Article publié dans NUEVA SOCIEDAD 319 / SEPTEMBRE – OCTOBRE 2025
L’extrême droite a joué un rôle fondamental dans la montée du négationnisme climatique. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump en 2017 a marqué le début d’une deuxième vague de négationnisme, qui ne se limite plus aux think tanks, mais est soutenue par les gouvernements. Mais on trouve également dans l’extrême droite des stratégies « retardistes » – qui ne nient pas le changement climatique, mais cherchent à freiner les actions pour le combattre – et même diverses expressions d’« écofascisme ».
par Maristella Svampa

« Forer, baby, forer », l’un des slogans de campagne de Trump.
Le négationnisme est en hausse, comme l’affirme la chercheuse italienne Donatella Di Cesare, autrice de Si Auschwitz n’est rien. Contre le négationnisme1. Ses expressions sont variées, car elles incluent non seulement la négation de l’Holocauste ou du changement climatique (comme c’était auparavant le cas pour le négationnisme des effets de la consommation de tabac sur la santé humaine), mais aussi la négation de la pandémie, le rejet des vaccins, la négation des problèmes auxquels sont confrontés les migrants. Le négationnisme ne soulève pas un « doute constructif », mais ce que Di Cesare appelle un « doute hyperbolique ». « Les négationnistes, qui agissent comme des « dobermans de la pensée », ne demandent pas innocemment un chiffre, ils n’ont pas de doute réel et ne cherchent pas à mieux connaître un phénomène. Ce qu’ils font, en réalité, c’est instaurer un doute qui contient en soi la thèse négationniste »2. Dans cette optique, on pourrait bien dire que la thèse négationniste de la droite radicale cherche à renforcer la polarisation asymétrique3, dans le cadre de sa stratégie d’accumulation politique. D’une part, le négationnisme historique a élargi ses frontières. Si en Europe, il faisait référence à l’Holocauste juif, qui est nié ou tend à être relativisé, en Amérique du Sud, il s’applique aux dictatures militaires des années 70. Ce n’est pas un hasard si ces deux négationismes font référence à des événements cruciaux dont le processus historique et la reconnaissance sont à la base des démocraties actuelles. L’objectif est de détruire la mémoire et certains aspects de la communauté démocratique qui s’est construite autour d’elle, comme le soutient Di Cesare.
En résumé, il est erroné de penser que le négationnisme de l’extrême droite est exclusivement climatique. Car le négationnisme inclut également certaines interprétations de l’histoire qui, en général, font référence à des événements très traumatisants, tels que des massacres et des génocides. C’est le cas au Brésil et en Argentine, où il coexiste avec le négationnisme historique des atrocités commises par les dernières dictatures militaires des deux pays ou, à défaut, où l’on cherche à en minimiser la gravité, en assimilant les crimes contre l’humanité commis par l’État aux crimes des organisations armées qui agissaient à l’époque.
Le doute hyperbolique – la suspicion qui pèse sur les scientifiques et les prétendues lacunes dans les connaissances – a également été à la base du déni climatique entre 1990 et 2000. Il consiste à rejeter les résultats de la recherche scientifique et à nier les origines anthropiques de la crise climatique, ce qui se traduit par le refus de mettre en œuvre toute politique publique nationale ou internationale visant à réduire et à atténuer les gaz à effet de serre ou à s’adapter au changement climatique. Le déni climatique a pour effet de libérer tant les États que les individus de leur responsabilité dans la catastrophe environnementale.
Cela dit, il convient de distinguer deux vagues différentes de négationnisme climatique. La première, née après la chute du mur de Berlin en 1989, s’étend jusqu’aux premières années du XXIe siècle ; la seconde, à partir de 2015, accompagne et alimente l’expansion de l’extrême droite. Dans sa version la plus classique, le déni répond à une matrice idéologique ultralibérale et conservatrice qui s’oppose au rôle régulateur de l’État et des institutions multilatérales mondiales. Tant dans les questions environnementales (négation du changement climatique) que sanitaires (négation des effets nocifs du tabac sur la santé humaine), la stratégie utilisée a toujours été la même : rejeter, au nom de la « liberté » individuelle et du marché, toute intervention régulatrice de l’État, en instaurant un doute hyperbolique presque toujours associé à une hypothèse conspirationniste ou à une théorie du complot.
Le tournant de cette croisade négationniste a été le gouvernement républicain de Ronald Reagan (1981-1989), dont la politique de déréglementation a creusé un fossé encore plus grand entre les partis républicain et démocrate sur ces questions4. De puissantes institutions liées aux entreprises fossiles ont été créées, qui ont coopté des scientifiques marginaux pour influencer le débat à l’échelle internationale, niant les fondements scientifiques du réchauffement climatique et s’opposant à toute forme de réglementation limitant les émissions de gaz à effet de serre. Pour l’écomarxiste Andreas Malm, il s’agissait également d’une machine de déni visant à protéger un élément de l’idéologie dominante contre la science du climat, liée à diverses fractions du capital fossile5. Entre autres, la Coalition mondiale pour le climat (GCC), très active entre 1981 et 2002, a bénéficié du soutien de la compagnie pétrolière ExxonMobil. Le cas d’Exxon est paradigmatique, car entre les années 1970 et 1980, cette entreprise a engagé des scientifiques qualifiés pour étudier le problème du réchauffement climatique, qui ont confirmé son existence et son lien avec les activités humaines. Malgré ces résultats, la compagnie pétrolière a continué à adopter une position négationniste et a même contribué à empêcher les États-Unis de ratifier le protocole de Kyoto, signé en 1997. L’exemple le plus connu est celui du Heartland Institute, fondé en 1984, un think tank néolibéral basé à Washington et financé par des donateurs anonymes liés à des entreprises fossiles et par des fondations d’extrême droite liées à Koch Industries, qui organise depuis 2008 des réunions internationales de sceptiques et de négationnistes du changement climatique.
Les dommages causés par le déni climatique sont incalculables et durables. Dès 1995, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) était arrivé à la conclusion que les activités humaines (anthropiques) affectaient le climat de la planète. Cependant, malgré la campagne intense menée par ces fondations et ces entreprises fossiles contre les climatologues afin de relativiser et de diffamer les rapports du GIEC, le déni a commencé à s’affaiblir au début du nouveau siècle. En 2006, le documentaire Une vérité qui dérange, de l’ancien vice-président américain Al Gore, a été diffusé et a eu un grand retentissement mondial. D’autre part, les mouvements pour la justice climatique se sont renforcés, en particulier en Europe, et ont agi dans les espaces multilatéraux pour parvenir à de nouveaux accords internationaux. Face à cette réalité, plusieurs entreprises fossiles se sont retirées des fondations et ont compris que, du moins publiquement, il valait mieux miser sur le greenwashing6.
Enfin, les planètes semblaient s’aligner. Désormais, plus personne ne pouvait remettre en cause l’origine anthropique du changement climatique ni ses conséquences sur la vie sur la planète. Une nouvelle opportunité s’ouvrait ainsi, que la Conférence des Parties à la Convention des Nations unies sur les changements climatiques (COP) de Paris, tenue en 2015, allait saisir pour tracer une voie claire vers la réduction des émissions de dioxyde de carbone, afin de ne pas dépasser la limite de 1,5 °C d’augmentation de la température par rapport à la période préindustrielle. Bien sûr, il y avait des désaccords sur l’horizon temporel, car la vitesse ou le rythme de ces changements ne peuvent être entièrement prévus et varient d’un pays à l’autre. Bien qu’il ne soit pas contraignant, l’accord de Paris a été signé par 197 États qui se sont engagés à présenter des programmes nationaux de réduction des émissions.
Cependant, le contexte international s’est une fois de plus compliqué avec la montée en puissance des extrêmes droites altermondialistes en Europe et, surtout, avec la première présidence de Donald Trump en 2017. C’est ainsi qu’a débuté la deuxième vague de négationnisme, qui n’est plus seulement orchestrée par les think tanks des entreprises fossiles et leurs fondations, mais aussi par les gouvernements et les partis d’extrême droite qui nient le changement climatique ou son origine anthropique et promeuvent des politiques publiques fossiles et anti-environnementales.
Cette revanche politique du capital fossile a redéfini le champ de bataille et a gagné des adeptes inattendus, au point d’affaiblir les mouvements écologistes précisément là où ils étaient forts et avaient le plus d’influence politique, comme en Allemagne, au Danemark et en Suède. Comme l’affirme Malm, qui a mené l’étude la plus complète sur la relation entre l’ethnonationalisme et le déni climatique, pour les partis d’extrême droite, l’apocalypse n’est pas le climat, « une supercherie des communistes », comme le prétend Trump. La véritable apocalypse est l’invasion de leurs pays par des étrangers non blancs7. Ce n’est pas un hasard si ces deux thèmes, le déni du changement climatique et l’affirmation du danger migratoire, apparaissent de manière obsessionnelle. Selon Mark Steyn, auteur de American Alone, les musulmans et les mouvements climatiques partageraient une vision ancrée dans la « reprimitivisation » de la planète, car tous deux « détestent l’Occident » et critiqueraient la modernité8.
Dans cette optique, l’extrême droite rejette l’Agenda 2030 pour le développement durable, défini dans l’Accord de Paris, qui détaille 17 objectifs visant à réduire la pauvreté, à rendre la planète plus saine, à réduire les inégalités entre les sexes, à éradiquer la faim et à créer des emplois décents. Rien à quoi une personne raisonnablement sensée pourrait s’opposer. Mais il ne faut pas se leurrer : plus qu’un plan d’action global, l’Agenda 2030 est une déclaration de principes. En définitive, le problème ne réside pas dans ses objectifs, mais dans les espaces multilatéraux qui proposent une gouvernance environnementale mondiale9 et s’installent ainsi dans une sphère qui, pour les droites radicales, relève de la compétence exclusive des États nationaux. C’est pourquoi, pour certains courants européens stratégiquement plus « sensibles » à la crise environnementale, la formule consistera à « nationaliser » la question.
De ce côté-ci de l’Atlantique, Trump (2017-2021 et à partir de 2025) et Jair Bolsonaro (2018-2022), comme aujourd’hui Javier Milei en Argentine (à partir de 2023), montrent jusqu’où peuvent aller les extrêmes droites avec leurs politiques négationnistes. Il ne s’agit pas seulement de se retirer des négociations multilatérales (COP, Accord de Paris), mais surtout de démanteler systématiquement la législation nationale en matière d’environnement et d’énergie et de redoubler d’efforts en faveur des combustibles fossiles. Fidèle à sa conception fossile de l’économie, dès son arrivée au pouvoir en 2017, Trump est revenu sur les mesures de son prédécesseur Barack Obama et a signé le décret « pour promouvoir l’indépendance énergétique et la croissance économique ». Dans cette optique, il a démantelé le Plan pour une énergie propre (qui imposait des limites aux centrales à charbon et encourageait de nouvelles exigences en matière d’efficacité et de réduction des émissions des véhicules à moteur), déréglementé l’industrie fossile, nommé à des postes officiels de nombreuses personnes liées à celle-ci et, bien sûr, comme il l’avait promis, quitté l’Accord de Paris10.
Au cours des six premiers mois, Trump a lancé l’initiative America First (les États-Unis d’abord) ; la composante énergétique de sa stratégie globale consistait non seulement à s’affranchir du Moyen-Orient et à obtenir la souveraineté énergétique, mais aussi à atteindre la « domination énergétique » grâce à l’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels extraits par fracturation hydraulique. Tout cela s’accompagnait d’une politique anti-environnementale, qui s’est étendue à la suppression du langage environnemental : « Les références au changement climatique ont disparu et la manière dont les questions environnementales étaient abordées sur les sites web de ces institutions gouvernementales, à commencer par la Maison Blanche, a été modifiée »11.
De nombreux sites web consacrés à ces questions ont disparu du jour au lendemain, empêchant l’accès à l’information publique. Sur d’autres, le terme « changement climatique » a été remplacé par des concepts tels que « durabilité » ou « résilience ». Après une année au cours de laquelle les États-Unis ont été particulièrement touchés par des catastrophes naturelles liées au changement climatique, l’Agence fédérale de gestion des urgences (FEMA) a supprimé cette question de son plan stratégique.
Une situation similaire s’est produite avec Bolsonaro. Pour Ernesto Araújo, alors ministre des Affaires étrangères du Brésil : « La gauche a détourné la cause environnementale et l’a pervertie jusqu’à l’excès, ces 20 dernières années, avec l’idéologie du changement climatique, le climatisme. (…) Le climatisme n’est qu’une tactique mondialiste visant à instiller la peur, afin d’obtenir plus de pouvoir »12.
Ainsi, le déni a également servi de prétexte pour attaquer le « mondialisme », l’associer à un « néo-impérialisme » représenté par les organisations multilatérales et affirmer ainsi un discours souverainiste – peu crédible – en ce qui concerne l’Amazonie13. Une politique accélérée d’assouplissement environnemental et de démantèlement des lois en vigueur a également été mise en œuvre. Les organisations publiques chargées de mettre en œuvre la politique environnementale – surveillance, protection, contrôle – ont été déstructurées financièrement et administrativement au nom de la débureaucratisation. Le budget du ministère de l’Environnement a été réduit de 25 % et le Secrétariat au changement climatique a été supprimé. En outre, l’Amazonie a subi la pire déforestation depuis 2008 et les pires incendies. On se souvient très bien du « jour du feu », célébré par les éleveurs et autres producteurs qui sont sortis pour procéder aux brûlis.
D’autre part, la suppression des organes de contrôle et de surveillance de l’État, notamment en ce qui concerne l’Amazonie, a particulièrement touché les peuples autochtones. Le processus de délimitation des terres autochtones a été porté devant les tribunaux et a abouti devant la Cour suprême de justice. Ce n’est pas un hasard si les peuples autochtones sont devenus les principaux opposants au gouvernement Bolsonaro, avec le monde de la culture. Appropriation des terres autochtones, déforestation, exploitation minière illégale, interruption des approvisionnements en nourriture et en médicaments : au moins 570 enfants du peuple yanomami sont morts sous le gouvernement Bolsonaro de malnutrition ou de paludisme, entre autres problèmes de santé. Les autochtones affirment que plus de 20 000 mineurs illégaux, connus sous le nom de garimpeiros, ont pénétré sur leur territoire à partir de 2019. Roraima, la zone contestée, n’a été déclarée en état d’urgence sanitaire qu’en 2023, sous la troisième présidence de Luiz Inácio Lula da Silva. « L’Amazonie est une région très riche. À Roraima, il y a un tableau périodique sous terre », avait déclaré Bolsonaro14, qui fait aujourd’hui l’objet d’une accusation d’incitation au génocide, traitée par la Cour suprême de justice depuis 2023.
Entre discours dilatoire et écofascisme
Avant les élections de juin 2024, l’Union européenne comptait 21 partis d’extrême droite représentés au Parlement à Bruxelles ; aujourd’hui, ils sont deux fois plus nombreux, avec environ 200 députés15. Ceux-ci votent régulièrement contre les politiques environnementales et énergétiques – deux sur trois, selon une étude citée16. Or, le Pacte vert européen est une politique d’État, à l’échelle régionale, et comprend un important programme de financement axé sur la transition énergétique. Cela oblige les partis d’extrême droite à parler et à débattre de la crise climatique. De plus, il devient de plus en plus difficile de nier l’impact du changement climatique face à des événements extrêmes tels que les inondations, les vagues de chaleur ou, plus récemment, la tempête qui a ravagé plusieurs zones de Valence, un phénomène météorologique exacerbé par la crise climatique et l’absence d’alertes précoces.
Cependant, lorsque ces partis accèdent à des postes exécutifs dans différentes régions, comme c’est le cas de Vox en Espagne, ils refusent de mettre en œuvre les politiques publiques proposées ou de se conformer à la loi européenne sur le climat. On assiste ainsi à un virage vers le déni interprétatif, car le changement climatique est reconnu, mais ses causes sont minimisées ou déformées. À tel point que les recherches universitaires parlent d’un changement de tactique de l’extrême droite et d’un virage vers un discours « retardiste » ou « dilatoire », qui cherche à nationaliser la question environnementale, en revendiquant l’« innocence nationale » ou l’absence de responsabilité par rapport à d’autres pays plus polluants et en rejetant l’« écologie punitive »17.
Ce discours dilatoire fait suite à l’expansion de mouvements de jeunesse tels que Fridays for Future [Vendredis pour l’avenir], apparu en 2018 comme un mouvement étudiant militant contre le réchauffement climatique et dont la figure de proue la plus connue est la militante suédoise Greta Thunberg. Il s’agit d’un discours qui articule différentes stratégies, en apparence contradictoires, comme le montre une étude réalisée par l’université de Cambridge18. D’une part, il s’accompagne d’un techno-optimisme, qui mise généralement sur le « business as usual » ; d’autre part, il met l’accent sur les effets négatifs des politiques climatiques sur le niveau de vie de la société.
Ce type de discours sur les impacts négatifs sur le niveau de vie de la société fait appel aux craintes, notamment celles des classes moyennes et défavorisées, craintes qui sont en partie fondées puisque, dans le cadre des politiques de transition, ces secteurs sont souvent les plus touchés. On peut citer l’exemple édifiant des « gilets jaunes », le mouvement social qui a éclaté en France en 2018 contre une augmentation de la taxe sur les carburants justifiée par des raisons environnementales, sous le gouvernement d’Emmanuel Macron, qui, tout en pénalisant les classes moyennes et moyennes-basses, mettait en place des politiques fiscales visant à réduire les impôts des plus riches.
D’autre part, des secteurs écofascistes ont émergé à l’extrême droite, qui soulignent la nécessité de répondre aux demandes d’un électorat potentiel sensible à la crise climatique. Le parti qui a pris la tête était celui de Marine Le Pen, qui vers 2000 a abandonné le déni pour intégrer les questions environnementales ; une nouvelle approche que certains appellent « écobordering », car elle propose de fermer les frontières sous prétexte d’écologie. L’écobordering ou écofrontière soutient que l’immigration est une menace pour l’environnement local ou national face à la raréfaction des ressources naturelles et à la pollution croissante. L’attachement à la terre, la suprématie blanche occidentale et l’environnementalisme sont les trois éléments clés. « Si l’on est nomade, on ne peut pas être environnementaliste », a déclaré un jour Marine Le Pen, tandis que son dauphin Jordan Bardella affirmait que « les frontières sont les meilleures alliées de l’environnement ; c’est grâce à elles que nous sauverons la planète »19. L’écofascisme devient ainsi une sorte de protectionnisme environnemental à l’échelle nationale qui continue de nier le lien entre capitalisme et crise climatique, mais cherche à rendre responsable l’immigration massive, les « vandales environnementaux », qui seraient l’opposé des « gardiens autochtones »20. Non seulement l’écofascisme n’est pas nouveau, mais il remet également en question l’idée répandue selon laquelle l’écologie est exclusivement en phase avec une idéologie progressiste. Il existe un courant malthusien associé à l’écologie qui, face à la finitude des ressources, considère la surpopulation comme le plus grand problème environnemental. De même, à ses origines, l’écologie s’inscrivait dans un cadre réactionnaire, lié à la symbiose entre la société humaine et l’environnement naturel, où l’on pouvait lire un rejet de la modernité, de la révolution bourgeoise, du libéralisme, de la laïcité et de la vie polluée ou corrompue des villes, opposés au traditionalisme rural.
La série inspirée du roman La Servante écarlate, de Margaret Atwood, dépeint avec une esthétique cruelle un régime théocratique et écofasciste. Cependant, sans avoir recours à la fiction, il convient de rappeler que l’Allemagne nazie a été le terrain propice au développement des bases d’un écofascisme ancré dans la théorie du Lebensraum, l’espace vital, la thèse du sol et du sang dans laquelle convergeaient le nationalisme et le racisme. Il ne faut pas oublier qu’Adolf Hitler était végétarien et Hermann Göring, défenseur des animaux ; quant à Heinrich Himmler, il avait créé, dans le camp de concentration de Dachau, une grande étendue de terres irriguées où les prisonniers effectuaient des travaux forcés. Le nom que l’imagination macabre des SS a donné à cette entreprise agricole était « jardin d’herboristerie ». Himmler encourageait également la création d’une « médecine populaire » naturiste, un projet très prestigieux dans la politique sanitaire du national-socialisme.
Cependant, l’écofascisme apparaît davantage comme une « modalité organisationnelle de la pensée écologique la plus réactionnaire » que comme un mouvement organisé21, et il est utilisé par des extrêmes droites telles que le Rassemblement national en France, le Parti national suisse (dissous en 2022) et le Parti national britannique, qui se présente comme « le seul parti vert d’Europe ». En 2024, un parti d’extrême droite écologiste a vu le jour en Roumanie qui, en plus de tout ce qui a été dit, ajoute une perspective anticolonialiste en se positionnant comme un pays périphérique – « un endroit qui n’a pas d’importance » – et célèbre le « véritable paysan roumain »22.
Le terme « écofasciste » s’est répandu dans les médias après qu’un ethno-nationaliste australien, qui s’identifiait comme tel, a attaqué en 2019 deux mosquées à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, tuant 51 personnes et faisant 40 blessés. Peu après, un attentat similaire a été perpétré dans le supermarché Walmart d’El Paso, aux États-Unis, contre des personnes d’origine mexicaine, et le meurtrier a publié sur Internet un manifeste écofasciste dans lequel il déclarait que « le nationalisme vert est le seul nationalisme » et concluait : « Il n’y a pas de conservatisme sans nature, il n’y a pas de nationalisme sans environnementalisme. Nous sommes nés de nos terres et notre propre culture a été façonnée par nos terres. La protection et la préservation de ces terres ont la même importance que la protection et la préservation de nos idéaux et de nos croyances. Il n’y a pas de traditionalisme sans environnementalisme »23.
Ces manifestations écofascistes reprennent la théorie complotiste du remplacement de population, très en vogue en Europe, et supposent une adaptation de la problématique environnementale en termes de nationalisation, niant ses caractéristiques globales et son lien avec la dynamique capitaliste. Leurs actions, bien qu’isolées, n’échappent pas à la préoccupation d’un mouvement et d’un activisme environnementaux qui, dans l’ensemble, sont progressistes. Dans son livre En llamas, Naomi Klein écrit : « Ce que je crains, c’est que, à moins d’un changement significatif dans la manière dont nos sociétés font face à la crise écologique, nous serons beaucoup plus souvent témoins de ce type d’écofascisme suprémaciste blanc, devenu une rationalisation rageuse du refus d’assumer nos responsabilités climatiques collectives »24.
Il existe différentes variantes de l’extrême droite, mais toutes partagent la stratégie de la polarisation asymétrique comme logique de construction politique. Au-delà du fait que certaines se modèrent lorsqu’elles arrivent au pouvoir et que d’autres se radicalisent, l’invalidation de l’autre est moins une question rhétorique qu’un signe d’un « changement d’époque » ; il ne s’agit pas tant d’un « plafond » que d’un « plancher », car cela augure un changement de régime, un horizon en expansion vers des régimes antipluralistes ou illibéraux qui cherchent à consolider un modèle autocratique de pouvoir. Ainsi, le projet des extrêmes droites vise à la fascisation de la société qui, face à l’ampleur de la polycrise et à l’effondrement des certitudes, se réfugie dans les images d’un passé glorieux et heureux, dans une utopie néoréactionnaire.
De même, comme nous l’avons vu, l’utilisation des nouvelles technologies de compilation et d’analyse des données pour capter et canaliser les sentiments les plus extrêmes est préoccupante, et en particulier la manière dont les droites radicales – les ingénieurs du chaos – les utilisent. Enfin, dans leur alliance avec les PDG et les multimillionnaires, les droites radicales expriment ce que j’ai appelé un « pancapitalisme de la fin », qui exacerbe encore plus le capitalisme extractiviste et la suppression des droits, accélérant ainsi la polycrise civilisationnelle.
Dans le contexte de l’aggravation de la crise climatique, l’extrême droite ne se contente pas d’essayer de nouvelles formes de négationnisme, elle ouvre même la porte à un écofascisme sous des formes nationalistes qui exprime un rejet féroce d’un régime climatique de gouvernance mondiale. Certes, les propositions écofascistes partagent avec les solutions mondialistes une vision optimiste du changement technologique comme moyen de résoudre la crise climatique, mais elles proposent une nationalisation stricte de la question environnementale, qui inverse les responsabilités et entraîne le racisme et l’exclusion. L’utopie réactionnaire et la refosilisation du système promues par l’extrême droite constituent un saut sans escale vers le capitalisme du chaos et le choc avec les frontières planétaires.
Enfin, la toile de fond de ce processus est que les forces progressistes et les gauches institutionnelles se sont retrouvées sans imaginaire politique transformateur. Loin de miser sur des propositions de transformation radicale et des actions transversales en termes de justice, non seulement elles ont approuvé le processus d’aggravation des inégalités, mais certaines, face à l’offensive de la droite, reculent encore plus en termes politico-sociaux et facilitent ainsi l’accès au pouvoir de l’extrême droite.
Remarque : cet article est un extrait, légèrement modifié, du livre Policrisis. Cómo enfrentar el vaciamiento de las izquierdas y la expansión de las derechas autoritarias, Siglo XXI, Buenos Aires, 2023.
- 1.Katz, Buenos Aires, 2023.
- 2. Mariano Schuster : « ¿Qué es y cómo opera el negacionismo? Entrevista a Donatella Di Cesare » (Qu’est-ce que le négationnisme et comment fonctionne-t-il ? Entretien avec Donatella Di Cesare) dans Nueva Sociedad édition numérique, 5/2023, disponible sur www.nuso.org.
- 3. Configuration politique bipolaire qui ne s’exerce pas de manière égale depuis les deux pôles, marquée par un discours antipluraliste et une pratique politique agressive, d’invalidation ouverte de l’autre.
- 4. Naomi Oreskes et Erik M. Conway : Les marchands du doute, Capitán Swing, Madrid, 2018.
- 5. A. Malm : Peau blanche, combustible noir. Les dangers du fascisme fossile, Capitán Swing, Madrid, 2024.
- 6. Le terme « greenwashing » ou « écoblanchiment » désigne une stratégie marketing utilisée par les entreprises pour donner l’impression qu’elles sont respectueuses de l’environnement. À travers des promesses et des campagnes qui exagèrent ou déforment la réalité de leurs pratiques environnementales, elles cherchent à gagner la confiance des consommateurs et à améliorer leur image publique.
- 7. A. Malm : op. cit., p. 63.
- 8. Ibid., p. 87.
- 9. Même l’accord de Paris prévoit le pouvoir décisionnel des États nationaux dans le processus de réduction des émissions de dioxyde de carbone.
- 10. Edgardo Lander : « La durabilité de la vie mise en péril par le grand capital. Stratégies de l’industrie des combustibles fossiles et des capitaux associés pour manipuler les politiques environnementales et l’opinion publique » dans Karin Gabbert et Miriam Lang (éd.) : Comment la vie se maintient-elle en Amérique latine ? Féminismes et réexistences en période d’obscurité, Fondation Rosa Luxemburg / Abya Yala, Quito, 2019.
- 11.Cité dans E. Lander : op. cit., p. 149.
- 12.E. Araújo : « Sequestrar e perverter » dans Metapolítica, 12/10/2019.
- 13.Miguel Urbán : Trumpismos neoliberales y autoritarios, Verso, Barcelone, 2024, p. 188.
- 14. Frédéric Louault : « La politique environnementale du gouvernement Bolsonaro » dans Les Études du CERI, 2020.
- 15. Ces partis sont regroupés en blocs : Conservateurs et réformistes européens, Patriotes pour l’Europe et Europe des nations souveraines.
- 16. M. Urbán : op. cit., p. 189.
- 17. María Elorza, Michele Bertelli et Martín Vrba : « Vox et son discours retardiste : comment il tente de freiner l’action climatique » dans Climática, 29/12/2023 ; Stéphane Mandard : « Marine Le Pen oppose son ‘écologie nationale’ à ‘l’écologie punitive’ d’Emmanuel Macron » dans Le Monde, 15/4/2022.
- 18.William F. Lamb et al. : « Discourses of Climate Delay » dans Global Sustainabilityvol. 3, 2020.
- 19. « Qu’est-ce que « l’écobordering », cette notion brandie par l’extrême droite qui veut enraciner les individus dans leur terre » dans Radio France, 9/3/2024.
- 20. Francesca Santolini : Ecofascisti. Estrema destra e ambiente, Einaudi, Milan, 2024.
- 21. Ibid.
- 22. Mihaela Mihai et Camil Ungureanu : « Roumanie : une extrême droite écologiste, chrétienne et « anticolonialiste » » dans Nueva Sociedad édition numérique, 11/2024, disponible sur www.nuso.org.
- 23. Cité dans Eduardo Santana C. : « Ecofascismo y terrorismo antimexicano » dans Nexos, 16/8/2019.
- 24. N. Klein : En llamas, Paidós, Madrid, 2021, p. 64.
https://nuso.org/articulo/319-extremas-derechas-negacionismo-ecofascismo
Traduction ML avec Deepl
