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Ukraine. Comment le personnel soignant lutte pour ses droits.

Les 27 et 28 novembre, Soyez comme nous sommes a organisé une conférence à Lviv, à laquelle ont participé environ 60 membres du personnel soignant et représentant·es d’associations de patient·es.

Selon la présidente du conseil syndical, Oksana Slobodyana, le syndicat des travailleurs de la santé ukrainien a été heureux d’accueillir des participants et participantes de différentes régions d’Ukraine et de différentes spécialités, qui ont pu discuter des problèmes du secteur de la santé et partager leur expérience de la lutte pour des conditions de travail décentes et l’accès aux soins médicaux.

« Aujourd’hui, il est clairement démontré que l’ensemble de l’Ukraine est confronté à des problèmes majeurs dans le secteur médical. Mais il est possible de les résoudre, et il aurait fallu le faire dès hier. Et cela doit être fait afin de préserver notre médecine. Si la médecine n’est pas protégée, si les ressources humaines ne sont pas préservées, aucune rénovation, aucune innovation, aucune amélioration ne sera utile. En fait, il n’y aura pas d’État sans médecine, sans éducation et sans armée. C’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas simplement de caprices de soignant·es. C’est un cri pour dire qu’il faut se battre pour ce secteur. Car nous continuons à perdre du personnel, en particulier des infirmières. Je pense qu’il faut changer radicalement les personnes responsables des soins infirmiers, de leur développement, de leur formation et de leur rémunération. Il faut le faire immédiatement afin de conserver les personnes qui sont restées dans notre pays et qui sont les héroïnes de l’Ukraine », a souligné Oksana Slobodyana.

À son tour, Ruslana Mazurenok, militante de Soyez comme nous sommes et responsable du syndicat indépendant de son hôpital dans la région de Khmelnytsky, a partagé son expérience de la lutte.

« Le système pliera si on le combat avec la loi. Et cela n’est possible actuellement qu’avec l’aide des syndicats. Car c’est le seul outil réellement protégé par la loi qui permet d’agir », a souligné la militante.

Selon Ruslana, en 2022, leur hôpital a changé de directeur, qui n’était pas intéressé par le développement.

« Il disait que même s’il ne restait qu’un seul service à l’hôpital, il resterait quand même directeur et continuerait à toucher son salaire. Ce fut une période de répression des employés, de pression, de violations massives de la convention collective », raconte Ruslana.

Le syndicat a été dissous à l’hôpital, privant ainsi le personnel de toute protection. 

« Plusieurs employées actives de notre hôpital ont commencé à chercher des solutions. Nous avons trouvé la convention collective et l’avons étudiée. Mais nous avions besoin d’un soutien juridique. Nous avons commencé à chercher des spécialistes et avons trouvé Soyez comme nous sommes, qui est venu dans notre petite ville, nous a aidés à comprendre la situation et nous a fait des recommandations. L’une d’entre elles était de créer notre propre syndicat, qui défendrait légalement les intérêts des employées. Au début, c’était très difficile à comprendre, mais on nous a fourni des modèles de documents, expliqué comment procéder et, en 2023, nous avons créé notre propre syndicat », raconte Ruslana.

Selon elle, au début, les soignant·es avaient peur de la rejoindre, mais après qu’un des médecins, avec le soutien du syndicat et de Soyez comme nous sommes, ait gagné son procès, la situation a changé. Cela a permis de licencier le directeur de l’hôpital, car il avait été prouvé qu’il avait violé les droits des employé·es. Cependant, au début, le conseil municipal a refusé de le faire.

« Nous avons déposé une plainte devant le tribunal pour faire reconnaître l’inaction du conseil municipal. Elle dure depuis près d’un an. Lors de la deuxième audience, l’examen de l’affaire a été suspendu jusqu’à la décision de la Cour suprême dans une affaire similaire. Mais depuis juillet, les audiences de la Cour suprême sont constamment reportées et notre affaire est un peu en suspens. Dans le même temps, les activités de notre directeur ont attiré l’attention du département régional et le conseil municipal a reçu l’ordre de lui demander de rédiger une lettre de démission », note la militante.

Selon elle, une nouvelle directrice est arrivée, qui fait bonne impression.

« Même si nous avons de la chance avec la nouvelle directrice, nous savons désormais que même si quelqu’un d’autre arrive demain, nous sommes protégé·es. Et même si le directeur a changé, le procès doit avoir lieu. On m’a proposé de rédiger une demande de classement de l’affaire, car il n’y a plus ce directeur et il n’y a plus lieu de poursuivre le procès. Mais je veux que nous menions cette affaire à son terme, que nous gagnions, que nous montrions l’exemple, que le syndicat ne soit pas un simple bonus, mais un véritable mécanisme de protection, afin que cela serve d’exemple pour les autres. Car c’est la seule façon de changer les choses. Unissez-vous. Votre cohésion est votre armure, c’est votre arme », a souligné Ruslana. 

À son tour, Oleksiy Chupryna, militant de Soyez comme nous sommes et du syndicat professionnel alternatif des travailleur·euses de la santé de la ville de Myrhorod, a souligné que le niveau de rémunération des soignant·es en Ukraine est inacceptable. Cependant, les responsables du ministère de la Santé négligent ce sujet, mettant l’accent sur la décentralisation et l’autonomie des établissements médicaux. Après la réforme médicale, l’organe clé dont dépendent le financement des hôpitaux, et en particulier les salaires, est le NSZU [Service national de santé]. Selon Oleksiy, celui-ci dispose d’un conseil élu qui peut avoir une certaine influence sur les décisions. Cependant, les travailleur·euses de la santé se sont montrés passifs lors de l’élection des membres de ce conseil.

« Notez bien qu’il y a des élections au Conseil de contrôle public au sein d’une structure qui finance l’ensemble du secteur médical en Ukraine. Mais sur environ 300 000 professionnel·les de santé, seul·es 11 000 au maximum participent aux élections. Cela signifie que la grande majorité des professionnel·les de santé ne savaient peut-être pas que ces élections avaient lieu. Ou peut-être ont-ils ou elles simplement considéré cela comme une perte de temps inutile. Et cela me désole beaucoup. Car l’un des éléments essentiels à l’établissement d’un dialogue adéquat avec les structures du pouvoir est précisément l’activité citoyenne », a souligné Oleksiy. 

Il a également ajouté que le niveau actuel des salaires, fixé en 2021, « porte atteinte à la dignité des professionnel·les de santé ». 

« Le secteur médical est sous-financé depuis 1991. C’est pourquoi, à mon avis, il serait très bien de commencer par payer aux soignant·es ce que l’État leur doit. Ensuite, on pourra continuer à développer les relations entre les autorités et les professionnel·les de santé, les élargir et poursuivre la réforme médicale », a souligné le médecin.

Olena Poleva, représentante d’une organisation de patient·es de Kyiv, a également pris la parole lors de la conférence. Avec les habitant·es du quartier Sviatoshynsky de la capitale, elle s’oppose à la fermeture de la filiale d’un établissement médical. Elle a évoqué les problèmes rencontrés par les patient·es et les médecins après la réorganisation des établissements médicaux dans la capitale.

La militante a déclaré que la communauté n’avait pas été informée des conséquences réelles de la fusion de l’hôpital n°5 avec le septième hôpital et le dispensaire dermatologique.

« En fait, le transfert des biens a eu lieu sans le consentement du personnel médical. Ce n’était pas une réforme, c’était une usurpation depouvoir », a souligné Mme Polova.

Selon elle, après la fusion, le laboratoire situé au deuxième étage a été fermé, une partie du personnel médical a été licenciée et les locaux ont été occupés par les services administratifs qui se trouvent désormais à 6 km de l’hôpital principal. Les patients se voient proposer des services payants et avoir recours à des « dons caritatifs ». D’après elle, dans de nombreux cas, les patient·es sont en fait contraints d’utiliser des services payants. Il est presque impossible de prendre rendez-vous pour une consultation gratuite :

« Lorsque vous appelez pour prendre rendez-vous chez le médecin, on vous propose d’abord une consultation payante, car les consultations gratuites ne sont disponibles que dans un mois », a déclaré Olena.

La militante a également décrit la situation du fonds spécial de l’hôpital :

« Le patient doit tout payer, et les médecins doivent travailler comme des esclaves pour augmenter les recettes du fonds [de l’hôpital]. Le directeur considère en fait ce fonds comme sa propriété ».

Poliova a souligné que la communauté s’était adressée à la nouvelle directrice du département de la santé de Kyiv et attendait de la rencontrer, car les gens veulent savoir qui est responsable de l’état actuel de la médecine dans la région.

Olga Ivantsyna, infirmière du service de soins palliatifs, a également pris la parole lors de la conférence, soulignant qu’il s’agit d’un nouveau domaine d’aide, mais qui est très demandé.

« Il faut y investir, il faut plus de médecins, d’infirmières, d’aides-soignantes. Les aides-soignantes sont sans doute celles sur lesquelles repose tout ce domaine. Ces jeunes femmes travaillent 24 heures sur 24, elles ont chacune 50 patient·es alité·es qu’il faut changer, laver et nourrir. Elles aident les infirmières dans tout, mais leur salaire est dérisoire », souligne Olga.

Selon elle, les patient·es connaissent des restrictions dans leur prise en charge par la liste nationale des médicaments, qui ne sont pas tous efficaces. 

« C’est pourquoi il faut faire des propositions pour aider ces patient·es. Les soins palliatifs consistent principalement à soulager la douleur et à faciliter les derniers jours d’une personne, à simplement la soutenir et l’aider, aussi étrange que cela puisse paraître, à mourir en paix », a déclaré l’infirmière.

À son tour, Tetiana Hnativ a rappelé les problèmes rencontrés par les infirmières du secteur scolaire. Selon elle, les infirmières dans les crèches et les écoles reçoivent un salaire minimum. Et ce, malgré le fait qu’elles aient suivi une formation appropriée et qu’elles assument une grande responsabilité pour la vie et la santé des enfants. Elles n’ont pas droit à un salaire de 13 500 UAH [275 euros], comme les autres infirmières, car elles dépendent du ministère de l’Éducation et des Sciences. 

« L’année dernière, lors du forum sur les soins infirmiers, j’ai personnellement posé la question suivante à M. Lyashko [ministre ukrainien de la Santé] : « Que faire avec les infirmières scolaires ? Pourquoi ne les incluez-vous nulle part dans les primes, les réformes, etc. ? » Parce que nous travaillons aussi. Par exemple, en moyenne, nos écoles comptent en moyenne 700 enfants et nos crèches 200 à 300 enfants. De plus, les infirmières effectuent beaucoup de travail. Mais on ne nous entend pas et on ne nous voit pas. C’est très regrettable, car nous nous consacrons entièrement aux enfants, nous veillons à leur santé et à leur sécurité, nous les accompagnons dans les abris », explique l’infirmière. 

Les participant.es à la conférence ont souligné qu’une résolution avait été rédigée sur la base des informations recueillies, et que les participant·es l’enverraient aux représentants des autorités.

28 novembre 2025
Soyez comme nous sommes 
Publié par le Réseau syndical international de solidarité et de luttes
Traduction Patrick Le Tréhondat