jeudi 4 septembre 2025, par FERRARIO Andre
Au cours des trente-trois derniers jours, le secteur manufacturier chinois a été secoué par une série inhabituelle de grèves : vingt-deux mouvements collectifs dans différents secteurs, de l’industrie pharmaceutique au textile, de l’aérospatiale aux semi-conducteurs. Il ne s’agit pas d’épisodes isolés, mais du symptôme d’un malaise généralisé.
D’une part, la conjoncture économique défavorable a entraîné une chute des commandes et une baisse des bénéfices, d’autre part, l’adoption de règles pour la pleine application de la « sécurité sociale obligatoire » a augmenté les coûts fixes des entreprises, poussant nombre d’entre elles à la fermeture. En effet, pendant des décennies, le gouvernement a fermé les yeux sur le non-paiement des cotisations par les entreprises, leur permettant ainsi de gonfler leurs bénéfices, mais le changement soudain de politique, dû au fait que les fonds de pension sont à court de capitaux, provoque des bouleversements en faisant à nouveau peser le poids sur les travailleurs – outre les entreprises qui ferment, beaucoup d’autres ont simplement reclassé leurs salarié.e.s en travailleurs à temps partiel, pour lesquels le paiement des cotisations sociales n’est pas obligatoire. Ce n’est pas un hasard si l’adoption soudaine de la nouvelle réglementation, en l’absence de mesures d’accompagnement et de protection, est largement contestée par les travailleurs eux-mêmes. Dans ce contexte, les ouvriers ont choisi la grève comme dernier recours pour défendre leurs salaires et leurs indemnités.
Derrière les chiffres cités se cachent des histoires d’usines en difficulté et de travailleurs livrés à eux-mêmes. La société Kaiyi Paper Packaging de Guangzhou, avec plus de 100 millions de yuans de production annuelle, a soudainement déclaré faillite après que les nouvelles cotisations sociales eurent érodé toute marge bénéficiaire : des centaines d’employé.e.s se sont retrouvés sans salaire depuis des mois et avec un patron qui a disparu. À Shanghai, Guoli Automotive Leather a proposé des indemnités de licenciement que les travailleurs considèrent comme « les plus basses de la ville », tandis qu’à Hebei, plus d’un millier d’employés de Aerospace Zhenbang, liée à de grands programmes spatiaux nationaux, sont descendus dans la rue après des mois passés sans salaire. Ces cas montrent que la crise n’épargne ni les petites entreprises privées ni les entreprises stratégiques.
Les motifs des protestations se reproduisent régulièrement : réductions unilatérales des salaires, licenciements sans indemnité, transferts forcés vers d’autres provinces sans compensation. À Dongguan, plus de deux mille travailleurs de Maorui Electronics se sont mis en grève pour protester contre le refus de l’entreprise de les indemniser pour le déménagement de la production ; à Guilin, les ouvriers de BYD ont demandé l’application du salaire minimum des grands centres urbains au lieu de celui, plus bas, du district, sans toutefois obtenir de résultats en raison de l’intervention des autorités locales. Ces exemples témoignent d’une dynamique commune : les entreprises font supporter les conséquences de la crise à leurs employé.e.s en réduisant les coûts de main-d’œuvre jusqu’à la limite de la survie.
Cette série de grèves met en évidence un autre élément : la montée de la conscience collective parmi les ouvrier.e.s. Chez Shenzhen Advanced Semiconductor, environ un millier d’employé.e.s ont obtenu une indemnisation supérieure aux normes grâce à quatre jours consécutifs de mobilisation organisée. Dans d’autres cas, comme dans les industries textiles ou de l’habillement, les mobilisations se sont prolongées pendant plusieurs jours, signe d’une cohésion croissante et d’une détermination accrue à revendiquer des droits sociaux et contractuels. Ces formes d’action ne sont pas le fruit d’un choix idéologique, mais une réponse immédiate à des conditions de vie devenues insoutenables
Le tableau d’ensemble est celui d’un secteur industriel sous tension, où la stabilité de l’emploi semble de plus en plus fragile. En trente-trois jours, neuf des vingt-deux usines concernées ont déjà déclaré faillite et les autres se trouvent dans une situation précaire. La mise en place d’une protection sociale obligatoire, qui vise en théorie à élargir les garanties, se traduit dans la pratique par une pression insoutenable pour les petites et moyennes entreprises qui ferment ou répercutent les coûts sur les travailleurs. Pour les ouvriers, en revanche, cela les expose au risque de perdre non seulement leur salaire, mais aussi toute garantie sociale, alimentant ainsi un cercle vicieux de précarité et de conflit.
Cette vague de protestations constitue un signal d’alarme pour l’ensemble du système productif chinois. Si, d’une part, elle met en évidence les contradictions entre les politiques sociales et la viabilité économique des entreprises, d’autre part, elle montre que le monde ouvrier n’est plus disposé à accepter passivement des sacrifices unilatéraux. Pour beaucoup, la grève n’est plus considérée comme un geste extrême et isolé, mais comme un moyen légitime et nécessaire de résister à la compression des droits. Il est à prévoir que ces mobilisations se poursuivront dans les mois à venir, signe que la crise de l’industrie manufacturière n’est pas seulement une question de commandes et de coûts,mais surtout de dignité et de survie quotidienne pour des millions de travailleurs.
De plus, il convient d’ajouter que le suivi des informations et des images diffusées sur les réseaux sociaux chinois montre une nette augmentation, en cette période d’août et de septembre, des protestations contre le non-paiement des salaires, souvent en retard de plusieurs mois. Il ne s’agit pas de grèves organisées, mais d’actions menées par des travailleurs exaspérés qui montent sur les toits des usines et menacent de se jeter dans le vide, dans une demande désespérée d’attention. Il n’existe pas de données officielles, que le régime chinois a tendance à dissimuler, mais la fréquence de ces actes rappelle fortement un phénomène déjà observé ailleurs, comme en Italie en 2009 pendant la crise mondiale, à commencer par la lutte symbolique des ouvriers de l’usine Innse à Milan.
Andrea Ferrario
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde
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