Un livre de Zbigniew Marcin Kowalewski

À PARAÎTRE EN SEPTEMBRE
Coédition : Editions Syllepse (Paris),
La Brèche (Paris) et Instytut Wydawniczy Książka i Prasa (Varsovie)
ISBN : 979-10-399-0295-3
288 pages / 20 euros
Diffusion-Distribution en librairie : SOFEDIS/SODIS
En trois mots
Suivant un parcours inédit et un jeu d’échos à travers les révolutions ukrainiennes de 1917-1919 et 2014 (la révolution de Maïdan), l’auteur nous invite à un voyage historique et théorique au cœur de l’impérialisme russe dont il explore les différentes formes qu’il a prises au cours du temps.
L’auteur
Zbigniew Marcin Kowalewski est un historien polonais spécialiste de l’histoire ukrainienne. Il a été en 1980-1981 l’un des responsables du syndicat Solidarnosc. Il a vécu en exil en France jusqu’en 1989. Il est rédacteur en chef adjoint de l’édition polonaise du Monde diplomatique.
Le livre
En 1917, l’effondrement de l’empire tsariste n’a pas été l’œuvre d’une seule révolution, mais de plusieurs révolutions convergeant et divergeant, formant des alliances et s’affrontant.
La révolution russe était l’une d’entre elles. Au centre de l’empire, elle était ouvrière et paysanne ; dans la périphérie coloniale, elle reposait sur les minorités urbaines russes et russifiés et les colonies de peuplement.
Mais parmi les peuples opprimés, la révolution russe a également déclenché des révolutions nationales. La plus territorialement étendue, la plus dynamique et la plus imprévisible d’entre elles a été la révolution ukrainienne.
C’était la première fois depuis l’anéantissement du pays des Cosaques libres en 1775 que la question de l’indépendance de l’Ukraine était posée.
À Kyiv, le Parlement, composé principalement des partis ukrainiens de gauche et de délégués de soldats et de paysans ukrainiens, devenait le pouvoir de facto. La révolution nationale ukrainienne commençait.
Les bolcheviks allaient s’y opposer avant de se retirer d’Ukraine en 1918, l’abandonnant aux troupes d’occupation allemandes. Les bolcheviks ukrainiens étaient quant à eux favorables à une Ukraine soviétique, comme la Russie, mais indépendante et fédérée ou confédérée avec elle. Ce n’était pas la conception de Lénine, qui pensait que s’il devait y avoir une fédération entre la Russie et l’Ukraine soviétiques, elle devait être de courte durée, car l’objectif était pour pour Lénine « la fusion la plus complète », réduisant l’Ukraine à une région autonome au sein d’un État russe unitaire.
C’est la bataille perdue de 1917-1919 entre une gauche ukrainienne indépendantiste et le bolchevisme russe que nous raconte ce livre.
Des décennies plus tard, l’effondrement de l’URSS et l’indépendance de l’Ukraine en 1991 allaient déboucher en 2014 sur le soulèvement massif des Ukrainiens sur le Maïdan de Kyiv qui, en renversant le régime de Ianoukovytch, constituait une tentative de l’Ukraine de rompre définitivement le rapport colonial l’attachant historiquement à la Russie. La Russie impériale en voie de reconstitution ne pouvait le tolérer : annexion de la Crimée, rébellion séparatiste dans le Donbass et, enfin, invasion à grande échelle de l’Ukraine llaient en constituer des moments.
Le livre nous convie à revisiter la question théorique de l’impérialisme au travers des mutations de l’impérialisme russe des origines à nos jours.
Table des matières
Partie 1 : Russie-Ukraine : colonisation et conquête
Chapitre 1. L’impérialisme russe
Chapitre 2. La conquête de l’Ukraine et l’histoire de l’impérialisme russe
Partie 2. La révolution russe et la révolution ukrainienne
Chapitre 3. Lénine face aux mouvements nationaux indépendantistes en Russie
Chapitre 4. Les bolcheviks face à la révolution ukrainienne (mars 1917-mars 1918)
Chapitre 5. Les bolcheviks en Ukraine. Désastreuse année 1919
Partie 3. De l’indépendance à l’invasion russe
Chapitre 6. Le Maïdan, le printemps des peuples est arrivé en Europe
Chapitre 7. Des « Gardes blancs » russes dans le Donbass
Chapitre 8.
La rébellion oligarchique dans le Donbass
Solitude de l’ancienne possession coloniale
Conclusion
Un long cheminement avec l’impérialisme russe dans le sac à dos
Bonnes feuilles
Si la révolution russe semblait avoir dépouillé l’impérialisme russe tant de ses anciens fondements militaro-féodaux que de ses fondements modernes et capitalistes, la contre-révolution stalinienne raviva et restaura l’impérialisme russe, cette fois sous la forme d’un impérialisme bureaucratique. La Pologne en fit l’expérience avec son nouveau partage en 1939, de même que les trois États baltes et la Finlande. L’Allemagne orientale, occupée à partir de 1945, la Hongrie (1956), la Tchécoslovaquie (1968) et le coup d’État en Pologne (1981) furent autant d’étapes de cette restauration impérialiste.
La Russie a donc été une puissance impérialiste avant que le capitalisme ne se développe sur son territoire : c’est l’époque de l’impérialisme « militaro-féodal ». La révolution et le stalinisme ont donné naissance à ce que l’auteur appelle un impérialisme « militaro-bureaucratique », différent de l’impérialisme capitaliste. La Russie tsariste, dans laquelle le capitalisme était sous-développé, a participé activement pendant la Première Guerre mondiale au nouveau partage du monde entre les grandes puissances et était donc impérialiste. Il en a été de même pour l’URSS stalinienne. En participant au partage de la Pologne en 1939, elle a initié en Europe la lutte pour un nouveau partage du monde entre les grandes puissances impérialistes et a continué à y participer avec la Seconde Guerre mondiale. Avec l’effondrement de l’URSS en 1991, la Russie a alors perdu ses périphéries externes : 14 républiques non russes ont proclamé leur indépendance dont elles disposaient théoriquement selon la Constitution soviétique.
Ce fut une perte de territoires (5,3 millions de km2) sans précédent dans l’histoire de la Russie. L’empire militaro-colonial s’est néanmoins maintenu avec le rétablissement d’un capitalisme sauvage. La Russie entretient en effet des relations de type colonial avec les 21 républiques (30 % du territoire) non russes restées dans le giron de la Fédération de Russie.
La russification du Caucase
Dans notre pays nous avons un groupe ethnique, portant son nom et lui fournissant la langue officielle, ainsi qu’un grand nombre d’autres groupes ethniques ; certains d’entre eux disposent d’une autonomie nationale-territoriale, mais n’ont pas le droit de quitter cette pseudo-fédération, c’est-à-dire sont contraints d’y rester.
De plus en plus souvent la nécessité de l’existence des unités administratives distinctes selon les critères ethniques est remise en cause ; le processus de leur liquidation a déjà commencé par celle des districts autonomes. Pourtant presque aucun peuple non russe n’a commencé à habiter en Russie à la suite d’une migration ; eux ne se sont pas réinstallés dans un État russe déjà existant au contraire, ce sont des peuples conquis par cet État, repoussés, partiellement exterminés, assimilés ou privés de leur État. […]
Les groupes ethniques autochtones, au début de la période soviétique, étaient majoritairement dans l’autonomie. Ils sont aujourd’hui minoritaires du fait de la colonisation, liée à l’appropriation des ressources naturelles, des grands travaux, de l’industrialisation et de la militarisation. L’aménagement des « friches », la construction de certains ports et centrales nucléaires dans les républiques baltes, etc. n’avaient pas seulement des raisons économiques, mais avaient aussi pour but la russification des régions frontalières de l’Union soviétique. Après son effondrement, les conflits militaires dans le Caucase, dont les peuples sont pris en otages de la politique impériale du « diviser pour mieux régner », sont des guerres typiques pour préserver les colonies dans un empire qui se désintègre. L’extension de sa sphère d’influence, dont l’intégration des parties de l’ex-URSS, est aujourd’hui une priorité de la politique étrangère russe. Aux 18e et 19e siècles, dans la Russie tsariste, les tribus nomades faisaient allégeance et ainsi leurs terres devenaient automatiquement russes ; la Russie post-soviétique distribue aux habitants des pays frontaliers des passeports russes.
La russification du Donbass
Depuis la décennie 1940 jusqu’à la première moitié de la décennie 1980 l’internationalisation apparente de la société masquait la politique planifiée de la russification, qui a progressivement formé l’imaginaire sur le Donbass en tant que « région russophone ».
Dans l’Ukraine indépendante, cette politique a été poursuivie par les autorités oligarchiques régionales. Au cours des années 1970-1989-2001, le pourcentage des Ukrainiens considérant la langue ukrainienne comme langue maternelle a baissé dans la région de Donetsk de 79 % à 59,6 % puis à 41,2 %, et dans la région de Louhansk de 87,5 % à 66,4 % puis à 50,4 %. Aujourd’hui, dans les villes de Donetsk et Louhansk les Ukrainiens constituent moins de la moitié des habitants et les Ukrainiens ukrainophones ne sont que 11,1 % dans la première et 13,7 % dans la seconde ville. Par contre à la campagne les Ukrainiens sont une majorité dominante . Actuellement dans les deux régions les Russes forment près de 40 % de la population.
De la même façon que cela avait lieu en Union soviétique, où les grands centres urbains étaient le principal terrain de la politique coloniale russe visant la russification de la périphérie, après la chute de l’URSS le pouvoir oligarchique a poursuivi une politique active de la reproduction d’une vision du Donbass en tant que région russifiée et tendant vers la Russie. […]
La « contra du Donbass » un tel terme convient à la rébellion oligarchique du Donbass, car elle rappelle le mouvement armé contre-révolutionnaire sponsorisé par les États-Unis au Nicaragua après le renversement du régime de Somoza. Les barons du Parti des régions et les magnats industriels ont commencé à mobiliser cette « contra » déjà pendant la révolution du Maïdan, pour empêcher son élargissement vers le Donbass et pour soutenir l’appareil de répression avec des milices es tristement célèbres « titouchki » envoyées à Kyiv. Une campagne de propagande sur le danger mortel venant des « nazis, fascistes et bandéristes » du Maïdan, à propos desquels des nouvelles effrayantes étaient propagées, a éclaté, soutenue par les télévisions du régime russe, hégémoniques dans cette région.
Le Parti communiste d’Ukraine (PCU), assez influent dans cette région, n’a pas hésité à copier le discours nazi sur les ghettos juifs, parlant du Maïdan » blanc à l’extérieur, noir à l’intérieur » en le comparant aux ghettos noirs des États-Unis, qualifiés d’habitats parasitaires des oisifs.
Citons cette propagande infâme : « Des énormes tas d’ordures, toutes sortes d’infections et de maladies jusque-là inconnues de la médecine, c’est une caractéristique de la vie des réserves. Leurs habitants ne travaillent nulle part et ne reçoivent de l’argent que parce qu’ils traînent sans but dans les rues. Ils motivent leur refus de travailler par le fait qu’ils ne sont plus esclaves. Là-bas, en Amérique, il y a les graffitis de Martin Luther King. Ici, chez nous, les portraits de [Ioulia] Tymochenko et de Bandera. Ici comme là-bas, ils sont vêtus de ce que les bonnes âmes leur ont donné. Chez nous, comme de l’autre côté de l’océan, tout ce bazar porte le nom charmant de “démocratie”. […] Au moins à New York, à Los Angeles et à San Francisco la police fait parfois des raids vers de tels lieux et tue simplement quelques Nègres enragés. […] Même les vendeurs à peau foncée dans les boutiques de brocante de Kyiv semblent un peu plus civilisés que nos “frères à la peau claire” des régions occidentales du pays, qui se sont rassemblés sur le Maïdan. “Blancs” à l’extérieur, mais “noirs” à l’intérieur ». Rien de surprenant dans cette explosion du racisme le PCU est un parti colonial.
Après la chute du régime de Ianoukovytch, c’est-à-dire après la perte du pouvoir d’État par l’élite politique et économique du Donbass, cette dernière a paniqué. Le capital monopoliste du Donbass a décidé de se retrancher dans son bastion afin de préserver son pouvoir au moins là : imposer l’autonomie de la région, cette fois-ci non seulement économique, mais aussi politique, prendre l’appui sur l’impérialisme russe et si nécessaire, avec son appui militaire, organiser la sécession.