soon-Shiong, a également constitué un revirement significatif. Mais comme l’a également souligné Klein, leur alliance avec la base plus plébéienne de Trump est profondément instable. Ces initiatives ne bénéficient pas non plus d’un grand soutien parmi les technicien·nes ou les journalistes de ces grandes institutions.

Ce que nous avons accompli en 2025
Les excès fascistes de Trump ont conduit à un soutien accru pour un large éventail de formes de résistance. Trois d’entre elles se distinguent à la fin de l’année 2025.

Tout d’abord, la défense des immigrants·e a été un moment fort de mobilisation communautaire et de solidarité entre les différentes minorités ethniques. Si les communautés, principalement latino-américaines, visées ont d’abord été surprises et intimidées par les raids massifs de l’ICE et de la police des frontières, l’envoi de marines et de troupes de la garde nationale à Los Angeles au cours de l’été a constitué un tournant décisif [5]. Los Angeles étant une capitale mondiale des médias, le monde entier a pu voir des troupes armées garder des installations fédérales, le sénateur latino-américain Alex Padilla se faire arrêter violemment pour avoir posé une question à la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem, – surnommée « Barbie la cruelle » – à l’intérieur du Westwood Federal Building, des agents de l’ICE à cheval et dans des véhicules blindés traverser un parc municipal rempli d’enfants participant à un camp d’été, David Huerta le président du Service Employees International Union (SEIU) [6] en Californie étranglé et arrêté alors qu’il protestait contre les rafles de l’ICE visant des travailleurs/travailleuses dans le centre-ville de Los Angeles, et la mort d’un homme qui s’était enfui sur une autoroute pour échapper à l’ICE – tout cela a transformé la peur en rage [7]. Des groupes comme Union del Barrio, qui mène ce combat depuis des décennies, ont organisé les habitant·es de la région pour qu’elles et ils sortent manifester contre l’ICE partout, avec une telle efficacité qu’elles et ils ont pu rassembler des manifestant·es sur la plupart des sites en quelques minutes. Dans ces réseaux, des syndicats comme le SEIU ont également joué un rôle crucial. Après quelques semaines, alors que des dissensions au sein de la Garde nationale, composée de résidents californiens appelés sous les drapeaux contre leur gré, étaient rapportées, la présence des troupes et de l’ICE a été réduite, ce qui a constitué une victoire claire de la résistance. Dans le même temps, les nombreuses arrestations et les chefs d’accusation draconiens ont conduit les grands jurys à ne pas les inculper ou à les acquitter, comme ce fut le cas en décembre lors du procès d’un conducteur de dépanneuse qui avait déplacé un véhicule de l’ICE qui bloquait une allée pendant une descente.

Cet automne, lorsque l’ICE et la Garde nationale ont frappé Chicago, la population était encore mieux préparée, avec ses longs convois de voitures civiles et ses sifflets omniprésents « escortant » les agents de l’ICE partout, ralentissant souvent les arrestations jusqu’à les réduire à presque rien. Dans les quartiers urbains plus compacts de Chicago, les voyous du gouvernement étaient plus facilement encerclés et bloqués. Comme l’a fait remarquer Gustavo Arellano, chroniqueur au LA Times et défenseur des droits des immigrant·es, lors d’un voyage dans le quartier majoritairement mexicano-américain de Little Village à Chicago :

« Nous n’avons pas de sifflets. Ils sont devenus la bande sonore de l’automne dans la Windy City [« la ville du vent], surnom de Chicago], à tel point que les activistes composent des événements « Whistlemania » pour en distribuer des milliers. Chicago a un héritage radical plus ancien que celui de Los Angeles… Les personnes ont afflué depuis leurs lieux de travail et de leurs quartiers. D’autres regardaient depuis les toits. L’intensité de leur résistance était plus concentrée, plus déterminée et plus répandue que presque tout ce que j’ai pu voir chez moi. Il n’y avait pas que les militant·es de garde : quartier après quartier, tout le monde était prêt.»

Plusieurs autres luttes comme celle de Chicago n’ont pas bénéficié de la même couverture médiatique que celle accordée à Los Angeles, mais deux exemples sont révélateurs : en novembre, des lycéen·nes ont fait grève à Charlotte, en Caroline du Nord, pour protester contre les raids de l’ICE dans leurs communautés. En décembre, les habitant·es de Minneapolis ont également sorti leurs sifflets. Par un après-midi glacial, clairement mieux adaptées aux conditions locales, les personnes mobilisées ont tenu bon face aux agents de l’ICE frigorifiés, qui ont fini par abandonner et partir, permettant ainsi aux habitant·es de sauver des immigrant·es de leurs griffes.

Les rassemblements du No Kings Day, en juin et en octobre, ont démontré l’ampleur de l’opposition au fascisme trumpiste, y compris dans les petites villes des régions conservatrices du pays. Des marches gigantesques ont eu lieu dans de nombreuses grandes villes, plus importantes en octobre qu’en juillet. Bien que contrôlés principalement par la coalition libérale Invisible, ces événements n’ont ni exclu les partisan·es de la Palestine ni les militant·es de gauche, loin de là, et ont également vu une forte présence des syndicats.

Mais c’est la double victoire électorale éclatante de Mamdani à New York qui a suscité la plus grande mobilisation dans une seule ville contre Trump, avec quelque 1,1 million de voix en faveur du socialiste démocrate, malgré les dizaines de millions dépensés par des milliardaires, notamment des démocrates et des républicains centristes, dont beaucoup sont des sionistes de droite qui n’arrivaient pas à croire à quel point « leur » ville avait changé. Certes, Mamdani s’en est tenu aux doctrines du socialisme réformiste, qui comprenaient certaines mesures économiques importantes comme un impôt sur la fortune et la gratuité des crèches et des bus, tout en s’abstenant de faire des déclarations concrètes sur les brutalités policières et les meurtres. Cependant, sur un point, il s’est toujours positionné à gauche, refusant de revenir sur son soutien clair à la Palestine, y compris l’accusation de génocide contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Dans une métropole dont le conseil municipal n’a jamais réussi à adopter une résolution sur le cessez-le-feu à Gaza, ce résultat était vraiment stupéfiant. De plus, la campagne de Mamdani a remporté la victoire grâce à une véritable organisation populaire, avec plus de 100 000 bénévoles qui ont frappé à 3 millions de portes, contournant ainsi les médias corporatifs. Souvent mobilisé·es par les Socialistes démocrates d’Amérique, ces activistes ont fait ainsi écho aux efforts du Parti socialiste dans des villes comme Milwaukee il y a un siècle [8]. Deux semaines plus tard, Seattle a élu Katie Wilson comme maire, battant un candidat centriste sortant qui s’était opposé à un impôt sur la fortune.

Le danger que le trumpisme puisse encore triompher
Il est très inquiétant de rappeler, comme mentionné ci-dessus, que la radicalisation des actions et des politiques trumpistes au cours de son second mandat, ainsi que l’opposition croissante, n’ont entraîné qu’une légère diminution de sa base de soutien. Comme indiqué également ci-dessus, son soutien, tel que mesuré par les sondages d’opinion, n’est jamais descendu en dessous d’environ 35%, même dans les mois qui ont suivi sa défaite électorale de 2020 et sa tentative de coup d’État fasciste en janvier 2021. Tout aussi dangereux est le fait que le niveau de soutien au trumpisme est certainement plus élevé au sein de l’appareil militaire et policier, sans oublier que nombre de ses partisans civils sont armés jusqu’aux dents.

Comme mentionné ci-dessus, l’année dernière a également vu un virage radical vers le trumpisme de la part de nombreux grands capitalistes et entreprises, des milliardaires de la Silicon Valley aux géants de Wall Street. Ainsi, le plus flamboyant d’entre eux, Musk, n’est en aucun cas seul. D’autres ploutocrates n’ont pas exprimé leur soutien ouvertement, mais ont acquiescé plus discrètement. D’autres encore ont pris une direction parallèle, comme le montre le récent abandon des initiatives environnementales de Bill Gates. Tout cela confère au trumpisme, du moins pour l’instant, un soutien beaucoup plus solide parmi les classes dominantes et leurs représentant·es que lors de son premier mandat.

Il est également instructif de se pencher sur la présidence de Ronald Reagan dans les années 1980, car elle montre comment la résistance à laquelle Trump est confronté aujourd’hui pourrait s’estomper. Élu avec un peu plus de 50% des voix en 1980, Reagan a dû faire face à une opposition farouche et massive au cours de ses premières années. Mais une victoire militaire facile lors de l’invasion de la Grenade en 1983, avec des images d’étudiant·es américain·es blanc·hes « sauvé·es » et de soldats grenadiens noirs capturés, a mis l’opposition – tant électorale que populaire – sur la défensive pendant plusieurs années. Cela a permis à Reagan de remporter une victoire écrasante avec 59% des suffrages en 1984 et de consolider le néolibéralisme pour les décennies à venir. Les manœuvres militaires actuelles de Trump contre le Venezuela, si elles parviennent à renverser le gouvernement Maduro sans combat, pourraient lui offrir un coup de pouce « à la Grenade ». Mais le Venezuela, qui est un pays beaucoup plus grand – avec une population de 30 millions d’habitant·es contre 100 000 à Grenade en 1983 –, ne serait pas une proie facile.

Si ces exemples sont certes inquiétants, il faut également rappeler que Trump n’a jamais bénéficié du soutien populaire dont ont bénéficié Reagan ou Nixon, sans parler de Woodrow Wilson pendant la période de la « peur rouge » de la Première Guerre mondiale. À l’heure actuelle, l’opposition au fascisme trumpiste est profonde et large, et ne montre aucun signe d’essoufflement. Et bien qu’il utilise l’appareil d’État de manière brutale et extrêmement destructrice, il n’a pas réussi à intimider ses adversaires dans la rue ou dans les urnes, bien au contraire. Si un semi-coup d’État est bien sûr possible, sous la forme d’une répression militarisée des électeurs et des électrices lors des élections de mi-mandat de 2026, cela semble peu probable pour une présidence dont la popularité oscille autour de 40%. Bien sûr, une répression plus sévère, menée par les éléments de l’État en collaboration avec des milices telles que les Proud Boys, pourrait éventuellement réduire l’opposition au silence. Mais cela nécessiterait une force bien plus importante que tout ce qui a été vu jusqu’à présent, y compris des arrestations massives et l’intimidation violente de larges pans de la population. Il existe bien sûr des précédents, comme le Ku Klux Klan et les forces alliées dans le Sud entre les années 1870 et 1960 [9]. À cet égard, il faudrait surveiller si les forces trumpistes parviennent à créer des zones interdites dans les États où elles exercent une grande domination politique. Mais jusqu’à présent, elles n’ont pas été en mesure de le faire.

Si le vent a vraiment tourné, que faire maintenant ?
Malgré les préoccupations évoquées, qui sont sans aucun doute sérieuses, le vent semble avoir tourné radicalement contre le trumpisme à l’aube de l’année 2026. Des représentant·es républicain·es au Congrès démissionnent, soit par simple lassitude, soit en raison de divergences sur les dossiers Epstein ou de la perspective d’une explosion des coûts des soins de santé. Même la Cour suprême, pourtant conservatrice, a bloqué son recours à la Garde nationale à Chicago à la fin de l’année 2025. L’opposition, tant populaire qu’électorale, gagne en force et en confiance dans tout le pays. Dans le même temps, des dommages considérables ont déjà été causés et continueront de l’être au tissu social et politique d’une société déjà meurtrie tant que ce régime restera au pouvoir.

Nous devons poursuivre et approfondir la lutte, en l’élargissant autant que possible tout en continuant à défendre nos principes dans le cadre de cette lutte. En tant que marxistes, nous devons particulièrement mettre en avant les questions de classe, de race/genre/sexualité, d’environnement, d’impérialisme et de libération nationale. Nous devons donc insister pour que l’oppression et la résistance de classe restent au centre, qu’il s’agisse de la défense des travailleurs/travailleuses immigré·es journalier·es ou des fonctionnaires américain·nes plus privilégiés. Nous devons également lutter au sein de nos syndicats et de nos communautés pour l’unité de classe contre le racisme, le sexisme et la xénophobie, afin de saper la base trumpiste. La libération nationale du peuple palestinien, qui lutte pour sa survie face au colonialisme génocidaire israélien, et le droit du Venezuela à maintenir son indépendance contre l’impérialisme trumpiste, ne peuvent être sacrifiés au nom d’une unité « plus large » mythique. Il en va de même pour les personnes transgenres, qui luttent dans le silence, même parmi les progressistes, pour leur survie. La protection de l’environnement ne peut être mise en veilleuse, malgré les appels, même de la part des progressistes, à le faire de manière « temporaire » ou à recourir à l’énergie nucléaire.

Nous devons mettre en place des organisations et des coalitions qui englobent toutes ces questions et tous ces groupes, mais sans effacer leur spécificité ni ignorer le capital et les classes sociales. Pour ce faire, nous devrons également mener une lutte théorique contre les libéraux traditionnels qui veulent écarter les questions les plus « controversées », contre certains types de radicaux qui pourraient vouloir minimiser l’importance du capital et des classes sociales, et contre celles et ceux, parmi les marxistes et les socialistes, qui attaquent ce qu’elles et ils appellent la « politique identitaire   d’une manière qui nous coupe de certaines des forces les plus révolutionnaires de la société actuelle en minimisant l’importance de la race ou les liens historiques entre l’accumulation capitaliste et le colonialisme et l’esclavage.

À un moment où certain·es à gauche affirment que nous devons rompre complètement avec la tradition de la révolution russe, de Lénine, je soutiens le contraire. À un moment comme le nôtre, où le monde a changé de manière bouleversante, où les forces progressistes établies hésitent, voire trahissent, l’intransigeance de Lénine dans son opposition à la Première Guerre mondiale impérialiste, un événement historique qui a provoqué une crise civilisationnelle pour « l’Occident », est toujours d’actualité. Mais ce n’est pas tout. Dans son opposition à la guerre et à l’impérialisme, Lénine a été rejoint par un certain nombre d’autres dirigeant·es et penseur·es, d’Eugene Debs et Léon Trotsky à Emma Goldman et Rosa Luxemburg. Ce qui a distingué Lénine de ces autres personnalités, c’est qu’il a approfondi la théorie révolutionnaire au milieu du chaos de la guerre et de la répression. Tout d’abord, il a étudié en profondeur la dialectique de Hegel. Ensuite, il a développé sa théorie historique de l’impérialisme et des mouvements anticolonialistes et de libération nationale comme clé des révolutions futures, de l’Inde et la Chine à l’Irlande. Enfin, à l’été 1917, alors même qu’il fuyait ce qui semblait être une vague de réaction susceptible de réprimer la révolution, il a écrit son chef-d’œuvre L’État et la révolution. Lui et ses camarades ont également commis de graves erreurs, dont nous pouvons également tirer des leçons, mais sur les questions susmentionnées, il peut encore nous inspirer, surtout sur la nécessité d’unir la théorie et la pratique, d’affronter et d’analyser très profondément ce qui est nouveau, tout en poursuivant la lutte socialiste sans trahir ses principes de longue date.

Nous devons donc renouveler et intensifier la lutte dans les rues, les écoles et les lieux de travail, tout en renouvelant et en approfondissant nos fondements théoriques.

Kevin B. Anderson, 27 décembre 2025)
Kevin B. Anderson est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Marx at the Margins: On Nationalism, Ethnicity, and Non-Western Societies (Marx aux antipodes : nations, ethnicité et sociétés non occidentales, Paris/Montréal, Syllepse/M Éditeur, 2015) et Lenin, Hegel, and Western Marxism(Lénine, Hegel et le marxisme occidental). Il a également édité plusieurs ouvrages, dont The Power of Negativity de Raya Dunayevskaya (avec Peter Hudis), Karl Marx (avec Bertell Ollman), The Rosa Luxemburg Reader (avec P. Hudis) et The Dunayevskaya-Marcuse-Fromm Correspondence (avec Russell Rockwell).
https://mronline.org/2025/12/27/trumpist-fascism-the-worm-turns/
Traduit par DE et PS

Notes
[1] voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Wounded_Knee – NdT
[2] Department of Government Efficiency (Département de l’efficacité gouvernementale) – NdT
[3] Appellation familière du IWW – Industrial Workers of the World – NdT
[4] Voir son texte dans Adresses n°10
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/wp-content/uploads/2025/03/adresses-nc2b010-1.pdf
[5] Ci-après, j’utiliserai ICE, le plus important et le plus actif d’entre eux, comme abréviation pour désigner les différentes forces fédérales qui ont procédé à des rafles d’immigrants.
[6] Syndicat qui compte environ 2 millions de membres dans les secteurs de la santé, des services publics et des services immobiliers –NdT
[7] Le surnom « Cruelty Barbie » (Barbie cruelle) a été utilisé pour caractériser Noem par Anita Chabria dans sa chronique « Homeland Security Says It Doesn’t Detain Citizens. These Brave Californians Prove It Has » (La sécurité intérieure affirme ne pas détenir de citoyens. Ces courageux Californiens prouvent le contraire), Los Angeles Times, 12 décembre 2025.
[8] Voir https://jacobin.com/2024/09/wisconsin-socialism-golden-age-history – NdT
[9] A la fin du 19e siècle les effectifs du Klan étaient estimés à quelque 100 000 personnes – NdT