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Soutien à l’Ukraine résistante N°44

EDITORIAL

Envers et contre tout, résister

Patrick Le Tréhondat

La nouvelle péripétie du plan Trump, plan russe écrit sous pavillon  américain, affole les capitales européennes timorées depuis le début de la guerre à grande échelle dans leur soutien limité à bon escient à la résistance à l’Ukraine et apeurés devant le matamore de la Maison-Blanche. Derrière le rideau de fumée diplomatique genevois, c’est la capitulation sans condition qui est demandée. On ne sait pas  cette heure l’avenir de ce coup de poignard qui si il aboutissait serait un nouveau drame historique pour l’Ukraine et coûterait cher à l’Europe à tout le moins. De son côté, le pouvoir de Kyiv, déstabilisé par une affaire de corruption qui a fissuré le bloc présidentiel, tergiverse et cherche une voie de sortie. Tout n’en abandonnant pas la lutte contre l’ennemi russe. Le front résiste et l’armée des dronistes continue de frapper l’économie de guerre russe, s’interdisant de toucher des cibles civiles. Cependant, suite à ses tentatives en juillet dernier de s’en prendre aux organes anti-corruption, NABU et SAP, auxquelles avaient répondu des manifestations massives dans tout le pays, cette nouvelle affaire a affaibli Zelensky et son clan. Face à la pression, il a demis le ministre de l’énergie et de la justice,  mais a refusé à ses députés celle de Andriy Yermak, chef tout-puissant de l’administration présidentielle mis en cause. Que le ministre de l’énergie soit impliquée dans une affaire de corruption, portant sur 100 millions de dollars, suscite une large réprobation dans l’opinion publique soumise à des coupures d’électricité quotidiennes qui peuvent durer jusqu’à 16 heures voire 24 heures. Les Ukrainiens consultent tous les jours le programme de coupures annoncées dans leur ville pour organiser une difficile vie quotidienne (notamment à l’aide de générateurs ou de batterie externe mais qui sont d’une aide limitée). Symbolique, au moment même où l’on apprenait ce détournement de fonds publics par le ministère de l’énergie, des habitants de Zaporijia se rassemblaient près de l’administration régionale, puis bloquaient une route, pour exiger des coupures de courant équitables, partageant le sentiment que des privilégiés y échappaient. Cette question de l’équité dans le « fardeau énergétique » en raison des bombardements russes a déjà provoqué des protestations dans d’autres villes. De son côté, la confédération syndicale KVPU annonçait au même moment que « bien que nous soyons déjà dans la seconde moitié de novembre, les employés de l’entreprise publique Lvivvugol, dont les unités de production abritent des sections importantes du Syndicat indépendant des mineurs d’Ukraine (IPMU-KVPU), n’ont perçu que 57 % de leur salaire d’octobre. Le retard de paiement des salaires provoque une vague d’indignation parmi les travailleurs. L’hiver approche et l’argent gagné par les mineurs est absolument essentiel pour eux et leurs familles. » L’année dernière, ce sont plusieurs mois de salaires non payés qui avaient conduit les mineurs de Lviv à manifester devant le ministère de l’énergie. Le syndicat des mineurs KVPU avait alors souligné à juste titre que «les salaires impayés non seulement aggravent les difficultés financières des familles minières, mais affectent également négativement l’état moral et psychologique des employés et augmentent les tensions sociales dans les équipes de production et dans la région, et privent également de la possibilité d’aider plus de 800 employés de l’entreprise qui sont dans les forces armées ukrainiennes et auxquels ils [les mineurs] fournissent tout le nécessaire (munitions, drones, voitures, etc.) ». Dans cette déclaration, le syndicat soulignait clairement que la politique anti-sociale du gouvernement affaiblissait le front et ses combattants-ouvriers qui luttent contre l’impérialisme russe, les privant de l’aide matérielle que les syndicats apportent constamment aux travailleurs en uniforme. Une désastreuse situation qui se vérifie malheureusement aussi dans le secteur de la santé pourtant vital pour un pays en guerre. Dans les colonnes de Soutien à l’Ukraine résistante, nous donnons régulièrement la parole au syndicat du personnel soignant ukrainien Soyez comme nous sommes qui témoigne sur les dégâts dramatiques qui provoquent l’« optimisation » néo-libérale à marche forcée, sans pause depuis le 24 février 2022, des hôpitaux. Fermeture d’hôpitaux et licenciements de personnel quoi affectent, outre la population civile, les soins prodigués aux soldats blessés. Cette organisation syndicale, qui défend les droits sociaux des personnels soignants, notamment celles et ceux engagé·es sur le front, propose des alternatives au mode de gestion capitaliste actuel du système de santé. Elle met en avant la nécessité d’un contrôle des salarié·es en blouse blanche sur l’organisation du système de santé. Sur le problème des primes auxquelles ont droit les infirmières (particulièrement celles qui risquent leur vie au plus près du front) et qui leur sont refusées, le syndicat explique que leur calcul transparent et équitable n’est possible que si des mécanismes de contrôle réels sont mis en place, et dans lesquels la convention collective jouerait un rôle clé… C’est dans ce document que doivent être clairement inscrits les droits du collectif [de travail] à recevoir des rap­ports sur le financement, la répartition des fonds et les modalités de versement des primes.  « « Gérer et  contrôler les hôpitaux est possible » nous déclarait dans ces colonnes Oksana Slobodiana, présidente du syndicat indépendant. Cette volonté de contrôle et de prise en main de ses propres affaires est profonde dans la société ukrainienne. Depuis Maïdan, mais plus encore depuis le 24 février 2022, date de l’agression à grande échelle du pays avec la large auto-mobilisation du peuple ukrainien qui a mis en échec l’agresseur russe. Comme l’expliquait une infirmière « nous avons Maïdan dans le sang ». Une analyse sanguine qui s’est avérée juste, elle a été délivrée quelques mois avant les manifestations de juillet. Loin des cénacles diplomatiques, des rodomontades des dirigeants européens, et des sinistres bêlements capitulards des « campistes » de gauche, la résistance ukrainienne tire sa force dans cette mobilisation permanente populaire qui lutte sur deux fronts : contre l’impérialisme russe et contre un système oligarchique cupide qui gave une minorité de possédants à ses dépens et épuise la résistance. « Seules une organisation massive et la solidarité permettront de remporter la guerre et d’assurer une reconstruction équitable après celle-ci. L’histoire montre que toutes les transformations sociales importantes ont été obtenues par la lutte venue d’en bas, et non accordées par le haut » rappelle l’organisation socialiste Sotsialnyi Rukh.

Envers et contre tout, l’Ukraine résiste. Elle perturbe le jeu mondial des principales puissances impérialistes (États-Unis, Fédération de Russie, Chine). Elle est un clou dans leurs chaussures qu’elles n’arrivent pas à arracher. Contrairement à ce que pense Trump, il n’est pas certain que l’Ukraine n’ait pas de cartes de main. Non celle du valet, mais celle d’un peuple mobilisé pour sa souveraineté, la défense de ses acquis démocratiques et de ses droits sociaux et politique et en définitive de son droit à l’existence.