L’Agence Média Palestine propose une traduction de cette analyse de Mahmoud Mustaha, journaliste et militant des droits humains originaire de Gaza.
Nous ne pouvons pas répéter la lente agonie d’Oslo ni remplacer le Hamas par une autre faction détachée, nous devons plutôt repenser les fondements de notre culture politique.
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Lundi, les dirigeants mondiaux se sont réunis à Charm el-Cheikh pour promouvoir ce qu’ils ont décrit comme une nouvelle « voie vers la paix » à Gaza. Le sommet avait pour objectif officiel de consolider les phases du cessez-le-feu et d’esquisser un plan de gouvernance et de reconstruction à long terme pour la bande de Gaza. Pourtant, il s’est soldé par une feuille de route ambiguë et un avenir incertain pour les Palestiniens qui, comme d’habitude, ont été totalement exclus des discussions.
Aucun représentant de Gaza n’était présent à ces réunions, et il n’y a eu aucune consultation publique ni aucune transparence sur les sujets abordés. Pour les habitants de Gaza, les informations ne leur parvenaient que par bribes, filtrées par les médias étrangers et les spéculations, les laissant dans l’incertitude quant aux accords politiques conclus en leur nom.
À la tête de ces discussions se trouvent les États-Unis, qui continuent de refuser de reconnaître la Palestine comme un État, tout en rejetant la représentation de l’Autorité palestinienne à l’ONU. Les diplomates étrangers parlent des perspectives d’avenir de mon pays comme s’il s’agissait d’un problème technique à gérer, et négocient un « avenir » pour Gaza sans reconnaître son existence politique ni le droit de son peuple à être représenté.
Pendant ce temps, le système politique de Gaza s’est effondré. Les hauts dirigeants du Hamas ont été tués, arrêtés ou isolés, l’Autorité palestinienne reste absente et il n’existe aucun organisme crédible pour représenter plus de 2 millions de civils déplacés. À l’intérieur de la bande de Gaza, des affrontements ont éclaté entre le Hamas et des milices palestiniennes rivales, les confrontations armées et les exécutions publiques semant la terreur parmi les civils. Ces scènes ont suscité de vives inquiétudes quant à une nouvelle vague de violence interne qui pourrait infliger encore plus de souffrances à une population déjà brisée.
Ce qui s’est déroulé à Charm el-Cheikh n’était pas une tentative d’apporter un réel changement pour les Palestiniens, mais plutôt un nouvel acte de chorégraphie régionale – une vision du Moyen-Orient construite autour des intérêts israéliens et américains, et non des droits des Palestiniens.
D’après ce que nous savons à ce jour, le plan du président américain Donald Trump pour Gaza, qu’il présente comme un plan qui mènera à une « paix forte, durable et éternelle », permettra à Israël de conserver le contrôle des frontières, de l’espace aérien et des flux d’aide de la bande de Gaza, les acteurs internationaux qui ont armé et financé son offensive génocidaire agissant désormais en tant que médiateurs et contrôleurs du respect des accords.
Ce plan ne mentionne nullement la fin du siège ou le démantèlement de l’occupation, mais cherche plutôt à saper l’autonomie palestinienne en imposant une surveillance et une gouvernance externes. Il imagine une Gaza pacifiée, suffisamment soumise pour ne représenter aucune menace pour Israël, mais toujours privée du pouvoir de protéger ou de reconstruire la vie palestinienne.
Les médias saluent l’accord de cessez-le-feu et le plan pour Gaza comme une « avancée majeure ». Les diplomates parlent de mesures visant à instaurer la confiance. Les responsables à Washington, au Caire et à Doha s’expriment comme si le ciel dégagé était la preuve d’un progrès. Mais pour les Gazaouis, il ne s’agit que d’une pause fragile au milieu de la mort et de la dévastation, un moment pour fouiller les décombres, rechercher d’éventuels survivants et compter les morts.
Effacer l’action politique de Gaza
Depuis des décennies, les cessez-le-feu et les soi-disant plans de paix à Gaza sont utilisés comme des instruments de contrôle, visant à désamorcer plutôt qu’à affronter les causes du conflit : le siège, le déplacement et l’occupation. Cette dernière version n’est pas différente.
À ce stade, deux scénarios potentiels sont discrètement esquissés. Le premier prévoit qu’après la fin de l’échange actuel de prisonniers, une deuxième phase obligerait le Hamas à rendre ses armes et à dissoudre ses structures gouvernementales.
Au cœur de cette version se trouve une proposition qui circule depuis longtemps dans les capitales occidentales et arabes : déployer une force internationale de stabilisation (ISF) pour superviser la « transition d’après-guerre » à Gaza. Le plan prévoit la mise en place d’un comité palestinien technocratique temporaire chargé d’administrer les affaires courantes sous la supervision d’un conseil international, auquel participeraient Trump lui-même et l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, avant de transférer finalement le pouvoir à une Autorité palestinienne « réformée ».
Cet arrangement fait écho à des modèles familiers dans lesquels la supervision externe a remplacé la souveraineté véritable, notamment dans le sud du Liban sous l’égide de la FINUL et en Cisjordanie dans le cadre de la coordination sécuritaire entre l’Autorité palestinienne et Israël sous l’égide des États-Unis, des cadres qui ont depuis longtemps prouvé leur échec.
Dans cette version du futur, Gaza serait reconstruite juste assez pour que sa population oublie la question de la libération. Au fil du temps, les Gazaouis seraient encouragés à troquer leur liberté contre de l’électricité, leur dignité contre des permis et leur souveraineté contre l’illusion de la stabilité. L’objectif n’est pas seulement de réprimer la résistance, mais aussi de faire oublier aux gens pourquoi elle existait au départ.
Le deuxième scénario se déroulerait si le Hamas refusait de rendre ses armes après avoir libéré les otages israéliens. Dans ce cas, Israël maintiendrait son contrôle sur plus de la moitié de la bande de Gaza et prétendrait que le Hamas viole l’accord afin de justifier de nouvelles attaques, des incursions ciblées et la destruction continue des infrastructures civiles.
Ces deux scénarios, de manière différente, visent à effacer l’action politique de Gaza : l’un par la pacification et l’amnésie induite, l’autre par l’usure et le siège indéfini. Au final, aucun des deux ne modifierait l’architecture du contrôle israélien qui définit Gaza depuis près de deux décennies, où Israël reste libre de calibrer le niveau de pression — assouplissant le blocus lorsque la pression internationale s’intensifie, le resserrant à nouveau dès que Gaza ose affirmer son autonomie.
Et si le projet d’accord dont on dispose ressemble moins à un accord de paix qu’à un plan visant à maintenir l’asservissement et la fragmentation, le plus alarmant est ce que nous ignorons encore. Des informations suggèrent l’existence d’annexes secrètes à l’accord, et la taille et la composition de la force internationale proposée, la durée de son mandat et l’étendue de la participation américaine restent floues.
Ce secret n’est pas fortuit. En gardant secrets tous les détails de l’accord, les négociateurs privent les Palestiniens de la possibilité de façonner, d’influencer ou même de comprendre les conditions qui régiront leur vie.
La nécessité de repenser la stratégie
Maintenant que les contours du cessez-le-feu, aussi flous soient-ils, commencent à se dessiner et que la question de savoir qui gouvernera Gaza redevient d’actualité, les Palestiniens doivent prendre leurs responsabilités, non pas pour ce qui nous a été fait, mais pour la manière dont nous allons tracer la voie vers la dignité et la souveraineté. La question la plus urgente est de savoir qui définira l’orientation de notre mouvement national.
Pendant des décennies, nous avons vécu dans des cadres conçus par d’autres : les accords d’Oslo, le blocus, le cycle sans fin des guerres, des cessez-le-feu et de la reconstruction. Si nous voulons que ce moment ait une signification qui dépasse la simple survie, nous devons commencer par une réflexion sur nous-mêmes. Nous ne pouvons pas limiter notre indignation aux puissances étrangères tout en restant silencieux sur nos propres échecs en matière de vision et de leadership.
Le point de départ est la légitimité populaire, que ni le Hamas ni l’Autorité palestinienne ne peuvent revendiquer sans une réforme significative. Le Hamas dirige Gaza depuis 18 ans : assez pour affirmer son contrôle absolu, mais pas pour faire avancer la cause de la libération. Lorsqu’il a remporté les élections de 2006 avant de prendre le contrôle de la bande de Gaza, il l’a fait en se basant sur l’argument crédible que la diplomatie avait échoué et que la résistance, aussi coûteuse soit-elle, était le seul langage qu’Israël comprenait.
Le mouvement a cherché à dissuader Israël par la confrontation et la résilience, convaincu que cette voie l’obligerait à faire des concessions. Mais cette stratégie était vouée à l’échec. Sans diplomatie parallèle ni vision nationale unifiée, le mouvement n’a pas pu briser le siège israélien et n’a fait qu’aggraver l’isolement de Gaza. Au fil du temps, la défiance du Hamas est devenue statique, incapable de remporter la victoire, mais impossible à vaincre, et a progressivement éloigné le groupe du public qu’il prétendait défendre.
Pendant près de trois décennies, l’Autorité palestinienne a entretenu l’illusion d’une autonomie en Cisjordanie, accablée par l’administration civile tout en se pliant aux exigences de l’occupant en matière de sécurité. Elle n’a aucun contrôle sur les frontières, les ressources, la mobilité, ni même ses propres recettes fiscales, et ne peut protéger aucun village contre les colons. Aux yeux du monde, elle reste le « représentant légitime » du peuple palestinien, mais cette légitimité est maintenue par les mêmes structures internationales qui soutiennent l’occupation.
Il est essentiel de noter qu’aucun dirigeant palestinien, ni du Hamas ni de l’Autorité palestinienne, n’a parlé au public avec honnêteté ou clarté de ce qui est négocié en notre nom. Ce silence révèle une crise plus profonde – le manque de transparence et de responsabilité – qui mine la politique palestinienne depuis bien plus longtemps que le chapitre actuel.
La société civile, les syndicats, les associations professionnelles, les groupes étudiants et les conseils locaux : voilà les groupes qui devraient constituer la base de notre renouveau politique. Bien qu’imparfaits, ils restent les seuls vestiges d’autonomie qui aient survécu à des décennies d’occupation et de contrôle par les factions.
La résistance doit également être redéfinie. Lorsque la lutte armée n’apporte que la dévastation aux personnes qu’elle cherche à défendre, elle finit par servir l’occupant plutôt que de le défier.
Bien sûr, aucun peuple ne peut vivre indéfiniment sous l’oppression sans riposter. L’histoire montre que lorsque Israël augmente la pression sur les Palestiniens, par le siège, la spoliation des terres ou la violence pure et simple, cela provoque inévitablement une réaction. Mais si le droit de résister à l’occupation est inaliénable, sa forme doit évoluer avec la réalité.
Une résistance efficace doit être multidimensionnelle : politique, économique, juridique et culturelle. Elle doit éroder l’occupation non seulement par la confrontation armée, mais aussi par la pression et la délégitimation. Après tout, Israël est une extension de la puissance occidentale et sa survie dépend du patronage occidental, c’est pourquoi les menaces d’embargo sur les armes, de boycott culturel et de sanctions sont si efficaces.
Il ne s’agit pas ici d’appeler à abandonner la lutte armée, mais de lui donner un sens. La résistance doit servir une vision politique, et non persister comme un réflexe. La violence sans stratégie renforce la prétention de l’occupant à la « légitime défense » et sape la nôtre ; son pouvoir perdure en transformant sa « sécurité » en notre soumission. Cette illusion ne se brise que lorsque les actions palestiniennes, armées ou non, sont unies par un objectif politique unique, responsable devant le peuple qui subit de plein fouet la violence génocidaire d’Israël.
Ce qui est nécessaire aujourd’hui
En tant que Gazaouis, nous avons payé un prix inimaginablement lourd pour les attaques du 7 octobre, et nous continuerons à le faire dans un avenir prévisible. Si le Hamas ne peut être déchargé de sa responsabilité dans notre situation difficile, ce qui est arrivé à Gaza n’est pas la conséquence des actions d’un seul groupe, mais l’aboutissement de décennies de siège, d’occupation et d’échec politique plus général.
Même avant le 7 octobre, la vie normale à Gaza était une illusion reposant sur des autorisations. Israël décidait de ce qui pouvait entrer et sortir : carburant, médicaments, béton, voire livres. Le siège était autant psychologique que physique : un moyen de réduire ce que les gens pouvaient envisager. Si nous avons appris à vivre dans cette pénurie, à profiter de chaque accalmie dans les bombardements pour reconstruire, je refuse de transmettre ce cycle de traumatismes à la génération suivante.
Lorsque j’écris à ma famille et à mes amis qui sont toujours à Gaza, il s’écoule souvent plusieurs jours de silence avant que je reçoive un court message : « Nous avons encore déménagé » ou « Il n’y a plus d’endroit où loger ». Rien de plus. Ces fragments sont la réalité qui se cache derrière chaque déclaration politique actuellement débattue. Ils me rappellent que l’incapacité de nos dirigeants à s’adapter et à s’unir n’est pas abstraite : elle détermine qui mange, qui a un toit et qui survit.
Si deux années de génocide nous ont appris quelque chose, c’est que le mouvement national palestinien ne peut plus se permettre d’agir à coups de slogans ou en s’accrochant à des visions politiques dépassées. Si nous voulons vraiment la libération, nous ne pouvons pas répéter la lente agonie d’Oslo ou remplacer le Hamas par une autre faction déconnectée du peuple.
Ce qu’il faut maintenant, c’est repenser les fondements mêmes de notre culture politique et construire de nouvelles formes d’organisation politique capables de survivre au désespoir. Israël n’a pas réussi à effacer le peuple palestinien, mais en détruisant Gaza, il a mis en évidence la faillite de tous les systèmes qui prétendaient nous gouverner.
Mahmoud Mustaha
Source : +972 Magazine
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/blog/2025/10/17/gaza-doit-decider-de-son-propre-avenir-politique-avant-que-le-monde-ne-le-fasse-a-notre-place/