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« Ivanka, notre combattante »

pour Solidarity Collectives Traduction Patrick Le Trehondat


Un entretien avec notre combattante, Ivanka, couvrant près d’un an et demi de son parcours militaire. Dans cette conversation, Ivanka partage son expérience au sein d’un collectif masculin strictement hiérarchisé, son riche passé d’activiste, la manière dont elle pratique le véganisme sur le terrain, dans l’infanterie, et sa réalité quotidienne dans l’armée.

Parle-nous de ton service, que fais-tu actuellement ?
En ce moment, je termine le dernier jour de mes vacances. Et à mon retour, je reprendrai mes activités. L’une d’entre elles est d’ordre médical, mais il n’y a pas de poste médical au niveau de ma compagnie. Nous avons un médecin de combat, et je suis son assistante et médecin à temps partiel.

Voici ce que comprennent mes fonctions : nous dispensons des cours avec ce médecin de combat à notre personnel de l’unité médicale. Et il ne s’agit pas seulement de cours de base sur l’arrêt des hémorragies, car il semble que tout le monde sache déjà tout à ce sujet.

Nous approfondissons un peu plus et nous nous éloignons même du MARCH1 pour passer aux algorithmes suivants, nous étudions la pharmacologie avec les soldats, l’accès intraveineux par exemple. Nous réfléchissons toujours ensemble aux scénarios de ces cours, à des situations qui peuvent être mises en pratique avec les soldats. Nous vérifions également en permanence le contenu des trousses de premiers secours individuelles de nos combattants, avant et après les sorties. Nous essayons également d’équiper les positions avec tout le nécessaire.

En plus des trousses de premiers secours, chacune de nos positions de tir dispose également d’un sac séparé contenant divers médicaments qui pourraient être nécessaires. Les personnes qui sont dans des caves, des abris ou des tranchées pendant une semaine peuvent avoir des problèmes d’estomac, souffrir du froid et attraper un rhume. En général, beaucoup de gens savent que l’approvisionnement en médicaments par les voies officielles peut être compliqué sur le plan bureaucratique. C’est pourquoi nous organisons constamment des situations concrètes, qu’il s’agisse de simulations pour tous ces cours ou simplement au sujet de médicaments qui peuvent être utiles à nos combattant·es. Nous surveillons constamment ce qui peut être obtenu et reçu.

Mon deuxième rôle consiste simplement à mener une vie de combattante d’infanterie ordinaire, affectée à des positions en tant que lanceuse de grenades. Je me rends avec des soldats sur des positions et j’y passe mon temps à défendre la rive du fleuve.

De temps en temps, on me confie des tâches administratives, je remplis divers registres : contrôle des armes, contrôle du personnel… On plaisante en disant qu’il y a tellement de bureaucratie dans l’armée qu’il doit exister un registre des registres. C’est en partie vrai, il faut remplir beaucoup de registres qui n’ont parfois aucun rapport avec la réalité, mais malheureusement, ce sont les règles.

Mon poste principal, où je passe la majeure partie de mon temps de travail, consiste à être de service au poste d’observation. Toutes les 48 heures, je descends au sous-sol pour prendre mon service. C’est un espace équipé d’une radio et de nombreux écrans. Je dois surveiller la situation aérienne grâce à des appareils qui permettent de repérer les cibles volantes et de rester en contact avec nos positions de tir. Concrètement, lorsque je suis en poste, je suis en contact avec le poste de commandement et d’opérations et surveille si un incident survient ou s’il y a une demande. Lorsque je ne suis pas à ce poste, je peux être appelée si la situation s’aggrave et si une transmission est nécessaire, je dois assurer la permanence comme opérateur radio. Si on me demande de faire autre chose pour l’armée, comme éliminer des puces ou des rats dans un sous-sol, je le fais également.

Cependant, ta fonction reste celle qui est officiellement inscrite dans ton dossier militaire ?
Oui, je suis membre d’une équipe de lance-grenades. C’est ma fonction officielle, telle qu’elle est inscrite dans mon dossier militaire, c’est-à-dire en fait transporter des obus, et c’est tout.

À ton avis, est-ce dû au fait que tout est si éphémère en temps de guerre que tout le monde doit tout faire, ou est-ce simplement que quelqu’un en haut lieu est trop paresseux pour inscrire tous les postes dans les dossiers militaires ?
Il me semble que c’est les deux. Et cela est peut-être un peu lié à ma propre initiative et à mon niveau d’énergie. Je pourrais faire une chose, cela suffirait. Je suis sûr que personne ne me dirait « vous n’en faites pas assez ». Cependant, je suis simplement quelqu’une qui est prête à accomplir de nombreuses tâches, je ne vois pas de limite à cela. Il y a des choses que j’aimerais améliorer, et prendre des initiatives dans ce domaine, mais le processus de transformation dans l’armée est très lent. Près d’un an s’est écoulé avant que je sois autorisée à occuper certains postes, et je pense qu’avec les ambitions que j’ai, je dois simplement attendre encore un peu.

Tu as donc exprimé le désir d’occuper d’autres postes ?
Bien sûr. Le commandant m’a même envoyé au diable — il me l’a dit directement, au milieu de la conversation, il s’est simplement retourné et est parti. J’ai dû écouter beaucoup de propos sexistes absurdes. Mais j’avais le sentiment que si je continuais à insister, cela finirait par porter ses fruits. J’ai travaillé dur et j’ai obtenu ce que je voulais.

Il t’a donc fallu un an pour gagner confiance en toi, et tout le monde a reconnu que tu étais capable et digne de faire tout ce que les autres hommes font simplement du fait de leur genre. Comment as-tu rejoint l’armée, et qu’est-ce qui a influencé ta décision de partir à la guerre ? Y a-t-il eu un tournant décisif pour toi, ou était-ce peut-être évident pour toi dès le début ?
Avec le recul, cela me semble évident, et si j’avais la possibilité de revivre ma vie, je l’aurais fait dès 2014. Cependant, lorsque les hostilités ont commencé dans ma région de Louhansk, j’étais dans une famille conservatrice de Témoins de Jéhovah, où l’apolitisme était fortement encouragé. La guerre était palpable dans ma ville natale, Rubizhne, et il y a même eu une occupation de courte durée, et il y avait ce voile de ce christianisme religieux et de cette humilité, où l’on tend l’autre joue à l’ennemi. Je ne comprenais pas du tout ce qui se passait en Ukraine. Ce furent des semaines dans une sorte d’état dépressif et d’apathie dans la ville, puis nous nous sommes réveillés, et nous avions des drapeaux ukrainiens partout dans la ville, et voilà, la ville était libérée. De 2014 à 2022, Rubizhne a connu sa meilleure période, mais il n’y avait pas de mouvements féministes, alors je les ai tous observés à travers les réseaux sociaux jusqu’à ce que je me retrouve à Kharkiv.

Puis 2022 est arrivé, la guerre totale a éclaté, je me suis retrouvée dans l’ouest de l’Ukraine, et l’une des premières choses que j’ai faites a été de me rendre au bureau d’enrôlement militaire de Stryi [ville de l’oblast de Lviv], mais ils ont examiné ma formation et m’ont renvoyée. Le recrutement des femmes dans l’armée s’est normalisé avec le temps. En 2022, il était plus difficile de s’engager. J’ai donc décidé de ne pas abandonner, mais de laisser passer un peu de temps, et alors que la vie m’amenait à Lviv, j’ai donc agi ici.

Je me suis plongée dans une activité sociale, travaillant avec des personnes déplacées à l’intérieur du pays, mais au fond de moi, je ressentais constamment le désir de rejoindre l’armée, et j’étais toujours un peu engagée à l’avant-garde des événements dans le pays. Il n’y a pas eu de tournant décisif, c’était simplement qu’on m’avait dit « non » à ce moment-là, puis le temps a passé et les circonstances ont changé.

Je ne me suis pas réveillée un matin en me disant : « Aujourd’hui, c’est le grand jour, je m’engage dans l’armée, je vais au centre de recrutement ! ». J’ai plutôt commencé à m’informer auprès de mes ami·es et de mes proches qui s’étaient déjà engagé·es dans l’armée. Ainsi, mon processus d’engagement dans l’armée et la finalisation de tous mes projets civils que j’ai délégué à d’autres personnes, se sont déroulés sans encombre.

Quelle était ta vie avant 2022 ?
Je vivais entre Kharkiv et ma ville, Rubizhne. Au cours des derniers mois précédant l’invasion, j’étais occupée dans le sous-sol d’un bâtiment destiné à un projet culturel en construction à Kharkiv. Par ailleurs, j’ai toujours été une « amie des enfants », c’est-à-dire que je travaille avec eux sous différentes formes : en tant que tutrice, enseignante dans des écoles publiques, nounou qui passe du temps avec eux à la maison, joue et se promène avec eux. Et je n’avais que quelques élèves. Je vivais donc, du matin au soir, dans cet immeuble en tant que directrice : je fermais les locaux, distribuais les outils aux ouvriers, préparais des déjeuners végétaliens. Et le soir, je travaillais avec les enfants.

Je peux affirmer sans hésiter que ma vie était très libre, ce que je ressens moins aujourd’hui, car l’armée limite mes déplacements. Je profite pleinement de ma liberté pendant les permissions, mais là aussi, malheureusement, je connais quelques restrictions. J’avais beaucoup de liberté pendant mon temps libre, j’ai beaucoup voyagé, malgré un emploi du temps très chargé, je gardais toujours un jour de congé pour aller faire du vélo dans la région de Kharkiv.

Et bien sûr, j’ai toujours été impliquée dans des activités qui véhiculaient des valeurs libertaires et de gauche, par exemple le freeganisme, qui se reflétait également dans mon propre mode de vie. En voyant tout ce que les gens jettent, j’ai pensé que je pourrais devenir leadeuse dans la distribution de ces ressources, ou les utiliser pour moi-même. Il y avait aussi le féminisme, les valeurs écologiques qui ont toujours été présentes dans ma vie. Et la participation aux mobilisations qui étaient organisées.

Cette expérience, tes connaissances et ta vision rationnelle de la consommation, t’aident-elles ou te gênent-elles dans l’armée ?
C’est probablement en partie ce qui me gêne le plus, car je suis totalement immergée dans un contexte de consommation irrationnelle, par exemple de produits alimentaires, et la quantité de nourriture jetée m’a toujours plongée dans une sorte de désespoir. Cependant, je pouvais trouver des solutions là où j’étais, mais dans l’armée, malheureusement, le travail de coordination est insuffisant pour assurer une distribution normale des ressources. Il y a par exemple un approvisionnement en boîtes de biscuits « Maria » et « Oatcake », mais certains soldats ne les mangent plus : ils les donnent aux poules de leurs voisins ou les jettent tout simplement.

Dans les entrepôts, les fruits et légumes se détériorent. Je peux prendre quelques bananes gâtées et en faire quelque chose, préparer, à titre personnel, des crêpes, mais c’est une initiative modeste et je ne peux pas aller plus loin. Apparemment, mon amour de la liberté, mon entêtement et ma désobéissance gênent un peu, car dans l’armée, il faut obéir – surtout aux commandants qui sont d’abord versés dans les questions militaires, dans la tactique et dans la stratégie – même si l’on pense différemment.

Et je suis le genre de personne qui commence parfois à discuter, j’ai du mal à obéir, mes parents m’ont beaucoup réprimé pendant mon éducation, ils m’ont appris à être docile et humble, afin que je n’exprime pas mon opinion. Et parfois, j’essaie de me taire et d’obéir vraiment, parce qu’une personne peut savoir certaines choses.

Pour revenir au sujet de l’approvisionnement, existe-t-il des initiatives locales, des organisations végétaliennes qui t’aident à t’approvisionner en nourriture végétalienne ?
Récemment, j’ai vécu une expérience très particulière, je suis allée dans des endroits où la mission dure 15 à 20 jours et où il faut tout emporter avec soi, car il n’y a aucun moyen de se procurer de la nourriture.

Ce sont des îles, où l’on doit se rendre en bateau. De l’eau et de la nourriture y sont larguées à partir de gros drones. J’ai demandé à « Кожної Тварини »2 de me fournir leurs rations sèches, car ils proposent d’excellents plats : bortsch, haricots, bouillie avec de la viande hachée de soja. J’ai emporté une ration pour deux jours et avant j’ai distribué les rations pour le reste du temps à ceux qui devaient nous livrer tout cela — les largages avaient lieu environ une fois tous les deux ou trois jours. Je les ai emballées, enveloppées avec du ruban adhésif et j’ai signé pour chaque largage.

Le problème, c’est que tout est largué d’une hauteur d’environ soixante mètres, et lors des premiers largages, toute la nourriture des gars s’est retrouvée mélangée à mes haricots — [l’emballage] s’était cassé. J’ai demandé par radio de ne plus larguer ces rations, car nous manquions d’eau et toutes mes rations se trouvaient dans ces paquets Ziploc [en plastique à glissière]. J’ai alors réalisé que ce format de rations ne convenait pas dans ces conditions.

Pendant 4 à 5 jours, ces paquets souples peuvent être transportés dans votre sac à dos. Dans mon cas, c’était peu pratique, j’ai donc modifié ma demande et proposé des tartes sèches canadiennes – elles existent en version végétarienne et ont été larguées sous forme sèche. Je mangeais du muesli le matin et des nouilles instantanées aux champignons le midi. J’ai également reçu le soutien d’une cuisine végétalienne de Lviv, qui propose une tarte sèche à verser dans de l’eau bouillante – cela me convient et ils m’ont donc envoyé ces colis.

Solidarity Collectives m’a également aidé : je n’ai pas demandé de nourriture végétalienne spécialement, mais à plusieurs reprises, ils et elles l’ont simplement ajouté ces collations dans mes colis, ce qui m’a été très utile, car bien sûr il est encore plus difficile de trouver des options végétaliennes dans le village où j’étais et combattait, à l’exception de celles m’avaient été déjà fournies.

Il s’agissait de ta première expérience décrite de largage par drone de nourriture végétalienne, mais qui a été perdue. C’est une expérience très importante, car la guerre a beaucoup évolué ces dernières années, elle repose davantage sur les drones, et nous [Solidarity Collectives] larguons désormais des rations végétaliennes.
Oui, je pense que cela peut être utile pour d’autres personnes qui reçoivent des provisions par largage. Peut-être que dans d’autres endroits où le largage ne s’est pas fait sur une surface aussi accidentée, cela n’aurait pas posé de problème, mais ces îles sont des jungles fortement bombardées, avec des branches et des arbres qui encombrent le terrain. Nous avons eu un jour deux bouteilles d’un pack de six qui se sont cassées, ce qui était un coup dur qui ne peut être atténué ou évité.

Tu dis que tu t’es débrouillée toute seule, que tu as planifié ce dont tu avais besoin pour les largages. Peux-tu imaginer ce que cela pourrait être possible, par exemple, pour des serviettes hygiéniques ou des articles similaires que tu dois transporter avec toi ?
Oui, je pouvais faire une demande par radio. Mais lorsque nous creusions une position de défense, nous avons eu besoin d’abord de sacs et d’outils, aussi nous les avons demandés. Mon poste de commandement et d’observation est un maillon intermédiaire où les positions de tir formulent leurs demandes. Il est donc très important d’écouter, de ne pas se tromper et de transmettre l’information aux niveaux supérieurs, aux sergents qui planifient le soutien matériel. J’aurais pu demander des serviettes hygiéniques, mais il me semble que les femmes qui ont leurs règles peuvent approximativement prévoir leur cycle. Le mien est plus ou moins régulier, j’ai donc compris que j’aurais mes règles sur cette île et j’ai donc emporté des serviettes hygiéniques avec moi.

Que penses-tu des mouvements et des organisations d’ancien·nes combattant·es, telles que Veteran Hub ? Est-ce que cela te concerne ? Penses-tu que tu pourrais bénéficier du soutien d’une telle initiative, ou as-tu-vous déjà connu une telle expérience ?
Pour l’instant, je ne pense pas que cela me concerne. Non pas parce que je vis au jour le jour et que l’avenir me semble lointain et illusoire, mais parce que je pense que je ne serai pas abandonnée. Je peux m’aider moi-même et il y a des personnes qui prendront soin de moi, c’est ma conviction. 

Tu as dit que ta vie s’était divisée en deux parties, avant et après cette mission de combat. L’expérience de la guerre est personnelle, mais as-tu des personnes avec qui tu peux parler le même langage lorsque tu évoques la guerre ? S’agit-il uniquement d’ancien·nes combattant·es ?
Probablement mon équipe. Mon cercle d’amis, qui comprend à la fois des militaires et des civils qui ne sont pas déconnecté·es de la réalité. Il m’est arrivé plusieurs fois de rencontrer mes ami·es civils et qu’ils ou elles me demandent : « Comment ça va, Kherson tient toujours le coup ? ». Et cela m’a paru étrange d’entendre cela ; parce que nous sommes une brigade de défense côtière, nous sommes dans des villages où l’ennemi est de l’autre côté de la rivière, et je ne vais même pas à Kherson. Cela m’a contrarié, car c’était comme une question pour le plaisir de poser une question.

Cependant, j’ai le sentiment d’avoir vécu une expérience individuelle très particulière, isolée du monde extérieur. Là-bas [sur l’île], aucune antenne de téléphonie mobile ne captait, il n’y avait ni électricité, ni rien. Un jour, c’était tellement calme, nous n’entendions aucun drone, aucun bombardement, rien, il n’y avait aucune communication sur la radio. Nous avons plaisanté en disant que la guerre était peut-être terminée et que nous étions assis là sans même le savoir. Un tel isolement du monde extérieur, moi dans cette tranchée avec deux hommes. 

Je pense que si je partageais mon expérience, je serais suffisamment comprise par mon entourage mais je n’ai pas besoin de chercher des personnes avec qui partager mon expérience. Je n’ai pas ce besoin. Mes camarades sont plongé·es dans la guerre. Je pense qu’ils et elles comprendront ce dont je parle sur le plan émotionnel. Ils et elles n’ont pas besoin de vivre cela pour simplement m’écouter et me demander ce que j’ai fait, où j’étais. J’ai un petit ami, pilote de drone, nous sommes du même bataillon, et à l’OP [salle d’opération], je vois ses vols. Il est maintenant une personne très proche de moi, avec qui je peux également parler de mon travail.

As-tu des sœurs d’armes?
Malheureusement, il n’y a qu’une seule autre femme dans mon unité. Elle et moi sommes très différentes, bien que nous soyons toutes deux issues de la génération milléniale et que nous ayons apparemment regardé les mêmes dessins animés. Nous devrions nous comprendre, mais nous avons des expériences de vie et professionnelles très différentes. Nous avons pris quelques pauses-café ensemble et eu des conversations superficielles, mais je n’ai pas trouvé de points communs avec elle. Bien que nous ne soyons pas en désaccord et qu’il n’y ait aucune rivalité entre nous, il n’y a pas non plus de solidarité, ni de synergie féminine. Cependant, j’ai trouvé des camarades. L’un d’eux est le médecin de notre compagnie, qui m’a intégrée dans son unité. Lorsque j’ai suivi une formation d’infirmière de combat, j’ai rencontré une fille formidable, nous restons en contact via Internet et nous discutons des difficultés d’être dans une équipe exclusivement masculine. Nous n’avons réussi à nous voir que quelques heures avant qu’elle ne parte en mission, car je me suis rendue dans sa direction, à l’est. C’était très encourageant et agréable. Malheureusement, je ne connais pas encore d’autres combattantes. Cependant, je ne peux pas dire que mon objectif soit de trouver des sœurs d’armes. Et pour une raison que j’ignore, il me semble que mes amies civiles me comprennent.

Compte tenu de ton expérience personnelle, pourquoi y a-t-il encore si peu de femmes dans l’armée ?
Je pense que cela dépend de la situation locale et de l’attitude des commandants. Au niveau de ma compagnie, ils invoquent le fait qu’il n’y a pas de postes disponibles et qu’ils ne peuvent pas trouver de travail pour les femmes. Il y a des femmes dans l’équipe de mon ami, mais il n’y en a aucune dans mon unité, ils ne le souhaitent pas. Et il est très difficile de recruter quelqu’une : si mon amie me disait qu’elle voulait s’engager, je pourrais me porter garante d’elle, mais je ne suis qu’une simple soldate, un petit rouage dans les forces de défense. Si un sergent disait qu’il voulait engager sa petite amie, cela aurait plus de poids. Les commandants craignent qu’une autre femme « marginale » n’arrive. Ils ne savent pas quoi faire de moi — je les pousse constamment, faisons ceci, faisons cela, réorganisons le mobilier dans le poste d’observation, je pense que cela les agace. Si, globalement, il y a moins de femmes, c’est à cause du patriarcat — « les femmes doivent améliorer la situation démographique, servir ». Afin que les soldats puissent retourner auprès de leurs compagnes qui les attendent, qui leur feront des massages, et tout le reste.

Merci beaucoup ! As-tu peut-être une conclusion à ajouter ?
Je voulais préciser que mon entretien a peut-être donné l’impression que je dissuadais les gens de s’engager dans l’armée ; ce n’est absolument pas le cas. Je vous conseillerais simplement de ne pas vous lancer tête baissée. Surtout si vous avez été recruté au hasard dans la rue et affecté à une unité. Vous pouvez vous renseigner, passer des entretiens, bien vous documenter sur les centres de recrutement et, si possible, vous rapprocher de vos camarades. Allez dans un endroit où vous connaissez au moins une personne qui pourra vous aidez à vous intégrer facilement. Ainsi, il vous sera plus facile de rester fidèle à vos convictions. Merci.

20 décembre 2025
Réseau anti-autoritaire ukrainien qui soutient les combattant·es au front.https://www.solidaritycollectives.org/en/.
Traduction Patrick Le Tréhondat.

1 L’algorithme MARCH est un système développé dans le cadre du concept TCCC (Tactical Combat Casualty Care) qui permet d’évaluer rapidement l’état d’un blessé et de déterminer les priorités de soins. Son principe fondamental est de se concentrer en premier lieu sur les problèmes qui entraînent le plus souvent des décès évitables sur le champ de bataille ou lors de situations d’urgence. NdT

2 L’association Кожної Тварини (Chaque animal) propose notamment des menus végétariens destinés aux militaires. NdT.