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La raison sinistre pour laquelle Trump brûle d’envie d’invoquer la Loi sur l’insurrection

Dan La Botz dans un précédent papier « Trump prépare-t-il un coup d’Etat militaire? » sur ce site, abordait la question du devenir autoritaire du gouvernement Trump

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Natasha Lennard dévoile en fait « comment Trump pourrait faire un coup d’Etat militaire ».ML

Mardi 14 octobre 2025 / DE : NATASHA LENNARD repris de Presse toi à gauche (PTAG°)

Rêve de tout autoritaire, la loi sur l’insurrection est mûre pour être détournée, et le cabinet de Trump prépare déjà les arguments qui justifieront son utilisation.

Le président Donald Trump a laissé entrevoir lundi après-midi une dangereuse escalade, menaçant d’invoquer la Loi sur l’insurrection pour envoyer l’armée dans les villes américaines, si des juges récalcitrants et des dirigeants d’États continuaient à contrecarrer ses ambitions d’attaquer et d’occuper les États « bleus ».

« Nous avons une Loi sur l’insurrection pour une raison », a déclaré Trump aux journalistes dans le Bureau ovale. « Si je devais la mettre en œuvre, je le ferais — si des gens étaient tués et que les tribunaux nous bloquaient, ou que des gouverneurs ou des maires nous bloquaient. »

Ses propos montrent clairement la forme que prend son projet autoritaire : déployer l’armée dans des villes américaines. Trump a précisé qu’il ne voyait pas, pour l’instant, la nécessité immédiate d’invoquer cette loi fédérale. Mais ses déclarations montrent bien ses intentions : envoyer les troupes dans les villes libérales après qu’un juge fédéral lui a interdit de déployer des soldats à Portland, en Oregon.

Comme tant d’autres prises de pouvoir de son régime, cette menace est à la fois choquante et prévisible.

Il veut ardemment l’utiliser

L’intérêt de Trump pour la Loi sur l’insurrection n’est pas nouveau. Il avait déjà envisagé de l’invoquer lors de son premier mandat. Il brûlait d’envie de s’en servir pour envoyer l’armée écraser les soulèvements de 2020 après le meurtre de George Floyd, mais avait alors fait face à l’opposition de son secrétaire à la Défense de l’époque, Mark Esper. Plus aucun obstacle de ce genre aujourd’hui : le président compte sur la loyauté aveugle de Pete Hegseth, son actuel « secrétaire de la guerre ».

Des alliés de Trump avaient également appelé le président à recourir à cette loi pour se maintenir illégalement au pouvoir après l’élection de 2020. Et pendant sa campagne présidentielle de 2024, Trump avait promis d’utiliser la Loi sur l’insurrection pour réprimer les troubles et la dissidence.

Préparer le terrain

Depuis le début de son second mandat, ses conseillers et ses collaborateurs s’emploient à préparer l’opinion à cette éventualité, afin que les partisans de MAGA acceptent sans broncher un nouveau geste ouvertement dictatorial.

Ce n’est pas un hasard si plusieurs membres de son cabinet ont utilisé à répétition les termes « insurrection » et « insurrectionnistes » pour qualifier les manifestant⸱es qui s’opposent aux opérations de type Gestapo menées par le service de l’immigration et des douanes (ICE). Et Stephen Miller, l’architecte sinistre de la machine de déportation de Trump, a qualifié la décision de la juge fédérale de l’Oregon de « rébellion juridique ».

Tel un sortilège, ils invoquent le mot « insurrection » pour faire exister le concept — et ainsi justifier l’usage de la Loi sur l’insurrection, même lorsque rien de tel n’existe dans la réalité.

« L’administration Trump suit toujours le même scénario : provoquer le chaos, créer la peur et la confusion, faire passer des manifestant⸱es pacifiques pour une foule déchaînée en leur tirant dessus avec des balles de gaz et des grenades lacrymogènes », a déclaré lundi JB Pritzker, gouverneur démocrate de l’Illinois, où les troupes fédérales de Trump sèment déjà le désordre à Chicago. « Pourquoi ? Pour créer le prétexte d’invoquer la Loi sur l’insurrection afin d’envoyer l’armée dans notre ville. »

Une loi taillée pour les abus

La loi elle-même semble faite sur mesure pour être détournée par un autocrate comme Trump.
Les juristes mettent en garde depuis longtemps contre ce texte vieux de deux siècles, dangereusement large et en urgence de réforme, précisément parce qu’il constitue un outil parfait pour un président aux penchants dictatoriaux.

D’abord, cette loi confère un pouvoir discrétionnaire immense au seul président, qui peut décider qu’une « insurrection » a lieu sur le territoire américain et déployer les forces armées contre la population. Elle constitue aussi l’une des rares exceptions à la Loi Posse Comitatus, qui interdit aux forces armées fédérales d’intervenir dans des opérations de maintien de l’ordre civil.

Une relique historique dévoyée

Si, comme l’a dit Trump lundi, il y a « une raison » d’avoir cette loi, elle est purement historique et n’a guère de rapport avec la situation actuelle. Issue du Militia Act de 1792, et adoptée pour la première fois en 1807, la Loi sur l’insurrection « n’a pas été révisée de manière significative depuis plus de 150 ans, elle est dangereusement vague et propice aux abus », écrit Joseph Nunn du Brennan Center for Justice.

Son langage flou est un cadeau pour un président animé d’intentions despotiques : elle autorise l’exécutif fédéral à déployer des troupes pour réprimer « toute insurrection, violence intérieure, association illégale ou conspiration » dans un État qui « s’oppose à l’exécution des lois des États-Unis ou entrave la justice en vertu de ces lois ».

« Rien dans le texte de la Loi sur l’insurrection ne définit les termes “insurrection”, “rébellion”, “violence intérieure” ou les autres expressions clés qui en fixent les conditions d’application », précise Nunn. « En l’absence d’une définition légale, la Cour suprême a décidé dès le XIXe siècle que cette décision relevait du seul président. »

Créer le prétexte

La crainte que Trump invoque cette loi pour prendre le contrôle des villes dirigées par les démocrates est loin d’être exagérée. Nos villes sont déjà occupées par une armée fédérale de nervis — l’ICE — chargée d’enlever et d’emprisonner nos voisin⸱es, en plus des violences policières ordinaires. Trump a déjà fédéralisé et déployé la Garde nationale à Los Angeles et à Washington, des excès qui font déjà l’objet de contestations judiciaires.

Et la situation pourrait bien empirer encore.

Invoquer la Loi sur l’insurrection ne transformerait pas du jour au lendemain la démocratie américaine en régime fasciste : ce serait plutôt l’extension d’un fascisme déjà existant, un outil supplémentaire permettant au président d’intensifier la répression de la dissidence.

Il est tentant d’appeler les manifestant⸱es à éviter tout prétexte à l’escalade. Ce serait une erreur tragique. Même Pritzker reconnaît que c’est le régime présidentiel lui-même qui « créera le prétexte », quelle que soit la nature pacifique des manifestations.

Dans l’imaginaire trumpiste — nourri du mythe d’un vaste réseau criminel de gauchistes financé⸱es — aucun vrai prétexte n’est nécessaire pour approfondir la fusion de l’État policier et militaire.

En statuant que la prétendue menace grave contre les agents fédéraux n’était fondée sur aucune réalité, la juge Karin Immergut a affirmé que Trump ne pouvait ignorer les faits sur le terrain.
Mais les propos du président lundi ont montré qu’il a pleinement l’intention de le faire.

C’est encore pire qu’on ne le pensait

Ce que nous voyons aujourd’hui de Donald Trump, c’est une prise de contrôle autoritaire totale du gouvernement américain. Ce n’est pas une exagération.

Les ordonnances judiciaires sont ignorées. Les loyalistes MAGA ont été placés à la tête de l’armée et des agences fédérales. Le Département de l’efficacité gouvernementale a retiré au Congrès son pouvoir budgétaire. Les médias qui osent contester Trump ont été bannis ou placés sous enquête.

Et pourtant, beaucoup continuent de traiter l’attaque de Trump contre la démocratie comme s’il s’agissait de politique ordinaire, avec des titres complaisants le décrivant comme « anticonformiste », « testant les limites » ou « exerçant son pouvoir de manière agressive ».

The Intercept couvre depuis longtemps les régimes autoritaires, les oligarques milliardaires et les démocraties en déliquescence dans le monde entier. Nous savons le défi que représente Trump — et l’importance vitale de la liberté de la presse pour défendre la démocratie.