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Le livre blanc chinois sur le contrôle des armements redéfinit la gouvernance mondiale en matière de sécurité

Ce document est bien sûr à mettre en regard de la publication de la NSS par l’administration Trump. Ils se répondent en quelque sorte et redéfinissent les stratégies à l’oeuvre.ML

Autrefois satisfaite de rattraper son retard, la Chine propose désormais un projet pour les règles de demain.

Par Imran Khalid | 15 décembre 2025

Le livre blanc récemment publié par la Chine, intitulé « Le contrôle des armements, le désarmement et la non-prolifération en Chine à l’ère nouvelle », n’est pas un simple catalogue de politiques. Il s’agit d’un texte stratégique qui révèle comment Pékin entend façonner la gouvernance des domaines qui définiront la sécurité mondiale dans les décennies à venir. Tout en réaffirmant des principes familiers, sa doctrine nucléaire de « non-recours en premier » et la nature défensive de sa posture militaire, la véritable importance du document réside dans ce qu’il met en avant : l’intelligence artificielle, le cyberespace et l’espace extra-atmosphérique comme nouvelles frontières de la gouvernance mondiale.

Il ne s’agit pas d’un simple exercice bureaucratique. Il intervient dans un contexte mondial au bord d’une nouvelle course aux armements, le 80e anniversaire des Nations unies rappelant cruellement à quel point l’ordre établi après la Seconde Guerre mondiale reste fragile. Et bien que le document réaffirme consciencieusement l’engagement de longue date de la Chine à ne pas être le premier à utiliser l’arme nucléaire, un engagement qui contraste fortement avec les doctrines des autres puissances nucléaires, il annonce quelque chose de bien plus ambitieux. Il révèle la détermination de Pékin à mener la réglementation des champs de bataille invisibles qui définiront l’avenir, de l’intelligence artificielle à l’espace extra-atmosphérique.

Pour ceux qui connaissent bien la diplomatie chinoise, les livres blancs comme celui-ci ne visent pas tant la transparence brute que la narration stratégique. Ils encadrent les récits, rallient les alliés et revendiquent des droits sur la scène mondiale. Celui-ci, publié alors que l’on rapporte les progrès rapides de la Chine dans le domaine des technologies militaires spatiales – que les dirigeants de la Force spatiale américaine ont qualifiés de « préoccupants » en raison de leur rythme de développement –, positionne la Chine non pas comme un perturbateur, mais comme un garant de la stabilité. Il invoque l’Initiative pour la sécurité mondiale, la vision de Xi Jinping d’un monde multipolaire, et appelle à un ordre international « égalitaire et ordonné ».

Cependant, derrière cette rhétorique multilatérale se cache une tentative calculée d’institutionnaliser l’influence de Pékin dans les domaines où le pouvoir sera de plus en plus concentré. Elle coïncide également avec la stratégie de sécurité nationale (NSS) de l’administration Trump de décembre 2025, qui marque un tournant des États-Unis vers un rééquilibrage économique avec la Chine. Ainsi, les deux superpuissances ouvrent potentiellement la voie à des discussions bilatérales sur ces questions précises.

Commençons par un terrain familier. Le document réaffirme la retenue nucléaire de la Chine : un arsenal « minimal » pour l’autodéfense, une adhésion sans faille au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et une participation active aux dialogues P5, y compris les efforts de coordination menés au cours de l’année dernière qui ont abouti à l’élaboration de glossaires visant à renforcer la confiance entre les États nucléaires. Il souligne le moratoire de Pékin sur les essais nucléaires depuis 1996 et sa pression en faveur de garanties de sécurité négatives pour les États non nucléaires lors du processus de révision du TNP en juillet dernier.

Ces gestes ne sont pas anodins. Alors que la suspension du nouveau traité START par la Russie a réduit à néant les progrès réalisés en matière de contrôle des armements et que les programmes de modernisation américains prennent de l’ampleur dans l’ombre d’un second mandat de Donald Trump, la posture de la Chine renforce son image de gardienne responsable, critiquant implicitement Washington et Moscou pour leurs arsenaux expansifs et axés sur la première frappe. Le traitement succinct réservé par la NSS au contrôle des armements, qui se concentre plutôt sur la dissuasion et le partage des charges, ne fait qu’amplifier ce contraste, car les engagements de Pékin font contrepoids à la doctrine « Peace Through Strength » (la paix par la force) de Trump, qui privilégie la supériorité militaire américaine sans mettre l’accent sur les restrictions réciproques.

Cependant, le document chinois met l’accent sur l’avenir. Les « domaines émergents » que sont l’IA, le cyberespace et l’espace extra-atmosphérique sont déclarés « nouvelles frontières du développement humain » et « nouveaux territoires de la gouvernance mondiale ». La Chine propose ici un rôle central pour l’ONU, exhortant à une participation universelle afin d’élaborer des normes consensuelles qui amplifient la voix des pays en développement. C’est là une approche classique de Pékin, qui habille son jeu de pouvoir d’un discours sur l’équité. En valorisant l’ONU, un forum où le droit de veto de la Chine au Conseil de sécurité et ses alliances avec les pays du Sud lui confèrent une influence disproportionnée, elle cherche à devancer les clubs « minilatéraux » privilégiés par l’Occident, tels que les accords Artemis sur l’espace, menés par les États-Unis, ou l’arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations. Pourtant, la perspective « America First » de la NSS, qui met l’accent sur la réciprocité économique plutôt que sur la confrontation idéologique, pourrait involontairement s’aligner sur l’appel de la Chine en faveur de règles « mutuellement avantageuses », en particulier dans les domaines de l’IA et du cyberespace, où Trump a assoupli les barrières à l’exportation afin de favoriser l’innovation américaine tout en contrant les avancées de Pékin en matière de double usage.

Considérons les enjeux dans chaque domaine. Dans le domaine de l’IA, les récentes modifications réglementaires apportées par la Chine, qui ont amendé la loi sur la cybersécurité en octobre afin de traiter les risques liés à l’IA et d’imposer la notification rapide des incidents touchant les infrastructures critiques, coïncident avec des avancées telles que DeepSeek-R1, le modèle de janvier 2025 qui a propulsé l’IA chinoise à l’avant-garde mondiale. Cela a conduit à un carrefour politique où Pékin équilibre l’innovation et le contrôle de l’État sur les données et les résultats.

L’appel du livre blanc en faveur de normes dirigées par l’ONU n’est pas seulement défensif. Il s’agit d’une initiative offensive visant à façonner des règles qui pourraient entraver la domination américaine dans le domaine de l’IA générative tout en faisant progresser la stratégie chinoise de « fusion civilo-militaire ». La NSS, en revanche, présente l’IA comme la pierre angulaire de l’avantage économique et militaire des États-Unis, consacrant des milliards de dollars à des infrastructures nationales telles que l’initiative Stargate tout en supprimant les barrières de sécurité existantes. Ces mesures font écho au modèle de fusion chinois, mais risquent d’accélérer une course non réglementée, dans laquelle l’expansion soutenue par l’État chinois pourrait dépasser l’avance du secteur privé américain.

Le cyberespace suit le mouvement. Alors que les États-Unis sont confrontés à des vagues de ransomware (rançongiciel ndt) et à des ingérences électorales, la Chine, qui a accueilli le groupe de travail ouvert des Nations unies sur la sécurité des TIC ( technologies information communication) jusqu’en 2025, se positionne comme l’architecte d’une gouvernance numérique équitable et dilue l’influence occidentale dans des instances telles que la Convention de Budapest. La future stratégie cybernétique de la NSS, présentée comme une poussée musclée en faveur des « coûts et conséquences » contre des adversaires tels que la Chine, renforce cette division. Alors que Pékin prône le consensus, l’approche de Trump privilégie la dissuasion offensive et des réglementations uniformes pour protéger les infrastructures critiques, ce qui pourrait écarter les forums de l’ONU au profit de pressions bilatérales.

Dans l’espace, où les capacités anti-spatiales de Pékin ont suscité des avertissements de la part des États-Unis quant à un écart technologique qui se réduit, le document préconise des traités pour empêcher la militarisation. Il fait écho à la philosophie de non-recours en premier de la Chine, mais ignore commodément ses propres essais hypersoniques et manœuvres antisatellites. La NSS renforce la détermination des États-Unis dans ce domaine, en s’engageant à mettre en place des défenses antimissiles « Golden Dome » et des alliances indo-pacifiques pour contrer l’agression chinoise dans la première chaîne d’îles. Pourtant, l’accent mis sur la sécurisation des routes commerciales à travers la mer de Chine méridionale pourrait ouvrir la voie à des discussions sur la gouvernance conjointe, si Washington considère le discours de Pékin sur la stabilité comme un contrepoids pragmatique à l’escalade.

Cette vision est un coup de maître en matière de soft power, mais elle recèle une profonde ironie qui devrait donner à réfléchir aux décideurs politiques à Washington et ailleurs. La Chine prône la retenue à l’ère nucléaire tout en investissant massivement dans les technologies mêmes qui pourraient la bouleverser. Les systèmes autonomes réduisent les boucles de décision à quelques millisecondes, les cyber-outils brouillent les frontières entre la guerre et la paix, et les ressources spatiales transforment le ciel en terrain élevé. Comme le souligne le rapport 2025 de la Commission d’examen économique et sécuritaire États-Unis-Chine, les investissements à double usage de Pékin, de l’informatique quantique aux fusées commerciales, menacent de vider de leur substance les normes mondiales au profit de la surcapacité chinoise. Il en résulte un avenir où la dissuasion de l’époque de la guerre froide s’effondre sous le poids de l’imprévisibilité algorithmique. La NSS reconnaît ce risque dans ses piliers de dissuasion, même si elle le minimise en privilégiant les relations motivées par le profit plutôt que des garanties multilatérales globales.

Pour l’administration Trump, le livre blanc chinois relève moins de la propagande que de la provocation. Le rejeter comme tel reviendrait à céder le terrain. Pékin a déplacé le débat de la transparence des arsenaux vers l’architecture de gouvernance et a invité à s’engager selon ses propres conditions. Le plan directeur de la NSS – rééquilibrer l’économie avec la Chine, dissuader les contingences taïwanaises et exiger le partage des charges entre alliés – offre une réplique toute prête. Mais son retrait du leadership mondial dans des forums tels que l’ONU risque de céder le contrôle à Pékin dans les domaines émergents. La voie à suivre exige du pragmatisme. Les États-Unis doivent renforcer les forums de l’ONU avec leur leadership américain lorsqu’il s’aligne sur les objectifs de dissuasion, forger des pactes bilatéraux de sécurité en matière d’IA avec des critères vérifiables (peut-être liés à la réciprocité commerciale) et rallier les pays du Sud non seulement par l’aide, mais aussi par un partage équitable des technologies qui contrebalance les prises de position de la Chine dans le cadre de la Belt and Road Initiative.

Ce document ne marque pas la fin d’une époque, mais sa reconfiguration. La Chine, qui se contentait autrefois de rattraper son retard, propose désormais un projet de règles pour demain. La question qui se pose à l’Occident est de savoir s’il doit se joindre à la table des négociations ou regarder Pékin sceller seul l’avenir. Les anniversaires de 2025 nous rappellent que la paix ne s’hérite pas. Elle doit être construite, domaine par domaine.

Imran Khalid est analyste géostratégique et chroniqueur spécialisé dans les affaires internationales. Ses travaux ont été largement publiés par des organes de presse et des publications internationales prestigieux.

Publication FPIF (Foreign Policy In Focus)

Traduction ML